Les Forces éternelles/Chant d’Espagne

Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 287-288).

CHANT D’ESPAGNE


Gitan de la nomade horde,
Qui n’as nul pays pour le tien,
Tu penches ton front d’indien
Sur ta guitare aux rudes cordes.

Ta guitare est sur tes genoux
Comme une morte qu’on caresse,
Tu surveilles d’un œil de fou
Cette indifférente maîtresse.

La guitare pèse sur toi
De sa force inclinée et dure,
Tu ressembles à ces peintures
Qu’on voit dans les Chemins de Croix.


Assis sur une chaise basse,
Ton pied droit s’agrippant au sol,
Ton adresse excite et harasse
Un invisible rossignol.

Ta main brune empiète ou recule
Sur le bois reluisant et plat ;
La mélodie au sombre éclat
Semble tisser du crépuscule.

Dans cette atmosphère de soir,
Il semble que ta main crispée
Fasse combattre et s’émouvoir
Les fines lames des épées.

— Ce chant buté, giclant, têtu,
Cette rauque monotonie,
Pauvre rêveur, qu’en attends-tu,
Puisqu’elle n’est jamais finie ?