Les Fondateurs de l’astronomie moderne/Copernic


COPERNIC
ET
SES TRAVAUX


La rotation diurne de notre globe et son mouvement annuel autour du soleil sont aujourd’hui des vérités sans contradicteurs ; il en est peu cependant qui se soient plus difficilement imposées à la conscience de l’esprit humain. Copernic eut la gloire de les affirmer, et il en est, suivant Voltaire, le véritable et seul inventeur. « Le trait de lumière qui éclaire aujourd’hui le monde est parti, dit le grand écrivain, de la petite ville de Thorn. » Il tranche ailleurs la question en affirmant qu’une si belle et si importante découverte, une fois proclamée, se serait transmise de siècle en siècle, comme les belles démonstrations d’Archimède, et ne se serait jamais perdue. Il n’en a pas été ainsi pourtant : les hommes n’acceptent pas si facilement une vérité aussi éloignée des sens, et une erreur aussi ancienne que le monde ne s’arrache pas par un seul effort. Les philosophes de l’antiquité ont cru au mouvement de la terre, et, sans qu’il soit possible de marquer l’origine de cette opinion, on voit qu’elle avait fait impression sur Archimède comme sur Aristote et sur Platon. Cicéron et Plutarque en parlent en termes très-précis. Cette théorie n’était donc pas nouvelle ; mais le nombre de ses adeptes ayant diminué d’âge en âge, elle était complètement délaissée et comme éteinte dans l’oubli, lorsque Copernic, lui donnant pour ainsi dire une nouvelle vie, la fit retentir assez haut pour y attacher son nom à jamais. Les preuves sont nombreuses et précises ; il serait inutile de les rapporter ; mais il ne l’est peut-être pas d’avoir signalé l’erreur dans laquelle Voltaire est tombé pour s’être trop fié à la logique. Ce n’est pas elle qui décide les questions historiques, et un fait bien constant doit prévaloir sur les conjectures et les opinions du plus admirable bon sens.

Copernic a, d’ailleurs, réfuté d’avance son trop exclusif admirateur en rapportant avec une grande bonne foi les passages d’écrivains anciens où il a puisé la première idée de son système ; les indications qu’il donne, malheureusement très-brèves, forment presque tout ce que nous possédons sur la marche secrète de son esprit. L’histoire de ses idées restera donc, quoi qu’on fasse, mal connue, et, en cherchant à en retracer les principaux traits, nous serons souvent réduits aux conjectures.

Copernic est né à Thorn, en 1472. Il perdit son père à l’âge de dix ans, et reçut, sous la direction de son oncle, évêque de Warmie, une éducation très-soignée et dirigée surtout vers l’étude des lettres. On a conservé de lui une élégante traduction latine des épîtres de Théophylacte, qu’il offrit à son oncle, en l’avertissant qu’expurgées avec soin, elles méritent toutes le titre de lettres morales, accordé par l’auteur grec à quelques-unes seulement.

Copernic, à l’âge de dix-sept ans, fut envoyé à Cracovie pour y étudier la médecine ; mais, loin d’en faire son occupation exclusive et unique, il suivit avec succès tous les cours de l’Université. Celui du professeur d’astronomie, Albert Brudvinski, intéressa particulièrement sa curiosité ; un charme puissant s’attacha tout d’abord pour lui aux rudes et grossiers instruments alors en usage, et le jeune étudiant se fit initier à leur emploi. L’ardeur de son esprit l’entraînait en même temps vers les arts ; il suivit un cours de perspective, et, passant de la théorie à la pratique, il s’adonna pendant quelque temps à la peinture ; il y montra, comme en tous ses travaux, de très-heureuses dispositions, et fit même quelques portraits d’après nature qui furent trouvés très-ressemblants.

Rabelais nous apprend que « les jeunes gens studieux et amateurs de pérégrinité » étaient déjà, à cette époque, « convoiteux de visiter les gens doctes, antiquités et singularités d’Italie. » Copernic, bien préparé à profiter d’un tel voyage, se rendit, à l’âge de vingt-trois ans, à l’Université de Padoue, dont les maîtres habiles étaient alors en grand renom ; il y suivit les cours de médecine et de philosophie, et obtint deux des couronnes décernées chaque année aux élèves les plus distingués par la science et par le talent. Ses études médicales étaient cependant interrompues par de fréquentes excursions à Bologne, où l’attiraient la réputation et le savoir du professeur Dominique Maria, de Ferrare, dont il devint bientôt l’ami intime. L’exemple et les conseils de Maria fortifièrent le goût de Copernic pour l’astronomie et l’engagèrent dans la voie qu’il ne devait plus quitter. La médecine fut bientôt délaissée : le jeune étudiant vint se fixer à Bologne, et Maria l’admit à travailler dans son observatoire ; cette flatteuse collaboration fut utile à Copernic et contribua sans doute à faire de lui un astronome accompli, mais sans le conduire immédiatement à des découvertes réelles. Parmi les résultats de ces premiers travaux, on cite même une erreur manifeste et une observation dont l’exactitude est douteuse : Maria croyait avoir démontré que le pôle de la terre se déplace à sa surface et que, depuis les temps historiques, la latitude des villes d’Italie a changé de près d’un degré ; il fit partager son opinion à Copernic, qui, plus tard, y renonça, car il n’en fait pas mention dans son ouvrage. Dans une observation faite à Bologne, en 1497, les deux astronomes crurent apercevoir une étoile à travers la partie obscure du disque de la lune, qui semblait laisser passer ses rayons. Rien n’étant venu depuis confirmer cet incompréhensible phénomène, les astronomes s’accordent à ne pas y ajouter foi.

Avant de retourner en Pologne, Copernic se rendit à Rome ; il y vit le célèbre astronome Regiomontanus, dont il s’attira l’estime. Recommandé par son oncle l’évêque, et déjà digne d’être recherché pour son propre mérite, il ne fut pas traité en étudiant qui vient recevoir des leçons, mais en astronome qui peut en donner, et on le fit asseoir à côté des maîtres. La licence, licentia docendi, qu’il avait reçue à Cracovie, fut jugée valable à Rome, et Copernic professa, pendant quelques mois, auprès de Regiomontanus, dont les savants entretiens concoururent heureusement, avec ceux de Maria, aux progrès de ses études astronomiques. On a dit même que ce célèbre astronome, parvenu par ses propres réflexions à soupçonner le mouvement de la terre, avait dirigé dans cette voie les méditations de Copernic ; mais aucune preuve précise ne rend cette opinion vraisemblable. Regiomontanus mourut peu de temps après, assassiné par les fils d’un homme dont il avait trop vivement critiqué les ouvrages. Aucun des écrits qu’il a laissés n’autorise à le regarder comme l’initiateur ou le précurseur de Copernic.

Copernic revint en Pologne à l’âge de vingt-neuf ans, bien résolu de consacrer à l’astronomie. un talent développé par dix années d’études aussi brillantes que variées : pour lui en faciliter les moyens, son oncle, pendant son séjour en Italie, avait obtenu pour lui un canonicat dans l’église de Frauenbourg. Un canonicat, telle était alors l’ambition commune à tous les aspirants aux études libérales : poètes, philosophes et médecins y voyaient la seule chance de tranquillité et d’indépendance. Le mérite aidait sans doute à y parvenir, mais il ne faudrait pas trop en citer comme preuve l’exemple de Copernic, car son frère aîné, nommé André, et si complètement obscur que la tradition ne nous a rien appris de plus sur son compte, fut pourvu en même temps que lui. Sans besoins comme sans ambition, et plus assidu à son observatoire que dans le chœur, l’heureux Nicolas n’interrompait ses travaux scientifiques que pour se livrer aux faciles devoirs de sa profession. Comme il avait obtenu depuis longtemps le bonnet de docteur en médecine, quelques malades réclamaient, il est vrai, ses conseils, qu’il accordait toujours gratuitement ; mais ce désintéressement n’augmentait pas la confiance, et sa clientèle ne fut jamais considérable : c’était ce qu’il désirait. Quelles que fussent cependant ses préoccupations scientifiques, il ne négligea jamais les devoirs que lui imposait la confiance des malades.

Sa réputation franchit même peu à peu les limites de son diocèse : une correspondance récemment publiée montre que le duc Albert, grand maître des chevaliers Teutoniques, eut recours à lui en 1541, dans une maladie grave de l’un de ses conseillers, le priant d’accorder « ses bons conseils et avis à son serviteur pour le guérir avec l’aide de Dieu. » Copernic, âgé de soixante-neuf ans, se rendit immédiatement aux prières du duc, après avoir obtenu l’autorisation des chanoines ses confrères ; il resta près d’un mois auprès de lui et continua même longtemps après à envoyer par écrit ses conseils au malade, qui guérit vraisemblablement, car la correspondance, fort insignifiante d’ailleurs, qui nous a été conservée, ne mentionne pas l’issue de la maladie.

C’est dans les premières années de son retour en Pologne que Copernic paraît avoir arrêté ses idées sur le système du monde et composé son célèbre ouvrage sur les révolutions des corps célestes ; il le garda inédit pendant près de trente ans. Quoiqu’il le perfectionnât sans cesse et qu’il eût une peine extrême à se satisfaire lui-même, on s’expliquerait difficilement un si long retard, si l’on ne savait quelles appréhensions pouvaient le retenir, et combien de difficultés la publication de ses idées lui eût sans doute attirées.

L’Almageste de Ptolémée était la règle universelle des opinions docilement reçues et transmises, comme évidentes et indubitables, d’une génération à l’autre. Copernic, refusant de déférer à cette autorité, osa le premier s’affranchir du joug ; la complication des mouvements admis par les écoles ne satisfaisait pas son esprit, cette architecture bizarre le scandalisait ; elle ne pouvait convenir, selon lui, à un édifice aussi majestueux et remplir la haute idée de perfection qui s’y rattache.

Pénétré de cette pensée, et sans se soucier des opinions reçues, il chercha la vérité avec autant d’ardeur que d’indépendance de raison. Voulant d’abord, suivant l’usage, trouver un point d’appui chez les anciens, il commença par relire soigneusement les écrits des philosophes, pour se familiariser avec leurs doctrines et savoir ce qu’ils ont pensé sur ce grand et éternel sujet de méditation, ne craignant pas de traverser bien des nuages pour découvrir quelques rayons.

Dans ce siècle de fausse science et d’érudition sans lumières, les intelligences enchaînées par de vaines subtilités n’apprenaient pas à raisonner, mais à croire ; les plus doctes passaient pour les plus habiles, et les anciens n’avaient plus que des commentateurs. Copernic se fit leur disciple ; cherchant des idées et non des autorités, il osa les aborder avec un esprit d’examen que les écoles ne connaissaient plus, pour adopter et perfectionner ce qu’il trouverait près d’eux de meilleur et de vrai. Avec de l’imagination et un jugement droit, il aurait pu certainement trouver, sans aucun secours, l’idée hardie qui a fait sa gloire ; mais, quand il déclare formellement le contraire, pourquoi récuserait-on son témoignage ? « Je pris, dit-il, la résolution de relire les ouvrages de tous les philosophes, pour y chercher si aucun d’eux n’avait admis pour les sphères célestes d’autres mouvements que ceux acceptés dans les écoles, et je trouvai dans Cicéron que Nicétas croyait au mouvement de la terre. Plutarque m’apprit ensuite que cette opinion avait été partagée par plusieurs autres ; voici ses propres paroles : « Les autres tiennent que la terre ne bouge pas, mais Philolaüs, pythagorien, tient qu’elle se meut en rond par le cercle oblique, ne plus ne moins que fait le soleil et la lune. Héraclite du Pont et Ecphantus, pythagorien, remuent bien la terre ; mais non pas qu’elle passe d’un lieu dans un autre, étant enveloppée, comme une roue, de bandes, depuis l’orient jusqu’à l’occident, alentour de son propre centre. »

Copernic aurait pu citer une autorité plus considérable : Archimède, en effet, au commencement du livre intitulé Arénaire, est plus net et plus précis encore :

« Le monde, dit-il, est appelé par la plupart des astronomes une sphère dont le centre est le même que celui de la terre, et dont le rayon est égal à la distance de la terre au soleil. Aristarque de Samos rapporte cette opinion en la réfutant : d’après lui, le monde serait beaucoup plus grand ; il suppose le soleil immobile, ainsi que les étoiles, et pense que la terre tourne autour du soleil comme centre, et que la grandeur de la sphère des étoiles fixes, dont le centre est celui du soleil, est telle, que la circonférence du cercle décrit par la terre est à la distance des étoiles fixes, comme le centre d’un cercle est à sa surface. »

Ce sont ces passages si formels qui, comme le dit Copernic, lui donnèrent ouverture à l’idée du mouvement de la terre, et furent pour lui comme une révélation ; il y vit le moyen de simplifier les rouages si nombreux et si compliqués de la machine céleste. Le succès dépassa ses espérances, et la lumière se fit bientôt dans son esprit. Plus soucieux cependant du repos qu’ambitieux d’une gloire éclatante, il continua silencieusement ses travaux, perfectionnant sans cesse son ouvrage et fortifiant ses convictions par l’étude continuelle des observations anciennes et par la contemplation assidue du ciel, trop souvent voilé malheureusement par les brouillards de la Vistule. Le but principal de l’ouvrage de Copernic est d’établir le double mouvement de la terre, par la simplicité et la régularité des explications qu’il fournit, et dont le majestueux ensemble n’a pas besoin d’autres preuves pour s’imposer irrésistiblement à l’esprit.

Ptolémée lui-même n’ignorait pas que l’hypothèse de la rotation de la terre explique très-simplement quelques-unes des apparences de l’univers, mais il n’avait pas osé l’adopter ; il était trop éclairé pour voir une difficulté sérieuse dans l’absence apparente du mouvement ; quelque rapidement, en effet, que la terre nous emporte, les objets qui nous entourent, suivant tous en même temps la même voie, éprouvent un déplacement commun, dont l’impétuosité devient par suite imperceptible, Ptolémée le comprit sans doute ; mais il recula devant une objection qui lui semblait sans réplique.

« Si la terre, dit-il, tournait en vingt-quatre heures autour de son axe, les points de sa surface seraient animés d’une vitesse immense, et de leur rotation naîtrait une force de projection capable d’arracher de leurs fondements les édifices les plus solides, en faisant voler leurs débris dans les airs. »

Cette appréciation des effets de la rotation terrestre repose sur une confusion qu’il faut signaler, et la difficulté disparaît lorsqu’on invoquant les véritables principes de la mécanique, on veut la pousser à bout.

On doit distinguer, dans le mouvement d’un corps qui tourne, la vitesse absolue des points situés à la surface et la vitesse de rotation mesurée par la durée d’un tour entier ; la force de projection dont parle Ptolémée, et que nous nommons force centrifuge, dépend de ces deux vitesses à la fois, et leur est proportionnelle à toutes deux. Or, dans le cas de la rotation terrestre qui nous occupe, si la vitesse des points situés à la surface est très-grande, la vitesse de rotation est extrêmement petite : un tour en vingt-quatre heures, c’est la moitié de ce que fait l’aiguille des heures d’une horloge, et, tout calcul fait, la force centrifuge produite par la rotation de la terre, loin de pouvoir arracher les édifices de leurs fondements, diminue seulement le poids des corps situés à l’équateur, où elle est la plus forte, de trois grammes environ par kilogramme.

Galilée rencontra, un siècle plus tard, la même difficulté, sans réussir à la dénouer exactement. Copernic pouvait bien moins encore faire un tel calcul, qui eût dépassé de beaucoup ses connaissances en mécanique, mais il ne renonça pas pour cela à ses convictions ; tout en regardant l’objection comme sérieuse, il n’en fut ni retardé ni troublé, et crut pouvoir tout concilier par une distinction subtile : « La rotation de la terre étant, dit-il, un mouvement naturel, les effets en sont tout autres que ceux d’un mouvement violent, et l’on ne doit pas assimiler la terre, qui tourne en vertu de sa propre nature, à une roue que l’on force à tourner. » Deux cents ans de travaux et de découvertes ont effacé de la science cette distinction entre le mouvement naturel et le mouvement violent. Un corps, quel qu’il soit, n’a aucune vertu réelle, aucune causalité, pour produire son propre mouvement ou pour en changer la direction. Les corps célestes, dans leurs évolutions, ne diffèrent en rien des autres ; ils sont soumis aux mêmes lois mécaniques, de même que les substances organisées dans les corps vivants obéissent aux mêmes lois physiques et chimiques qui régissent la matière inerte. Le principe de Copernic est donc faux, mais il n’est pas absurde ; il l’a reçu d’ailleurs des péripatéticiens, et il serait aussi injuste de le lui reprocher que de voir une preuve de pénétration dans l’argument sans valeur qui le maintint si heureusement dans la bonne voie.

Copernic admit donc, comme Philolaüs et Héraclite du Pont, que la terre tourne en vingt-quatre heures, et d’occident en orient, autour de la ligne des pôles ; entraînés par ce mouvement, dont nous n’avons pas conscience, nous le transportons aux astres, qui semblent, par une rotation contraire, tourner en vingt-quatre heures d’orient en occident autour du même axe.

Cette explication simple d’un phénomène aussi universel fait disparaître bien des difficultés. La distance immense des étoiles exigerait, si leur mouvement était réel, une vitesse qui effraye l’imagination et que Kepler évaluait beaucoup trop bas en la fixant à dix-sept mille lieues par minute. On s’expliquerait en outre bien difficilement que ce nombre prodigieux de soleils, comme enchaînés par des liens invisibles, conservassent exactement leurs positions relatives, en formant un système invariable qui semble tourner tout d’une pièce, sans être en rien dérangé par une rotation aussi rapide. Comment le soleil, la lune et les planètes participent-ils à ce mouvement en s’y soustrayant cependant en partie, puisqu’on voit varier chaque jour le lieu de leur lever et le cercle qu’ils semblent décrire ? Comment enfin le mystérieux ressort qui semble faire tourner l’univers autour d’un axe qui traverse notre globe nous laisse-t-il seuls en dehors de cette rotation ? La rotation de la terre faisant disparaître toutes ces difficultés, Copernic la regarda comme démontrée, et, expliquant ainsi le mouvement diurne des astres, il put en faire abstraction dans la suite de ses travaux et se borner à considérer, dans leur étude ultérieure, leur déplacement par rapport aux étoiles.

Les étoiles cependant, tout en conservant leurs positions relatives, semblent entraînées par un autre mouvement extrêmement lent, qui ne se mesure pas par jours, mais par centaines de siècles, et qui, d’après Hipparque, déplace toute la sphère céleste dans le sens de l’écliptique, en lui faisant faire un tour en vingt-six mille ans. Copernic n’abandonna pas pour cela sa croyance à la fixité des étoiles ; il comprit que ce ne sont pas elles qui se déplacent : c’est l’axe de la terre qui tourne en vingt-six mille ans autour de l’écliptique, en entraînant ainsi le pôle de l’univers, sans cesser de percer le globe terrestre aux mêmes points, et sans justifier par conséquent l’opinion de Dominique Maria sur le changement des latitudes géographiques.

Il y a, il faut l’avouer, contradiction géométrique à supposer ainsi un axe de rotation perçant toujours le globe terrestre aux mêmes points et changeant cependant de direction dans l’espace. Si la vitesse du pôle est toujours nulle, l’axe qui y aboutit reste invariable, et le changement de sa direction, quelque lent qu’on veuille le supposer, est impossible. Mais rien sous le soleil n’est rigoureusement immuable ; le pôle de la terre n’est pas fixe à sa surface. Un des géomètres les plus pénétrants de notre époque, M. Poinsot, en analysant le phénomène avec autant de finesse que de clarté, a montré que chaque jour notre pôle décrit autour de sa position moyenne un cercle de quelques décimètres ; pour les astronomes un mouvement si fin et si délié ne diffère pas de l’immobilité ; mais il a de l’importance aux yeux des géomètres ; il correspond à un rouage régulier et nécessaire, quoique imperceptible, de l’immense machine qu’il étudie ; la circonférence de ce petit cercle mesure, comme l’a montré M. Poinsot, le chemin que le pôle de l’univers parcourt chaque jour sur la sphère céleste ; c’est l’un des pas successifs de cette marche si lente signalée par Hipparque, et qui dure vingt-six mille ans.

Parmi les astres mobiles, le soleil seul suit une marche simple et régulière : on le voit décrire en une année sur la sphère céleste le grand cercle nommé écliptique, et, sans être rigoureusement uniforme, son mouvement le deviendrait dans des limites d’exactitude suffisante, si l’on se plaçait pour l’observer en un centre fictif peu éloigné de celui de la terre.

Le mouvement des planètes est plus compliqué : elles vont tantôt plus vite et tantôt plus lentement, tantôt dans un sens et tantôt dans un autre, et leurs stations fréquentes, constamment suivies d’un changement de direction, leur donnent dans le ciel une allure inégale et bizarre. Le mouvement circulaire uniforme qui convient seul, suivant les astronomes anciens, à la perfection des corps célestes, ne peut évidemment pas expliquer de telles apparences ; on avait cru tout concilier par la singulière doctrine des épicycles, qui, au temps de Copernic, régnait encore sans partage. Partant de ce principe évident que les corps célestes doivent décrire des cercles, et voyant clairement cependant qu’ils n’en décrivent pas, les anciens astronomes, s’attachant bien plus à accorder les mots qu’à rester conséquents à leur faux principe, disaient que chaque planète est mobile sur un cercle ; mais ils admettaient aussitôt que ce cercle, nommé épicycle, est entraîné à son tour uniformément sur la circonférence d’un autre cercle, appelé le déférent, en emportant la planète qui le parcourt. Celle-ci se trouve ainsi soumise à deux mouvements qui s’altèrent mutuellement par leur composition ; elle ne peut, quoi qu’on fasse, décrire qu’une seule courbe, qui n’est pas un cercle, mais qui est produite par la combinaison de deux mouvements circulaires, et, par cette finesse de discours, ils prétendaient tout concilier. Ces hypothèses, qui, d’après Ptolémée, remontent à Apollonius, expliquent les traits généraux des mouvements observés, mais elles sont loin d’en reproduire exactement les détails, et les astronomes, tâtonnant pour ainsi dire dans les ténèbres, n’avaient pas hésité à compliquer leurs hypothèses en augmentant sans limite le nombre de ces cercles qui roulent les uns sur les autres. Leurs dimensions arbitraires, ainsi que leurs vitesses, laissaient une grande latitude qui prolongeait l’illusion, et, pour accorder la théorie avec les observations de plus en plus précises, on avançait dans une voie sans issue, en s’embarrassant dans des entraves toujours plus nombreuses. Copernic eut assez de liberté d’esprit pour les rejeter, et assez de force pour les rompre d’une main hardie. Il fit disparaître ces vaines subtilités, et, lançant la terre dans l’espace, il plaça le soleil au centre du monde, comme le cœur et le foyer de toute la nature. Qui pourrait, dit-il, choisir une meilleure place pour cette lampe brillante qui illumine tout l’univers ? De même que le plus beau tableau ne peut être admiré et compris que d’un point de vue bien choisi, il faut, pour comprendre le système du monde, se placer par la pensée en son centre, qui est celui du soleil : c’est de là que Copernic aperçoit l’ordre harmonieux de l’univers et le spectacle éternel que ses maîtres lui avaient montré tant de fois sans lui enseigner à le comprendre.

Le soleil étant supposé immobile, il faut admettre que la terre tourne autour de lui, en décrivant chaque année un cercle précisément égal à celui dans lequel nous croyons le voir entraîné. Notre globe perd ainsi son rôle exceptionnel dans l’univers ; il cesse d’être le centre et la fin dernière de la création ; quelque différence que la vanité humaine veuille établir entre la terre et les autres planètes, on n’aperçoit plus aucun caractère particulier qui la distingue. Copernic nous les montre toutes semblables par la forme, comparables par les dimensions, et circulant, soumises aux mêmes lois, autour du même foyer de chaleur et de lumière, qui luit également pour elles toutes, leur envoie les mêmes clartés, les échauffe des mêmes rayons, et semble les tenir dans la même dépendance. Il faut donc chercher plus haut et plus loin que notre terre les secrets de la sagesse éternelle, ou renoncer modestement à les pénétrer ; mais, comme dit frère Jean, ce ne sont pas là paroles de bréviaire, et le chanoine de Frauenbourg ne pouvait guère les discuter.

Le mouvement de la terre étant admis, on voit aisément quelles apparences ce déplacement, effectué à notre insu, doit produire sur les différent astres. Si nous nous approchons du soleil, par exemple, il nous semblera que, par un mouvement contraire, c’est lui qui se rapproche de nous ; si notre mouvement nous entraîne vers la droite, les apparences seront les mêmes que si, demeurant immobiles, nous le voyions décrire un chemin égal vers la gauche, et une analyse très-aisée du phénomène montre enfin qu’en décrivant une courbe quelconque nous croirons voir le soleil, ou tout autre astre que nous observerons, décrire en sens inverse une courbe précisément égale, et dont les dimensions apparentes dépendent, bien entendu, de la distance qui nous en sépare.

Ces apparences, que Copernic analyse avec autant de solidité que de justesse, s’étendent sans exception à tous les corps célestes accessibles à nos observations ; c’est une conséquence à laquelle on ne peut se soustraire, et qui semble tout d’abord condamner l’hypothèse. Le mouvement des étoiles est, en effet, complètement expliqué par la rotation de la terre autour de son axe, et nous ne les voyons nullement décrire en outre des cercles parallèles entre eux et égaux à l’orbite présumée de notre planète. Mais cette difficulté n’arrêta pas Copernic ; il en conclut seulement qu’à cause de la prodigieuse distance des étoiles le cercle égal à l’orbite terrestre que chacune d’elles devrait sembler décrire paraît tellement petit, qu’il échappe aux observations les plus précises.

Les planètes ne semblent pas non plus décrire des cercles égaux et parallèles au plan de l’écliptique ; elles ont donc un mouvement réel qui se combine avec le mouvement apparent que notre esprit leur attribue. Copernic admit que chacune d’elles décrit un cercle autour du soleil ; le mouvement de la terre, que nous leur transportons en outre par la pensée, produit alors les mêmes apparences que si chaque planète tournait en une année sur un épicycle égal à l’orbite terrestre entraîné sur l’orbite véritable de la planète, qui semble jouer ainsi le rôle du déférent d’Apollonius. On peut, si l’on veut, intervertir les rôles et prendre l’orbite réelle pour épicycle, en la supposant entraînée sur un déférent égal à l’orbite terrestre. La première de ces hypothèses représente, pour les planètes supérieures, Mars, Jupiter et Saturne, le système admis par Ptolémée, et c’est la seconde, au contraire, qui reproduirait les théories de Mercure et de Vénus, telles à peu près qu’elles sont exposées dans l’Almageste. Mais il faut bien remarquer que, dans les idées anciennes, l’identité des dimensions de l’orbite du soleil avec celles des épicycles n’était pas même soupçonnée. Ptolémée, en effet, ne rattachait nullement le mouvement d’une planète à celui d’une autre ; le rapport de l’épicycle au déférent et les vitesses avec lesquelles il les supposait parcourues étaient déterminées pour chaque planète, mais sans qu’il y eût aucune relation entre les cercles relatifs aux astres différents ; les divers éléments du système restaient indépendants, et l’on ne pouvait ni les placer ni même les ordonner avec certitude ; le système de Copernic, en faisant naître les épicycles des apparences produites par un même mouvement, celui de la terre, établit un lien entre ces éléments ; ils deviennent, pour ainsi dire, les membres d’un même corps, on peut les contempler d’un seul regard, et le système du monde apparaît pour la première fois dans son harmonieux ensemble.

Le principe de Copernic étant admis, on comprend aisément comment la distance de chaque planète au soleil a pu être approximativement déterminée. Prenons pour exemple la planète de Jupiter ; il faut, avant tout, chercher la durée de sa révolution : c’est là un problème dont, malgré les difficultés apparentes, la solution est extrêmement simple. On peut, en effet, comparer la ligne droite, nommée rayon vecteur, qui réunit le centre fixe du soleil au centre mobile de Jupiter, à l’aiguille d’une horloge, et le temps qu’elle met à parcourir son immense cadran est la durée de la révolution de Jupiter. Nous pouvons regarder le rayon vecteur qui réunit la terre au soleil comme une aiguille plus courte que la précédente et tournant dans le même sens ; le mouvement de celle-ci est bien connu : elle fait son tour en une année, Supposons maintenant, quoique cela ne soit pas absolument exact, que les plans des deux orbites coïncident, en d’autres termes que les deux aiguilles, de longueur inégale, marchent sur le même cadran. Placés comme nous le sommes, à l’extrémité de la plus petite, il nous est facile de signaler sa rencontre avec la plus grande, et les astronomes qui observent attentivement le soleil et la planète Jupiter sauront dire à quel moment nous nous trouvons sur la ligne qui les joint ; ils ont trouvé depuis longtemps que ces oppositions de Jupiter, ou, ce qui revient au même, les rencontres des deux aiguilles ont lieu, en moyenne, tous les 400 jours. La plus petite fait donc en 400 jours un tour de plus que la plus grande, et, comme le mouvement de celle-ci nous est connu, le plus simple écolier en déduira le mouvement supposé uniforme, c’est-à-dire le mouvement moyen de l’autre ; c’est ainsi que l’on a trouvé la durée de la révolution de Jupiter égale à 4,332 jours et 14 heures.

Ce résultat étant bien connu, traçons un cercle de rayon arbitraire qui représente l’orbite terrestre et dont le centre figurera le soleil ; cherchons à représenter l’orbite de Jupiter sur le même dessin et en conservant les proportions exactes ; supposons que l’observation continuelle de la planète nous ait appris qu’elle se trouvait un certain jour placée sur le prolongement de la ligne qui joint le soleil à la terre ; choisissons sur le cercle qui représente l’orbite terrestre un point qui, ce jour-là, représentera la terre ; sur le rayon correspondant et à une distance inconnue se trouve Jupiter ; après quelque temps, après un mois, par exemple, la terre aura parcouru la douzième partie de son orbite et l’on pourra fixer le point où elle se trouve ; on pourra aussi, d’après les observations, tracer sur le papier la ligne qui la réunit à Jupiter : et si l’on suppose enfin que celui-ci se meuve d’un mouvement uniforme dans un cercle ayant pour centre le soleil, on pourra tracer le rayon vecteur qui réunit, le même jour, le soleil à Jupiter et qui fait, avec le rayon primitif relatif au jour de la conjonction, un angle égal aux de quatre angles droits, c’est-à-dire à 2° 31′ environ ; nous avons ainsi deux lignes qui doivent contenir Jupiter. Leur intersection donnera la position approchée de la planète ; la même construction, reproduite pour des intervalles correspondant à trente jours de marche de l’une et l’autre planète, fournira des points successifs de l’orbite de Jupiter, et tous ces points, si nos hypothèses étaient exactes, se trouveraient sur un même cercle. Malheureusement il n’en est pas ainsi ; on obtient, de cette manière, une courbe un peu allongée et sinueuse, qui diffère notablement d’un cercle. La méthode paraît donc sans raison, et l’épreuve n’a pas réussi ; elle est cependant un premier pas dans une voie qu’elle met suffisamment en lumière. Nos constructions supposent, en effet, que la planète décrive uniformément un cercle ayant pour centre le soleil et dont le plan coïncide avec celui de l’orbite terrestre ; ces suppositions ne sont pas exactes, le résultat obtenu n’est donc qu’une première approximation. Semblable aux premiers architectes chrétiens, qui, pour élever les temples de la foi nouvelle, employaient les débris des monuments antiques, Copernic eut recours aux procédés habituels de Ptolémée et supposa un excentrique et un épicycle ; mais l’algèbre est le seul instrument assez fin pour déterminer ces éléments nouveaux et la seule langue assez précise pour débrouiller la confusion d’un tel problème. Nous devons nous borner à avoir marqué le principe et le trait essentiel de la méthode ; il serait inutile de suivre Copernic dans le détail de la solution. Ce retour aux épicycles est une contradiction dans le système ; il altère la simplicité qui en fait la grandeur et la beauté, et forme une tache véritable. C’est le seul point sur lequel le livre des révolutions éloigne le lecteur des grandes voies de la science moderne. Après avoir exposé les détails de son système, Copernic, content d’en avoir assez dit pour assurer le triomphe de ses idées, s’est abstenu d’en résumer les traits essentiels et de faire ressortir l’appui qu’ils se prêtent mutuellement. C’est par des communications verbales qu’il compléta, dit-on, ses démonstrations, et, pour retrouver toute sa pensée, il faut la deviner dans les écrits, la plupart bien timides, qui, inspirés de lui, viennent se placer entre son livre des révolutions et les œuvres immortelles et originales de Galilée et de Kepler. C’est Kepler lui-même qui, tout jeune encore et disciple de Mœstlin, a résumé, de manière à les imprimer fortement dans les esprits, ses arguments les plus décisifs, qui se transmettaient sans doute comme en confidence, et sans se hasarder dans les chaires officielles.

« C’est, dit-il, après de profondes réflexions et soutenu par l’autorité de mon maître Mœstlin, que j’ai adopté le système de Copernic, » et, après avoir exposé sommairement la différence des deux doctrines, il ajoute : « On peut demander à Ptolémée pourquoi les excentriques de Mercure et de vénus et celui du soleil sont parcourus en temps égaux ; son système ne rend aucunement raison de cette coïncidence : celui de Copernic, au contraire, nous montre que ces trois mouvements sont des apparences produites par une même cause, qui est la rotation de la terre. »

Pourquoi les mouvements des cinq planètes sont-ils alternativement directs et rétrogrades, tandis que le soleil et la lune marchent toujours dans le même sens ? Nous répondrons, quant au soleil, qu’il est en réalité immobile, et que le mouvement apparent est l’effet de la translation de la terre, qui elle-même s’effectue toujours dans le même sens ; et, quant à la lune, sa rotation autour du soleil lui est commune avec la terre, et par conséquent, sans effet à nos yeux. Nous percevons seulement le mouvement qui l’entraîne toujours dans le même sens autour de notre planète ; quant aux cinq planètes, elles tournent toujours dans le même sens, mais nous leur appliquons, nous croyant immobiles, un mouvement contraire à celui de la terre, qui, selon les positions relatives, peut, comme on le voit par une analyse attentive, diversifier les apparences et simuler un déplacement, dirigé tantôt dans un sens et tantôt dans un autre. On peut demander encore, sans que Ptolémée puisse répondre, pourquoi aux plus grandes orbites correspondent de si petits épicycles et de si grands aux orbites moindres ? Cela tient, suivant Copernic, à ce que ces épicycles, identiques à l’orbite terrestre, sont égaux entre eux, et par conséquent d’autant plus petits relativement, qu’ils semblent tourner dans une orbite plus grande. Si la même loi ne s’étend pas aux planètes Vénus et Mercure, c’est que, par une inversion qui a été expliquée, l’épicycle de Ptolémée est pour celles-là leur orbite véritable, que l’on suppose mobile sur un cercle égal à celui de l’orbite terrestre. Les anciens se sont étonnés enfin, et non sans raison, de voir les planètes supérieures constamment en opposition avec le soleil, au moment où elles passent au point le plus bas de leur épicycle, et en conjonction avec le même astre, lors de leur arrivée au point le plus haut ; cette coïncidence est une conséquence forcée du système de Copernic. La terre tournant en effet, comme les autres planètes, autour du soleil, sa distance à l’une d’elles est évidemment la moindre possible, lorsqu’elle est sur la ligne qui réunit le soleil à la planète, et il y a alors opposition ; elle est au contraire la plus grande possible dans les conjonctions.

Il est bon d’être modeste, a dit Voltaire, mais il ne faut pas être indifférent sur la gloire : Copernic paraît l’avoir été ; il n’eut pas d’ambition, pas même la plus haute et la plus pure de toutes, celle de laisser un grand nom, et son zèle pour la vérité, tempéré par l’amour de la paix, n’alla jamais jusqu’à compromettre son repos.

Sans prévoir quelles contrariétés se rencontreraient entre ses opinions et les décisions de l’Église. il soupçonnait des difficultés, qu’il préféra éviter en ne publiant rien.

Copernic donnait gratuitement ses soins comme médecin à tous ceux qui les réclamaient, mais sans chercher à grandir sa réputation ni à accroître sa clientèle ; le savant astronome en usa précisément de même. Ne refusant ni sa société ni ses entretiens aux rares disciples qui venaient à lui pour s’éclairer, il leur découvrait tous ses secrets ; mais pour ceux qui, satisfaits du témoignage des sens, croyaient connaître la nature, ou qui, craignant de devenir plus savants qu’il ne faut, refusaient de soulever le voile mystérieux qui la couvre, Copernic n’essayait jamais d’élever malgré eux leur esprit et de dessiller leurs yeux, volontairement assoupis. N’oublions pas que, comme chanoine, il devait obéissance à ses supérieurs, et que cela gêne toujours un peu la liberté.

La croyance au mouvement de la terre se répandit pourtant peu à peu. On raconte que des comédiens, la prenant pour sujet de leurs plaisanteries, voulurent représenter sur leur théâtre les conséquences comiques d’une idée aussi extraordinaire ; cette farce n’a pas été conservée. Il faut croire qu’elle était plus grossière que gaie, car, après quelques jours de succès, elle fut sifflée. Peut-être a-t-on attaché trop d’importance à d’innocentes railleries, qui ne paraissent pas avoir été jusqu’à l’insulte et qui sont loin de mériter l’indignation. Les comédiens, persuadés par la fausse évidence qui leur montrait la terre immobile, s’étonnaient d’un prétendu mouvement dont on ne voit ni n’éprouve aucune marque sensible, et la croyance à ce paradoxe, que semblaient désavouer tous les sens, leur parut une extravagance propre à figurer dans une scène comique. Ils étaient dans leur rôle et dans leur droit, car le théâtre n’est pas une école de physique. « Tu me railles, écrivait Kepler à un de ses contradicteurs ; soit, rions ensemble. » Copernic n’était pas rieur de sa nature, et vraisemblablement il n’aimait pas la raillerie ; mais il savait la souffrir et ne s’irrita nullement contre les comédiens : ne soyons pas plus sévères que lui.

Sans aucun esprit de domination et ne se mêlant jamais des affaires dont il n’était pas chargé, Copernic n’en était pas moins prêt à affronter les orages du siècle pour remplir tous les devoirs imposés par l’estime de ses supérieurs ou par la confiance de ses confrères.

Pendant une vacance du siège épiscopal, il fut nommé, en 1513, administrateur du diocèse de Warmie et porta dignement le poids de ces honorables et périlleuses fonctions. Les chevaliers Teutoniques, autrefois protecteurs de l’Église et fondateurs de la ville de Thorn, étaient devenus pour l’évêché de très-incommodes voisins. Déjà fort suspects d’hérésie et oubliant souvent la règle de la discipline, ils troublaient par leurs incursions violentes ceux dont ils avaient été longtemps les pieux défenseurs. L’impunité accroissait leur licence, et les évêques, sans pouvoir pour les réprimer, comme sans force pour les punir, ne leur opposaient le plus souvent qu’une patience résignée. La mort de l’évêque réveilla leurs injustes prétentions ; ils s’emparèrent du château de Warmie et des biens du chapitre. Copernic, plein de vigilance pour les intérêts qui lui étaient commis, fit appel au roi de Pologne, le ferme et sage Sigismond, qui, pour abaisser l’orgueil des chevaliers et faire rentrer leur puissance dans de justes bornes, l’autorisa à poursuivre juridiquement le grand maître de l’ordre. Copernic sortit victorieux de la lutte et conserva à l’évêché les terres qu’on avait voulu usurper, sans avoir compromis la paix ni troublé la tranquillité de ses concitoyens.

On eut recours, dans une autre circonstance, aux lumières et à la sagacité de Copernic, lorsque la diète polonaise fut convoquée à Graudenz en 1521 ; il fut choisi à l’unanimité pour y représenter le collège des chanoines, et bientôt après nommé rapporteur sur une question de grande importance. Son travail vient d’être publié pour la première fois dans la nouvelle édition de ses œuvres ; on y trouve une science exacte et profonde avec toute la force et la netteté de son excellent esprit appliquées à des questions fort délicates et mises au service de vérités déjà anciennes, mais bien souvent méconnues.

Les difficultés financières, suite nécessaire d’une mauvaise administration, avaient conduit peu à peu les grands maîtres de l’ordre Teutonique à altérer, sans ménagement et sans scrupule, le titre des diverses monnaies ; les dissensions et les revers politiques ayant en même temps brisé l’unité de la Prusse, chaque ville s’était arrogé le droit de battre monnaie, et il en était résulté dans les deux pays, politiquement liés par des droits de suzeraineté, une déplorable confusion. Le marc désignait primitivement un poids d’une demi-livre, et en monnaie de compte valait soixante sous ; d’altération en altération et d’expédient en expédient, on était arrivé à changer les proportions de l’alliage au point de tailler trente marcs ou dix-huit cents sous dans une livre d’argent ; le poids des pièces n’avait pas varié, mais ces sous, qui pesaient autant que nos pièces de dix sous, ne valaient plus, argent fin, que six centimes ; de monnaie d’argent ils s’étaient graduellement transformés en monnaie de billon, qui, acceptée avec répugnance dans l’intérieur du pays, n’était plus reçue par les négociants étrangers. Les intérêts du commerce étaient gravement compromis, et la question s’imposait aux promptes délibérations de la diète. Copernic fut chargé de l’étudier et s’acquitta de sa tâche avec autant de pénétration que de bon sens.

« L’avilissement de la monnaie est, dit-il, un des quatre grands fléaux qui, avec la discorde, les épidémies et la disette, peuvent troubler et agiter un État. » Il combat le préjugé de ceux qui s’imaginaient que l’affaiblissement des monnaies peut abaisser le prix réel des denrées en les mettant plus à la portée des pauvres ; le désordre et la confusion des espèces métalliques ne profitent qu’au changeur, dont le rôle devient plus actif et plus indispensable. Copernic s’applique même à prouver que les colons censitaires, qui doivent aux propriétaires un revenu nominal fixe, perdent eux-mêmes à l’avilissement du titre. C’est le seul point hasardé de sa thèse ; le contraire semble évident : l’altération des monnaies allège la charge des censitaires ; mais le seigneur se trouve précisément lésé d’autant. C’est pour lui une véritable spoliation, et la justice se trouve violée sans nul profit pour la société.

Copernic propose quelques remèdes simples et pratiques, tels que la réduction à deux seulement des ateliers monétaires, le décri des monnaies anciennes et leur remplacement par des sous contenant un quart d’argent fin et taillés à vingt marcs la livre ; il sentait qu’il était impossible de remonter toute la pente et de revenir tout d’un coup à la forte monnaie du quatorzième siècle ; qu’il fallait combiner la réforme de manière à ne pas chasser l’or, sans toutefois l’attirer en trop grande quantité, au détriment de l’argent.

Les principes de Copernic sur les monnaies sont conformes aux saines doctrines de l’économie politique : « La monnaie, dit-il, est une mesure, et, comme toute mesure, elle doit être fixe. Que dirait-on d’une aune ou d’une livre dont la longueur et le poids changeraient au gré des fabricants de mesures ? La valeur de la monnaie provient, non de l’empreinte qu’elle porte, mais de la valeur du métal fin qu’elle contient, et entre ces deux valeurs il ne doit y avoir qu’une seule différence, celle des frais de fabrication ; à quoi bon alors simuler une forte monnaie en alliant un peu d’argent à beaucoup de cuivre ? »

Il n’était pas le premier, d’ailleurs, à proclamer ces vérités aujourd’hui incontestées et banales. Nicole Oresme, en France, s’inspirant des sages mesures de Charles V, avait parlé le même langage avec plus de force encore, en s’élevant contre les altérations scandaleuses qui s’étaient succédé sous le règne de Jean le Bon et de Charles VI. La vérité sur ces questions avait même été formulée nettement par Aristote, et, dans tous les siècles, elle a trouvé des défenseurs convaincus et zélés ; pour une pareille tâche, le génie n’était pas nécessaire, le bon sens suffisait ; mais la voix du bon sens était étouffée sous l’ignorance des peuples et la cupidité inintelligente des gouvernements. Copernic ne fut pas plus heureux que ses prédécesseurs ; malgré la netteté de ses explications et la sagesse des mesures qu’il proposait, on continua, en Pologne comme en Prusse, à altérer de plus en plus les monnaies ; et son excellent rapport serait oublié depuis longtemps, s’il n’avait eu pour sauvegarde le nom illustre de son auteur.

Tels furent les seuls événements de cette vie paisible et cachée ; heureux de se faire oublier, Copernic, peu soucieux des grands emplois et des dignités éminentes, retrouva avec bonheur l’obscurité volontaire de sa retraite et le calme nécessaire à ses travaux. Le reste de sa vie, partagé entre l’astronomie et l’exercice gratuit de la médecine, s’écoula dans la contemplation du vrai et dans la pratique du bien ; craignant toujours les conséquences d’une initiation trop hardie et trop brusque, il propagea ses idées avec plus de persévérance que de zèle, ne révélant ses secrets que peu à peu, choisissant ses disciples sans les attirer jamais et ne pensant pas que la foi scientifique obligeât au martyre ; au milieu des troubles et des dissensions de l’Église, il se trouvait heureux d’être à l’abri de la tempête. Sa loyauté ne songea jamais à taire la vérité, mais il craignait de la professer trop publiquement. On a blâmé cette circonspection en affirmant qu’à cette époque, en Pologne, il eût pu parler sans danger ; mais Copernic était sans doute, sur ce point, meilleur juge que nous ne pouvons l’être.

La réputation du chanoine de Frauenbourg se répandait cependant peu à peu, et son nom était prononcé avec honneur, quoique sans bruit, d’un bout de l’Europe à l’autre ; des avis et des prières venaient de toutes parts l’inviter à publier le livre que sa prudente modestie semblait depuis vingt-sept ans envier au public.

Reynold, dans son discours sur le système de Ptolémée, parlait d’un maître illustre dont l’ouvrage, destiné à restaurer l’astronomie, était attendu avec la plus vive impatience. La science, ajoutait-il, attend un nouveau Ptolémée qui sortira de la Prusse, car là existe un génie divin que la postérité doit bénir. L’évêque de Culm, Gysius, et Nicolas Schomberg, cardinal de Capoue, furent les plus ardents à le solliciter ; ils vainquirent enfin ses irrésolutions, et Copernic, se laissant entraîner par leurs conseils, confia le précieux manuscrit à Gysius ; celui-ci se hâta de l’envoyer au professeur Rheticus, l’un des plus enthousiastes et des plus dévoués parmi les disciples qui étaient venus à Frauenbourg puiser à la source même l’intelligence de la nouvelle doctrine. Rheticus le fit aussitôt imprimer à Nuremberg sous la direction intelligente et zélée de ses amis, Schoner et Osiander : mais Osiander, inquiet au dernier moment, ajouta en tête de l’ouvrage un court avertissement plein d’incertitude et d’hésitation, qui, publié sans nom d’auteur, a été souvent attribué à Copernic.

« Les érudits seront choqués, dit-il, par la nouveauté de l’hypothèse sur laquelle repose ce livre, où l’on suppose la terre en mouvement autour du soleil, qui reste fixe ; mais, s’ils veulent y regarder de plus près, ils reconnaîtront que l’auteur n’est nullement répréhensible. Le but de l’astronomie est d’observer les corps célestes et de découvrir la loi de leurs mouvements, dont il est impossible d’assigner les véritables causes ; il est permis par conséquent d’en imaginer, arbitrairement, sous la seule condition qu’elles puissent représenter géométriquement l’état du ciel, et ces hypothèses n’ont aucunement besoin d’être vraies, ni même vraisemblables. Il suffit qu’elles conduisent à des positions conformes aux observations. Si l’astronomie admet des principes, ce n’est pas pour en affirmer la vérité, mais pour donner une base quelconque à ses calculs. »

Ces lignes, dans lesquelles la prudence simule le scepticisme, sont la négation de la science ; il est impossible de n’y voir que la sage réserve d’un esprit rigoureux et géométrique. Mais ce langage n’est pas celui de Copernic ; il avait trop cherché la vérité pour vouloir déclarer qu’il n’y prétend pas et rabaisser le fruit de ses travaux aux proportions d’une méthode pratique pour calculer les tables astronomiques. Plein de confiance dans sa doctrine, l’illustre auteur la tenait non-seulement pour vraisemblable, mais pour vraie, et l’avertissement d’Osiander est contraire à ses sentiments comme à sa pensée ; la véritable préface du livre est d’ailleurs la lettre sincère et sérieuse adressée par Copernic au pape Paul III. Quoique cette lettre, qui est très-belle, ressemble à une précaution habile contre les conséquences des hardiesses insérées dans le texte, le langage en est plein de dignité et de conviction ; la pensée de l’auteur, que les paroles ne démentent ni n’amoindrissent, est exposée avec candeur et sincérité, sans hauteur, mais sans faiblesse. « Je dédie mon livre à Votre Sainteté, dit-il, pour que les savants et les ignorants puissent voir que ne fuis pas le jugement et l’examen. » — « Si quelques hommes légers et ignorants voulaient, dit-il plus loin, abuser contre moi de quelques passages de l’Écriture, dont ils détournent le sens, je méprise leurs attaques téméraires ; les vérités mathématiques ne doivent être jugées que par des mathématiciens. »

Cette déclaration si ferme et si précise est bien loin, on le voit, de la puérile échappatoire d’Osiander ; tant de hauteur s’accorde mal avec tant de condescendance ; mais la prudence humaine est pleine de contradictions, et l’on ne peut pas affirmer que Copernic n’ait pas vu et approuvé l’avertissement d’Osiander ; son approbation, si elle fut obtenue, a été un acte de pure condescendance envers ses disciples ; elle ne change rien à la portée du livre, dont la précision ne souffre aucune équivoque. Quels dangers pouvait craindre le chanoine de Frauenbourg ? Il est impossible de le savoir : l’Église, réprouvant ses opinions comme mauvaises et détestables, aurait exigé sans doute qu’il les rétractât ; mais elle n’en eut pas le temps ; le premier exemplaire du livre, envoyé à Frauenbourg, arriva trop tard. Copernic, frappé d’apoplexie, put à peine le toucher de ses mains défaillantes et le regarder d’un œil indifférent à travers les ombres de la mort.

Le livre des Révolutions des corps célestes ne produisit d’abord ni bruit ni scandale ; l’ouvrage trouva un petit nombre d’approbateurs et une foule d’indifférents ; il n’inquiéta ni l’Église ni les écoles. L’impétuosité habituelle aux novateurs manque en effet à Copernic ; il n’a pas cette fougue de génie qui agite et entraîne le lecteur ; son esprit, toujours calme, répand le jour d’une raison tranquille et méthodique sur des vérités avec lesquelles il a vécu trop longtemps pour se passionner encore en les contemplant, et s’il éprouva, comme Kepler, l’ivresse enthousiaste de l’invention, il n’en laisse rien voir au lecteur ; en exceptant quelques passages, dans lesquels l’élévation du langage suit, sans l’égaler cependant, la grandeur et la majesté des idées, Copernic n’est ni éloquent ni ému. Son style manque de force et de saillie ; on peut le comparer à une douce lumière qui s’insinue dans les esprits d’élite sans s’imposer au commun des lecteurs.

Le monde pensant mit autant de temps à comprendre le livre des Révolutions que Copernic à le composer ; il a fallu que la véhémence sublime de Kepler, la finesse persuasive de Galilée et la précision magistrale de Newton vinssent appuyer et affermir sa doctrine pour réduire peu à peu au silence ses opiniâtres contradicteurs.

Copernic est pour nous tout entier dans son livre. Sa vie intime est mal connue. Ce qu’on en sait donne l’idée d’un homme ferme, mais prudent et d’un caractère parfaitement droit ; tout entier à ses spéculations et comme recueilli en lui-même, il aimait la paix, la solitude et le silence. Simplement et sincèrement pieux, il ne comprit jamais que la vérité put mettre la foi en péril, et se réserva toujours le droit de la chercher et d’y croire. Aucune passion ne troubla sa vie ; on ne lui connaît même pas de commerce affectueux et intime ; ennemi des discours inutiles, il ne rechercha ni les éloges ni le bruit de la gloire ; indépendant sans orgueil, content de son sort et content de lui-même, il fut grand sans éclat, et, ne se révélant qu’à un petit nombre de disciples choisis, il a accompli une révolution dans la science sans que, de son vivant, l’Europe en ait rien su.

Les honneurs posthumes ne lui ont pas manqué. Sa mémoire a recueilli ce que sa vie avait amassé, et la gloire, qu’il n’avait pas cherchée, a entouré son nom d’une auréole immortelle. Son livre a été la source d’une vive lumière ; on y a vu avec justice le commencement de la grande œuvre scientifique des temps modernes. Kepler et Newton ont pénétré bien plus avant dans les mystères des mouvements célestes ; mais c’est Copernic qui leur en a livré la clef, et aujourd’hui encore, après leurs immortels travaux, le véritable système du monde se nomme le système de Copernic.

Il n’y a rien, disait le cardinal de Retz, qui soit si sujet à l’illusion que la piété ; toutes sortes d’erreurs se glissent et se cachent sous son voile. » La conduite de l’Église, au sujet de Copernic, n’a pas démenti ce jugement.

Le tribunal de l’Index fut assez téméraire pour condamner formellement la croyance au mouvement de la terre ; le livre des Révolutions fut interdit, donec corrigatur ; ce sont les termes de la sentence. Les diverses parties de l’ouvrage sont cependant tellement liées, qu’elles forment un tout indissoluble. Kepler a remarqué qu’il eût mieux valu dire : donec explicetur. Il eut mieux valu ne rien dire du tout, car la vérité est toute-puissante et invincible ; et si l’on peut, en la comprimant, retarder quelque temps son triomphe, c’est pour en accroître l’éclat. « Ce n’est pas, a dit Pascal, le décret de Rome sur le mouvement de la terre qui prouvera qu’elle demeure en repos, et, si l’on avait des observations constantes qui prouvassent que c’est elle qui tourne, tous les hommes ensemble ne l’empêcheraient pas de tourner et ne s’empêcheraient pas de tourner avec elle. »

Les observations dont parle Pascal se sont succédé, nombreuses et inexplicables dans les idées anciennes ; des expériences convaincantes ont produit une évidence égale à la certitude, et l’Église elle-même s’y est enfin rendue, bien lentement, il est vrai, et sans en faire bruit.

Vers la fin du dix-septième siècle, Bossuet regardait la question comme tranchée par une décision péremptoire et irrétractable, et ne daignait pas même y faire allusion lorsqu’il écrivait : « Il n’y a pas de cours si impétueux que la toute-puissance divine n’arrête quand il lui plaît ; considérez le soleil, avec quelle impétuosité il parcourt cette immense carrière qui lui a été ouverte par la Providence ! Cependant vous n’ignorez pas que Dieu ne l’ait fixé autrefois au milieu du ciel à la seule parole d’un homme. » Fénelon, il est vrai, sans contredire formellement une décision qu’il respectait, s’exprime d’une manière moins tranchante et admet la possibilité d’une erreur. « Où va cette flamme ? dit-il ; qui lui a appris à tourner sans cesse et si régulièrement dans des espaces où rien ne la gêne ? Ne circule-t-elle pas autour de nous tout exprès pour nous servir ? » Mais il ajoute : « Si cette flamme ne tourne pas, et si, au contraire, c’est nous qui tournons, je demande d’où vient qu’elle est si bien placée dans le centre de l’univers, pour être comme le foyer et le cœur de toute la nature ? »

Cinquante ans plus tard, l’inflexible sentence alarmait encore les prudents et les simples, et l’on inscrivait régulièrement sur la liste des ouvrages prohibés : Libri omnes qui affirmant telluris motum.

Le père Boscovich, dans une dissertation imprimée à Rome en 1746, cherche à déterminer l’orbite d’une comète d’après trois observations : problème complètement impossible, si l’on suppose la terre immobile. Boscovich n’a pas cependant la dangereuse audace de s’avouer partisan de Copernic :

« Pour moi, dit-il, plein de respect pour les saintes Écritures et pour le décret de la sainte Inquisition, je regarde la terre comme immobile. » Mais, une fois en règle avec sa conscience, le savant jésuite, employant précisément le même détour qu’Osiander, ajoute aussitôt : « Toutefois, pour la simplicité des explications, je ferai comme si elle tournait ; car il est prouvé que, dans les deux hypothèses, les apparences sont semblables. »

Devenu plus libre après la suppression de son ordre, il réimprima la même dissertation à Venise, en 1785, en y ajoutant la note suivante : « Le lecteur, en lisant ce passage, ne doit pas oublier le lieu et l’époque de la première publication. »

Les défenses aujourd’hui n’ont plus rien d’absolu, et l’Église tolère les livres qui affirment le mouvement de la terre.

Cependant, lorsqu’en 1829, la ville de Varsovie éleva un monument au fondateur de l’astronomie moderne, la Société des Amis des Sciences attendit en vain dans l’église de Sainte-Croix le service annoncé par une solennelle convocation : aucun prêtre ne parut. Le clergé n’avait pas cru, au dernier moment, qu’il lui fût permis de consacrer par son concours les honneurs rendus à un homme dont le livre a été mis à l’index, et qui mourut sans le corriger[1].


  1. Ce fait étrange longuement rapporté par M. Czinski dans son ouvrage sur la vie de Copernic m’a été confirmé par le savant M. Prazmowski, ancien directeur de l’Observatoire de Varsovie.