Les Femmes poètes bretonnes/Madame Mélanie Waldor (1796-1871)

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MADAME MÉLANIE WALDOR

1706-1871



MADAME MÉLANIE WALDOR



Mélanie Villenave naquit à Nantes, le 29 juin 1796. Elle fut élevée par son père, avocat et littérateur, mort en 1846 ; son frère, Théodore Villenave, a publié un grand nombre de poésies.

Il était impossible que la jeune Mélanie, douée d’une imagination vive, ne devînt pas poète dans un tel milieu. Elle se maria sous la Restauration à M. Waldor, chef d’escadron d’infanterie. Les époux restèrent peu de temps ensemble. Il manquait une mère à Madame Waldor ; élevée par les hommes, elle en avait les qualités, mais en même temps un peu de leur rudesse ; nous l’avons connue : elle était bonne, charitable et très affectueuse pour ses nombreux amis.

Elle eut une seule fille, qui mourut jeune et s’était mariée deux fois ; celle-ci laissa elle-même une fille, que sa grand’mère affectionnait beaucoup.

Mélanie Waldor a publié :

L’Écuyer Auberon (1831) ; Le Livre des jeunes filles (1834) ; Poésies du cœur (1835) ; Heures de récréation (1836) ; La Rue aux Ours (1837) ; Pages de la vie intime (1839), 2 volumes ; L’Abbaye de Fontenelle (1839), in-18 ; Alphonse et Juliette (1839), in-18 ; L’École des jeunes filles, drame en 5 actes (1841) ; La Coupe de corail (1842), 2 vol. ; André le Vendéen (1843), 2 vol. ; Le château de Rambert (1844), 2 vol. ; Charles Mendel (1846) ; Les Moulins en deuil (1849), 4 vol. in-18 ; La Tirelire de Jeannette, comédie-vaudeville (1859), jouée à l’Ambigu.

Madame Waldor a ensuite écrit dans la Patrie et dans différentes revues sous la signature d’Un bas-bleu. Comme on le voit, c’était un écrivain fécond. Ses Poésies du cœur sont très belles ; nous en citerons quelques-unes.

Ce fut Madame Waldor qui commença à ouvrir la souscription pour le tombeau d’Élisa Mercœur. C’est elle qui disait, en parlant de cette pauvre enfant : « Dieu avait doué Élisa d’une de ces natures ardentes qui n’ont d’autre ressource que la passion et les arts. »

On pourrait appliquer ces mots à Madame Waldor elle-même.

Très dévouée à la cause impériale, son salon était fort recherché dans les dernières années de l’Empire. J’y ai rencontré tous les littérateurs du temps. Elle a composé un grand nombre de pièces en l’honneur de l’Empereur, de l’Impératrice Eugénie et du Prince impérial. Elle écrivait encore une ode à ce dernier, lorsqu’elle est morte, à Paris, le 14 octobre 1871.

LE BAL

Heureux temps, où mes pieds dans leur folle vitesse
Semblaient ne pas peser sur le parquet glissant,
Où mes regards, n’ayant ni langueur, ni tristesse,
Trouvaient tout ravissant !

Où je ne cherchais pas, jalouse et soucieuse,
Du regard un regard, d’une main une main ;
Où le bal le plus beau, pour mon âme oublieuse,
Était sans lendemain ;

Où jamais, au retour, une pensée amère,
N’ayant entremêlé de pleurs un court adieu,
Je m’endormais, donnant un baiser à ma mère,
Une prière à Dieu.

Que l’on m’eût dit alors : « Tu deviendras rêveuse,
Puis triste, toujours triste ! » oh ! j’aurais ri longtemps,
Sans comprendre qu’on pût se trouver malheureuse
Plus de quelques instants.

Car ma jeune âme était paisible comme l’onde
Sur laquelle un beau jour, avant l’orage, a lui
Et souriait au monde, hélas ! tant que ce monde
Pour moi n’était pas Lui !…

LA BRETAGNE

À Mme ***


À cet amas de toits, de luxe et de misère,
Qui, s’appelant Paris, fait des lois à la terre,
Que vous avez bien fait d’échapper quelques jours,
Afin d’aller, rêveuse et seule, avec vous-même,
Créer autour de vous, dans un monde suprême,
Ces doux rêves du cœur qu’on cherche et perd toujours.

Ah ! que ne puis-je aussi, dans ces lieux que j’envie,
En respirant un air qui convient à ma vie,
Échanger, comme vous, contre l’ennui de tout,
Ces sublimes transports qui font l’âme plus grande,
Et qu’à la foule oisive en vain l’homme demande,
Quand son regard lassé se promène partout…

Qu’ils sont beaux, ces vieux rocs, enfants de l’Armorique,
Noirs débris de ces temps que le temps seul explique !
Qu’ils sont beaux ces ravins, dont l’imposant aspect
Aux voyageurs surpris redit les premiers âges,
La naïve splendeur ! qu’ils sont beaux et sauvages,
Et que leur sol inspire un sombre et saint respect !

Que je le voudrais voir, cet immense rivage,
Où la vague, à grand bruit apportant le ravage,

Du sol qui la reçoit s’empare lentement ;
Que je la voudrais voir, cette mer destructive
Dont chaque flot qui meurt est une voix plaintive
Qui remplit avec lui le terrible élément.

Ah ! que ne puis-je entendre, au lieu des bruits du monde,
Le bruit du vent qui siffle et qui s’engouffre et gronde
Au milieu des débris d’un manoir féodal ;
Puis l’aigre tintement de la cloche du pâtre
Rappelant près de moi, sur la roche noirâtre,
La chèvre qui bondit, docile à ce signal.

Oh ! que ne puis-je, au lieu des pavés d’une rue,
Fouler l’herbe des bois, dans les déserts accrue,
Et ne voir au delà que le ciel et la mer ;
La mer qui, m’emportant seule, errante, oubliée,
Comme une voile au loin sur elle repliée,
Endormirait peut-être un passé trop amer.

Ainsi dans un hamac, mollement balancée,
La jeune Indienne oublie, endormie et lassée,
L’orage du matin, quand le ciel, beau, le soir,
Sur des nuages d’or laisse flotter les songes,
Et que, sans oser croire à leurs riants mensonges,
Elle sourit pourtant à ce qu’ils lui font voir !

Dieu ! qu’être ainsi bercée au-dessus d’une vague,
Quand la terre qui fuit disparaît dans le vague,

Et qu’une planche flotte entre vous et la mort,
Donne au cœur qui frémit une haute existence
Et que la vie alors est de peu d’importance
Pour l’âme qui se joue et du monde et du sort.

Au bord de cette mer, que je n’ai jamais vue,
Au milieu de ces rocs dont l’immense étendue
D’abris et de tombeaux ont servi tour à tour,
Dans ces ravins déserts, dans ces grottes de fées,
Où l’on entend, semblable à des voix étouffées,
Le flot contre le flot se briser à l’entour ;

Dans cette pauvre église où Dieu, plus grand encore,
Donne à l’âme la foi de tout ce qu’elle ignore,
Partout enfin, partout, quand vous avez prié,
Ou que votre pensée errait, contemplative,
Sur ces grandes beautés des races primitives,
Que Paris, vu de là, doit vous faire pitié !

Ah ! comme à deux genoux, de frayeur toute pâle,
J’aimerais à prier sur la pierre inégale,
Quand l’orage, éclatant de rocher en rocher
Et d’échos en échos, roulerait sur ma tête,
Au milieu des éclairs, la mort et la tempête,
Sans qu’un pouvoir humain m’y voulût arracher !

La mort, belle et sublime, alors qu’on la défie
Et que, souriant presque à l’âme qui s’y fie,

Elle montre le ciel et non pas le néant,
La mort qui de la vie eut seule le mystère,
Quand seule elle rendra des mers et de la terre,
Aux grands jours du chaos, chaque gouffre béant ;

La mort qu’en s’endormant tous les soirs on essaie,
Sans qu’on y pense alors et sans qu’on s’en effraie,
Car le sommeil est doux, et sa pente conduit
Vers un monde idéal que l’homme n’eût, peut-être,
Sans lui jamais compris ; mais Dieu, qui lui dit d’être,
Veut qu’il soit à la mort ce qu’est l’ombre à la nuit.


L’AUTOMNE


Si, prenant en pitié mes pleurs et ma jeunesse,
Tu me vas, ô mon Dieu ! rappeler près de toi,
Grâce, oh ! grâce pour lui. Qu’il m’oublie, ou qu’il laisse
S’égarer sans remords, doux comme une caresse,
Son souvenir autour de moi !

Qu’un bon ange, envoyé de ta sphère céleste,
Endorme dans son cœur ses regrets, ses douleurs ;
Qu’il vienne chaque soir, à cette heure funeste
Dont un espoir de mort est tout ce qui me reste,
De son aile essuyer ses pleurs !

Qu’il lui dise qu’au ciel l’âme s’unit à l’âme,
Pour aimer sans souffrir, et que là seulement
L’amour, en épurant au feu du ciel sa flamme,
Change l’âme d’un homme en l’âme d’une femme,
Pour qu’il aime éternellement !

Ou que plutôt, mon Dieu, je sois alors cet ange,
Et qu’il me soit permis, fantôme, esprit voilé,
Me jouant à ses pieds, de donner en échange
Du mal qu’il sut me faire, en son erreur étrange,
La paix à son cœur consolé.

Ce que j’espère au ciel, ô mon Dieu, qu’il l’espère,
Il n’aime pas, celui qui jamais n’espéra :
À son âme de feu, presque au monde étrangère,
Que je puisse un seul jour montrer cette autre sphère
Où la mort nous réunira.

Je veux bien renoncer à lui dans cette vie ;
Mais dans l’autre, oh ! jamais ! c’est là que, tout à lui,
En l’aimant d’un amour à faire au ciel envie,
Je verrai naître encore, enivrée et ravie,
Le bonheur qu’il m’ôte aujourd’hui.

Premier mois de l’automne, ô mois par qui mon âme
Semble toute ma vie, adieu, tu vas finir ;
Et ma vie avec toi finit quand, sur la trame
De ces jours que le ciel en sa bonté réclame,
Était encor tant d’avenir !

Comme ils aimaient, mes yeux, quand ils quittaient la terre,
Et que, voilés d’amour, ils demandaient aux cieux
Quelques jours d’un bonheur dont le vague mystère
Se révélait à moi, quand sa voix mensongère
Vibrait en sons mélodieux ;

Quand sa main se posait dans les boucles flottantes
De mes cheveux, mêlés par le souffle du vent,
Et qu’alors, tressaillant, ses lèvres palpitantes
Cherchaient à retenir les feuilles inconstantes
Qui sur mon front volaient souvent ;

Quand à mes pieds, heureux, enivré de m’entendre,
Il écoutait mes chants, m’appelait ange, amour,
Et tout ému, disait : « Ton cœur est triste et tendre,
« Et ton chant vient du cœur, et seul, pour te comprendre,
« Moi, je n’ai besoin que d’un jour. »

Les feuilles sont encor par le vent emportées ;
La lune brille encor d’un éclat aussi pur ;
Mais rien ne vous ramène, heures tant regrettées,
Que son amour avait parmi mes jours jetées
Et qu’il couvre d’un voile obscur.

Mes yeux ne sont plus doux, ils sont fixes et sombres ;
Mes longs et beaux cheveux tombent en noirs flocons ;
Et je vais, triste et seule, errer parmi les ombres,

Quand la lune pâlit sous les nuages sombres
Que je vois rouler sur les monts.

Adieu, pâle soleil, et vous, roses d’automne,
Au parfum plus divin que la rose de mai ;
Adieu, je vous ai dû, lorsque tout m’abandonne,
Un souvenir qu’ici du moins rien n’empoisonne,
Seul reste de ce que j’aimai !