Les Femmes poètes bretonnes/Madame Auguste Penquer (1817-1889)

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MADAME AUGUSTE PENQUER

1817-1889


MADAME AUGUSTE PENQUER

Madame Penquer naquit en 1817, au château M de Keroulatz, en pleine Armorique. Elle y passa la plus heureuse des enfances, idolâtrée par sa mère :

« Ma mère, écrit-elle, était la fille d’un général de l’Empire ; elle avait suivi son père en Italie, et cette vie de voyage avait développé en elle toutes les forces du corps et celles de l’âme.

« Ma mère, c’est la source où j’ai puisé l’amour du bien, la passion du beau, la religion de l’idéal, l’idée de l’infini. »

Son père était M. de Hersant ; il a laissé à Brest les plus honorables souvenirs. Son mari était non seulement digne de l’amour de sa femme, mais il possédait encore l’affection de tous ceux qui le connaissaient.

Madame Penquer a eu trois enfants : sa fille aînée est mariée à un amiral ; la seconde à un ingénieur des ponts-et-chaussées.

Aucun bonheur n’a manqué à sa vie. Elle possédait plusieurs petits-enfants, cette dernière ivresse, comme dit le poète. Aussi, tout est lumière et harmonie dans son style. Elle était d’une grande beauté : c’était bien la créature privilégiée qui demande :

Est-ce que dans l’éden la terre était plus belle ?
Et l’homme a-t-il vraiment perdu son paradis ?

Le cœur de Madame Penquer semble, en effet, nager en plein ciel et l’on songe, en lisant ses vers, à cette phrase du Père Gratry :

« Je ne puis penser aux habitants des autres mondes, sans qu’aussitôt ma raison et ma foi se redressent et reprennent toute leur vigueur et leur élan. Je les vois, ces merveilleux frères, et, dans cette multitude, il en est bien probablement de plus grands, de plus beaux, de plus nobles et de plus avancés que nous, plus capables d’amour et de foi créatrice !

« Grâce à Dieu, déjà sur notre terre quelles nobles et splendides beautés ! quels anges visibles envoyés de Dieu pour parler à nos âmes, et pour ouvrir nos cœurs ! Que seront donc ces beautés plus grandes et plus nobles ? » (Lettres sur la Religion).

Lisez dans Madame Penquer : Un beau jour ou le 16 septembre, et vous verrez en effet que nul n’est plus capable d’amour et de foi.

LISTE DES OUVRAGES :

Chants du foyer, 3e édition, 1864, Didier, Paris.

Révélations poétiques, 1866, Didier.

Velléda, poème, 3e édition, in-18, 1887.

L’Œillet rose, comédie.

Retrouvé dans le Parnasse contemporain : Mes Nuits, 1891, œuvre posthume publiée pieusement par Mme Willotte, fille de Mme Penquer (Lemerre, Paris).

Le magnifique poème de Velléda est véritablement une révélation ; il émane d’une nature supérieure. Il faudrait tout citer ; car tout y reste à la même hauteur.

De même que les ailes de nos vaisseaux les emportent vers la haute mer, celles de Madame Penquer l’emportent vers les régions de l’infini.

Avant de citer les vers, qu’il nous soit permis de détacher une page de prose, d’une de ses préfaces :

« Sans la poésie je défie Chimène de savoir aimer, je défie Marion de Lorme de savoir pleurer, je défie Camille de savoir maudire, je défie Dona Sol de savoir mourir. « La poésie, c’est l’essor de la passion, c’est l’élan de la vengeance, c’est le courage du repentir, c’est l’enthousiasme du sacrifice, c’est tout ce qui est noble, tout ce qui est grand, c’est tout ce qui est bien, c’est tout ce qui est beau ; c’est à la fois l’œil qui contemple et la main qui cueille, le souffle qui aspire, et le feu qui embrase, l’aigle qui plane, et le vol qui parcourt tous les espaces et tous les mondes. C’est la vibration du son divin dans la voix humaine ; c’est la suprême harmonie, c’est l’art incréé et éternel ! »

Il me semble que nul ne saurait mieux décrire la poésie que celle qui est morte en chantant, le 17 décembre 1889.

Voyons maintenant des fragments de Velléda.

VELLÉDA

chant ixe

Le chrétien lui jeta le regard de détresse
Du naufragé qui va sombrer ; mais la prêtresse
Ne vit pas ce regard, ou ne le comprit pas.
Elle arrachait des fleurs aux tiges des bruyères,
Et regardait rouler les fleurs avec les pierres.
Puis elle murmurait ces mots : « C’est moi, toujours !
« Ce sont mes jours tombés dans le torrent des jours :
Pierres et fleurs, roulant de ma vie aux abîmes,
Pareilles à ces fleurs, à ces pierres des cimes ! »

Son délire avait pris un air plus langoureux
Et plus tendre ; sa voix, un ton plus douloureux
Et plus triste.

Elle dit : « Si tu m’avais aimée,
La nature en serait elle-même charmée.

Vois ce beau jour, si beau pour toi, pour moi cruel,
Il eût sanctionné notre amour mutuel.
Si tu m’avais aimée, Eudore, ce qu’il jette
De trésors sous tes pieds eût couronné ma tête,
Et pour la fiancée et pour le fiancé
Le sentier du bonheur était sûr et tracé ;
Nous en eussions gravi la pente transcendante
Avec ravissement, avec la joie ardente
De deux aigles qui vont cacher dans le soleil
Les splendeurs d’un hymen céleste et sans pareil.

« Si tu m’avais aimée, Eudore, ajouta-t-elle,
Comme pour nous la vie était douce, était belle !…
Quelle douceur !… toujours ensemble !… pour nos yeux
Quel charme !… Voir la terre et vivre dans les cieux !… »
Velléda s’arrêta sur la cime rocheuse
De la montagne. À l’est, la côte lumineuse
Pâlissait sous les feux pâlissants du zénith ;
Les oiseaux du grand jour s’approchaient de leur nid ;
Le vent chaud tiédissait ; une fraîcheur exquise
Et suave tombait du souffle de la brise ;
Le calme se faisait partout : dans les buissons,
Moins de bruissements, dans l’air moins de chansons,
Plus d’haleine et, pourtant, moins d’ailes palpitantes ;
Dans la fleur, bientôt moins de teintes éclatantes ;
C’était le jour encor, mais calmé, mais serein,
Comme un prince abdiquant le pouvoir souverain,

Le bruit pour le repos, la lumière pour l’ombre.
Cependant nulle part rien n’est froid, rien n’est sombre ;
Le ciel est toujours bleu, l’astre toujours vermeil ;
C’est le recueillement, ce n’est pas le sommeil.
Les roches de granit aux fronts blanchis et chauves,
Aux flancs jaunes, moussus comme des bêtes fauves,
Semblent subir aussi, dans ce recueillement,
Le charme de l’extase et de l’apaisement.

. . . . .



Elle quitta le mont et revint vers la plaine :

« Vois la ronce où l’agneau perd ses flocons de laine ;
J’y déchire ma robe et mes voiles divins,
Quand je poursuis ton ombre à travers les ravins. »

Puis retrouvant enfin ses douces rêveries :

« Quel bonheur d’admirer ensemble, en nos prairies,
« Ces fleurs d’or que les dieux sèment sur nos gazons,
« Qui poussent sans culture et dans toutes saisons !…
« Et la bruyère rouge, ornement des collines,
« Et les mûriers fleuris en touffes cornalines,
« Et parmi les bourgeons qui viennent de s’ouvrir,
« La moisson que mes yeux ne verront pas mûrir !…
« Quel bonheur pour nous deux, dans la saison nouvelle,
« Si tu m’avais aimée à l’heure où se révèle
« L’amour aux nids de mousse, aux arbres verdissants,
« Aux végétations, aux êtres frémissants !…

« Quel bonheur dans le mois des roses, arrosées
« Par ces pleurs du matin qu’on appelle rosées ;
« Dans avril, qui secoue au vent l’herbe et la fleur ;
« Dans juin, qui rit et chante enivré de chaleur ;
« Dans septembre, qui tremble aux suaves caresses
« Qu’un zéphyr amoureux met sur ses blondes tresses !
« Et, plus tard, quel bonheur, même au sein des hivers,
« Si tu m’avais aimée, ici, dans ces déserts !… »

Tout à coup le regard errant de la vestale
Se fixa, retenu par unie fleur d’opale,
Lis stérile à moitié flétri, déjà penché
Vers le sol, et mourant d’un mal lent et caché.

« Vois cette pâle fleur qu’un insecte dévore,
« Là, sur ce frais gazon que le soleil colore ;
« Son sort m’attend. Déjà, comme ce lis mourant,
« Je cache dans mon sein un poison dévorant…
« La mort ! je porte, ainsi que la fleur abattue
« Et stérile, je porte un poison qui me tue !…

« Pourtant je n’aurais pas voulu mourir… Mourir,
« C’est affreux !… As-tu vu les roses se flétrir
« Et perdre, feuille à feuille, au vent des agonies,
« Leurs formes, leurs beautés, leurs grâces réunies ?
« As-tu vu quelquefois les ailes se fermer,
« La colombe tomber, ou l’aigle s’abîmer,
« Ou le cygne chantant son dernier chant de joie

« Devant le noir milan dont il devient la proie ?
« C’est affreux !… As-tu vu la mort, spectre odieux,
« Prendre l’âme à la chair, prendre le jour aux yeux,
« Et faire du vrai beau l’horrible, le cadavre ?…
« Je n’aurais pas voulu mourir. Cela me navre
« De mourir, quand je songe aux beautés de mon corps ;
« Mais peut-être que l’âme est belle chez les morts ;
« Peut-être aimeras-tu dans le pays des astres,
« Séjour de paix, séjour sans luttes ni désastres,
« Où les âmes sont sœurs, où les cœurs sont unis,
« Où les moindres amours s’appellent infinis…
« Peut-être voudrais-tu que je fusse auréole
« Pour ton front, et soleil pour tes yeux…
                                       
                                       « Je suis folle !…
« Folle !… que dit ce mot que je ne connais pas,
« Mot scellé dans mon sein, mot tracé sous mes pas ?
« Peint-il le sort d’une âme à jamais délaissée,
« À jamais solitaire et pour toujours blessée ?
« Veut-il dire être faible et superstitieux,
« Ou bien être inspiré, lire et voir dans les cieux ?
« Veut-il dire être ingrat, manquer à sa parole,
« Trahir des vœux sacrés pour une vaine idole,
« Tout quitter pour n’avoir qu’un lien, qu’un trésor,
« Qu’un rêve, qu’un désir, qu’un élan, qu’un essor,
« Qu’un amour, qu’une seule et coupable espérance
« Résumant tout en elle, et bonheur et souffrance ?…

« Folle ! serait-ce avoir dans le cœur, dans l’esprit,
« Ce rêve dont ma fièvre ardente se nourrit,
« Ce poids lourd sous lequel mon âme est oppressée,
« Un voile sur les yeux, un gouffre en la pensée,
« Plus de ténèbres, plus d’épouvante en sa nuit ?…

« Tout à l’heure, voyant ce doux soleil qui luit,
« Je disais : « Il devait m’éclairer dans ma route,
« Me reconduire au port. » Il le voudrait sans doute,
« Et ne peut. Ce soleil, resplendissant pour toi,
« Auprès de ton regard est sans splendeur pour moi.
« C’est toi, sans le vouloir, je le sais bien, Eudore,
« C’est toi qui me guidas de la nuit à l’aurore,
« De l’aurore au matin, du matin au grand jour,
« De la plus froide vie au plus ardent amour.

« Moi je n’étais pas folle autrefois : j’étais vaine ;
« Je régnais, je planais ; j’étais la souveraine
« Ou la divinité. J’étais puissante alors,
« Et sage ; j’ignorais la honte, le remords.
« Si tu m’avais connue au temps de ma puissance,
« Forte dans ma sagesse et dans mon innocence,
« Le regard rayonnant et le front radieux,
« Fille d’archidruide et l’égale des dieux,
« C’est moi qui régnerais sur ton sort, sur ton âme.
« J’étais fée autrefois ; à présent je suis femme :
« L’amour m’a transformée et soumise ; … imposant


« Son joug à ma défaite, il est maître à présent ;
« Après m’avoir vaincue, il me flagelle et cloue
« Son signe sur mon front, son stigmate à ma joue !… »

DÉJA VIEUX


(Mes Nuits. — Œuvres posthumes)


« Nous étions déjà vieux. Cependant il entrait
« Avec empressement chez moi. J’étais charmée ;
« Je lui tendais ma main, qu’aussitôt il serrait,
« Et je sentais alors combien j’étais aimée.

« Le soir, un seul baiser, sur mon front, m’enivrait ;
« Sur ma joue… Ah ! ma joue en était allumée !…
« Nous étions déjà vieux : quel âge ?… On l’ignorait,
« Tant l’âme dans l’amour est jeune et ranimée.

« Nous vivions l’un pour l’autre et nous étions heureux
« Des mêmes souvenirs, si doux et si nombreux ;
« Des mêmes intérêts, de la même espérance.

« Nous vivions dans la paix, tous deux, et dans l’accord.
« C’est fini je suis seule à présent. Il est mort.
« Seule, non !… J’ai mon deuil, sa tombe et ma souffrance !