Traduction par Edmondo Fazio alias Edmond Fazy.
E. Sansot (p. 97-100).

67. — LA COMPLAISANCE A DES LIMITES[1]

Un riche marchand, de Vienne en Autriche, avait à la maison une fort belle femme, plusieurs enfants, et, à l’usage de ces derniers, un jeune précepteur.

Notre marchand avait l’âme dévote. Il se levait chaque jour, avant l’aube, et se rendait à la messe du matin, laissant, dans le lit conjugal, une place vide que le jeune précepteur, un étudiant potelé, rose, et bien membru, se dépêchait d’occuper. On mettait les bouchées doubles, on savourait, à fond, chaque minute de cette heure libertine, et le mari, à son retour, trouvait sa femme endormie du sommeil de l’innocence.

Le manège dura des années. À la fin, pourtant, le marchand eut de graves soupçons.

Un soir, la belle est en visite chez sa mère. Alors, se remémorant le proverbe in vino veritas, notre cocu invite le jeune précepteur à souper, le régale, le grise, et lui dit, à brûle pourpoint :

— « Mon garçon, je sais que tu couches avec ma femme ! Si tu avoues maintenant, je vous pardonne à tous les deux, mais, si tu essayes de nier, je te chasse ! »

L’étudiant mignon embrasse les genoux du marchand, et se confesse, dans les moindres détails.

Mais le dévot lui tapote les joues, et le réconforte :

— « Allons ! Allons ! C’était de ton âge ! Continue, mon garçon, continue ! Tout ce que je te demande, c’est de réserver ton braquemart à ma femme, et de ne pas monter sur moi ! »

Pendant quelque temps, la belle et le précepteur ont de la méfiance, et ils s’abstiennent de coucher ensemble. Puis, peu à peu, ils s’enhardissent de nouveau, et recommencent leur manège quotidien.

Le marchand a combiné sa vengeance. Un matin, il fait le malade, reste au lit, et contraint sa femme de le remplacer à la messe.

En partant, la coquine ferme bruyamment les portes et chante pouilles à son mari, de sa voix la plus criarde. Elle espère que son amant se réveillera au tapage, et comprendra qu’il n’a rien à faire, ce matin, dans la chambre conjugale.

Malheureusement, l’étudiant qui avait lu, fort avant dans la nuit, les poèmes de Catulle, dormait comme un loir.

C’est une mouche qui réveille notre amoureux, en lui chatouillant le bout du nez. Il ouvre les yeux, bondit sur ses pieds, se débarbouille, et se glisse, tout nu, dans la chambre de sa belle.

Les rideaux sont tirés. Le rusé cocu a caché sa tête sous les couvertures, et il exhibe seulement une croupe rebondie.

Le précepteur tout nu court à son but, dans la pénombre. Il saute sur le lit, monte à cheval, et attaque le noir. Mais, soudain, le marchand se retourne, sort des couvertures sa calvitie de dévot, administre au pauvret une formidable paire de gifles, et lui dit en ricanant :

— « Ah ! Polisson ! Je t’y prends ! Je t’avais permis de coucher avec ma femme, mais je t’avais défendu d’attenter à ma propre pudeur. Tu l’as voulu : il faut que je me venge, et que je te punisse de tous tes péchés. »

Là-dessus, il empoigne le mignon, et lui inflige d’abord le châtiment que les Athéniens avaient choisi pour les jouvenceaux adultères : tous les raiforts et tous les muges dont Catulle de Vérone menace Aurelius ne sont rien auprès d’un priape de cagot facétieux.

Le pauvret, qui n’a jamais tâté de pareil instrument, gémit à fendre le cœur. Mais le cruel réitère, plusieurs fois, la perforation. Puis, il saisit, dans la ruelle, un gourdin à nœuds, et bat sa victime dos et ventre. Enfin, il lui attache ses hardes en paquet, sur les épaules, et la chasse nue, saignante, avec une gifle supplémentaire en guise de viatique.

  1. Livre III, 161. De mercatore et adultera eius uxore.