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CHAPITRE III




Quelles conclusions peut-on tirer de ce que Dieu est le père des hommes ?

Si on pouvait partager, autant qu’on le doit, cette croyance, que nous sommes tous enfants de Dieu au premier chef, que Dieu est le père des hommes et des divinités, jamais, je pense, on n’aurait de soi des idées qui nous amoindrissent, ou nous rapetissent. Quoi, si César t’adoptait, personne ne pourrait supporter ton orgueil ; et quand tu sais que tu es fils de Dieu, tu ne t’en enorgueilliras pas ! Nous ne le faisons guère aujourd’hui ! Bien loin de là : comme à notre naissance deux choses ont été unies en nous, le corps qui nous est commun avec les animaux, la raison et le jugement qui nous sont communs avec les dieux, une partie d’entre nous se tournent vers cette funeste parenté de mort, très-peu vers cette bienheureuse parenté divine. Or, comme il est impossible de ne pas user de chaque chose suivant l’opinion que l’on s’en fait, ce petit nombre, il est vrai, qui se croit né pour la probité, pour l’honneur, pour le bon usage des idées, n’a jamais de lui-même une opinion qui le rapetisse ou l’amoindrisse, mais la foule fait le contraire. « Que suis-je, en effet (dit-on) ? Un homme misérable et chétif. » — Ou bien encore : « Pitoyable chair que la mienne ! » — Oui, bien pitoyable en effet ! mais tu as quelque chose de mieux que cette chair ! Pourquoi le négliges-tu, pour t’attacher à elle ?

Par suite de cette parenté, nous qui nous tournons vers elle, nous devenons semblables, les uns, aux loups, trompeurs, traîtres et méchants ; les autres, aux lions, sauvages, cruels et barbares ; le plus grand nombre aux renards et à tout ce qu’il y a de vil parmi les bêtes. Qu’est-ce en effet qu’un homme méchant dans ses paroles ou dans ses actes, si ce n’est un renard ou quelque chose de plus vil et de plus abject encore ? Ouvrez donc les yeux et faites attention, pour ne pas devenir quelqu’une de ces saletés.