Traduction par Victor Courdaveaux.
Didier (p. 51-53).

CHAPITRE XIV




Dieu voit tout

On lui demandait comment on pourrait prouver à quelqu’un que toutes ses actions tombaient sous l’œil de Dieu. — Ne crois-tu pas, dit-il, à l’Unité du monde ? — J’y crois. — Mais quoi ! ne crois-tu pas à l’harmonie du ciel et de la terre ? — J’y crois. — Comment, en effet, les plantes fleurissent-elles si singulièrement, comme sur un ordre de Dieu, quand il leur a dit de fleurir ? Comment germent-elles, quand il leur dit de germer ? Comment produisent-elles des fruits, quand il leur a dit d’en produire ? Comment mûrissent-elles, quand il leur a dit de mûrir ? Comment laissent-elles tomber leurs fruits, quand il leur a dit de les laisser tomber ? Comment perdent-elles leurs feuilles, quand il leur a dit de les perdre ? Et, quand il leur a dit de se replier sur elles-mêmes pour rester tranquillement à se reposer, comment restent-elles à se reposer ? Puis, lorsque la lune croît ou décroît, lorsque le soleil arrive ou se retire, pourquoi voit-on sur la terre tant de changements, tant d’échanges des contraires ? Et les plantes et nos corps se reliraient ainsi avec le grand tout, et seraient en harmonie avec lui, sans que cela fût plus vrai encore de nos âmes ! Et nos âmes se relieraient et se rattacheraient ainsi à Dieu, comme des parties qui en ont été détachées, sans que Dieu s’aperçût de leur mouvement, qui est de même nature que le sien, et qui est le sien même ! Tu pourrais, toi, appliquer ton esprit au gouvernement de Dieu, et à toutes les choses divines, en même temps qu’aux affaires humaines, recevoir tout à la fois de milliers d’objets des sensations ou des pensées, et donner ton adhésion aux unes, rejeter les autres, t’abstenir sur d’autres ; tu pourrais conserver dans ton âme les images de tant d’objets divers, t’en faire un point de départ pour arriver à d’autres idées analogues à celles qui t’ont frappé les premières, passer d’un procédé à un autre, et garder le souvenir de milliers de choses ; et Dieu ne serait pas capable de tout voir, d’être présent partout, d’être en communication avec tout ! Le soleil serait capable d’éclairer une si grande portion de l’univers, en ne laissant dans l’obscurité que la petite partie qui est occupée par l’ombre que projette la terre ; et celui qui a fait le soleil (cette partie de lui-même si minime par rapport au tout), celui qui le promène autour du monde, ne serait pas capable de tout connaître !

— Mais moi, dis-tu, mon esprit ne peut s’occuper de toutes ces choses en même temps. — Et qui est-ce qui te dit aussi que tu as des facultés égales à celles de Jupiter ? C’est pour cela que (bien qu’il nous ait faits intelligents) il n’en a pas moins placé près de chacun de nous un surveillant, le Génie particulier de chacun, auquel il a commis le soin de nous garder, et qui n’est sujet ni au sommeil ni à l’erreur. À quel protecteur plus puissant et plus vigilant aurait-il pu confier chacun de nous ? Lors donc que vous avez fermé votre porte, et qu’il n’y a point de lumière dans votre chambre, souvenez-vous de ne jamais dire que vous êtes seul, car vous ne l’êtes pas. Dieu est dans votre chambre, et votre Génie aussi ; et qu’ont-ils besoin de lumière pour voir ce que vous faites ?

Vous devriez prêter serment à ce Dieu, comme les soldats prêtent serment à César. Pour prix de la solde qu’ils touchent, ils jurent de faire passer le salut de César avant toute chose ; refuserez-vous de jurer, vous, après tous les dons magnifiques que vous avez reçus ! Ou, si vous jurez, ne tiendrez-vous pas votre serment ? Que jurerez-vous donc ? De ne jamais désobéir à Dieu, de ne jamais lui adresser de reproches, de ne jamais vous plaindre de ce qu’il vous donnera en partage, de n’être jamais mécontents de faire ou de souffrir ce qui est inévitable. Ce serment ressemble-t-il à l’autre ? On jure dans l’autre de ne préférer personne à César ; on jure dans celui-ci de se préférer soi-même à tout le monde.