Les Diaboliques/Première préface

La Revue de Parisannée 28, tome 2, mars-avril 1921 (p. 162).
Voici (sauf modifications ultérieures) la préface de mes Diaboliques,


Pourquoi les Diaboliques ?
Est-ce pour les histoires qui sont ici ?
Ou pour les femmes de ces histoires ?…
Qui sait ?…

Les histoires sont vraies. Rien d’inventé. Tout vu. Tout touché du coude ou du doigt. Il y aura certainement des têtes vives, montées par ce titre de Diaboliques, qui ne les trouveront pas aussi diaboliques qu’elles ont l’air de s’en vanter. Elles s’attendaient à des inventions, à des complications, à des recherches, à des raffinements, à tout le tremblement du Mélodrame moderne, qui se fourre partout, même dans le roman : quelque chose comme les Mémoires du Diable, qui n’ont donné à leur auteur qu’une peine du Diable… Les Diaboliques ne sont point des diableries. Ce sont des Diaboliques, des histoires réelles de ce temps civilisé et si divin, que quand on s’avise de les écrire, il semble que ce soit le diable qui ait dicté… Le Diable est comme Dieu. Le manichéisme, qui est la source de tant de grandes hérésies du moyen âge, le manichéisme n’est pas si bête ! Malebranche disait que Dieu se reconnaissait à l’emploi des moyens les plus simples. Le Diable aussi.

Quant aux femmes de ces histoires, pourquoi ne seraient-elles pas les diaboliques ? N’ont-elles pas assez de diabolisme en leur personne pour mériter ce doux nom-là ?… Diaboliques ! Il n’y en a pas une seule ici qui ne le soit à quelque degré. Il n’y en a pas une seule à qui on ne puisse dire le mot de « mon ange » sans exagérer. Comme le Diable qui était un ange aussi, mais qui a culbuté, si elles sont des anges encore, c’est la tête en bas, le reste… en haut ! Pas une ici qui soit pure, vertueuse, innocente… Monstres même à part, elles présentent un effectif de bons sentiments et de moralité bien peu considérable. Elles pourraient donc s’appeler Diaboliques sans l’avoir volé… On a voulu faire un petit Musée de ces Dames — en attendant qu’on fasse le Musée, encore plus petit, des Dames qui leur font pendant et contraste, dans la société, car toutes choses sont doubles. L’Art a deux lobes, comme le cerveau. La nature ressemble à ces femmes qui ont un œil bleu et un œil noir. Voici l’œil noir dessiné à l’encre… de la petite vertu, oh ! de la plus petite qu’on ait pu trouver !

On donnera peut-être l’œil bleu plus tard, si on trouve du bleu assez pur. Mais y en a-t-il ?

En ce cas-là, après les Diaboliques, viendraient les Célestes