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LES
DERNIERS JOURS DE HENRI HEINE




I


Était-ce insouciance, souci supérieur aux questions d’élégance ? était-ce plus simplement le triste effet de la gêne qui pesait sur le ménage, et commandait impérieusement l’économie ? À cette époque de bibelots et de babioles où tout artiste s’organise, sinon un nid pittoresque, du moins un nid commode, le logis du poète ressemblait à un garni de troisième ordre. Nulle élégance, nulle recherche de confort : un mobilier de raccroc, des objets rappelant l’époque bâtarde qui honora l’acajou, et relégua le bois blanc au grenier.

Quand je vis pour la première fois Henri Heine, il habitait le cinquième étage d’une maison située avenue Matignon, assez près du rond-point des Champs-Élysées. Ses fenêtres, donnant sur l’avenue, ouvraient sur un étroit balcon qui, dans les grandes chaleurs, fut décoré d’une tente de coutil rayé comme on en voit aux devantures des petits cafés. L’appartement contenait trois ou quatre pièces, dont l’une était la salle à manger, et les deux autres, les chambres du maître et de la maîtresse de la maison. Une couche très basse derrière un paravent recouvert de papier peint, quelques chaises, puis, vis-à-vis de la porte, un secrétaire en bois de noyer, voilà de quoi se composait le mobilier de la chambre du malade. J’allais oublier deux gravures dans des cadres datant des premières années du règne de Louis-Philippe, les Moissonneurs et les Pêcheurs, d’après Léopold Robert.

Jusque-là, l’arrangement du logis ne trahissait point la présence de la femme. Elle se retrouvait dans l’autre chambre, parmi les fausses guipures posées sur des transparents de cotonnade jaune, parmi les encognures revêtues de velours brun, et surtout dans le jour favorable d’où se détachait un portrait, le portrait de madame Heine, peinte en pied, vêtue et coiffée à la mode de son jeune temps, robe noire décolletée et longs bandeaux collants comme on dut les porter vers 1840.