Les Dames de maison et les filles d’amour

Cour de la Sainte Chapelle, chez le Concierge (p. Frontisp.-108).

No. 1. Pa. 19
Il frotta longtems la tête de son vit sur mes fesses
sans pouvoir remplir les fonctions d’une canule.
LES DAMES
DE MAISON
ET
LES FILLES D’AMOUR.



La langue française s’épure, nos mœurs touchent à la perfection, la décence est à l’ordre du jour. Les maquerelles sont maintenant des dames de maison, et les putains des filles d’amour !

Au temps qui court, si vous demandez à une demoiselle bien élevée, dont l’éducation a été faite dans une maison religieuse ou dans un de ces pensionnats dirigés par madame telle ou telle :

Comment nommeriez-vous un vit en mot décent ?

Elle vous répond avec assurance :

Pour parler décemment, je dirais une pine.

L’heureux siècle du progrès des lumières est arrivé pour nous ; le plus grand casuiste, le moraliste le plus minutieux, le dévôt le plus scrupuleux, le Saint-Père lui-même, ne pourraient s’empêcher de s’écrier avec nous, comme le bonhomme Siméon, qui, après avoir vu qu’on avait circoncis notre sauveur, et avoir baisé son divin prépuce, se mit à chanter dans le temple, devant la vierge Marie et saint Joseph, le meilleur des maris et le plus pacifique des cocus : Nunc dimitte servum tuum Domine. Je puis maintenant foutre le camp pour l’autre monde.

C’en est assez, j’ai fini mon exorde et j’entre en matière. Me voilà comme un prédicateur qui, après avoir invoqué les lumières du Saint-Esprit, avec ses auditeurs, leur annonce qu’il va débiter des foutaises en manière d’ange, et leur prouver par A, plus B, moins C, que des vessies sont des lanternes.

Je dois d’abord à mes lecteurs le portrait moral et physique d’une dame de maison, et il les connaîtront toutes.

Ces dames sont d’anciennes putains, filles d’amour, ou femmes sensibles qui, après avoir foutu et refoutu avec le tiers et le quart, ont eu le bon esprit de faire quelques économies, et qui voulant arriver à une bonne fin, aidées d’un honnête maquereau, jadis leur amant, aujourd’hui leur ami, louent une maison, la meublent, c’est-à-dire y placent un lit, composé d’une paillasse et d’un matelat, deux chaises, une table, un pot à l’eau et sa cuvette. Voilà ce qui compose le mobilier indispensable de chaque chambre, plus sept ou huit filles, bien dressées, qui vous engagent à entrer, en employant le protocole usité. Ensuite demandent le petit cadeau, et foutent, branlent et paillassonnent plus ou moins suivant la générosité du miché. Voilà un bordel ou une maison d’une classe très ordinaire. Ensuite vous en avez de plus soignés, de plus élégans, où l’on étale le plus grand luxe ; mais quant au fond, c’est toujours la même chose ; et que ce soit dans la Cité, rue aux Fèves, ou dans la Chaussée-d’Antin, vous êtes toujours dans un bordel, avec des maquerelles, des putains, des maquereaux, qui vous voleront, vous fourniront une vérole où une chaude-pisse, pour vingt sous comme pour vingt francs, ou même mille francs. Vous voyez qu’il y a du choix.

La dame de maison du bordel infime ou du genre mousseux, fut jadis jolie, eut la taille svelte, élancée, maintenant c’est un colosse, une espèce d’éléphant, qui marche en se balançant comme la demoiselle Geor.., qui hurle la prose ou les vers de MM. Baroque, sur les planches du théâtre de la Porte-Saint-Martin.

La dame de maison se nourrit bien, boit de même, fout de temps en temps avec son ami ; mais par goût. Comme par tempérament, elle se fait branler et gamahucher par les putains, ou les filles d’amour sous ses ordres, c’est la règle, et il y en a toujours une qui passe la nuit avec elle, et qu’elle honore de sa couche. Ce n’est pas une mince faveur que de partager le lit de Madame, ni d’être foutue par le godmiché qui est à poste fixe dans le tiroir de sa table de nuit. C’est un ordinaire réglé pour la dame de maison, le matin elle prend son café dans son lit, qui lui est présenté par la servante du bordel, qui est la cuisinière dans le jour et le soir la marcheuse, escortant les filles, lorsqu’elles vont dans la rue, ou leur tenant compagnie à la porte en attendant les michés, en fredonnant la chanson du jour.

Tel est à peu près le personnel obligé d’un bordel ; il est plus nombreux dans certains quartiers, suivant l’achalandage.

Il est encore une chose essentielle, c’est le vestiaire des filles d’amour, il est plus ou moins élégant, suivant les localités ; car les filles d’amour n’ont souvent pour toute fortune qu’une robe simple et très modeste, et leurs appas plus ou moins flétris. Il faut réparer tout cela, afin de séduire les amateurs ou les dupes, qui vont acheter le plaisir ou des regrets, dans ces infâmes cloaques ; mais il en faut, dira-t-on, fort bien, je vous les passe, mais surveillez les mieux, et faites y des visites fréquentes, à l’instar de celles que vous n’épargnez pas aux égoûts, qui se croisent dans tous les sens, sous les rues de la capitale. Le méphytisme qui s’exhale des bordels et des cons, qui en sont le sale ornement, n’est pas moins dangereux.

La graine des filles d’amour, des putains, des prostituées, des filles publiques, des garces de tous les genres, de toutes les couleurs, fertilise, pullule, et s’accroît chaque jour dans Paris, plus que le chien-dent et les herbes parasites dans nos campagnes. La paresse, l’amour du luxe, du libertinage, meublent et alimentent chaque jour les bordels.

Les filles ou femmes qui ne les habitent pas à poste fixe, y viennent le soir en succursalistes, desservir le temple de Vénus et les autels de Priape. Les fleuristes, les modistes, les couturières, les blanchisseuses de fin, les polisseuses, les brunisseuses, accourent chercher dans un bordel un supplément à leur salaire journalier ; il y a même quelques femmes mariées qui se livrent à ces exercices libidineux, et comme on va chez un costumier, afin de se déguiser pour se rendre au bal, la dame de maison fournit un uniforme conforme à ces putains remplaçantes, où si l’on veut à ses comparses de bordels.

Les filles d’amour doivent consciencieusement remettre la totalité du cadeau, parce qu’elles sont logées, entretenues et nourries. Cependant, elles trichent et fraudent la dame de maison, ce qui est affreux, et prouve qu’il n’y a plus de probité, pas même en affaires de cul et de con. Quelle démoralisation ! il y aurait là-dessus des réflexions cruelles à faire.

Pour ne pas affliger nos lecteurs et les empêcher de murmurer contre l’espèce humaine, nous ne nous permettrons pas d’autres observations.

Quoique les bordels se recrutent assez facilement, les dames de maison sont souvent obligées d’aller en remonte, comme les régimens de cavalerie qui envoient des officiers dans les haras, ou dans la Normandie, le Limousin ou le Mecklembourg. Ces maquerelles exploitent les coches qui arrivent de la Bourgogne et les bureaux des diligences. Là, elles vont proposer des places aux jeunes filles qui viennent à Paris pour faire fortune ; elles les circonviennent, les séduisent, les entraînent, et telle bourguignonne, lorraine, flamande, etc., etc., qui a quitté son village, pour être femme de chambre, bonne d’enfants ou cuisinière, devient fille d’amour, sans s’en douter. On l’éblouit par des promesses, de beaux atours, par le spectacle, la bonne chère et le plaisir ; on vend son pucelage, on éveille, on échauffe ses sens, la tête se monte, on la branle, elle fout, les conseils, les avis paternels sont oubliés, au lieu d’avoir un balai, une écumoire à la main, elle ne sait plus que branler, manier des couilles, foutre de quarante manières, d’après l’Arétin ; flageller de vieux paillards impuissans pour les faire bander et gamahucher la dame de maison, qui a voulu avoir ses prémices ; car toutes ces maquerelles sont des tribades renforcées.

Ces malheureuses filles d’amour sont tellement énivrées, qu’elles ne font un retour sur elles-mêmes que lorsqu’il n’est plus temps de sortir de l’ornière du vice. D’ailleurs, elles sont sous la puissance de La dame de maison, qui les a fait enregistrer au bureau des mœurs ? Il faut voir les maquerelles les conduire pour la prise d’habit, et pour obtenir la protection de ces messieurs, pour être admises dans le corps des putains et des filles soumises ! Lorsque la dame de maison se plaint d’une de ses pensionnaires, comme elle est juge et partie, la délinquante est punie et un mois de prison lui apprend à connaître ses devoirs : il faut de la subordination. Parmi ces dames de maison, il en est réellement qui ont un talent particulier pour former les filles d’amour, et leur apprendre les ruses du métier, les finesses de la fouterie, en un mot, les grâces de l’état, et les roueries de l’art. L’une d’elles, madame Delaun.. dans un moment de franchise et d’abandon, consentit à donner devant nous une leçon à une jeune fille, fort jolie, qu’elle venait d’embaucher depuis quelques jours, et cette instruction nous parut si curieuse et si intéressante que nous avons retenu pour ainsi dire, mot pour mot, ce qui échappa à cette femme-docteur, en science bordélique : on trouvera extraordinaire que j’aie poussé la curiosité au point de m’initier à des mystères aussi dépravés, je répondrai : Il est bon de savoir un peu de tout, pour soi d’abord, ensuite pour les autres.

Ma chère amie, disait la dame de maison Delaun.. à la jeune Angélique C..... qu’elle avait recrutée pour son bordel, te voilà dans un lieu de sûreté et de plaisir ; tu n’as plus rien à craindre de la misère, avec un peu de complaisance pour les michés, tu gagneras de l’or, et je ne serai pas ingrate, tu dois y compter.

Il faut d’abord te garder d’aimer les hommes ; mais feindre seulement une grande passion et beaucoup de sympathie pour ceux qui auront de l’argent.

Dès qu’un homme montera avec toi, il faut lui faire quelques cajoleries, lui passer la main sur le vit, le manier, le faire bander ; s’il en vient là, tu peux compter qu’il paiera. Un paillard ne calcule plus dès que le foutre est en ébullition ; il veut alors te prendre le cul ou le con : s’il perd la tête, il faut conserver tout ton sang-froid, et lui demander son petit cadeau, en lui chatouillant les couilles ; il commence à s’exécuter, tu dois devenir plus exigeante, l’agacer, et lorsque tu crois devoir paraître satisfaite, alors laisse lui prendre possession de ton con ! s’il veut foutre, proposes-lui de te mettre nue, de lui faire ce qu’on nomme des polissonneries ; s’il consent à augmenter la somme que tu as déjà reçue, laisses-toi tomber mollement sur le lit et qu’il s’échine à te limer tant que bon lui semblera, surtout garde-toi bien de prendre part à ses transports amoureux, à son tendre délire, sois immobile, et que ton con soit le trou d’une planche à bouteilles ! ne le perds pas de vue, et si tu le vois sur le point de décharger, fous-le à la porte d’un coup de cul et feins toi-même de mourir de plaisir. Agir autrement, c’est s’exposer souvent à devenir mère, et une bonne putain doit éviter ces accidens, qui exposent les femmes à perdre leurs agrémens, et à n’être plus qu’une conasse ouverte à deux battans.

Quand ton fouteur reviendra à lui, soupire amoureusement, en prononçant d’une voix entrecoupée : Ah ! mon ami, que de bonheur ! tu verras alors le miché prendre cela pour argent comptant, et se mettre d’aplomb sur les deux jambes : tu lui donneras de l’eau, et pendant qu’il se rince, arrange ta coiffure ; ajoute, en minaudant : Comme tu m’as chiffonnée, cher ami, tu devrais bien me payer un ruban, ou tout autre chose, qui te passera par la tête ; il a encore de l’argent, il paie, et si tu sais t’y prendre, tu le renverras à sec.

S’il part sans t’embrasser, il faut le lui reprocher ; les hommes sont assez sots, assez pourvus d’amour-propre et d’orgueil, pour croire qu’on les aime, lorsqu’on n’en veut qu’à leur argent.

Il est encore certains petits détails qui doivent fixer ton attention : si un miché paraît généreux, il faut en profiter. S’il a quelques bijoux, il est très important de s’y prendre adroitement pour les faire changer de possession à ton profit ; c’est ainsi qu’on s’enrichit. Madame l’Ev..... la doyenne des dames de maison, s’est conduit de cette manière, elle achetait à ses filles des bijoux de 200 francs pour 20 francs. Madame Edou..., rue des Coquilles, a trouvé le moyen de se retirer, et de vendre son fond en suivant ce principe.

Madame R...., rue d’Amboise, a payé ainsi tous ses fournisseurs, et son mobilier, qui vaut au moins 50,000 francs, lui appartient ; enfin, ma chère Angélique, il faut tout faire pour de l’argent. Un vieux paillard ne pouvant me foutre, parce qu’un con ne le faisait plus bander, il me proposa de m’enculer, je le repoussai avec horreur ! il me jeta sa bourse sur la table, et me dit : Il y a 100 louis, ils sont pour toi. Je fis des difficultés ; enfin, je cédai. Il frotta longtemps la tête de son vit sur mes fesses, sans pouvoir remplir les fonctions d’une canule ; il me pria de le flageller. Je lui mis les reins et les fesses en capilotade, sans que son vit pût entrer en érection complète ; enfin il déchargea et fut enchanté de ma complaisance ; les 100 louis furent à moi ; et il y joignit un diamant qu’il avait au doigt.

J’ai eu dans la suite plus de 10,000 fr. de sa vielle peau, et cela m’a été volé par le maquereau que j’avais alors, j’ai tout perdu ; mais le scélérat expie son crime aux galères. Il s’empara un jour de la montre d’un jeune homme qui l’avait conduit au spectacle, et fut pris en flagrant délit ; je l’abandonnai à son malheureux sort, et je ne fus point compromise. Aussi, je ne veux plus d’homme pour ami ; en te conduisant bien, ma chère amie, en suivant exactement mes avis, en me prenant pour modèle, tu deviendras peut-être un jour dame de maison, ou tu feras un bon mariage, comme la petite Annette et sa sœur. Elles raccrochaient l’une et l’autre, rue Montorgueil, et avaient quitté le village, où elles demeuraient, pour venir chercher fortune à Paris.

Annette était assez gentille et avec son petit jargon villageois, elle ne manquait pas de michés. Un soir, elle réussit à faire monter chez elle un homme d’un certain âge et riche, il en devint amoureux. Elle sut tirer parti de sa faiblesse, et il la paya généreusement.

Plus tard il lui conseilla de se marier, c’est-à-dire, de trouver quelque malheureux qui l’épouserait, en lui laissant la liberté de coucher de temps en temps avec lui.

Un nommé Carpe... vint un jour la voir, il était dans la misère, elle jugea que c’était là l’être vil et méprisable qui consentirait à l’épouser, pour être le cocu complaisant, elle ne se trompait pas ; il accepta tout ce qu’Annette lui proposa. Il devint l’époux, et prit l’engagement prescrit par l’entreteneur, qui d’après cela, fit un acte, par lequel il assurait 2,000 francs de pension à Annette, devenue madame Carpe..., qui va coucher en ville lorsque le bienfaiteur veut user de ses droits.

Madame Carpe... ne s’en tient pas là, elle se permet des passades avec quiconque veut payer. Elle a vécu quelque temps avec un officier de marine, qui s’en est lassé, parce qu’elle est devenue patraque, et que ce n’est plus qu’une vieille corvette hors de service, qui ne peut être radoubée.

Quant à l’homme aux 2,000 francs, il tient bon, et paie toujours exactement. Annette, femme Carpe... le branle encore de temps en temps. La sœur, qui se nommait Louise, plus jolie qu’Annette, a fait la conquête d’un anglais, qui l’a épousée et elle jouit de 30,000 francs de revenu. Carpe... et sa femme exploitent de temps en temps la bourse du beau-frère ; le mari est généralement méprisé, c’est le plus lâche coquin qu’on puisse ramasser dans les ordures avec le crochet d’un chiffonnier ; mais il gagne de l’argent à force de platitudes et des bassesses, il se mettrait à plat-ventre et servirait de canapé, pour que l’on foutît sa femme sur son dos. Tout lui convient, il vient quelquefois faire des parties ici, avec des jeunes gens qu’il conduit, je lui donne à dîner et à souper gratis et même sa commission. Je me suis abonnée avec lui, à raison de 10 francs par séance.

Je le méprise et je le ménage, parce qu’il fait encore un métier aussi vil que ceux de mari complaisant et de maquereau, et qu’il pourrait me nuire. Quand il paraîtra ici, je te le désignerai. Son âme est peinte sur sa figure.

J’écoutais de toutes mes oreilles la dame de maison faisant des panégyriques et des portraits, et j’étais tenté de la soupçonner de mensonge ou d’exagération, lorsque la servante vint annoncer Carpe... avec trois de ses amis. La dame de maison me dit : Je vous soupçonne incrédule ; entrez dans ce cabinet ; restez-y tranquille, écoutez la conversation. Je ferai parler Carpe... ; alors vous le jugerez. Je me renfermai dans la cachette, et les individus furent introduits. Ils demandèrent des femmes et à dîner. On leur fournil d’abord les filles d’amour, et on se mit en mesure pour préparer le repas.

Les trois jeunes gens disparurent avec les femmes ; Angélique fut du nombre. Carpe... resta avec la dame de maison. Il entama le premier la conversation. Vous voyez, belle dame, que je suis de parole ; je vous amène ici aujourd’hui des oiseaux qu’il faut plumer : ils ont chacun 3 à 4,000 francs dans leurs bourses ; et, si vous le voulez, tout cela passera dans nos mains ; car il faut que je partage. Laissez-moi faire, je suis certain du succès ; les femmes, le jeu et le vin vont l’assurer. Je me charge de tout, bien entendu que la dépense sera prélevée avant le partage. Ils ont une confiance aveugle dans ma probité ; ils ne pouvaient mieux la placer, qu’en dites-vous ? Et il riait aux éclats. C’est à merveille, répondit la dame de maison. Agissez comme bon vous semblera, et vous me donnerez ensuite ce qui me reviendra.

Carpe... ajouta : Pour vous prouver combien ces hommes sont généreux, je vous annonce en confidence qu’ils ont donné 1,000 francs à ma femme, avant de sortir, pour s’acheter ce qui lui plaira pour sa toilette.

Nos jeunes gens se firent entendre ; ils avaient foutu leurs princesses. Ils entrèrent en félicitant la dame de maison sur l’amabilité de ses pensionnaires. Ensuite ils dirent à Carpe... : Avez-vous baisé madame. — Non ; vous savez que je suis un triste fouteur ; ma femme vous l’a dit. D’ailleurs, je ne bande pas aujourd’hui.

On s’amusa de sa véracité, et la conversation devint générale. La dame de maison pensait avec raison que je ne serais pas fâché de quitter ma cachette ; elle proposa de passer au salon : tout le monde sortit.

Je m’abandonnai à mes réflexions, et elles ne furent pas à l’avantage de ceux dont j’avais entendu les discours.

La dame de maison vint me trouver. Eh bien ! me dit-elle, qu’en pensez-vous ? Je répondis : Quel infâme coquin ! Je plains ces jeunes gens. — Que voulez-vous, si ce n’était pas Carpe..., ils tomberaient dans d’autres mains ; Paris fourmille de ces courtiers de bordel, de ces agens de libertinage ; il faut fermer les yeux et se taire ; et en profiter, ajoutai-je. Un que voulez-vous ? me fut répété…

Voulez-vous bien me mettre dehors. — Volontiers ; mais revenez après-demain matin, car ces messieurs vont faire une longue séance. Peut-être même coucheront-ils, et je ne veux pas qu’ils soient troublés ni dérangés dans leur orgie ; on a prononcé ce mot, Carpe... l’a répété et approuvé. C’est le Mentor des trois Télémaques, et il ne veut pas les sauver du naufrage. Non, dis-je à mon tour, il lui semble plus doux de les noyer. — C’est bien ça ; au revoir. Et je sortis sans bruit.

Je m’éloignai rapidement de ce repaire de débauche et de friponnerie, et je ne pus m’empêcher de gémir sur la démoralisation qui régnait dans la société. J’entrai dans un restaurant au Palais-Royal pour y dîner, et j’y rencontrai un homme que je connaissais, qui cherchait sur la carte les mets qui pourraient lui convenir. Je me plaçai à sa table. Il leva les yeux sur moi, et nous fûmes également flattés de nous revoir et du hasard heureux qui nous réunissait.

Ce qu’il demandait était de mon goût, et l’on nous servit, nous gardâmes le silence pendant les premiers momens, l’appétit nous pressait. Ensuite, nous avions près de nous un jeune homme et une jeune femme très jolie, dont la conversation nous intéressait l’un et l’autre. Ils se faisaient des confidences qui piquaient notre curiosité, et leurs discours pouvaient nous conduire à faire des découvertes, qui flattent toujours les hommes, lorsqu’il s’agit d’intrigues amoureuses, nous nous préparions à être bientôt initiés dans ces mystères de fouterie. La femme paraissait absorbée dans ses réflexions, tout-à-coup elle prit la parole et dit au jeune homme : C’en est fait, mon ami, je ne veux plus rentrer dans la maison d’où je suis sortie ; il faut que tu te décides à me recevoir momentanément chez toi. Madame Barth... vient de me faire jouer un rôle qui ne me convient pas, puisque tous les avantages sont pour elle, et que je puis être exposée aux plus grands désagrémens.

Je t’ai fait jusqu’à ce moment un mystère de ce qui passait entre moi et madame Barth... ; je vais te faire des aveux qui coûteront beaucoup à mon amour-propre ; mais j’ai été séduite, entraînée, on a tendu un piége à mon inexpérience : l’espoir d’une fortune brillante, d’un sort heureux, m’a fait tomber dans l’abîme. J’ai commis une faute ; mais si tu ne m’abandonne pas, je puis la réparer jusqu’à un certain point.

Tout ce que tu me dis là, reprit le jeune homme, est une énigme pour moi, explique-toi plus clairement, et nous verrons ce que je puis faire ; car je ne me dissimule pas les plus grandes difficultés pour te donner un asile, chère amie, mes parens ne me pardonneraient jamais d’avoir pris ce parti. Tu connais surtout la sévérité de mon père, je ne puis m’exposer à sa colère et à son indignation. À ces mots ; la jeune personne fondit en larmes, et se livrait en quelque sorte au désespoir. Heureusement il y avait peu de monde dans le salon, et ceux qui s’y trouvaient étaient loin de nous.

Guidé par l’intérêt et la curiosité, je me levai, et m’approchant de ce couple, qui me paraissait si intéressant, je dis à la jeune personne : Mademoiselle, calmez-vous, j’ai entendu une partie de votre conversation. Monsieur, ne peut guère, dans la position où il se trouve, vous rendre le service que vous réclamez de lui. Si vous voulez vous en rapporter à moi et me confier vos chagrins ; lorsque nous aurons dîné, vous viendrez avec lui à mon domicile. Mon ami, nous accompagnera, et lorsque nous saurons ce qui vous est arrivé, nous aviserons ensemble aux moyens de vous arracher au malheur qui paraît vous poursuivre. Persuadez-vous bien que je ne veux point en abuser, et que vous trouverez en moi un protecteur et un ami, si comme j’aime à le croire, vous le méritez. Elle me remercia, ainsi que le jeune homme, et le calme reparut sur sa charmante physionomie.

Mon ami et moi nous nous empressâmes de terminer notre repas ; le jeune couple en fit autant. Après avoir payé, nous sortîmes ensemble, et une voiture nous conduisit promptement chez moi. La présence d’une dame ne parut nullement suspecte à mon portier, ni à mon domestique, et nous fûmes bientôt dans mon salon. La jeune personne paraissait un peu confuse et intimidée, je la rassurai et elle commença ainsi son récit :

Il est malheureux pour moi d’avoir à vous faire des aveux qui blesseront mon amour-propre ; mais comme je vous l’ai déjà annoncé, j’ai été trompée, abusée par des fourbes et des intrigans. Voilà où nous conduisent de faux amis qui spéculent sur l’honneur et la délicatesse, pour s’enrichir, en condamnant une jeune fille à la honte et au repentir.

Mon père est un honnête artisan qui connaissait madame Barth..., parce qu’elle le faisait travailler. Cette dame qui tient un grand état de maison, lui en imposait par le luxe qui l’entourait et la nombreuse compagnie qui se réunissait chez elle. Elle me témoignait beaucoup d’amitié ; on faisait des complimens sur ma beauté, et j’allais souvent chez elle pour différens ouvrages dont elle me chargeait. Mon père trouvait que c’était un grand honneur pour moi, et madame Barth... lui faisait sans cesse mon éloge, ce qui augmentait encore son respect pour elle ; parce qu’elle lui avait promis de me procurer une existence honorable, si je continuais à mériter ses bontés. Mon père me recommandait chaque jour de lui obéir aveuglement, et je m’en faisais un devoir, afin de remplir ses intentions. Enfin, un jour, elle commença à me faire quelques confidences, en m’annonçant qu’un monsieur d’un âge mûr et très riche, que je rencontrais quelquefois chez elle, me voyait avec plaisir ; qu’il était veuf, sans enfans, et qu’il avait envie de m’épouser, d’après tout le bien qu’il lui avait entendu dire de moi. Elle ajouta, je lui ai dit que tu étais orpheline et fille d’un gentilhomme de mes amis, qui en mourant t’avait confiée à mes soins et à mon amitié. Si je lui eusse fait connaître tes parens, il n’eût plus voulu entendre parler de mariage ; ainsi songes à bien jouer ton rôle quand il sera avec toi, ne va pas me démentir. Lorsque vous serez mariés, alors on lui parlera de ta famille, et il ne pourra plus se dédire. D’ailleurs, il te donnera tout son bien par son contract de mariage, et ta fortune est assurée. Je fus éblouie de ces propositions et cette supercherie me parut très excusable. Madame Barth... ajouta, si ton prétendu prenait quelques libertés avec toi, ne va pas le rebuter ; au contraire, il faut le laisser faire pour l’enchaîner davantage : je promis tout ce qu’elle voulut. La première fois que je vis ce monsieur, il me parla avec beaucoup d’amitié, me donna le nom de son épouse, me mit une alliance au doigt ; me donna des bijoux, de l’or, et après m’avoir baisé la main, il me quitta, en me promettant de revenir le lendemain, et de me prendre avec lui pour aller à sa maison de campagne, et former une union qui ferait son bonheur. Je sais qui vous êtes, madame Barth... m’a tout dit, vous êtes digne de mon amour et de la fortune que je vous destine.

Madame Barth... parut lorsqu’il fut sorti, elle vit tout ce qu’il m’avait laissé. Quel homme ! me dit-elle, quelle grandeur d’âme ! quelle délicatesse ! quelle générosité. Je pensais comme elle, et je l’embrassai en la nommant ma bienfaitrice. Elle s’empara de tous les présens qu’il m’avait faits, pour les mettre en lieu de sûreté, et me les remettre lorsqu’il en serait temps. Je fus encore de son avis et elle ajouta : Il reviendra demain et doit souper ici. Je vais aller prévenir ton père que j’ai besoin de toi pendant deux ou trois jours, et que tu coucheras ici. Tu viendras avec moi ; car il faut toujours avoir des égards pour ses parens. Mon père fut enchanté de la proposition et remercia madame Barth... de ses bontés, en la priant de me continuer sa protection. Il était bien loin de soupçonner l’affreuse vérité. Je le quittai pour revenir chez madame Barth....

La soirée se passa on ne peut mieux, il ne fut question entre moi et madame Barth... que de fortune, de richesses, de plaisirs et de voyages à la campagne, où elle viendrait me voir comme ma meilleure et ma sincère amie.

Je l’assurais de toute ma reconnaissance, en pressant ses mains dans les miennes, et je me couchai avec ces idées de bonheur qui me procurèrent les songes les plus agréables. À mon réveil, je trouvai près de mon lit une robe du matin d’un goût exquis ; que madame Barth... me pria de mettre comme un présent de mon mari. J’obéis, et deux heures après il parut ; j’étais encore dans ma chambre, il vînt à moi, m’embrassa, je le remerciai, il me dit : C’est une bagatelle. Madame Barth... nous quitta, et nous prîmes place sur un canapé ; après m’avoir parlé de ses projets pour l’avenir, il devint plus entreprenant. Je le repoussai doucement, il me dit d’un ton ému et passionné : Quoi ! ne suis-je pas déjà votre époux. Il continua ses entreprises téméraires, je fus vaincue sans m’en douter ; mes sens m’égarerent, je ne voyais que mon époux, et il en usurpa tous les droits, j’étais frappée d’une voluptueuse léthargie. Ses baisers ses caresses me firent revenir à moi ; lorsque j’ouvris les yeux, il était à mes genoux ; je le relevai et je me crus réellement son épouse. Il sonna, madame Barth... parut, il lui annonça sa victoire ; elle joua la surprise, l’étonnement. Il lui dit : Ma parole n’est-elle pas sacrée : il tira un écrin de sa poche et le mit sur mes genoux. J’en fus ébloui en le regardant, je pressai sur mon cœur mon généreux époux, et je priai ma dame Barth... de réunir ce nouveau gage de sa tendresse avec ceux que j’avais déjà reçus. Je rêvais encore ! que le réveil devait être affreux !…

Le reste de la journée et la nuit se passèrent de même, et le même lit nous reçut tous les deux.

Il m’annonça qu’il allait me quitter pour aller faire les préparatifs, afin de partir le lendemain pour la campagne et mettre le sceau à notre union. Il m’embrassa, sortit, après m’avoir prévenue que je ne le reverrais pas dans la journée. Il me laissa dans la plus grande sécurité, et madame Barth... la partageait. Elle ne m’entretenait que d’idées riantes, je lui demandai à revoir mes bijoux, elle me les montra et les emporta ensuite.

Nous dînâmes et soupâmes tête-à-tête, la conversation ne tarissait pas. La nuit vint, il était tard, elle me dit de me coucher, j’obéis. Nous jasions toujours ; elle était appuyée sur mon lit, je l’embrassai en l’appelant ma meilleure amie ; elle parut enchantée, et me dit : Pour jaser plus à notre aise, je vais coucher avec toi. J’y consentis, dans un instant elle fut près de moi : bientôt ses mains me parcoururent d’une manière qui me parut très extraordinaire ; elle enflamma mes sens, et je me crus transportée dans un autre monde. Elle plaça une de mes mains sur ses charmes les plus secrets, sa bouche pressait la mienne ; nos deux êtres se confondirent, je lui rendis ses caresses, et le sommeil nous surprit dans les bras l’une de l’autre. Tout cela était nouveau pour moi, ce n’était pas mon époux ; mais il y avait quelques étincelles de ce feu sacré qui m’avait embrasée dans ses bras.

Nous nous réveillâmes, madame Barth... se livra encore à ses folies de la veille ; je les partageais, j’étais un peu plus instruite. Elle se leva, me dit de rentrer dans le lit, qu’elle reviendrait et je m’endormis. Pourquoi me suis-je réveillée ! Pourquoi mon sommeil ne fut-il pas éternel. Tout-à-coup j’entends ouvrir la porte avec bruit, et madame Barth... qui s’écriait : Ah ! grand dieu, quel malheur ! Je me soulève et je la vois une lettre dans une main, son mouchoir dans l’autre ; les yeux égarés et s’écriant de nouveau : Ah ! ma chère amie, quel événement ! tiens, lis cette lettre. Je prends ce fatal papier, et je lus ce qui suit :

Madame,

Je n’aurais jamais cru que vous m’auriez trompé avec autant d’audace et d’effronterie, en cherchant à m’unir à une femme indigne de porter mon nom. Remettez sur-le-champ à mon valet de chambre, les effets et les bijoux que j’ai laissés chez vous, ou je porte plainte à l’autorité, et je vous fais arrêter ainsi que votre complice.

La lettre m’échappa des mains et je tombai sans connaissance. Je revins à moi et madame Barth... me dit : Tu ne peux rester ici plus longtemps, rentre chez toi sans rien dire à ton père, et je te reverrai.

Je me hâtai de quitter ces funestes lieux, témoins de ma honte et de mon déshonneur.

Je rentrai sous le toît paternel, modeste asile où le bonheur avait élu son domicile, au sein d’une honnête médiocrité, et je l’avais perdu pour toujours. Ce qui mit le comble à ma douleur, c’est que le lendemain j’appris par une femme au service de madame Barth..., et renvoyée de sa maison, que j’avais été la victime de la plus méprisable des femmes et de la plus basse intrigue. Madame Barth... s’était appropriée tous les dons du vieillard impudique, qui m’avait abusée et elle lui avait découvert elle-même ma roturière extraction, en m’accusant d’avoir emporté à son insçu l’argent et les bijoux qu’il m’avait donnés. Il ne les avait point réclamés ; elle avait joué la comédie ; la lettre qu’elle m’avait montrée, avait été écrite sous sa dictée par un de ses affidés, et ils avaient beaucoup ri de cette farce. C’était ainsi qu’ils appelaient leur perfidie et leur infâme trahison.

Nous plaignîmes beaucoup le sort de cette jeune personne. Nous la plaçâmes dans une maison honnête et décente, et le père ignora toujours l’infâme conduite de la dame de maison Barth... Le lendemain je retournai chez celle où j’avais laissé les jeunes gens et le méprisable C..., digne pendant de la femme B... Je lui racontai ce que le hasard m’avait fait découvrir, et je reçus ses nouvelles confidences. Avant que de m’entretenir pour son compte, elle me dit : Ce que vous m’apprenez de la Barth... ne me surprend pas ; c’est son genre, elle a peut être ruiné deux mille personnes dans Paris.

Un jeune marchand de soie, de la rue de Grenelle-Saint-Honoré, avait fait sa connaissance ; elle lui envoya la fille d’un portier de la rue de la Tixeranderie, qu’elle avait endoctrinée, il en devint amoureux et fournit des robes à toutes les filles qui allaient foutre et branler chez la Barth.... Le magasin y passa, le jeune homme fut bientôt ruiné ; il eut en échange de sa levantine, de son gros de Naples et de ses cachemires, des billets de Célina, Fanny, Emma, Clarisse, etc., etc. Son portefeuille en était farci, et toutes ces putains signèrent sur le bilan. On murmura contre la Barth..., elle se tira d’affaires ; elle était protégée par un personnage en crédit, qui avait un droit d’aubaine, ou un pot de vin sur toutes les affaires de ce genre que terminait la Barth... ; on ferait un volume de ses roueries. Patience, j’espère la voir à Saint-Lazare.

Elle est en outre tribade et va gamahucher et branler des grandes dames, à tant par cachet ; elle leur fournit encore des demoiselles de compagnie, qu’elle a dressées. On voit qu’elle est au poil et à la plume ; car elle figure bien dans une partie de fouterie ; elle est encore assez fraîche.

C’en est assez, je vous dois le récit de l’orgie qui a eu lieu sous la présidence de Carpe..., les jeunes gens ont foutu et refoutu ; le vin de Champagne a joué son rôle, Angélique a profité de mes leçons, son fouteur lui a donné 1,000 fr. Carpe... a eu entre les mains tous les portefeuilles pour payer la dépense, j’ai eu 3,000 fr. ensuite pour ma part. Tout est sur le compte de Carpe..., qui a emmené ces jeunes gens ce matin encore bien énivrés et à sec ; c’est un bon précepteur, on peut lui donner des éducations à faire ; qu’en dites-vous ? Je répondis : Quel lâche coquin !

Ce qui s’est passé ici n’est qu’un échantillon des scènes qui ont lieu chaque nuit dans les divers bordels de la capitale. Place de la Bourse, on traite là les grandes affaires, les plus jolies femmes s’y trouvent à volonté ; mais les moindres séances sont de 500 francs. Il y a de ces beautés qui ne passent pas une nuit à moins de 100 napoléons, 1,000 fr. jusqu’à 10,000 fr. La Grisi, l’actrice du théâtre italien, a refusée 10,000 fr. pour une seule nuit, et il y avait 300 fr. pour la maquerelle.

Rue des Colonnes, maison des Bains, vous foutez dans la baignoire comme un canard ; on vous fournit une femme pour 10 francs.

Voulez-vous enculer, le garçon de bain vous prête sa rosette pour 5 francs. Les femmes de service gamahuchent les baigneuses pour le même prix ; ou leur fournissent des godemichés à ressort.

Rue Saint-Marc, rue d’Amboise, rue Taitbout, du Helder, de Provence, rue Peltier, on fout à 20 fr. par séance. Les danseuses de l’Opéra, telles que Mlles. Lero.., foutent à 500 fr. par quinzaine, en payant d’avance entre les mains de la maman, qui tient la caisse. Les figurantes, les choristes font une passe pour 50 francs. Quelquefois elles viennent dans nos maisons s’amuser une soirée, les jours de relâche, et tirent un coup pour 10 francs : elles ne se montrent pas à la porte, la marcheuse conduit les michés.

Un forçat libéré, nommé Der.. An... tient un bordel rue Sainte-Anne, no 24, sous la direction de sa femme, on fout pour 3 francs et plus ; mais il apprend à ses filles d’amour à fouiller dans les poches, pendant que le miché remue la charnière. Les mouchoirs, les bourses, les portefeuilles disparaissent et changent de maîtres, les putains ne perdent pas la tête. Ce Der... A.. était en faveur sous le manchot Gis.... Les actions ont un peu baissé pour cet individu et cela doit être. S’il n’est pas très honorable de tenir un bordel, c’est bien plus vil encore d’avoir pour collègue un échappé des bagnes.

Les bordels de Paris varient suivant les quartiers. Dans la Cité et les rues qui la composent ou l’avoisinent, c’est ce qu’il y a de plus commun. Le pays latin est moins dégoûtant, les rues Macon, de La Harpe, de la Parcheminerie ont des bordels, outre les grisettes qui soulagent les étudians en médecine, en chirurgie. Des petits garçons se font enculer place Sorbonne. Descendez vers Saint-Sulpice, rues des Boucheries, Mazarine, de Seine, Dauphine, il y a quelques bordels assez bien tenus, pour 30 et 40 sous vous foutez. Revenez sur vos pas pour passer les ponts, les rues qui avoisinent la Grève fourmillent de bordels ; mais tous les cons de ces pauvres filles d’amour sont plâtrés, les Limousins, les maçons, les tailleurs de pierres y ont mis la main ou leur pine : le poil des mottes semblerait garni de gringuenaudes, et c’est du plâtre ou du mortier. Quittons ce quartier, les cons de celui des Halles, sentent la marée ou le fromage de Roquefort. La Halle au Blé est dévolue aux porteurs de sacs et aux fariniers ; tous les cons sont garnis de cris-cris. La rue Saint-Honoré a perdu son antique splendeur : les environs du Palais-Royal sont habités par des putains de troisième classe.

La rue Froid-Manteau contient à elle seule au moins dix à douze bordels ; toutes les maisons garnies sont dignes de ce titre, ou au moins de celui de maisons de passes.

Le ci-devant évêque d’Autun, Charles-Maurice T........ P......... qui depuis fut législateur, ambassadeur, émigré, qui revint en France et devint ministre, grand chambellan, ambassadeur, prince, etc., a donné une grande célébrité à cette rue. Il se rendait fréquemment hôtel du Musée, no 7, et là, comme dans un sérail dont il était le sultan, les filles d’amour, les femmes et les filles sensibles réunies dans ce harem, manuélisaient, branlaient, châtouillaient le vit et les couilles diplomatiques de monseigneur, et lui donnaient tous les sacremens bordeliques et même l’extrême onction, pour ressusciter ses sens engourdis. Il oubliait là, qu’une indienne qu’il avait princisée, se morfondait dans son hôtel de la rue de Bourbon, faubourg Saint-Germain, tandis que son infidèle lui faisait des traits. Elle est morte la puissante dame, et le saint et très délicat archevêque de Paris, qui l’exhorta à mourir catholiquement, voulait s’emparer d’une cassette contenant une parure de diamans, qui ne valait que 4 à 500,000 francs, afin d’en décorer la Vierge de son église métropolitaine, ou quelques-unes de celles qu’il élève à la brochette dans ses nombreuses communautés religieuses de Paris, et auxquelles il fabrique de temps en temps des petits saints ou saintes, par l’opération de son vit sacré et archi-épiscopal qu’il fait passer pour celui du Saint-Esprit ou un rejeton de la vraie croix, suivant que le cas ou sa conscience l’exigent.

Les héritiers de la princesse lui ont fait restituer la susdite cassette et les diamans, ce qu’il n’a pas trouvé très catholique, et la princesse a été privée des indulgences dont il devait la gratifier, en raison de ce petit cadeau, et même d’une très belle place et d’un fauteuil à bras, qu’il lui avait promis en paradis, pour la dédommager de n’avoir pu être admise à la cour sous l’empire et la restauration. Aussi le cher prince, ex-évêque, n’a jamais pardonné cela à Napoléon.

Maintenant le prince de Bénévent n’est plus qu’une ombre pour la fouterie, il se fait encore tripoter ; mais la tête est bonne et il donne encore des leçons de politique à nos modernes gouvernans, qui en font leurs choux gras.

Autrefois le Palais-Royal, le temple de Vénus, le rendez-vous des paillards de la France et de l’Europe entière, ou pour mieux dire de l’univers, des libertins, des bardaches ; des pédérastes, des tribades et des putains de toutes espèces ; ce séjour divin, enchanté, est une Thébaïde, une affreuse solitude ; on y fout la faim, la misère ; les marchands n’étrennent pas, depuis qu’on veut que les bonnes mœurs courent les rues. Les vices, le libertinage, la dissolution, la licence se sont réfugiés dans les hôtels, les salons, les palais. La noblesse d’ancienne ou fraîche date fout ; baise, branle, encule, gamahuche à tirelarigo, et le peuple ne peut plus s’amuser que par ordre. Les bordels sont obligés de dépolir leurs châssis, et les putains ne peuvent se montrer que de telle heure à telle heure, sous peine d’être claque-murées. Cela me rappele une chanson qui fut faite sur une ordonnance de M. Mangin, alors préfet de police ; c’était à l’époque de l’expédition de Bourmont, en Afrique, et lorsque le saint archevêque de Paris faisait voiturer dans la capitale, la châse du vertueux Saint-Vincent-de-Paul, il fut défendu aux putains de se montrer dans les rues, et un plaisant leur faisait dire :


Air : Les gueux, les gueux.


G’ni a pas d’putain,
De branleus’ d’engin ;

Qui n’ soit comme un crin,
Monsieur Mangin.

Votre superbe ordonnance,
Les met toutes à quia.
Elle comble l’espérance
Des enfans de Loyola.
G’ni a pas, etc.

Elle vous fut inspirée,
Je le sens par la vertu !
Mont-Rouge vous l’a dictée
Pour le triomphe du cu.
G’ni a pas, etc.

Aisément cela s’explique,
On ne va plus par-devant.
Bourmont qui court en Afrique,
Va vaincre pour le Ponant.
G’ni a pas, etc.


Aux dévotes, aux religieuses,
On Fournit des godmichés,
Et les pauvres raccrocheuses,
N’ pourront plus fair’ de michés.
G’ni a pas, etc.

Pour prom’ner un’ têt’ de cire,
On dépens’ cent mille écus,
Et les maqu’raux j’en soupire,
Crev’ront d’ faim, march’ront pieds nuds.
G’ni a pas, etc.

Les mouchards et les gendarmes,
Vont nous conduire en prison,
Encor si c’était aux Carmes
Y’ aurait un revenant-bon.
G’ ni a pas, etc.

Que Saint-Ignac’ vous bénisse,
Je voudrai’ un d’ ces matins

Qu’une bonne chaude-pisse
Vous conduise aux Capucins.
G’ni a pas, etc.

Cette chanson fit naître quelques réflexions un peu gaies, et la dame de maison reprit le fil de sa narration. Avouez que si nous n’avions pas de temps en temps quelques bonnes aubaines, comme celle que me procurait ce Carp..., nous serions réduites à manger des pommes de terre et des haricots, et à ne pas avoir une robe pour changer. Je fais ce misérable métier pour me mettre en garde contre les malheurs de l’avenir, et ne pas ressembler à la femme Ger..... qui avait un bon étal de boucherie ; elle l’a quitté pour devenir dame de maison, et satisfaire son goût pour la tribaderie. Elle avait un bordel bien achalandé, Carré-Saint-Martin, où dix ou douze femmes ne savaient auquel entendre, et branlaient souvent des deux mains ; eh bien, elle a cessé, elle faisait une dépense enragée pour une fille nommée Adèle, qui la branlait, et on vendit son mobilier.

Elle établit un autre bordel rue Saint-Honoré, près le Palais-Royal, ensuite rue Poissonnière, près le Boulevard. Elle est vieille, et ne fait pas grand chose, il faut savoir profiter de la vogue.

La complaisante Adèle, qui était toujours sous le costume masculin pour satisfaire son goût, l’avait quittée, lorsqu’elle se trouvait dans le malheur et elle reprit les habits de son sexe pour vivre avec un coiffeur de la rue des Petits-Champs, maintenant elle est Dame de maison près le Carré Saint-Martin, et tient un bordel.

Le quartier Saint-Denis a des bordels, dans les rues Beaurepaire, Montorgueil, Marie-Stuart, Thévenot, de Cléry, dans cette maison vous pouvez en donnant dix francs, jouir du spectacle de deux femmes qui s’amusent ensemble et se livrent ainsi à tous les excès de la débauche.

Les rues Saint-Foix, des Filles-Dieu, le passage du Ponceau, les rues du Vert-Bois, Neuve-Saint-Denis, Neuve-Saint-Martin et le passage Lemoine recèlent encore des putains ; suivez le Boulevard jusqu’aux petits théâtres, les rues des Marais, d’Angoulême sont pourvues. Les rues Saintonge, des Filles du Calvaire, vous offrent encore des ressources nombreuses, paillards du Marais, et les rues Basse et Amelot ont des branleuses pour la canaille. Ô Paris ! Paris ! que de ressources tu possède pour la fouterie, sans parler de ces putains isolées qui courent les rues, les spectacles, de ces femmes à partie qui font circuler leurs adresses chez les amateurs par des maquerelles ad hoc, les marchandes à la toilette et autres femmes complaisantes, voilà ce qui nuit à nos établissemens, et porte un grand préjudice aux dames de maison.

Le Jardin-Turc, lorsqu’il donne ses concerts dans l’été, a pour habituées un certain nombre de femmes qui sont abonnées, et qui font tapisserie, pour donner dans l’œil des amateurs. Une des plus fameuses est Hortense, et sa mère qui figure très bien dans une orgie, le verre à la main, ou sur le pied d’un lit quand on veut la foutre. La fille tient tête au plus grand buveur, comme au fouteur le plus vigoureux. Elle a des habitués parmi les commis-voyageurs et les propriétaires du Marais ; celui de la rotonde du Temple a souvent recours à l’élasticité de son poignet pour se voir renaître ; et parfois lorsque, dans nos maisons, on a besoin d’une pièce de résistance, pour un moment de presse, elle vient donner un coup de cul pour deux pièces de cinq francs ; c’est le prix convenu pour une séance. Tous ces renseignemens m’amusaient beaucoup, et les réflexions un peu mordantes et satyriques n’étaient pas sans sel.

Nous fumes interrompus par l’arrivée d’une femme qui venait rendre visite à la dame de maison ; on la fit entrer. — Ah ! c’est toi, Laurence, je te croyais, pour le moins, enterrée. Eh bien ! tu n’es donc plus avec le personnage en question ? — Non. — C’est un peu ta faute. — Tu crois. — Oui. — Tu en as donc entendu parler ? — Certainement ; tout le monde te donne tort, et c’est mon avis. — Ce n’est pas le mien ; au reste, ne parlons pas de cela. Aurais-tu besoin de quelqu’un ? — Vois, je suis au grand complet. — En ce cas, je te laisse, tu es en société, et je vais chercher fortune ailleurs. Je reviendrai dans quelques jours. Au revoir. — Adieu, Laurence, et elle sortit. — Je ne suis point fâchée qu’elle soit partie ; c’est un assez mauvais sujet : son aventure, je veux parler de la dernière, elle est assez plaisante, et je vais vous la raconter.

Elle avait trouvé quelqu’un qui lui rendait de très grands services, et qui, en outre, lui avait loué et meublé une maison. Elle ne manquait de rien. Mais la dame s’étant amourachée d’un jeune homme qu’on avait placé chez elle comme domestique ; celui de qui elle tenait son existence s’en est aperçu, il lui est, en outre, tombé entre les mains une lettre qu’elle écrivait à une de ses amies et dans laquelle il était très maltraité ; il n’a pas entendu raillerie, et l’a mise à la porte, en l’envoyant chercher fortune ailleurs. Le jeune amant a reçu quelques coups de cravache et a pris la fuite. Elle a voulu tout nier ; mais sa lettre était une pièce de conviction trop forte, et personne n’a plus voulu la voir. Elle a fait chercher querelle à celui qu’elle n’avait pu tromper, et ses partisans ont été très mal reçus. Vous sentez que je ne voudrais pas recevoir cette femme, et je vais même recommander de l’éconduire chaque fois qu’elle se présentera. C’est un monstre d’ingratitude. Vous avez dû remarquer dans tous ses traits quelque chose de sournois, de sardonique et de faux ; d’ailleurs, elle est à toutes mains. La lettre qui fut interceptée était adressée à une de ses amies nommée Fag....., et quoiqu’elle parlât avec beaucoup d’enthousiasme de ce polisson de domestique, auquel elle se livrait, elle lui disait, en l’invitant à venir la voir : « Accours, je t’attends avec la plus vive impatience, et quand tu seras près de moi, les plaisirs que nous goûterons ensemble me feront tout oublier. Le vrai bonheur pour moi est dans tes bras et tes caresses. » J’ai vu et lu l’épître.

Elle demanda son portrait à celui qu’elle trompait si indignement. Il le lui renvoya : et comme elle avait la bouche entr’ouverte pour laisser voir ses dents qu’elle a assez belles, il avait fait ajouter par un peintre un petit serpent dont la tête lui sortait de la bouche et qui dardait sa langue, image de celle, de cette Laurence. Plus bas, on lisait cette épigraphe : J’ai le cœur sur les lèvres. Et tous ceux qui connaissaient l’original s’écriaient en disant bravo : C’est bien ça.

Ce qu’il y a de mieux, c’est que cette femme livre son cul comme son con aux amateurs, sa bouche même est jalouse des offrandes qu’on leur fait. On dit qu’une souris qui n’a qu’un trou est bientôt prise, vous voyez qu’on ne peut appliquer ce proverbe à cette personne, et que Laurence n’a rien à craindre. Cette dernière réflexion m’amusa beaucoup, et je reconnus l’esprit féminin qui n’est pas très porté à l’indulgence.

J’attends des nouvelles recrues aujourd’hui, si vous voulez vous amuser restez ici. Vous entendrez des choses curieuses, je les visiterai comme les maquignons au marché aux chevaux, et il faudra, pour cela, qu’elles se mettent dans le costume de notre première mère, madame Eve, lorsqu’elle habitait le Paradis-Terrestre. Je leur ferai subir cet examen indispensable ou cette revue, en face la porte de ce cabinet, et en relevant le rideau, vous pourrez examiner mes odalisques. Je suis aussi très sévère sur les femmes. Je ne veux pas offrir à mes habitués, aux amateurs, des femmes défectueuses, des gorges flétries, des ventres plissés, des cons et des mottes sans poil, des haleines empestées, des bouches dégarnies ; enfin, il me faut du beau, du passable et non du passé : vous voyez que j’ai des principes, et, en vérité, l’autorité devrait me protéger, et même m’accorder une prime ; mais on ne sait plus encourager les talens, ni rendre justice au mérite. Elle souriait en faisant son éloge, et je voyais que son discours apologétique était moitié sérieux, moitié plaisant.

Nous entendîmes la sonnette s’agiter. Ce sont sans doute mes recrues, dit la dame de maison. La servante vint annoncer une jeune fille très jolie, ajouta-t-elle. — C’est un bon défaut, répondit la patronne. Fais entrer, et vous, passez dans ce cabinet.

La jeune fille entra, j’étais derrière le rideau, et j’en fais l’aveu, elle était charmante. Elle salua avec grâce, et présenta une lettre à la patronne, qui la prit en lui disant de prendre un siége. Elle lut la missive, et ajouta : Vous n’avez pas besoin de recommandation, ma belle, vous la portez avec vous. Elle rougit, ce qui me surprit, pour une fille d’amour. On lui fit subir ensuite l’interrogatoire suivant : Dans quelle maison avez-vous déjà demeuré ? — Dans aucune. — D’où venez-vous donc ? — De Tour… — C’est votre pays ? — Oui, madame. — Vous avez donc votre pucelage ? Elle rougit. Répondez sans crainte. — Oui, madame. — C’est très bien. Quelle âge avez vous ? — Dix-huit ans. — Pourquoi avez-vous pris le parti de venir chez moi, qui vous y force ? — Le malheur et la misère. — Je vous plains. Des larmes coulèrent de ses beaux yeux. Vous n’avez donc personne qui s’intéresse à vous ? — Non, madame. J’ai perdu mes parens, et les infortunés n’ont point d’amis. — C’est encore vrai. Oh ! je t’en servirai, dis-je en moi-même, et tirant le cordon de la sonnette, je vis bientôt la dame de maison se rendre près de moi. — Que me voulez-vous ? — Je m’empare de cette jeune personne. — J’y songeais ; c’est votre affaire. Je vous en remercie, comptez sur ma reconnaissance. En même temps je lui donnai ma bourse. — Prenez cet à-compte, il y a cinquante louis. Elle s’en saisit, comme on doit le croire, et j’ajoutai : Allez prévenir cette aimable enfant que vous la placerez près de quelqu’un qui en prendra soin ; et surtout point de revue, je m’en charge, lui dis-je en riant. Elle me répondit : C’est tout naturel, et elle rentra dans sa chambre.

Elle fit sur-le-champ ma commission, comme je le désirais, et dans des termes qui me flattèrent. Acceptez-vous ce que je vous propose ? — Oui, madame, et avec la plus vive reconnaissance. — Eh bien, je vais vous présenter sur-le-champ à votre bienfaiteur, et, la prenant par la main, elle la fit entrer dans le cabinet.

En vérité, j’en conviens, je fus une minute sans parler. La jeune personne, les yeux baissés, me salua, et ses beaux yeux s’humectèrent de larmes ; elle tremblait. Rassurez-vous, lui dis-je, mademoiselle, et ne voyez en moi que le meilleur de vos amis. Je lui pris la main que je baisai et je la fis asseoir. Je priai la dame de maison de nous faire servir à déjeûner, en ajoutant : vous serez de la partie. Elle ne se le fit pas dire deux fois, et sortit.

Je restai seule avec ma charmante et aimable conquête. Ce que je voyais, ce que j’avais entendu m’autorisait à parler ainsi, et même à le penser. Elle levait timidement les yeux sur moi. Je la rassurais en lui promettant que j’aurais pour elle tous les procédés délicats qu’elle devait attendre d’un homme honnête, que je n’abuserais pas de sa position, et que j’espérais obtenir sa confiance et son amitié. La première vous est déjà acquise, me répondit-elle : quant à la seconde, vous l’obtiendrez facilement ; ma reconnaissance m’en fait une loi, et soyez persuadé, monsieur, que je serai digne de la vôtre.

J’étais étonné de trouver tant de candeur, d’ingénuité et d’esprit dans une femme qui se destinait à la plus vile et la plus honteuse des professions, et je dus attendre des éclaircissemens pour juger celle qui, dans un instant, était devenue la maîtresse de ma destinée.

Le déjeûner fut bientôt préparé, quoique la dame n’eût rien négligé pour le rendre somptueux, elle savait que je pouvais pourvoir à cette dépense ; pour que nous fussions tranquilles et à l’abri des importuns, la table fut mise dans la chambre qui tenait au cabinet où nous nous trouvions, et nous nous disposâmes à faire honneur à ce repas. Je me levai et donnant la main à ma séduisante amie, je me plaçai auprès d’elle et la dame était en face de nous. Julie, c’était le nom de la jeune personne, était ravissante ; elle avait pris un peu d’assurance. La sérénité, le calme, étaient peints sur tous ses traits, elle était tranquille sur son avenir ; une joie douce se peignait dans tous ses traits et je la partageais. La dame de son côté paraissait très satisfaite et elle devait l’être.

L’appétit des trois convives était un peu calmé, la dame de maison prit la parole et nous dit : Avouez qu’il est dans la vie des événemens bien extraordinaires, et qu’on rencontre souvent le bonheur au moment où l’on allait faire naufrage et s’abandonner au désespoir. J’en suis la preuve, ajouta la belle Julie, et je ne puis trop rendre grâce à mon heureuse étoile qui, jusqu’à ce moment, ne m’avait offert que la douleur et les chagrins, sans doute pour m’éprouver ; mais j’entre dans le port, et en prononçant ces derniers mots sa main pressa la mienne et je la plaçai sur mon cœur, qui battait avec vitesse. Je m’écriai : Chère Julie, ma vie entière sera consacrée à vous rendre heureuse, et je me flatte que je vous devrai le bonheur. Vous pouvez-y compter ; mais je dois me faire connaître et vous prouver que je ne suis pas indigne, ni par ma naissance, ni par mes sentimens de l’attachement que vous me témoignez. Veuillez donc m’écouter.

Je suis née à Tour…, dans cette contrée fertile et riante qu’on nomme le jardin de la France : mon père y tenait un rang distingué dans le barreau, et ma mère jouissait aussi dans le monde, de la plus haute considération. Je fus l’unique fruit de leur union. Tous leurs parens étaient morts, il ne leur restait plus qu’un cousin très éloigné qui venait fréquemment leur rendre visite. Je grandissais, on me donnait une brillante éducation et tout le monde disait que j’étais jolie. Mes parens m’idolâtraient et je répondais à leur tendresse. J’acquis des connaissances, des talens et mon nom était cité avec éloge dans la société : on m’offrit comme un modèle aux jeunes personnes de mon âge. Ce fut ainsi que j’arrivai à seize ans. J’eus le malheur de perdre ma mère, mon père en fut inconsolable. Mon amitié, ma piété filiale, mes tendres soins, adoucissaient ses chagrins, sa douleur, sans les éteindre et sa santé en souffrait.

J’atteignis ma dix-huitième année, mon père avait placé des fonds considérables dans une maison de commerce, elle fit faillite, il fut ruiné. Il ne put supporter cet affreux malheur, il tomba malade et après un mois de souffrances, il succomba, en me recommandant à ce parent dont je vous ai parlé. Il promit de le remplacer, il me laissait peu d’argent ; mais des bijoux et un mobilier considérable et brillant. Je pleurai mes parens, je le devais, et je n’ignorais pas quel était mon sort ? Je comptais sur mon parent, quelle était mon erreur ; je reconnus bientôt combien je m’abusais, il me montrait beaucoup de dévoûment et d’amitié, ses complaisances augmentaient chaque jour, enfin je sus à quoi m’en tenir. Il me déclara son amour, m’offrit sa main et sa fortune. C’était peu de chose et il convoitait ce que j’avais. Il me pressait de partager ses sentimens ; j’éludai la réponse et je demandai le temps de la réflexion. Il m’accorda quinze jours, et me dit que pendant ce délai, il allait vendre ce que j’avais, qu’il placerait les fonds qui en proviendraient, afin de m’assurer un revenu. Je le laissai le maître d’agir comme bon lui semblerait : il eût bientôt terminé cette affaire.

Les quinze jours qu’il m’avait accordés venaient d’expirer, il me pressa de me décider, de prononcer sur son sort et le mien ; je le refusai net. Nous étions seuls, il se mit en fureur, voulut me faire violence. Je résistai, en le menaçant de porter plainte contre lui ; j’étais dans la maison, il ouvrit la porte et me poussa dans la rue, je m’éloignai en me félicitant d’avoir échappé à ce danger. J’avais environ 500 francs dans une bourse, je les conservais avec soin. Cet argent me venait de mon père, qui de temps en temps m’en donnait pour mes menus plaisirs, et n’ayant rien à dépenser, je l’avais en réserve. Je reconnus son utilité, avec d’autant plus de raison, que mon cruel parent, en me chassant, m’avait défendu de reparaître chez lui, en ajoutant qu’il n’avait rien à moi et que je pourrais aller où bon me semblerait.

Je ne connaissais personne, tous les prétendus amis de mon père l’avaient abandonné, dès qu’ils l’avaient vu dans le malheur.

Je me rappelai ma couturière. Je me rendis chez elle. Elle me reçut avec amitié. Je lui racontai ce qui m’était arrivé ; elle me plaignit beaucoup. Je logeai chez elle pendant quelques jours, après m’être consulté avec elle. Elle me conseilla de me rendre à Paris, et me donna la lettre que je vous ai remise, en m’assurant que vous pourriez m’être utile, parce que vous aviez un bon cœur, et que sans doute vous n’étiez pas changée, quoiqu’elle ne vous eût pas vue depuis très long-temps. Voilà mon histoire, avant que je vinsse dans ces lieux, vous savez le reste. C’est à vous, monsieur qu’il appartient d’en fixer le dénouement, et je m’estimerais très heureuse si vous consentiez, comme vous me l’avez fait pressentir, à ne pas m’éloigner de vous, si vous partagez la douce et tendre sympathie que je ressens déjà et que vous m’avez inspirée.

Je répondis comme je le devais ; je l’assurai de tout mon attachement, et j’ajoutai : je ne doute nullement de la vérité des faits que vous m’avez annoncés. Vous avez seulement oublié de me la confirmer cette vérité qui m’est déjà si chère, en me faisant connaître le nom de votre famille. Je me nomme Julie D....., en voilà la preuve dans mon portefeuille, et elle me le remit. Chère Julie, regardez-vous comme mon épouse ; ma fortune est assez considérable pour nous suffire, et vous êtes pour moi un trésor que tout l’or de l’univers ne pourrait égaler. Nous sortirons ce soir de chez madame, je vous conduirai dans un asile digne de vous. Je ne vous demande que le temps nécessaire pour remplir les formalités voulues par la loi, et m’unir à vous ; je réparerai ainsi les torts de la fortune et du destin envers vous, et les manes de vos respectables parens tressailliront de joie dans un meilleur monde, en apprenant que leur fille chérie a reçu la récompense de sa vertu et de toutes les précieuses qualités qui la distinguent et la caractérisent.

Cette aimable femme émue jusqu’aux larmes se leva, et m’embrassant avec transport en me serrant dans ses bras, elle ne put résister à tant de sensations diverses, et s’évanouit : elle revint bientôt à elle, grâce à mes soins, et la joie et la gaîté firent les frais de notre réunion. J’ouvris mon portefeuille, et je remis deux billets de banque de mille francs à la dame de maison ; elle me remercia, et pria Julie de recevoir ses excuses, si elle s’était servie d’expressions qui auraient pu blesser son oreille. Tout vous est pardonné, lui dit Julie en riant : mon cœur gardera seulement un souvenir précieux, je n’oublirai jamais que c’est chez vous que j’ai rencontré une félicité que je n’aurais jamais dû espérer.

Nous quittâmes à minuit une maison qui ne convenait nullement à Julie, et dans laquelle elle ne devait jamais rentrer. Quinze jours après, j’étais son époux. Elle est toujours la plus aimable et la plus aimée des femmes.

Comme j’ai toujours aimé à rire et à connaître certaines aventures, sans y jouer personnellement un rôle, je reviens à la revue dont je devais être le témoin occulte. Je retournai de nouveau voir la dame de maison, qui me remercia encore de ma générosité. Je lui rappelai les motifs de ma visite, elle me dit : C’est tout naturel ; j’attends ce matin les aspirantes ; il y en a six : peut-être ne viendront-elles pas toutes aujourd’hui ; mais je ne procéderai point à leur admission si vous êtes absent ; vous pouvez y compter.

Nous parlâmes de l’agréable rencontre que j’avais faite chez elle ; nous convînmes ensemble que le sort des humains tenait à bien peu de chose, et que la Providence et la destinée ne sont réellement que le hasard dont il faut savoir profiter, car l’occasion perdue ne se retrouve plus. Comme nous nous abandonnions à ces réflexions morales et philosophiques, on annonça une des femmes que nous attendions, et je me retirai dans mon observatoire.

L’aspirante parut ; elle était grande, bien faite, avec une figure très distinguée ; je la reconnus, elle avait été la maîtresse d’un de mes amis, qui avait été obligé de la quitter, parce qu’il ne pouvait plus suffire à la dépense. Elle avait passé ensuite entre les mains de plusieurs généraux, et maintenant elle se trouvait réduite par le besoin à devenir fille d’amour ; mais elle ne voulait point sortir, ni se livrer à un homme à moins de vingt francs.

Vous valez plus que cela, ma chère amie, lui dit la dame ; mais on ne trouve pas tous les jours des michés qui payent aussi bien ; cependant je vous prendrai dans ma maison si vous voulez, et j’aurai pour vous tous les égards que vous méritez, je vous regarderai comme une amie, et vous ne manquerez de rien.

Il y a cependant une condition à remplir. Si j’en juge par les apparences, vous êtes superbe, mais vous ne devez rien avoir de caché pour moi ; il faut que je vous voie nue, afin de répondre de vos perfections à quelques amateurs qui me payent jusqu’à trois, quatre et même cinq cents francs une séance d’une demi-heure, et je vous promets à chaque fois la moitié de la somme.

Qu’à cela ne tienne, dit Adrienne, P.., et, dans un instant, elle fut in naturalibus. Je n’ai jamais rien vu d’aussi parfait : c’était la Vénus de Médicis animée ; ce n’était pas cette délicatesse, ce je ne sais quoi qu’on ne peut définir, qui caractérisaient Julie, cet excès de pudeur, de candeur et d’innocence qui a quelque chose de surhumain ! mais qu’elle était belle ! je bandais à percer la porte avec mon vit ; la dame de maison n’y put tenir, elle se leva, et la couvrit de baisers. L’autre se livra à tout ce qu’elle voulut, alors sans songer que j’étais spectateur, je fus témoin d’une scène de tribaderie des plus complètes. Ces deux femmes jouissaient avec fureur. Ah ! chère Adrienne, fous-moi, si tu veux que je sois heureuse. Elle se leva, et prenant un godemiché à ceinture dans son armoire, elle virilisa son amie, qui lui enfonça dans le con un vit postiche d’une grosseur énorme ; il y entra sans difficulté. Le lecteur dira avec moi : elle n’était pas étroite.

Adrienne fut arrêtée sur-le-champ. Elle avait besoin de cent francs, on les lui donna pour arrhes. Elle fit sa toilette, et promit de revenir pour dîner. Elle sortit.

Un instant après, une autre femme se présenta ; elle était jolie, très parée, d’une taille bien prise : sans être trop grande, c’était enfin une petite maîtresse dans toute la force du terme ; je la reconnus encore : c’était l’épouse d’un épicier en gros de la rue des Singes, qui l’avait quitté pour vivre en liberté, et foutre à bouche que veux-tu, avec le premier venu qui lui inspirait ce désir. Si ce caprice lui passait par la tête, il fallait qu’elle le satisfasse sur-le-champ : je vais en fournir deux preuves convaincantes.

Elle jasait un jour à la porte de sa chambre et sur l’escalier avec le neveu d’un général qui l’entretenait : elle voulut comparer celui-ci à l’oncle, et elle s’arrangea de manière à ce qu’il l’enfilât de suite, les reins appuyés sur la rampe, elle était en fer, et la blessait ; mais la rage du cul l’emportait sur la douleur. Après avoir déchargé, elle alla se coucher en jetant les hauts cris, et usa dix rouleaux d’eau de Cologne peur se faire frictionner par sa femme de chambre. Le général vint et la plaignit beaucoup ; il était persuadé qu’elle l’adorait, et, de plus, qu’elle lui était fidèle. Il dépensait quelquefois 10 à 12,000 fr. par semaine pour elle, lorsqu’il trouvait des gens assez fous pour lui prêter de l’argent. Il ne savait faire que des dupes, acheter un objet qui coûtait 3,000 fr. le matin, il le revendait 1,200 fr. l’après-midi.

Voici la preuve no 2 du tempérament capricieux de madame de Guelf.... Elle avait cru devoir quitter le nom de son mari qui sentait trop la canelle ou le gérofle, pour en prendre un plus historique. Un matin, comme elle était dans le bain, un officier vint pour lui parler, on le fit entrer, et elle se frottait, se couvrait de pâte d’amande pour s’embellir la peau ; elle offrait ses charmes aux regards du militaire qui bandait d’une manière éclatante, la protubérance de son vit le prouvait. Il paraît qu’elle voulut juger de sa qualité. Elle dit à sa femme de chambre de le conduire dans le salon pour qu’elle pût sortir du bain. Dans dix minutes cela fut fait, et elle vint le rejoindre vêtue d’un simple peignoir, retenu par une ceinture de ruban rose.

Elle demanda excuse, et prit place sur un canapé qui se trouvait là. Après avoir dit quelques mots à l’officier, elle sonna : la femme de chambre parut ; elle lui donna une commission à faire sur-le-champ, avec ordre de fermer la porte exactement. La femme de chambre disparut. La dame s’assura de la clôture, et revint, légère comme le zéphir, se placer sur le canapé.

À peine un instant se fut-il écoulé, elle se laissa aller sur le dos en s’écriant d’une voix affaiblie par une douleur subite : Ah ! mon Dieu, les nerfs ! Ensuite levant les jambes, elle en montra deux faites au tour, une cuisse blanche et potelée, et le reste à l’avenant. En se donnant divers mouvemens, elle demanda de l’éther qui était sur la cheminée ; l’officier l’apporte : elle le prend, le laisse tomber et fait des contorsions qui mettent notre militaire en érection complète. Elle voyait cela du coin de l’œil ; alors elle lève les jambes, les ouvre, et semble dire : tu bandes, fous-moi donc. L’officier qui ne perdait pas la tête, crut que le foutre valait bien de l’éther pour guérir des affections spasmodiques. Il lâche la bride à son vit, et enfile la belle qui remue le cul pour seconder son fouteur, et notre couple déchargea de compagnie. Après avoir bien savouré la jouissance, la dame a l’air de revenir de l’autre monde : sent qu’elle a encore la pine au cul, et s’écrie : Ah ! quelle horreur, qu’avez-vous fait ? Vous êtes un monstre, vous avez abusé de ma position ; retirez-vous. L’autre, sans s’émouvoir, ni changer de place, lui répond : Madame, j’ai cru que ce remède en valait bien un autre, et je ne me suis pas trompé, puisque vous avez repris vos sens. En achevant ces mots, comme il bandait encore, il donne un nouveau coup de cul, et pousse sa pointe ; la dame croise les jambes sur ses reins, et riposte en femme aguerrie, et de nouvelles libations de foutre viennent achever leur bonheur, et compléter la guérison de madame de Guelf…

La femme de chambre rentrait ; la dame prit une posture plus convenable, l’officier s’éloigna, et se plaça sur un fauteuil. On reprocha à la soubrette d’avoir été trop long-temps, et les nerfs furent mis en jeu. Vous voyez, lecteur, que Mad. Guelf… était une femme adorable, charmante et une fouterie très agréable. Elle voulait seulement faire quelques escapades dans la maison, et foutre, mais avec des jeunes gens et des hommes aimables. On lui promit de la satisfaire ; d’ailleurs, dit-elle à la dame du lieu, j’en vaux encore la peine ; et comme elle croyait être seule avec une femme, elle lui montra sa gorge, et un cul, des cuisses d’une blancheur éblouissante, et un con orné d’une motte garnie d’un poil brun et frisé, planté avec art, comme la bordure d’une platebande d’un parterre.

Notre dame de maison ne put voir d’aussi jolies choses, sans vouloir y mettre sa langue et son nez ; et la jolie femme s’y prêta de la meilleure grâce du monde. Cela va vous amuser un peu, dit-elle en riant, car je n’ai pas foutu aujourd’hui ; mon con est vierge d’hier soir, et elle déchargea sous les coups de langue de la tribade qui couvrait son con avec la bouche, comme si elle eût voulu l’avaler. Ô femmes, femmes, comme le démon de la garçomanie et du putanisme vous possèdent ! votre con est un gouffre insatiable, un cratère qui voudrait user tous les vits ! Après cette scène un peu lubrique ; nos deux tribades firent bidet, et la dame de maison voulut se procurer le plaisir et le bonheur, disait-elle, de rincer le con de madame de Guelf…, elle le fit en femme expérimentée, et couvrit ensuite de baisers les appas de la belle. Ensuite on se sépara, avec promesse de se revoir.

La dame de maison ouvrit la porte du cabinet, et me dit en riant, et les yeux encore enflammés : Eh bien, j’espère que je vous fais voir de jolies choses ! Avouez qu’il n’est pas possible de trouver mieux que ces deux femmes ; or, je m’en passerai encore la fantaisie.

La servante revint annoncer deux femmes. Faites entrer, et je me retirai dans mon observatoire. Bientôt j’aperçus les deux nouvelles aspirantes ; elles n’avaient rien de ce qui pouvait convenir pour cette maison, et la patronne leur dit sur-le-champ : Vous ne pouvez me convenir. La plus petite répondit : Cependant vous me connaissez, vous n’ignorez pas combien je suis libertine ; ensuite j’ai besoin de travailler. Mon mari est sans ouvrage. — Et il vit du produit de ton cul. — Que voulez-vous ? — Tu n’as donc plus ton coiffeur ? — Non, il est ruiné, et mon amour est éteint. — Et ton écolier que tu voyais hôtel Montargis, rue Saint-Antoine. — Il est parti. — Te voilà à louer, pauvre Aglaé ; tu commences à te passer. Tu portes le nom de l’une des trois grâces ; mais, en vérité, tu ne lui ressemble guère, tu n’es plus bonne que pour la Cité et ses environs. — J’allais, rue Saintonge, chez une dame de maison qui m’appelait sa nièce, j’y faisais des passes ; mais ce sont des michés à 20 ou 30 sous : il faut s’échiner, et encore partager avec la maquerelle : ça ne vaut pas la peine de se mettre sur le dos. Allons, au revoir. Elle éconduisit les deux postulantes.

Je rentrai, et elle me dit : Comment trouvez-vous ces deux garces-là ; oser se présenter chez moi, ça crie vengeance ! Elle sonna, la servante arriva. — Vous ne laisserez entrer personne. — Cela suffit, madame. — Elle avait un papier à la main. — Est-ce une lettre ? — Non madame, c’est un papier que cette petite toupie d’Aglaé a laissé tomber de sa poche en tirant son mouchoir, et je l’ai ramassé pour vous le donner. — Voyons. Elle prit, l’ouvrit, et dit ; C’est une chanson : La fille d’amour. Air : V’là c’ que c’est qu’ d’avoir un cœur.

Connaissez-vous cet air là ? — Oui. — Eh bien ! chantez là. Je pris le papier ; elle dit à la servante, laisse-nous et retourne à ton poste. Elle sortit et je chantai :

J’ n’avais d’aut’ plaisir dans l’hameau,
Que d’ danser l’ dimanch’ sous l’ormeau ;
Je m’ mirais dans un clair ruisseau.
Je gardais mon puc’lage,
Lucas sous l’ombrage,
Me prit ce bijou, certain jour,
Et son vit m’ fit connaît’ l’amour.

Je d’vins grosse, on j’ta les hauts cris,
Il fallut quitter mon pays
Pour chercher Fortune à Paris.
Après c’tte bamboche
J’ m’embarqu’ dans l’coche,
Je vais loger ru’ Montdétour,
Un’ maqurel’ m’prend pour fill’ d’amour.

Je m’installe dans un bordel,
Et comme un prêt’ qui vit d’l’autel.
Je foutais n’import’ avec l’quel,
Bourgeois et canaille,
Noblesse, val’taille,

Me bourraient l’ con la nuit, le jour,
V’la ce que c’est qu’un’ fill’ d’amour.

J’ branlais les pin’ et j’ les suçais,
J’avalais l’ foutr’ comme un œuf frais.
À tous les goûts je me prêtais,
Et pour camarade
J’avais un’ tribade,
J’ nous gamahuchions tour-à-tour,
V’la c’ que c’est qu’un’ fill’ d’amour.

Elle avait la langu’ dans mon con,
Et j’lui chatouillais l’ trou fignon,
Ça lui faisait remuer l’ croupion.
Parfois la maqu’relle,
Fourrait une chandelle.
J’vous fais cet aveu sans détour,
J’ suis franch’ comme un’ fill’ d’amour.

À force d’avoir tant foutu,
Mon con n’ fait qu’un avec mon cu :
Il est plus larg’ qu’un vieux bahu.
L’ timon d’un’ charette
N’ s’rait qu’une allumette,
Et l’ mitron l’ prendrait pour son four,
V’la l’ destin d’un’ fill’ d’amour.

La chanson nous fit rire, mais il s’en suivit de tristes réflexions, et je ne pus m’empêcher de dire : Je ne conçois pas comment une femme, comment cette belle portion de l’humanité peut s’avilir, se dégrader au point de s’abandonner aux désirs souvent effrénés du premier venu : le presser, le solliciter, de jouir d’un plaisir, disons mieux, d’un bonheur que souvent elle refuse à l’homme qui l’adore, qui le lui demande à genoux. Quelle bizarrerie ! en vérité, on serait tenté d’accuser la nature. Ah ! il ne faut s’en prendre qu’à nos passions, dit la dame de maison, aux vices de la civilisation qui enfantant le luxe, nous donnèrent des désirs. Et c’est de là qu’est née la prostitution, que tout le monde réprouve, blâme, condamne, et dont les moralistes les plus sévères profitent ; car, quel est l’homme qui, dans sa vie, n’a pas fréquenté les bordels plus ou moins, et par un raffinement de paillardise. Nous avons maintenant les maisons de passe, une femme qui ne peut foutre avec son amant dans sa maison, qui n’ose pas se confier à une amie, sort de chez elle pour affaire, pour rendre visite à ses parens : l’ami du cœur l’attend, une maison de passe s’ouvre pour eux, et le mari est cocufié. Il y a dix mille, vingt mille maisons de ce genre dans Paris.

L’hôtel garni où vous lisez : On loge à la nuit ; le restaurant qui ajoute à son titre salon et cabinets de société ; le marchand de vin où vous voyez la même annonce, sont autant de bordels mixtes où vous foutez à volonté. Pour vingt sous on vous donne un cabinet garni de deux chaises, d’une table et une bouteille de vin.

Pour trente sous le même mobilier, plus un lit ou un canapé, et vous foutez à volonté comme vous pouvez. Il n’y a pas de quartiers dans Paris, de rue, où ces inscriptions secourables, auxiliaires, bienfaisantes de la fouterie ne se lisent en gros caractères.

Ces bordels bâtards sont plus achalandés que nos maisons, on y entre sans crainte ; la police ne les surveille pas comme les autres, nous sommes à l’index : nous gagnons seulement du pain et les autres font fortune.

Je répondis à cette diatribe par ces mots philantropiques : Il faut que tout le monde vive. J’ai eu des maîtresses que je ne pouvais foutre chez leurs parens, ni chez moi. Eh bien ! je les conduisais dans une maison de passe ; ces établissemens voluptueux sont la providence des amans, des fouteurs, des femmes charmantes, sensibles, à tempérament, qui veulent faire des heureux ; mais d’un autre côté, les maris, les parents doivent la redouter. C’est là que le cocuage a établi sa fabrique, ses ateliers ; c’est là que les pucelages prennent la volée et que les jeunes filles deviennent des veuves. Tel mari qui croit trouver du neuf la première nuit de ses noces, rencontre une porte ouverte à deux battans, si sa chaste moitié n’a pas assez de service pour faire l’étroite et si elle ne se pince pas les lèvres du con, lorsque son époux veut l’embrancher, en criant comme un beau diable qu’il la déchire, l’assassine, la blesse, etc. Elle doit encore pleurer, se lamenter, le traiter de monstre, de bourreau, lui dorer la pilulle et il l’avalera. J’ai eu jadis le pucelage de la jeune et charmante Angélique, à 13 ans et demi, je la commentai sur le lit de sa mère et je l’achevai dans une maison de passe de la rue du Chantre. Elle s’est mariée et le mari portait très bien son bois, il jurait ses grand dieux que sa femme était vierge. Oh ! hymen, tu es bon catholique, tu as de la foi, et je t’en félicite, le royaume des cieux t’appartient.

J’ai quelques anecdotes sur les maisons de passe, qui trouveront leur place ici. Un jour je passais dans la rue Vieille du Temple, une femme jeune et jolie, à la taille élancée, au pied mignon, sortait du marché des Blancs-Manteaux, son cabas passé dans son bras. Après avoir fait ses emplettes, elle marchait devant moi, je la suivais sans affectation : tout-à-coup elle tire son mouchoir, et en même temps une lettre tombe dans la rue, je laisse filer la dame et je m’empare du billet doux : pour savoir ce qu’il contient, je l’ouvre et je lis.

Mon aimable ami, je suis seule, mon mari est parti pour la campagne avec son fils, et je vous attends avec impatience ; venez de suite rue des Éco....., no au cinquième. Vous verrez un cordon vert, sonnez et la porte s’ouvrira, l’instant d’après je serai dans vos bras.

Tout à vous,
Elisa.

La dame marchait toujours, je la suivais, elle s’arrêta au coin de la rue de la Perle, près d’un commissionnaire et chercha la bienheureuse épître dans son cabas pour la lui remettre, ne la trouvant pas, elle regarda dans la rue et m’aperçut lisant son poulet. Elle vint à moi, et me demanda si je n’avais pas trouvé ce billet, tout en rougissant beaucoup et même en baissant les yeux. J’en fis l’aveu en lui présentant son épître amoureuse. Ah ! monsieur, vous allez me juger défavorablement. — Non, madame, j’envie seulement le sort de l’heureux mortel auquel il était destiné… — Oh ! monsieur, et elle soupira, je vous remercie, et elle s’éloigna. Je la suivis des yeux d’abord, et marchant sur ses traces, je la vis entrer dans une boutique de mercerie. J’entrai dans un café en face, qui par un hasard heureux se trouvait là. Je demandai une tasse de café, sans perdre de vue la boutique, et comme elle ne sortait pas, je présumai que c’était là sa demeure.

Le lendemain je voulus m’en assurer, et j’entrai dans la boutique, pour acheter des gants, j’en voyais à l’étalage. Je ne m’étais point trompé dans mes conjectures, la jolie femme était dans le comptoir. Elle parut interdite, je n’eus pas l’air de m’en apercevoir. Je demandai des gants, et je vis là le mari qui disposait son équipement de garde national.

Sa fidèle moitié avait mis à ma disposition un paquet de gants, et je cherchais ceux qui pouvaient me convenir.

La dame qui avait repris un peu d’assurance, voulait me parler, et elle dit à son bénévole époux : Mon ami, j’ai oublié mon mouchoir dans ma chambre, veux-tu avoir la complaisance d’aller le chercher.

Le cher époux nous quitta et monta l’escalier. — Ah ! monsieur, me dit à demi-voix la dame et d’un ton très ému, veuillez me garder le secret, ne me perdez pas. — Calmez-vous, madame, je ne vous nuirai en rien ! je respecterai votre secret. Le mari revint, je payai mes gants et je sortis. J’y retournai, je trouvai la jolie marchande seule, elle m’accueillit en riant, me remercia et me dit : J’ai renoncé à une liaison qui pouvait me compromettre, et je suis plus tranquille. Je l’approuvai en plaignant l’amant délaissé et je m’offris pour le remplacer ; en même temps je demandai du ruban, parce que je voulais que le mari me prit toujours pour un chaland ; afin de pouvoir revenir et pousser ma pointe auprès de la dame. Tout en examinant les rubans, je demandais une réponse à ma proposition et l’on me dit : Si je pouvais faire un choix, ce serait peut-être en votre faveur, vous me paraissez honnête et délicat ; mais j’ai échappé au danger et je crains d’en courir de nouveaux. J’allais répondre, le mari entra.

Il me reconnut et me salua ; j’achetai du ruban, voulant avoir un prétexte pour rester. Je lui demandai s’il avait monté sa garde, il me répondit affirmativement. La conversation s’engagea, elle fut même assez longue, et je me disposai à partir : on me pria de ne pas oublier la maison, lorsque j’aurais besoin de quelque chose, je le promis, et je tins parole.

J’ai fini par connaître la jolie marchande, par obtenir la confiance du mari. Je l’ai conduit au spectacle, j’ai dîné avec lui ; j’ai rendu le dîner, un dimanche, où l’on fermait la boutique. Il m’a chargé plusieurs fois de conduire son épouse au spectacle, parce que j’avais des billets que je prenais d’avance, et que j’annonçais comme m’étant donnés par un auteur de mes amis : alors j’ai eu la jolie marchande ; je suis devenu le remplaçant de l’amant et du mari. La jeune femme est très aimable, je la vois encore quelquefois chez moi ; mais notre liaison va cesser, Julie ne doit point avoir de rivale : je suis embarrassé, car la jolie mercière me paraît très attachée. Au reste, nous verrons ; comme je vais changer de logement, elle ignorera ma nouvelle adresse.

Que nous sommes singulièrement organisés ; j’adore Julie, et je bande encore pour Elisa, et lorsque j’ai vu les femmes de la dame de maison, je les ai désirées, et je les aurai. Ce n’est pas une infidélité que je veux faire ; mais seulement pour avoir un objet de comparaison avec Julie, et elle sera toujours à son avantage.

Je sortis du bordel à la nuit, en promettant à la dame de maison de revenir. Elle m’offrit tous ses services, et je ne les refusai pas, on ne sait pas ce qui peut arriver ; il fait bon d’avoir des amis partout, au bordel comme en enfer.

J’ai épousé Julie, il faut faire un fin ; je suis plus heureux que je n’osais l’espérer : elle réunit tout ce qui peut séduire, charmer, entraîner et rendre fidèle ; c’est un ange, une divinité ; on ne peut cesser de lui rendre hommage.

Nous sommes allés dans son pays ; j’ai forcé son parent à rendre des comptes, et l’ai tancé vertement : il m’a remis une somme assez forte.

J’ai vu d’anciens amis du père de mon épouse, ils nous ont parfaitement accueillis. Il est vrai que nous sommes riches, et que nous avons une voiture à nous. Julie a pris sa couturière pour femme de chambre, parce qu’elle lui doit son bonheur, m’a-t-elle dit. Nous vivons à Paris dans la meilleure intelligence ; je n’aime que Julie, et elle me paie du plus tendre retour.

Nous avons cru rendre service aux amateurs, en leur donnant l’état d’un certain nombre des bordels qui existent dans les douze arrondissement de la bonne ville de Paris.

Lorsqu’ils se promènent en flanant dans la capitale, s’il leur prenait quelque velléité de paillardise, ils pourraient entrer dans un de ces temples du plaisir, sans avoir besoin de recourir à des renseignemens souvent désagréables à prendre.


Nos des rues. Nombre de femmes.
10
Amboise
8
12
idem
6
4
Beurrière
6
14
Bercy (Temple)
6
3
Bibliothèque
6
8
idem
5
11
idem
9
2
Billettes
4
10
Bondi
6
6
Bonne-Nouvelle
8
7
Bûcherie
6
5
idem
4
2
Cadran
6

5
Chantre
8
6
idem
10
9
idem
6
4
Calandre
8
8
idem
10
20
Cité
10
33
Cléry
8
41
idem
6
55
idem
9
59
idem
5
15
Cloître-Saint-Honoré
8
16
idem
4
8
Coq Saint Jean
6
3
Coquilles
4
47
Coquillère
6
5
Coutellerie
6
2
Colonnes
8
3
idem
6
7
idem
6
8
idem
9
20
Cœur-Volant
6
389
Denis (Saint)
8
32
Deux-Écus
4
34
idem
8
40
idem
7
51
du Ponceau
8
5
Éloi
9
6
idem
9
7
idem
9

17
Eloi
5
20
idem
8
26
idem
8
1
Favart
6
4
Fèves
8
16
idem
10
2
Feydeau
8
6
idem
8
8
idem
10
10
idem
10
12
idem
8
5
Filles du Calvaire
8
14
Filles-Dieu
4
17
idem
6
27
idem
4
18
Foi (Sainte)
4
24
idem
6
3
Four Saint-Germain
6
38
Française
6
8
Froidmanteau
8
14
idem
9
20
idem
6
24
idem
8
26
idem
4
11
Gervais-Laurent
8
4
Grenelle Saint-Honoré
6
8
idem
8
11
idem
6
1
Grétry
6

1
Halle-au-Bled
8
4
idem
4
6
idem
6
15
idem
9
17
Hôtel-de-Ville
9
25
idem
6
4
Jardins Saint-Paul
8
11
Jenuson
6
17
idem
8
4
Joquelet
6
14
idem : (allemandes)
8
4
Lafitte
6
16
idem
8
22
idem
9
1
Lantecri
4
18
Licorne
8
14
Limace
6
3
Louvois
10
38
Lune
6
45
idem
4
16
Maçon
4
4
Marais (Temple)
4
2
Marc (Saint)
6
7
idem
8
11
Mauvais-Garçons Saint-Germ.
6
55
Mazarine
6
23
Montmartre (Faubourg)
6
31
idem
8
26
Moulins
6

24
Moulins
8
30
idem
6
1
Moussi
4
4
Neuve Saint-Denis
6
5
id. Passage
4
2
id. Guillemin
4
3
id. St-Marc (anglaises)
6
25
id. St-Martin
6
5
Orléans St-Honoré
6
4
Ours (aux)
6
6
Pagevin
8
11
Passage Choiseul
6
17
idem
8
16
Pavée Saint-Sauveur
6
13
Peltier
8
15
idem
9
9
Pierre-l’Escot
6
11
idem
8
3
Pierre Montmartre (St)
6
17
Poirier
4
3
Quatre-Vents
6
5
Rameau
8
3
Reynie
6
30
idem
4
45
Richelieu
6
53
idem
8
68
idem
8
20
Saintonge
4
2
Savonnerie
8

4
Savonnerie
9
61
Sauveur (Saint)
6
14
Soly
6
15
idem
4
6
Taitbout
8
18
Tixeranderie
6
10
Traversière (St-Honoré)
8
17
idem
9
38
idem
6
43
idem
8
14
Vannerie (de la)
6
18
idem
6
38
idem
8
39
idem
4
34
idem
6
5
Vannes
4
43
Vertbois
6
1
Vielles Étuves St-Martin
4
14
idem
2
16
Vieille place aux Veaux
6
20
idem
6
24
idem
8
49
Vieux-Augustins
6
56
idem
4
65
idem
6
1
Vielle du Temple
4
3
Zacharie
4
1,017 

FIN.