Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre IV/Chapitre LXI

Texte établi par J. A. C. Buchon (IIIp. 308-312).

CHAPITRE LXI.

De la mort du duc de Glocestre et du comte d’Arondel, et comment les oncles du roi d’Angleterre, c’est à savoir le duc de Lancastre et le duc d’Yorch et les Londriens s’en contentèrent.


Vous savez, si comme il est ci-dessus contenu en notre histoire où il parle et traite des haines couvertes, lesquelles étoient engendrées de longtemps et par plusieurs cas entre le roi Richard d’Angleterre et son oncle le duc Thomas de Glocestre, lesquelles haines le roi ne voult plus porter ni celer mais ouvrer de fait ; et mieux aimoit, comme il disoit et que conseillé étoit, qu’il détruisit autrui qu’il fût détruit. Et avez ouï comment le dit roi fut au chastel de Plaissy à trente milles de Londres ; et par belles paroles et fausses, comme cil qui vouloit être au-dessus de son oncle, l’amena et mit hors de son chastel de Plaissy et le mit assez près de Londres, et sur un vert chemin qui tourne droit sur la rivière de la Tamise, et étoit entre dix et onze heures. Et avez ouï comment le comte Maréchal, qui là étoit en embûche, l’arrêta de par le roi et le tourna devers la rivière de la Tamise ; et avez ouï comment le dit duc cria après le roi pour être délivré de ce péril, car tous ses esprits sentirent tantôt, en cet arrêt faisant, que les choses se portoient mal à l’encontre de lui. Mais le roi, par laquelle ordonnance et commendement tout ce se faisoit, fit la sourde oreille et chevaucha toujours devant lui, et vint celle nuit au chastel à Londres. Le duc de Glocestre son oncle fut autrement logé, car voulsist ou non, de fait et de force, on le fit entrer dedans une barge. Et de celle barge en une nef qui gissoit à l’ancre en mi la rivière de la Tamise ; et là fut mis ; et y entrèrent le comte Maréchal et toutes ses gens ; et se boutèrent aval la rivière ; et firent tant, par l’aide du vent, que le lendemain, sur le tard, ils vinrent à Calais, car le comte Maréchal étoit capitaine de Calais, sans ce que on en sçût rien fors les officiers du roi en la ville de Calais. Vous devez savoir que quand la connoissance de la prise du duc de Glocestre fut venue à Plaissy devers la duchesse de Glocestre et ses enfans, ils furent grandement troublés et ébahis ; et sentirent tantôt que les choses alloient mal, et étoit le duc leur sire en grand péril de sa vie ; et en demandèrent conseil à messire Jean Lacquingay quelle chose en étoit bonne à faire. Le chevalier répondit et dit : « Le meilleur est d’envoyer devers messeigneurs de Lancastre et d’Yorch ses frères ; car par eux et par ce moyen se pourra briser le mal-talent que le roi a sur monseigneur de Glocestre, et non par autrui ; car il ne les oseroit courroucer. La duchesse de Glocestre fit tout ce que son chevalier lui conseilla ; et envoya tantôt grands messages devers les deux ducs qui ne se tenoient pas ensemble, mais bien loin l’un de l’autre. Si furent tous courroucés de la prise de leur frère ; et en rescripsirent et mandèrent à la duchesse de Glocestre que point ne fût déconfortée de son mari leur frère, car le roi leur neveu ne l’oseroit traiter fors par jugement et par raison, ni point ne lui seroit souffert. La duchesse de Glocestre et ses enfans se reconfortèrent aucunement sur ces paroles.

Le roi d’Angleterre, de bon matin, se départit du chastel de Londres et vint à Eltem, et là se tint. Et ce propre jour, au soir, furent amenés au chastel de Londres et mis en la cour des officiers du roi, et là emprisonnés, les comtes d’Arondel et de Warvich, dont on fut trop émerveillé parmi la cité de Londres et sur le pays ; et grandes murmurations en montèrent ; mais nul n’en osoit faire fait ni partie à l’encontre du roi qui ne lui tournât à grand ennui et déplaisance. Et disoient toutes gens, chevaliers, escuyers et bourgeois de Londres et des cités et bonnes villes d’Angleterre : « Nous nous en avons beau taire et souffrir, ve-là le duc de Lancastre et le duc d’Yorch, les frères au duc de Glocestre, qui bien y pourvoiront quand il leur plaira. » Voirement y eussent-ils bien pourvu si ils connussent bien le courage du roi et quelle chose il avoit empensé à faire de leur frère ; mais pour tant qu’ils n’en firent nulle bonne diligence, tournèrent les choses mal, ainsi que je vous recorderai.

Quand le duc de Glocestre fut amené au chastel de Calais et il se vit là enclos et privé de ses hommes, si se commença à douter et effrayer trop grandement ; et dit au comte Maréchal : « Pour quelle cause suis-je mis hors d’Angleterre et ci amené ? Il me semble que vous me tenez en prison ; laissez-moi aller ébattre parmi la ville et voir la forteresse, les hommes et gardes de la ville. » — « Monseigneur, répondit le comte Maréchal, ce que vous me demandez je n’oserois faire nullement, car vous me êtes chargé en garde sur ma vie. Le roi mon seigneur, pour présent est un peu courroucé contre vous. Si veut que vous teniez ici et déportiez avecques nous ; et vous le ferez tant que j’aurai autres nouvelles ; et si Dieu plaît, ce sera prochainement ; car de votre déplaisance, si Dieu m’aist, je suis fort courroucé, si pourvoir y pouvois ; mais savez que j’ai mon serment au roi. Si me convient obéir ; et y obéirai pour mon honneur. »

Le duc de Glocestre n’en pouvoit avoir autre chose ; et bien lui jugeoient ses esprits, selon aucuns apparens qu’il vit un jour, qu’il étoit en péril de sa vie ; et requit à un prêtre qui chanté avoit messe devant lui, que il fût confessé ; il le fut, et par grand loisir. Et se mit là devant l’autel en bon état de cœur, dévot et contrit ; et pria et cria à Dieu merci de toutes choses ; et fut dolent et repentant de tous ses péchés. Et bien avoit métier qu’il entendît à sa conscience purger, car le meschef lui étoit plus prochain qu’il ne cuidoit ; car, ainsi que je fus informé, sur le point du dîner et que les tables étoient mises au chastel de Calais, ainsi qu’il devoit laver ses mains, quatre hommes à ce ordonnés issirent d’une chambre, et lui jetèrent une touaille au col, et l’estraignirent tellement, les uns d’un lez et les autres deux d’autre, qu’ils l’abattirent à terre ; et là l’étranglèrent d’une touaille, et lui cloirrent les yeux[1], et tout mort, ils rapportèrent sur un lit et le dévêtirent et déchaussèrent tout mort ; et le couchèrent entre deux linceuls, et mirent son chef sur un oreiller et le couvrirent de manteaux fourrés ; et puis issirent en la chambre, et vinrent en la salle tous pourvus de ce qu’ils devoient dire et faire, en disant tels paroles : que une défaute de maladie de popolésie étoit prise au duc de Glocestre, en lavant ses mains, et que à grand’peine on l’avoit porté coucher. On tint ces paroles en public au chastel et en la ville ; et bien le crurent les aucuns, et les autres non.

Dedans deux jours après, renommée fut que le duc de Glocestre étoit mort sur son lit au chastel de Calais ; et s’en vêtit le comte Maréchal de noir, pourtant qu’il étoit son cousin moult prochain ; et aussi firent tous chevaliers et écuyers qui en Calais étoient. Et s’épartirent plus tôt les nouvelles de la mort de Glocestre ès parties de France et de Flandre que en Angleterre. Si en furent moult de François réjouis, car commune renommée couroit que jà ne seroit bonne paix entre France et Angleterre, ni point d’amour n’y auroit, tant que ce duc de Glocestre fût en vie : et aussi aux traités qui tenus s’étoient par plusieurs fois entre les François et les Anglois il avoit été plus rebelle et contraire que nul de ses frères. Et pour la mort de lui cure n’avoit-on en France ; comment que ce fût, ils n’en faisoient compte. Pareillement en Angleterre, plusieurs hommes, chevaliers et écuyers, et officiers du roi, qui l’avoient douté et craint trop grandement pour ses crueuses et merveilleuses manières, furent tous réjouis de sa mort ; et furent entre ceux ramentus le duc d’Irlande lequel il avoit bouté hors d’Angleterre et envoyé en exil ; aussi messire Simon Burlé qui si vaillant chevalier et prud’homme avoit été, et servi le prince de Galles et le royaume d’Angleterre, et il l’avoit fait décoller et mourir honteusement ; et aussi messire Robert Trésilien, messire Nicolas Bramber, messire Jean Sandvich et plusieurs autres. Si en fut le dît duc de Glocestre moins plaint parmi Angleterre, fors de ceux lesquels avoient été de son conseil et opinion.

Le duc mort à Calais, il fut moult honorablement embaumé et mis en un vaissel de plomb et dessus couvert de bois, et envoyé en cel état par mer en Angleterre. Et arriva la nef qui apporta le corps dessous le chastel de Hadelée[2], sur la rivière de la Tamise, et de là amené par charroy tout simplement au chastel de Plaissy et mis en l’église, laquelle le dit duc avoit fait édifier et fonder en l’honneur de la sainte Trinité ; et là avoit mis douze chanoines qui moult dévotement y font le divin office ; et là fut ensepveli.

Vous devez savoir que la duchesse de Glocestre, et Offrem son fils et fils au dit duc dessus nommé, et leurs deux filles, furent moult déconfortés, et bien l’avoient où prendre, quand le duc de Glocestre leur sire et père fut là amené tout mort ; et encore doublement eut la dite duchesse grand courroux, car le comte Richard d’Arondel son oncle le roi Richard fit décoller publiquement en la rue de Cep[3] à Londres, Et n’osa nul haut baron d’Angleterre aller au devant ni conseiller le roi du contraire ; et fut le dit roi présent à celle justice faire ; et fut faite par le comte Maréchal qui avoit à femme la fille au comte d’Arondel, et il même lui banda les yeux.

Le comte de Warvich fut en grand’aventure à être aussi décollé, mais le comte de Salsebéry, qui moult bien étoit du roi, pria pour lui, et aussi firent autres barons, seigneurs et prélats d’Angleterre, et si acertes que le roi s’inclina à leur prière, mais il dit qu’il fût mis en tel lieu que jamais il ne vînt en place, car le roi ne lui vouloit point pardonner absolument son mesfait ; car bien avoit desservi mort quand il avoit été du conseil et accord, avecques le duc de Glocestre et le comte d’Arondel, de vouloir briser la paix et les trèves données, accordées et scellées entre les deux rois de France et d’Angleterre, leurs conjoins et adhérens, et que cet article étoit cas qui requéroit punition de mort honteuse, car les trèves étoient jurées et données par telle condition de l’un côté et de l’autre que, quiconque les enfreignoit ni conseilleroit enfreindre, il étoit digne à recevoir mort.

Le comte de Salsebéry, qui très espécialement prioit pour le comte de Warvich, car ils avoient été compagnons d’armes toujours ensemble, l’excusoît et disoit, que il étoit moult ancien, et que le comte d’Arondel et le duc de Glocestre l’avoient déçu par leurs paroles, et que celle affaire et péché, pour lequel ils étoient morts, n’avoient point été de son mouvement, mais par eux, et que oncques ceux de Beauchamp ne firent ni pensèrent trahison contre la couronne d’Angleterre, et que ce comte de Warvich étoit chef de ceux et des armes de Beauchamp, et descendoient tous ceux de Beauchamp du comte de Warvich. Le dit comte de Warvich, par pitié, fut respité de la mort et taxé à celle pénitence que je vous dirai. Il fut envoyé en l’isle de Wisque[4], qui est des tenures d’Angleterre, et lui fut dit ainsi : « Comte de Warvich, ce jugement va tout droit devant lui. Vous avez desservi mort telle que le comte d’Arondel a reçue ; mais les beaux services et grands que du temps passé vous avez faits au roi Édouard, de bonne mémoire, à monseigneur le prince son fils, à la couronne d’Angleterre, et deçà la mer comme par delà, vous aident bien ; et ont le roi et son conseil pitié de vous et vous rendent la vie ; mais il est ordonné et dit, par jugement et sentence, que vous entrerez en l’isle de Wisque, et là vivrez tant que vous pourrez ; et aurez assez du vôtre pour tenir votre état, ni jamais de là ne partirez ni istrez. »

Le comte de Warvich prit en bon gré celle punition, et en remercia le roi et son conseil quand ils lui respitoient la vie ; et ordonna ses besognes le plus brief qu’il put, car il y devoit être et entrer dedans un jour que on lui assigna ; il y fut et une partie de son état. L’île de Wisque est environnée de la mer, et sied à l’encontre de Normandie ; et y a assez lieu et place pour demeurer un seigneur, mais il faut qu’il soit servi et administré des terres voisines, autrement il ne se pourroit point étoffer. Ainsi se portèrent ce jugement et les ordonnances en Angleterre qui se multiplièrent toujours en pis, ainsi que vous orrez recorder avant en l’histoire.

Quand la connoissance fut venue au duc de Lancastre et au duc d’Yorch que le duc de Glocestre, leur frère, étoit mort à Calais, tantôt ils imaginèrent que le roi, leur neveu, l’avoit fait mourir. Pour ces jours ils n’étoient pas ensemble, mais se tenoient l’un çà et l’autre là en leurs places et manoirs, selon la coutume d’Angleterre. Si escripsirent l’un à l’autre à savoir comment ils s’en cheviroient ; et vinrent à Londres, pourtant que bien ils savoient que les Londriens étoient moult courroucés de la mort du duc leur frère. Quand ils furent là venus, ils eurent parlement ensemble ; et dirent que ce ne faisoit pas à souffrir que d’avoir mort et meurtri leur frère, un si haut prince et vaillant que le duc de Glocestre, pour paroles oiseuses ; car voirement, quoique il eût parlé volagement de chaud sang à l’encontre des trèves données et scellées entre France et Angleterre, sï n’en avoit point ouvré de fait, et que entre faire et dire a trop grand’différence, ni point pour paroles il ne pouvoit desservir mort ni punition si crueuse ; et dirent que il convenoit que il fût amendé. Et furent les deux frères sur un état que pour troubler toute Angleterre, car bien avoit qui leur conseilloit, et par espécial le lignage du comte d’Arondel lequel est moult grand et fort en Angleterre, et cil aussi du comte d’Estaford.

Le roi d’Angleterre, pour ces jours, se tenoit à Eltem, et avoit mandé et semons tous hommes de fief qui de lui tenoient et qui foi lui devoient ; et avoit amassé et pourvu autour de Londres et en la comté de Kent et en Souxesses plus de dix mille archers ; et avoit son frère, messire Jean de Hollande, de-lez lui, le comte Maréchal, le comte de Salsebéry, et grand nombre de chevaliers et barons d’Angleterre ; et manda aux Londriens que point ne recueillissent le duc de Lancastre. Les Londriens répondirent à ce et dirent que ils ne savoient choses au duc de Lancastre pourquoi ils le dussent refuser. Et demeura le duc de Lancastre à Londres, et le comte de Derby, son fils, et aussi le duc d’Yorch, lequel avoit un fils qui se nommoit Jean et comte de Rostellant, et étoit si bien du roi que nul mieux ; et l’aimoit le dit roi avec le comte Maréchal outre mesure. Et le comte de Rostellant se dissimuloit grandement de la mort son oncle le duc de Glocestre, et montroit assez que il eût volontiers vu que paix fût entre toutes parties ; et disoit bien que son oncle avoit eu tort en plusieurs cas devers le roi son cousin. Les Londriens pareillement considéroient le grand meschef qui pouvoit venir en Angleterre par la dissension des oncles du roi et des alliances des uns et des autres, et regardoient, puisque ce meschef étoit advenu, on ne le pouvoit recouvrer, et que le duc de Glocestre en aucune manière en avoit été cause par trop parler, et vouloir émouvoir tout le royaume à rompre et briser les trèves qui données, jurées et scellées étoient entre France et Angleterre. Et dissimulèrent grandement les Londriens ; et virent les plus sages que ce ne faisoit pas à amender pour le présent. Et doutèrent le roi de France et sa puissance, et leurs marchandises à perdre. Si commencèrent à traiter, et aller par cause de moyen entre le roi d’Angleterre et le duc de Lancastre, lequel eut aussi plusieurs imaginations, car la mort de son frère lui tournoit à grand’déplaisance. Aussi il véoit que le roi Richard, son neveu, étoit par mariage grandement allié au roi de France, car il avoit à femme sa fille, et avoit le dit duc deux de ses filles par de là la mer, l’une roine d’Espaigne et l’autre de Portingal, qui pouvoient très grandement moins valoir des François s’il émouvoit guerre à l’encontre du roi son nepveu. Et convint adonc le dit duc briser son courage, voulsist ou non, de toutes choses, et descendre à la prière des Londriens et aucuns prélats d’Angleterre qui de ce s’entremettoient en bien, comme bons moyens entre le roi d’Angleterre et ses oncles. Et vint le roi à accord et à paix, parmi tant qu’il promit que, de ce jour en avant, il s’ordonneroit tout entièrement par le duc de Lancastre, et ne feroit rien hors de son conseil. Mais de celle parole et promesse il ne fit rien, et se mes-usa plus après que devant, et se laissa forconseiller de mauvais conseil ; dont trop grandement il lui meschéy, ainsi que vous orrez recorder avant en l’histoire.

Ainsi vint le roi d’Angleterre à paix à ses oncles de la mort du duc de Glocestre, et commença à régner plus fièrement que devant ; et s’en vint tenir son état en la comté d’Escesses qui terre et pays avoit été au duc de Glocestre et devoit être à son fils Offrem, héritier de la dite terre ; mais le roi prit tout en saisine par devers lui ; et l’ordonnance est en Angleterre que le roi a en garde tous les héritages des enfans qui demeurent orphelins de père dessous l’âge de vingt et un an, et puis leur sont rendus leurs héritages. Le roi Richard prit la garde de son cousin et héritier de Glocestre et attribua toutes ses terres et possessions à son profit, et mit Offrem, le jeune héritier, demeurer de-lez lui, et la duchesse de Glocestre et ses deux filles de-lez sa femme la roine. Le duc de Glocestre, en son vivant, étoit de son droit héritage connétable d’Angleterre ; mais il ôta cet office et ce droit à l’héritier et le donna au comte de Rostellant son cousin. Et commença le dit roi à tenir si grand état que oncques avoit eu roi en Angleterre, qui à cent mille nobles par an dépendit, tant que le dit roi faisoit. Et tenoit pareillement avecques lui l’héritier d’Arondel fils au comte d’Arondel, lequel il avoit fait décoller à Londres, ainsi que ci-dessus est dit. Et pour ce que un des chevaliers du duc de Glocestre, qui se nommoit Cerbet, en parla une fois trop avant à l’encontre du roi et de son conseil, il fut pris et tantôt décollé. Messire Jean Lacquînay en fut aussi en grand péril ; mais quand il vit que les choses se portoient diversement, il dissimula le mieux qu’il put et sçut, et se départit de l’hôtel de la duchesse de Glocestre sa dame, et alla leurs faire sa demeure.

En ce temps n’y avoit si grand en Angleterre qui osât parler de chose que le roi fît ni voulsist faire ; et il avoit conseil propre pour lui, et chevaliers de sa chambre qui l’enhortoient à faire tout ce qu’ils vouloient ; et tenoit le roi à ses gages et à délivrance bien deux mille archers qui continuellement nuit et jour le gardoient[5], car il ne se tenoit pas bien assuré de ses oncles ni de ceux du lignage du comte d’Arondel.

  1. On trouve dans les rôles des parlemens (Parl. Plac., v. iii, p. 452 et 453) la déposition d’un nommé John Halle, un des complices de ce crime, et valet du duc de Norfolk, qui donne de ce meurtre une relation dont les détails sont dîfférens. Suivant John Halle, le duc de Norfolk vint le trouver à Calais, l’arracha du lit, et en le frappant sur la tête, le força, sous peine de la vie, à l’aider dans l’exécution du duc de Glocester. Ils allèrent donc ensemble à une église et y trouvèrent d’autres personnes qui venaient de s’obliger par serment au secret. Ils accompagnèrent à l’auberge où était le prince d’Angleterre le duc de Norfolk, qui plaça Halle et sept autres dans une chambre voisine et sortit. On amena alors le duc Glocestre, qui fut remis entre les mains de Serle, valet du roi et de Francys, valet du duc d’Albemarle. En les voyant, le duc de Glocestre s’écria ; « Je vois bien maintenant que c’en est fait de moi. » Serle et Francys conduisirent alors le duc dans une autre chambre, sous prétexte d’avoir à lui parler, et lui annoncèrent que le roi avait ordonné sa mort ; le duc de Glocestre répondit : que puisqu’il en était ainsi, il ne lui restait qu’à se soumettre. Ils lui proposèrent d’envoyer chercher un confesseur ; il y consentit et se confessa. Ils l’étendirent alors sur un lit et jetèrent un lit de plume sur lui ; trois autres personnes retenaient les côtés du lit de plume tandis que Serle et Francys le pressaient sur sa bouche jusqu’à ce qu’il eût expiré. Pendant tout ce temps trois autres des assistans à genoux, pleuraient et priaient pour son âme, tandis que Halle faisait le guet à la porte. Lorsqu’il fut mort, le duc de Norfolk vint dans la chambre, vérifier si en effet il avait cessé de vivre.
  2. Hadleigh.
  3. Cheapside.
  4. Wight.
  5. Cette tyrannie, née de la peur, qui rendit le roi Richard si odieux, a excité les plaintes de tous les poètes et prosateurs du temps. On trouve dans la Chronique métrique de Hardinge quelques vers sur cette manie du roi qui s’était composé une garde d’hommes du comté de Chester éternellement en permanence auprès de lui et devenus comme une sorte de gardes du corps. Richard fut en effet accusé par le parlement d’avoir appelé autour de lui des malfaiteurs du comté de Chester, qui, en traversant le royaume avec lui, battaient, blessaient, pillaient et tuaient les gens, et refusaient de payer ce qu’ils prenaient.