Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre IV/Chapitre LVI

Texte établi par J. A. C. Buchon (IIIp. 283-292).

CHAPITRE LVI.

Comment le duc de Glocestre subtilloit et quéroit les manières pour détruire le roi d’Angleterre, son nepveu.


Je me suis tenu à parler une espace du duc de Glocestre d’Angleterre, messire Thomas, mains-né fils du roi Édouard d’Angleterre, car je n’ai pas bien eu cause d’en parler, mais j’en parlerai un petit peu, pour la cause de ce que nullement son cœur ne se pouvoit incliner à aimer les François. Et de la perte que les François avoient reçu en Honguerie il étoit plus réjoui que courroucé. Et avoit pour ce temps de-lez lui un chevalier qui s’appeloit messire Jean la Quingay, le plus espécial et souverain de son conseil. Si se devisoit à lui, ainsi que depuis fut bien sçu ; et disoit à la fois : « Ces fumées des François ont bien été abattues et déchirées en Honguerie et en Turquie. Tous chevaliers et écuyers étrangers qui se boutent et mettent en leur compagnie ne savent ce qu’ils font, mais sont mal conseillés ; car ils sont si pleins de pompe et de outre-cuidance qu’ils ne peuvent amener à nulle bonne conclusion chose qu’ils entreprennent. Et trop de fois est ce cas apparu durant les guerres entre monseigneur mon père, notre frère le prince de Galles, et eux ; ni oncques ils ne purent obtenir place, ni journée de bataille contre les nôtres. Je ne sais pourquoi nous avons trèves à eux ; car si la guerre fût ouverte, selon ce que notre querelle est belle, nous leur ferions bonne guerre ; et mieux présentement que oncques mais, car toute la fleur de la chevalerie et escuyerie de France est morte ou prise ; et si désirent ceux de celle contrée la guerre, car sans ce ils ne savent ni peuvent vivre, ni le séjour d’armes ne leur vaut néant. Et par Dieu, si je vis deux ans en bonne santé, la guerre sera renouvelée. Ni je n’y tiendrai jà trèves, ni répits, ni assurance ; car du temps passé les François ne nous en ont nuls tenus ; mais ont, tellement quellement, frauduleusement et cauteleusement, retollu les héritages de la duché d’Aquitaine qui jadis furent donnés et délivrés par bon traité de paix à monseigneur mon père, ainsi que plusieurs fois je leur ai dit et remontré aux parlemens, quand nous étions sur la marche en la frontière de Calais l’un contre l’autre. Mais ils me fleurissoient ces paroles si douces et si belles que toujours réchéoient-ils sur leurs pieds ; et si n’en pouvois être cru ni ouï du roi ni de mes frères. Et s’il y eût un bon chef à roi en Angleterre, qui désirât la guerre et son héritage recouvrer, lequel on lui a ôté et tollu cauteleusement et sans nul titre de raison, il trouveroit cent mille archers appareillés, et six mille hommes d’armes qui le suiveroient et qui très volontiers la mer passeroient, et leur corps et leurs chevances en le servant avantureroient. Mais nennil, pour le présent il n’y a point de roi en Angleterre qui veuille, désire ni aime les armes ; car si il y étoit, il se remontreroit. Ni oncques pour guerroyer il ne fit si bon en France comme aujourd’hui ; car si on y alloit, on seroit combattu. Et le peuple de ce pays, qui désire à avoir la bataille à plus grand et riche de lui, s’aventureroit hardiment pour la bonne et grasse dépouille qu’il en espèreroit avoir, ainsi que du temps passé nos gens ont eu, du temps du roi de bonne mémoire, mon père, et mon frère le prince de Galles. Je suis le dernier né de tous les enfans d’Angleterre, mais si je pouvois être cru et ouï, je serois le premier à renouveler les guerres et à recouvrer les torfaits lesquels on nous a faits et fait encore tous les jours, par la simplesse et la lâcheté de nous, et par espécial de notre chef le roi qui est allié par mariage à son adversaire. Ce n’est pas signe qu’il le veuille guerroyer. Nennil, il a le cul trop pesant ; il ne demande que le boire et le manger. Ce n’est pas la vie de gens d’armes qui veulent acquérir honneur par armes et travailler leur corps. Encore me souvient-il bien du dernier voyage que je fis en France ; je pouvois avoir en ma compagnie environ deux mille lances et huit mille archers. Nous passâmes parmi le royaume de France, de Calais mouvant tout au long et au travers ; et oncques ne trouvâmes à qui parler ni qui se voulsist ou osât à nous combattre. Aussi firent jadis messire Robert Canolle, messire Hue de Caverlé, Thomas de Grantson et Philippe Gifford. Et n’avoient pas si grand’charge de gens d’armes et d’archers que j’y menai ; et furent devant Paris ; et mandèrent la bataille au roi et n’en furent oncques répondus ; et chevauchèrent paisiblement jusques en Bretagne. Autant bien chevauchèrent tout au long du royaume de France, mouvant de Calais et venant jusques à Bordeaux sur Gironde. Oncques ils n’eurent bataille ni rencontre. Je me fais fort, qui feroit maintenant tel voyage, il seroit combattu ; car celui qui se dit et escript roi est jeune, chaud et de grand’volonté ; si nous combattroit, à quelle fin qu’il en dût venir. Et c’est tout tant que nous désirons et devons désirer, vouloir et aimer, que la bataille ; car si ce n’est par batailles et victoires sur les François qui sont riches, nous n’aurons jà recouvrance ; mais languirons, comme nous faisons et avons fait depuis que mon nepveu fut roi d’Angleterre. Celle chose ne peut longuement durer ainsi, que le pays ne s’en aperçoive et dueille, car il prend et lève grandes tailles sur les marchands qui mal s’en contentent, et ne sait-on que tout devient. Voir est qu’il donne aux uns et aux autres lourdement et largement, là où il est mal assis et employé, et son peuple le compare. Dont on verra de brief une grand’rebellion en ce pays, car le peuple commence jà à parler et à murmurer en ce pays, que telles choses ils ne veulent plus souffrir ni porter. Il donne à entendre, pour la cause de ce que trèves sont présentement entre France et Angleterre, qu’il veut faire un voyage en Irlande et là employer ses gens d’armes et archers ; et jà y a-t-il été et petit conquêté, car Irlande n’est pas terre de conquête ni de profit. Irlandois sont povres et méchans gens, et ont un très povre pays et inhabitable ; et qui l’auroit tout conquêté en un an, ils le prendroient un autre. Laquighay ! Laquighay ! tout ce que je vous dis je vous compte vrai. »

Ainsi se devisoit le duc de Glocestre à son chevalier de telles paroles oiseuses et d’autres plus grandes, ainsi que depuis fut bien sçu. Et avoit accueilli le roi d’Angleterre en très grand’haine et ne pouvoit nul bien dire ni recorder de lui. Et quoiqu’il fût avecques son frère le duc de Lancastre le plus grand d’Angleterre, et par lequel les besognes d’Angleterre se dussent conseiller et rapporter, il n’en faisoit compte. Et quand le roi le mandoit, s’il lui venoit bien à plaisance il y alloit ; mais le plus du temps il demouroit ; et quand il venoit devers le Roi, c’étoit le dernier venu et le premier départant. Sitôt qu’il avoit dit son entente il ne vouloit point qu’elle fût brisée mais acceptée ; puis prenoit à la fois congé et montoit à cheval, et se départoit, et avoit un châtel et beau manoir en la comté de Excesses, à trente mille de Londres lequel se nommoit Plaissy ; et là communément il avoit sa demeure plus que ailleurs.

Ce messire Thomas étoit grand seigneur, et pouvoit bien par an dépendre de son propre soixante mille écus. Il étoit duc de Glocestre, comte d’Exesses et de Bucq, et connétable d’Angleterre. Et vous dis que pour ses merveilleuses manières le roi d’Angleterre le doutoit plus, et avoit toujours douté, que nul de ses oncles ; car en ses paroles il n’épargnoit point le roi qui se humilioit toujours envers lui. Et ne savoit ce duc demander chose au roi qu’il ne lui octroyât. Ce duc de Glocestre avoit fait faire en Angleterre moult de crueuses et hâtives justices. Il fit décoler, sans nul titre de raison, ce vaillant et prud’homme chevalier messire Simon Burlé et plusieurs autres du conseil du roi. Le duc dessus dit en chassa et bouta hors d’Angleterre l’archevêque d’Yorch et le duc d’Irlande, pourtant qu’ils étoient tous les plus prochains du conseil du roi, et les amit[1] qu’ils for-conseilloient le roi et le tenoient oiseux, et dépendoient et allouoient les revenus d’Angleterre.

Le duc de Glocestre avoit deux frères, le duc de Lancastre et le duc d’Yorch, et ces deux ducs continuellement étoient en l’hôtel du roi ; mais encore en avoit-il envie ; et disoit à plusieurs, à tels que à l’évêque Robert de Londres[2] et autres, quand ils l’alloient voir en son châtel de Plaissy, que ses frères chargeoient trop l’hôtel du roi et que chacun vaulsist mieux chez soi.

Ce duc attrayoit à lui en toutes manières, par subtiles et couvertes voies, les Londriens ; et lui étoit avis que, s’il les avoit de son côté et accord, il auroit le demourant d’Angleterre. Ce duc avoit un sien nepveu, fils de la fille à un sien frère aîné, lequel on appela Léon et fut duc de Clarence, et se maria en Lombardie à la fille messire Galéas, sire de Milan, et mourut ce duc Léon en la cité d’Asti en Piémont. Ce duc de Glocestre eût volontiers vu que son nepveu, fils de la fille au duc de Clarence, que on appeloit Jean et comte de la Marche, eût été roi d’Angleterre[3] ; et en vouloit démettre de la couronne son neveu le roi Richard ; et disoit qu’il n’étoit pas digne ni valable tenir ni gouverner le royaume d’Angleterre. Et le donnoit ainsi à entendre à ceux auxquels il s’osoit bien hardiment découvrir de ses secrets. Et fit tant que ce comte de la Marche, son cousin, le vint voir. Et quand il fut de-lez lui, il lui ouvrit tous les secrets de son cœur, et lui dit que on l’avoit élu à faire roi d’Angleterre et que Richard seroit emmuré, et sa femme aussi ; et là leur tiendroit-on leur état de boire et de manger tant qu’ils vivroient. Et pria à ce dit comte de la Marche moult affectueusement qu’il voulsist entendre à ce et accepter ses paroles, car il se faisoit fort de mettre sus, et avoit jà de son accord et alliance le comte d’Arondel, messire Guillaume d’Arondel et Jean d’Arondel, le comte de Warvich et plusieurs autres prélats et barons d’Angleterre.

Ce comte de la Marche fut tout ébahi quand il ouït à son oncle mettre en termes tels propos ; et toutefois, comme jeune qu’il fût, en lui dissimulant, il en répondit sagement ; et dit, pour complaire à son oncle et départir de là, qu’il n’étoit pas conseillé de accepter sitôt tels promesses, et que la matière étoit trop grande et qu’il en auroit avis. Donc lui dit le duc de Glocestre, quand il vit la manière de son cousin, qu’il tenist celle parole en secret. Il répondit que si feroit-il. Et se départit ledit comte de son oncle au plus tôt qu’il put et s’éloigna, car il s’en alla en la marche d’Irlande sur son héritage, ni oncques puis ne voult entendre à lettre ni traité que son oncle lui envoyât ; et se excusoit bien et sagement ; ni oncques de chose que on lui eût dit ni fait requête il ne se voult découvrir, car bien véoit et sentoit que la conclusion n’en seroit pas bonne.

Le duc de Glocestre quéroit voies et chemins de toutes parts, comme il pût mettre et bouter un grand trouble en Angleterre et émouvoir les Londriens encontre le roi. Et avint que, en celle propre année que les trèves furent données, jurées et scellées à durer trente ans entre France et Angleterre, le roi revenu en Angleterre et la jeune roine sa femme, le duc de Glocestre informa les Londriens, et leur bouta en l’oreille et dit : « Faites une requête au roi qui sera toute raisonnable, au cas qu’il a paix à ses ennemis et qu’il n’a point de guerre, que vous soyez quittes de toutes subsides et aides données et accordées depuis vingt ans, car elles ne furent données tant seulement, fors la guerre durant, pour aider à payer les gens d’armes et archers qui maintiendroient la guerre ; car entre vous marchands, vous êtes trop malement grevés et oppressés à payer de cent florins treize, et si retournent tous ces profits en vuyseuses, en danses et fêtes, en boire et en manger ; et toutefois vous les payez et en êtes de tant travaillés. Et dites que vous voulez que le royaume d’Angleterre soit mené et gouverné aux coutumes anciennes. Et quand il besognera au roi et au royaume, pour l’honneur du pays défendre et garder, vous ne vous doyez tailler bien et grandement, et tant qu’il devra suffire au roi et à son conseil. » Donc il avint que, par l’information que le duc de Glocestre fit aux Londriens, les Londriens et les consaux de plusieurs cités et bonnes villes d’Angleterre se cueillirent et mirent ensemble, et vinrent un jour à Eltem à sept milles de Londres, où le roi étoit ; et firent requête au roi de toutes ces choses dessus dites ; et vouloient que sans délai elles fussent mises jus et abattues. À celle requête faire étoient tant seulement les deux oncles du roi, les ducs de Lancastre et d’Yorch. Si chargea le roi le duc de Lancastre à répondre de celle matière aux Londriens et dit : « Beaux seigneurs, vous vous retrairez chacun en son lieu, et dedans un mois au plus tard vous retournerez à Londres au palais de Wesmoustier. La sera le roi et aura son conseil, et des nobles et prélats de son pays, présens lesquels, ces requêtes que vous demandez à ôter furent données et accordées. Et tout ce qu’il trouvera en conseil pour le meilleur à faire, sera fait si à point et par telle manière que bien vous devra suffire. »

Celle réponse contenta assez les aucuns et non pas tous, car en la compagnie il y en avoit des rebelles et tous enclins à l’opinion du duc de Glocestre. Si vouloient que plus brièvement et autrement ils fussent répondus. Mais le duc de Lancastre et le duc d’Yorch par douces paroles les apaisèrent. Et se départirent tous, et retrairent chacun en leurs lieux. Néanmoins pour ce ne demeura pas la matière à poursuivre. Et le mois venu, ils furent tous au palais de Wesmoustier ; et là eut les prélats et les nobles de son conseil ; et y fut présent le duc de Glocestre qui s’inclinoit à l’opinion des demandans. Mais à la réponse faire il ne démontra pas tout ce que son cœur pensoit ; ainçois s’en sçut bien dissimuler, à la fin que le roi et ses deux frères et le conseil du roi, dont par raison il devoit être, ne s’en aperçussent. Et répondit encore le duc de Lancastre pour le roi ; et adressa sa parole sur les Londriens, car ils faisoient principalement la requête et dit :

« Entre vous, hommes de Londres, il plaît à monseigneur que je vous réponde déterminément de votre requête, et je vous en répondrai par le commandement de lui et de son conseil, et l’accord et volonté des prélats et nobles de son royaume. Vous savez comment, pour eschever plus grands maux et pour obvier à l’encontre de tels maléfices, regardé fut généralement et accordé de vous et de tous les consaulx, cités et bonnes villes d’Angleterre, que sur l’état de la marchandise une taille seroit assise en la forme et manière comme elle a couru environ six ans, et à payer du cent treize sur ceux qui viendroient ; et parmi tant le roi vous jura à tenir et scella moult de franchises, lesquelles il ne vous veut pas ôter, mais accroître et amplier tous les jours, au cas que vous le desserviriez ; mais là où vous voudrez être rebelles et contredisant à ce que vous avez de bonne volonté accordé, il rappelle toutes les grâces faites. Et vé-ci les nobles, prélats et fiéfés, qui ont juré à lui, et lui à eux aider à tenir et soutenir toutes choses licites, données, établies et accordées pour le meilleur, et à ce faire généralement tous se sont arrêtés et par science. Si ayez avis sur ce, et considérez que l’état du roi est grand et puissant ; et s’il est augmenté en une manière, il est diminué en l’autre ; car les rentes et revenues ne retournent pas pour le roi à si grand profit, comme elles ont fait du temps passé. Et ont eu le roi et ses consaulx moult à souffrir et porter de grans coûtages, puis les guerres renouvelées entre France et Angleterre ; et moult ont frayé les traiteurs qui ont été par delà la mer traiter et tenir journée contre les François. Aussi le mariage du roi à poursuivre a moult coûté. Et quoique trèves soient entre France et Angleterre, moult coûtent par an les garnisons des villes et chastels qui sont en l’obéissance du roi, tant en Gascogne, Bordelois, Bayonnois, Bigorre, la marche de Guynes et de Calais, aussi toute la bande de la mer pour garder les ports, hâvres et frontières.

« D’autre part toute la marche, entrée et issue d’Escosse, qui ne peut être dépourvue qu’elle ne soit gardée, et aussi la frontière d’Irlande qui est longue et étendue. Toutes ces choses et autres plusieurs, qui se rapportent en l’état du roi et sur l’honneur du royaume d’Angleterre, montent grands frais et coûtages tous les ans. Et ce savent et entendent mieux les nobles et prélats de ce royaume que vous ne faites, qui ouvrez et labourez et menez vos marchandises. Louez Dieu de ce que vous êtes si en paix ; et regardez entre vous que nul ne le paye s’il ne le vaut et fait marchandise. Et autant bien le payent les étrangers que font ceux de celle terre. Vous en êtes à meilleur marché quittes que ne sont ceux de France, de Lombardie ni des autres royaumes où espoir vos marchandises vont, car ils sont taillés et retaillés deux ou trois fois en l’an, et vous passez parmi une ordonnance raisonnable qui est mise et assise sur vos marchandises. »

Ce que le duc de Lancastre parla et remontra ce propos doucement et sagement au peuple, qui étoit for-conseillé et tout accueilli de mal faire par information d’autrui, les apaisa et adoucit grandement ; et se dérompit et départit cil conseil et celle assemblée sans rien de nouveau ; et se tinrent les plus saines parties des consaulx, cités et bonnes villes à contens. S’il en y avoit aucuns qui voulsissent voir le contraire, si n’en montroient-ils nuls semblans. Le duc de Glocestre retourna en son hôtel et chastel de Plaissy, et vit bien que pour celle fois il ne viendroit point à ses attentes ; et demeura la chose en cel état, toujours disant et subtilant comment il pourroit mettre et bouter un trouble en Angleterre, et trouver voie que la guerre fût renouvelée en France. Et avoit de son accord l’oncle à sa femme, le comte d’Arondel, qui désiroit la guerre sur toutes riens ; et tant avoient fait que ils avoient attrait de leur volonté le comte de Warvich.

Le roi d’Angleterre avoit deux frères de par sa mère. L’un et l’ains-né on l’appeloit messire Thomas et étoit comte de Kent, et le second, messire Jean de Holland, avoit à femme la fille au duc de Lancastre, et étoit comte de Hostidonne[4] et chambellan d’Angleterre, et fut cil qui occit le fils au comte Richard d’Estanfort[5], si comme il est ci-dessus contenu en notre histoire. De messire Richard d’Estanfort étoit demeuré un fils, jeune écuyer, et ce fils étoit en la garde et protection du duc de Glocestre. Le comte de Hostidonne se tenoit le plus du temps de-lez le roi d’Angleterre, son frère ; et bien savoit plus que nuls autres des convenans et affaires du duc de Glocestre, car couvertement et sagement il en faisoit enquérir ; et aussi il doutoit le duc trop grandement, car il le sentoit félon, soudain et haut durement ; et se tenoit son ennemi de-lez lui, car du délit que il avoit fait de messire Richard d’Estanfort il n’étoit encore nulle concordance de paix. Le roi Richard d’Angleterre aimoit son frère, c’étoit raison, et le portoit contre tous ; et véoit bien et concevoit que son oncle de Glocestre lui étoit trop fort contraire, et se mettoit en peine de faire conspiration contre lui et de émouvoir le royaume. Si en parloient souvent ensemble, cil et son frère de Hollande.

En ce temps avoit envoyé en Angleterre le roi de France le comte de Saint-Pol, pour voir le roi et sa jeune fille, roine d’Angleterre, et pour savoir de leur état, et nourrir tout amour ; car les trèves étoient données par telle manière et condition que, c’étoit l’intention des deux rois et de ceux de leur plus privé conseil, que paix se nourriroit et seroit entre France et Angleterre malgré tous les malveillans qui le contraire y voudroient. Et quand le comte de Saint-Pol fut venu en Angleterre, le roi et le comte de Hostidonne lui firent très bonne chère, tant pour le roi de France, qui là l’envoyoit, que pour ce que il avoit eu à femme leur sœur. Pour ces jours n’étoient point de-lez le roi, quand le comte de Saint-Pol vint là, le duc de Lancastre ni le duc d’Yorch ; et se commençoient à dissimuler, car ils sentoient et véoient que murmutations se commençoient à nourrir et élever en Angleterre en plusieurs lieux sur l’état du roi ; et que les choses se tailloient et ordonnoient à aller mal. Si ne vouloient point être demandés du roi ni du peuple d’Angleterre, et tout venoit du duc de Glocestre et de ses complices.

Le roi d’Angleterre n’oublia rien à dire et remontrer au comte de Saint-Pol, tant de l’état d’Angleterre que de son oncle de Glocestre que il trouvoit dur, rebelle et merveilleux. Le comte de Saint-Pol s’émerveilla de plusieurs paroles que le roi lui dit, et répondit qu’elles ne faisoient pas à souffrir ni soutenir : « Car, monseigneur, dit-il, si vous le laissez convenir, il vous détruira. On dit bien en France que il ne tend à autre chose, fors que ces trèves soient rompues et la guerre renouvelée entre France et Angleterre ; et petit à petit il attraira les cœurs de plusieurs povres bacheliers de ce royaume qui désirent plus la guerre que la paix ; ni les vaillans hommes, si le pays s’émeut et que gens d’armes et archers se allient ensemble, ne seroient point ouïs ni crus, car raison, droiture et justice n’ont point de lieu ni audience où mauvaiseté règne. Si y pourvoyez avant tôt que tard. Il vaut mieux que vous teniez en danger que on vous y tienne. » Ces paroles du comte de Saint-Pol donnèrent le roi moult à penser, et lui entrèrent au cœur si acertes que depuis, quand le comte de Saint Pol fut retourné en France, il les remontra à son frère le comte de Hostidonne, lequel lut dit : « Monseigneur, beau frère de Saint-Pol vous a remontré à la lettre la pure vérité. Si ayez sur ce avis et ordonnance. »

Je fus informé que, environ un mois après que le comte de Saint-Pol fut issu d’Angleterre et retourné en France, fame et renommée coururent en Angleterre moult périlleuse sur le roi ; et fut un général esclandre que le comte de Saint-Pol étoit venu en Angleterre pour traiter devers le roi comment les François pourroient r’avoir Calais. On ne pouvoit de plus grand trouble émouvoir le peuple d’Angleterre que parler de celle matière. Et tant que les Londriens en parlèrent au duc de Glocestre ; et en furent jusques à Plaissy. Le duc ne les apaisa pas ni anéantit les paroles, mais les éleva et les exaulsa du plus qu’il put, voire en disant ainsi : « Il n’y auroit que faire. Les François voudroient bien qu’il leur eût ôté toutes les filles du roi de France et ils eussent Calais à leur volonté. » De celle réponse furent les Londriens tous mérencolieux ; et dirent qu’ils en parleroient au roi et lui remontreroient bellement comment le pays en étoit réveillé : « Voire ! dit le duc de Glocestre, remontrez lui tout acertes et par bonne manière, et ne faites doute. Et entendez bien quelle chose il vous dira et répondra ; si me le saurez à dire quand je parlerai à vous ; et sur la réponse, je vous conseillerai. Il n’y auroit que faire que aucuns mauvais traités se feroient, car voilà le comte Maréchal qui est capitaine et gardien de Calais et lequel a été en France jà par deux fois et séjourné à Paris, et fait et procuré plus que nul autre tous les traités du mariage du roi et de la fille du roi de France ; et François sont moult subtils et savent trop bien au long regarder une chose et poursuivre la matière petit à petit ; et promettre et donner largement tant qu’ils viennent à leur entente. »

Sur la parole du duc de Glocestre se fondèrent les Londriens, et vinrent un jour à Eltem parler au roi. Pour celle heure y étoient ses deux frères, le comte de Kent, les comtes de Hostidonne et de Salsebry, l’archevêque de Cantorbie et l’archevêque de Duvelin son confesseur, messire Thomas de Persy, messire Guillaume de l’Île, messire Richard Credon, messire Jean Bouloufre et plusieurs autres tous chevaliers de sa chambre. Si remontrèrent au roi les Londriens moult sagement leur entente, et ce pourquoi ils étoient là venus, non mie par nulle hautesse ni dure manière, fors que par douce et amiable voie ; et dirent ainsi en leur parole ; que fame et renommée en couroit généralement par tout le royaume d’Angleterre.

Le roi fut moult émerveillé de ces nouvelles, et moult de près en son cœur lui touchèrent, mais moult sagement pour le présent il s’en sçut dissimuler et apaiser les Londriens ; et dit que de tout ce qu’ils avoient dit et parlé il n’étoit rien. Voirement le comte de Saint-Pol étoit là venu jouer et ébatre et le roi voir ; mais le roi de France, en toute bonne amour lui avoit envoyé pour voir sa fille la jeune roine, ni autre marchandise ni traité ils n’avoient eu entre eux deux, si Dieu lui aidât, ni par la foi qu’il devoit à la couronne d’Angleterre. Et trop s’émerveilloit dont tels paroles pouvoient naître ni venir. Le comte de Salsebry, après ce que le roi eut parlé, parla et dit : « Bonnes gens de Londres, retrayez-vous en vos hôtels, et soyez tous assurés que le roi et son conseil ne veulent que tout honneur et profit au royaume d’Angleterre. Et ceux qui premièrement ont mis hors telles nouvelles sont mal conseillés, et montrent qu’ils verroient volontiers une grande tribulation en Angleterre, et le peuple élever et émouvoir contre le roi, la quelle chose espécialement vous devez moult craindre qu’il n’avienne. Car jà par la rébellion des mauvais, qui puis en furent corrigés, en fûtes-vous en péril et en aventure d’être tous perdus et détruits ; car là où peuple mauvais seigneurit, justice ni raison n’ont point de lieu. »

Celle parole adoucit grandement les Londriens ; et se contentèrent assez du roi et de son conseil et de sa réponse, et prirent congé, et se départirent, et retournèrent arrière en la cité de Londres ; et le roi demeura, et se tint à Eltam tout pensif et mérencolieux des paroles qu’il avoit ouï ; et retint de-lez lui ses deux frères et ses plus prochains amis ès quels il avoit le plus de fiance. Et ne se osoit bonnement assurer entre ses oncles ; et véoit qu’ils l’éloignoient et se tenoient en leurs manoirs. Si se commença à douter d’eux, et trop plus du duc de Glocestre que du duc de Lancastre ni du duc d’Yorch, car ces deux il les avoit assez à ses volontés, et le duc de Glocestre non ; et se faisoit le roi garder tous les jours et toutes les nuits à mille archers.

Il avint ainsi que le roi d’Angleterre fut informé, et lui fut dit pour vérité, que le duc de Glocestre son oncle, et le comte d’Arondel, proposoient et avoient jeté leur avis que, de fait et à puissance de gens, ils le viendroient quérir et le prendroient où qu’il fût en Angleterre, et la jeune roine sa femme, et les amèneroient en un chastel, et là seroient mis et enclos courtoisement sur bonnes gardes ; et leur tiendroit-on leur état bien et largement pour boire et manger, et du surplus, ce qui nécessaire et appartenant leur seroit ; et seroient mis quatre maimbours en Angleterre pour gouverner le royaume à l’entente de ces quatre, desquels le duc de Lancastre et le duc d’Yorch seroient les deux premiers pour gouverner toute la marche du North, mouvant de la Tamise jusques à la rivière du Hombre et du Thin et jusques à la rivière de Tay qui court devant la cité de Bervich, en comprenant toutes les terres et seigneuries de Northonbrelande et toute la bande d’Escosse ; le duc de Glocestre auroit le gouvernement de Londres et des Londriens et de toute Excesses, en comprenant toute la bande de la mer et jusques là où la rivière de Hombre entre en mer, et tous les ports et hâvres en dessous de Londres jusques à Hantonne, et la bande de Cornouailles ; le comte d’Arondel de rechef auroit le gouvernement des terres mouvants de Londres entre Sussexes en la comté de Kent et d’Arondel, de Suré[6], de Devensière[7], de Barquesière[8] et de toutes les seigneuries entre la rivière de la Tamise, jusques à Bristol, et la rivière de Saverne qui départ le royaume d’Angleterre et la contrée de Galles où moult sont de grand’seigneuries. Et tiendroient et feroient justice et raison à tout homme et à toute femme[9]. Mais c’étoit leur intention que on trouveroit voie raisonnable comment la guerre seroit renouvelée entre France et Anglelerre ; et si le roi de France vouloit ravoir sa fille, elle étoit encore jeune de l’âge de huit ans et demi, si pouvoit bien attendre à âge de femme. Espoir quand elle auroit douze ans se repentiroit-elle de son mariage, car en innocence on l’avoit mariée ; si n’étoit pas chose de raison de la démarier de l’hoir de Bretagne. Et si elle vouloit demeurer et tenir mariage elle demeureroit roine d’Angleterre et auroit son douaire. Mais jà ne seroit corrompue du roi d’Angleterre ; et si le roi d’Angleterre mouroit avant que la jeune dame eût l’âge, on auroit conseil du renvoyer en France.

Toutes telles propositions et actions mettoient en termes plusieurs Anglois, et par espécial en la cité de Londres. Et ne pouvoient les Londriens aimer le roi ni son affaire ; et se repentoient plusieurs que, quand les communautés en la comté de Kent, en Excesses, en Souxesses et en la comté d’Arondel s’élevèrent et ils vinrent à Londres, que on leur brisa leur propos et que on ne laissa Tuilier, Lister et Jean Balle convenir, car ils avoient entrepris, ainsi qu’ils confessèrent à la mort, occire le roi, le comte de Salsebery, le comte d’Asquesuffort[10] et tout le conseil du roi ; et si ils eussent ainsi fait par cause de rébellion de tout le royaume, de ce mesfait on fût légèrement venu à chef ; et eussent les Londriens, avecques l’accord du pays et du comte de Bouquinghem nommé duc de Glocestre, qui rendoit grand’peine à tout touiller, trouvé qui eût pris le gouvernement de la couronne et remis le royaume d’Angleterre en autre état qu’il n’est. Tout ainsi et encore pis murmuroient les Londriens et ceux de leur secte ; et faisoient secrets consaux. Et tout ce savoit le roi Richard, et bien étoit qui en secret lui remontroit et lui reprenoit, et en étoit plus encoulpé le duc de Glocestre que nul des autres.

Le roi Richard d’Angleterre s’ébahissoit à la fois quand il sentoit tels haines couvertes sur lui si envieuses et si périlleuses ; et ce n’étoit pas de merveille. Si montroit-il tous les semblans d’amour comme il pouvoit à son oncle le duc de Glocestre et aux Londriens quand ils le venoient voir, mais rien n’y valoit. À la fois le roi en parloit tout souef à ses deux autres oncles, le duc de Lancastre et le duc d’Yorch, qui se tenoient le plus du temps de-lez lui ; et leur remontroit doucement et sagement, pour avoir conseil comment il s’en pourroit chevir, et ce dont il étoit informé, et leur disoit : « Mes beaux oncles, pour Dieu conseillez-moi ! Je suis tous les jours informé de vérité que votre frère, mon oncle de Glocestre, le comte d’Arondel et leurs complices me veulent prendre, et de fait, et ont assez l’accord des Londriens, et mettre en un chastel, et là enclorre, et donner mon état par portion, et ma femme, qui est un enfant et fille du roi de France, séparer de moi et envoyer autre part tenir son état. Mes beaux oncles, ce sont crueuses choses et qui pas ne sont à souffrir tant qu’on y puist obvier. Vous m’avez fait hommage et juré foi à tenir, présent votre seigneur de père le roi Édouard de bonne mémoire mon grand seigneur ; et à ce jour jurèrent tous les prélats et barons du royaume d’Angleterre à moi tenir à roi et y demeurer, passé a jà le terme de vingt ans. Si vous prie, en nom d’amour et de charité, et par le serment que vous avez à moi et que vous me devez, que vous me conseillez. Car à ce que je puis voir et imaginer, mon oncle de Glocestre ne chasse ni demande autre chose fors que la guerre se renouvelle entre France et Angleterre et que les trèves soient rompues, laquelle chose nous avons, vous et tout le royaume d’Angleterre à qui il en appartient parler, juré solemnellement et scellé ; et sur celle composition et ordonnance on m’a conjoint par mariage à la fille du roi de France, et n’y entendons que tout bien. Et vous savez, mes beaux oncles, quiconque va à l’encontre de ce qu’il a juré à tenir et scellé par cause de preuve, il se forfait trop grandement ; et est droit écrit qu’il soit puni de corps et d’avoir. Et je déporte mon oncle de Glocestre votre frère tant que je puis, et tourne à néant ses menaces et promesses qui trop me pourroient coûter. Vous êtes tenus, puisque je vous le dis et remontre, et que je demande votre conseil, que vous me conseillez. »

À la fois ces deux seigneurs dessus nommés, pourtant qu’ils véoient ce roi angoisseux de cœur et que il leur remontroit si bellement et si acertes ces paroles qui de près le touchoient, et que bien savoient, sans faire nulle enquête, que elles étoient véritables, lui disoient : « Monseigneur, souffrez-vous ; laissez le temps couler aval. Nous savons bien que notre frère de Glocestre a la pire tête et la plus périlleuse d’Angleterre ; mais il ne peut que un homme. S’il charpente d’un côté, nous charpenterons de l’autre. Tant que vous voudrez demeurer en notre conseil, vous n’aurez garde de notre frère. Il dit à la fois moult de choses dont il n’est rien. Il ne peut tout seul, ni ceux de son conseil, rompre ni briser les trèves qui sont données ; et de vous enclorre en un chastel nous ne le souffrirons jamais, ni que vous fussiez séparé de la roine d’Angleterre, votre femme. Et de ce qu’il dit il se mes-fait et abuse ; si vous appaisez ; les choses tourneront à bien ; tout ne vient pas à effet ce que on dit et pense à la fois de faire. » Ainsi apaisoient le duc de Lancastre et le duc d’Yorch leur neveu le roi Richard d’Angleterre.

Pour tant que ces deux seigneurs dessus nommés véoient bien que les besognes d’Angleterre se commençoient à mal porter, et grandes haines nourrir entre le roi et le duc de Glocestre, afin qu’ils n’en fussent en rien demandés, ils se départirent de l’hôtel du roi, eux et toutes leurs familles, et prirent congé au roi pour une espace. Et s’en allèrent les deux frères chacun en son lieu. Et amena le duc de Lancastre sa femme, madame Catherine de Ruet, laquelle s’étoit tenue un temps en la compagnie de la jeune roine d’Angleterre, et prirent occasion d’aller chasser aux cerfs et aux daims, ainsi que l’usage est en Angleterre. Et demeura le roi de-lez ses gens en la marche de Londres. Depuis se repentirent grandement les oncles du roi de ce que partis étoient, car telles choses avinrent assez tôt après leur département dont toute Angleterre fut troublée et émue, et qui point ne fût avenu s’ils fussent demeurés de-lez le roi ; car ils y eussent autrement pourvu que cils ne firent qui le roi conseilloient.

Il n’y avoit homme des serviteurs et officiers de l’hôtel du roi qui ne doutât le duc de Glocestre trop grandement et qui bien ne voulsist qu’il fût mort, n’eût cure comment. Ce gentil et loyal chevalier, messire Thomas de Persy, avoit été un grand temps souverain estuart[11] de l’hôtel du roi, c’est-à-dire, en françois, maître et sénéchal ; car tout l’état du roi passoit par lui. Et aussi convient-il qu’il passe par l’estuart, quiconque le soit. Il considéra les haines qui se nourrissoient entre le roi et le duc de Glocestre, et plusieurs autres hauts barons d’Angleterre, quoique de tous il étoit très bien ; mais il sentit, comme imaginatif et sage, que les conclusions n’en seroient pas bonnes ; si prit congé de son office le plus honorablement qu’il put. Envis lui donna le roi. Toutes fois il montra tant de belles paroles et d’excusations qu’il s’en départit, et y fut mis et établi un autre en son lieu ; et s’en vint demeurer chez soi, et là se tint. Le roi avoit de-lez lui jeune conseil et qui trop doutoient ce duc de Glocestre. Et disoient à la fois au roi : « Très cher sire, il vous fait trop périlleux servir. Nous avons vu que tous ceux qui vous ont servi du temps passé, voire auxquels vous avez mis votre amour et grâce, en ont eu povre guerredon ; messire Simon Burlé, qui fut si vaillant et sage chevalier, et prud’homme, et tant aimé de votre seigneur de père, et qui eut tant de peine et de travail pour votre mariage, premier. Votre oncle de Glocestre le fit honteusement mourir et trancher la tête comme un traître, et plusieurs en a fait mourir ainsi que vous savez. Ni toute votre puissance ne les en pouvoit aider. Cher sire, nous n’en attendons tous les jours autre chose ; car quand il vient devers vous, ce n’est pas souvent, nous n’osons les yeux lever. Il nous regarde sur la tête, et semble que nous lui faisons tort de ce que nous sommes si prochains de vous et en votre service. Cher sire, sachez que jà, tant qu’il vive, il n’y aura pais en Angleterre, et n’oserez nullui bien faire. Encore outre, il vous menace de vous et votre femme, madame la roine, enclorre en un chastel, et vous là tenir en subjection et à portion. Vous êtes un roi perdu si vous ne vous avisez et nous aussi. Votre femme n’aura garde, elle est jeune et fille du roi de France. Si ne la osera-t on courroucer, car trop de maux en viendroient. Votre oncle de Glocestre, pour vous faire plus enhaïr de votre peuple, fait semer parmi la cité de Londres telles paroles, nous les avons ouïes, que vous n’êtes pas digne de porter couronne, ni de tenir si noble héritage comme le royaume d’Angleterre est, et les appendances, quand vous avez pris à femme et épouse la fille du roi de France, votre adversaire, et que par ce vous êtes trop forfait et anéanti, et que trop avez affoibli et amendri la seigneurie d’Angleterre ; et les courages des vaillans chevalier et escuyers qui ont toujours vaillamment continué sa guerre et vouloient continuer, affoibli et découragé ; et mettez le royaume d’Angleterre en péril et en aventure d’être perdu, et que c’est dommage et pitié très grand que on le vous souffre et a souffert jusques ici. Les François disent en France, ainsi que renommée queurt, dont ceux de ce pays ont grand’haine sur vous, que on leur veut ôter les armes. La cause est par ce que si soigneusement vous avez entendu à leurs traités, et donné et pris trèves, le plus par force et le moins par amour ; car les nobles de ce pays dont on est servi et aidé ès guerres ne s’y vouloient accorder ; et que vous n’aviez pas trop soigneusement visité les lettres données, accordées et jurées à tenir et scellées du roi Jean de France et de ses enfans, des quelles les enfans vivans n’ont nulles tenues, mais enfreintes cauteleusement. Et ont les François trouvé cautelles et voies obliques, par lesquelles ils ont renouvelé la guerre, tollu et ôté et usurpé tous les droits que vos prédécesseurs ont eu en la querelle, et repris, tellement quellement terres, pays et sénéchaussées en Aquitaine, cités, châteaux et villes. Et tout ce vous avez anéanti et négligé ; et avez montré povre courage ; et que vous avez douté vos ennemis et n’avez pas poursuivi les accidens de la matière, et la bonne et juste querelle que vous aviez et avez eu et avez encore, si vous considériez bien tous les points et articles de la querelle sur lequel procès vos prédécesseurs sont morts ; premièrement votre seigneur de père le prince de Galles et d’Aquitaine, et le bon roi Édouard votre tayon qui tant de peine, de soin, et diligence mirent à le augmenter. Cher sire, un jour viendra, ce disent les Londriens, et aussi font autres en Angleterre, nous ne le vous pouvons plus celer, que telles choses vous seront si renouvellés qu’elles vous cuiront. »

  1. Accusa.
  2. Robert Baybrook qui succéda à Courtenay lors de sa translation à Canterbury en 1381, et mourut en 1404, après avoir été tout au plus six mois chancelier d’Angleterre.
  3. Il était le troisième fils d’Edmond Mortimer, comte de la Marche, et de Philippe, fille de Lionel, duc de Clarence ; il fut pendu la troisième année du règne d’Henri VI. Froissart veut parler de Roger, son frère aîné, tué en Irlande la vingt-deuxième année du règne de Richard II, et dont ce roi allait venger la cause lorsque Henri IV conçut le projet de le détrôner. Ce Roger avait été déclaré héritier de la couronne d’Angleterre par un acte du parlement, daté de la neuvième année du règne de Richard II. Froissart avait saisi autrefois l’occasion du mariage de Lionel avec Violante pour visiter l’Italie.
  4. Huntingdon.
  5. Stafford.
  6. Surry.
  7. Devonshire.
  8. Berkshire.
  9. On ne trouve aucune trace de ce projet, nt dans les Placita parliamentaria, ni dans l’interrogatoire du duc de Glocester. Il paraît que le principal reproche fait au duc de Glocester était sa conduite avec tous ceux qui voulaient donner au roi des conseils différens des siens. Le duc de Glocester avait été particulièrement irrité de la remise qu’on venait de faire de Brest aux Français. Hollinshed donne toutefois les détails de la conspiration dont parle Froissart, d’après une autre autorité, et nomme ceux qui avaient conjuré contre le roi Richard avec le duc de Glocester. (Voyez Hollinshed, an 1397.)
  10. Oxford.
  11. C’est le mot anglais stewart, intendant.