Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre XXXV

CHAPITRE XXXV.


Comment le fort de Saint-Maubert fut rendu par les Bretons aux Anglois et Gascons qui y tenoient siége.


Quand ces chevaliers furent retournés à Bordeaux, entrementes que ils se rafraîchissoient, ils entendirent que à six lieux de là avoit Bretons qui tenoient un fort que on dit Saint-Maubert, en un pays que on appelle Medoch, lesquels Bretons grévoient malement le pays. Si firent charger leurs pourvéances grandes et belles sur la rivière de Garonne et toute leur artillerie ; et puis montèrent à cheval environ trois cents lances et s’en vinrent par terre jusques à Saint-Maubert. Là étoient des Gascons, avec messire Jean de Neufville, messire Archembault de Grailly, messire Pierre de Rosem, le sire de Duras et Thomas de Courton. Quand ces barons et leurs routes furent venus devant Saint-Maubert, ils se logèrent et tantôt allèrent assaillir ; et y eut de première venue grand assaut et dur ; car les Bretons qui Saint-Maubert tenoient étoient tous gens de fait et de grand’volonté ; et avoient un capitaine breton, un écuyer alosé et usé d’armes qui s’appeloit Virelion, auquel ils se rallioient et par lequel conseil ils usoient. Ce premier assaut ne gréva néant les Bretons. Adonc se retrairent les Anglois et Gascons en leur logis ; et à lendemain ils firent dresser leurs engins devant le fort, qui jetoient pierres et mangonneaux[1], pour effondrer les toits de la tour où ils se tenoient. Le tiers jour que ils furent là venus, ils ordonnèrent un assaut ; et disoîent que telles ribaudailles que ces Bretons étoient ne leur devoient point longuement tenir ni durer : là ot grand assaut et dur et maint homme mort, ni oncques gens ne se défendirent si vaillamment que ces Bretons faisoient. Toutefois ils regardèrent finablement que confort ne leur apparoît de nul côté. Si entrèrent en traité, car ils virent que iceux seigneurs ne les lairoient point en paix si les auroient conquis, comme longuement qu’ils y dussent demeurer. Traités se portèrent entre les seigneurs de l’ost et eux, que ils rendroient Saint-Maubert et s’en partiroient, eux et leurs biens, saufs et sans dommage ; et se trairoient en Poitou, ou là où ils voudroient, et seroient jusques-là conduits. Ainsi leur fut tenu comme ils le traitèrent ; et se départirent les Bretons sans dommage et rendirent Saint-Maubert. Quand le sire de Neufville le r’eut, il le fit remparer, rafraîchir et ravitailler de nouvelles pourvéances et d’artillerie, et y mit Gascons pour le garder, et un écuyer gascon à capitaine qui s’appeloit Pierre de Pressach, bon homme d’armes et vaillant durement ; et puis s’en retournèrent à Bordeaux et là se rafraîchirent. Si entendoient tous les jours que le siége étoit devant Pampelune en Navarre que l’infant de Castille avoit assiégé ; mais ils n’oyoient nulles nouvelles certaines du roi de Navarre ; dont ils étoient tous émerveillés. Et aussi le roi de Navarre n’oyoit nulles nouvelles de eux ; dont il lui déplaisoit bien. Nous retournerons aux besognes de Bretagne et de Normandie, et parlerons du siége de Saint-Malo et comment il persévéra.

  1. À la fois la machine qui lance et la chose lancée.