Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre XXVI

CHAPITRE XXVI.


Comment Carentan, Conches et autres villes en Normandie se rendirent françoises, et comment le siége fut mis à Évreux ; et de l’armée du duc de Lancastre.


Le roi Charles de France qui fut sage et soutil, et bien le montra tant que il vesqui, étoit tout informé de l’armée d’Angleterre, mais il ne savoit pas, fors par soupçon, où elle se vouloit traire, ou en Normandie, ou en Bretagne ; et pour ces doutes il tenoit en Bretagne grands gens d’armes desquels le sire de Cliçon, le sire de Laval, le vicomte de Rohan, le sire de Beaumanoir, et le sire de Rochefort étoient capitaines et gouverneurs ; et avoient assiégé Brest par bastides, non autrement, parquoi on ne le pût avitailler. De Brest étoit capitaine un écuyer Anglois, vaillant homme d’armes, qui s’appeloit Jacques Clerc. Et pour ce que le roi de France savoit que le roi de Navarre étoit allé en Angleterre, et espéroit bien que avant son retour il feroit convenances et alliances à son adversaire d’Angleterre, et se doutoit de cette armée qui se tenoit sur mer, que de force ils ne prissent terre en Normandie et de fait se boutassent ès châteaux qui se tenoient du roi de Navarre, il envoya hâtivement devers le sire de Coucy et le sire de la Rivière en remontrant ces besognes, que ils se délivrassent de reconquérir ces châteaux, n’eussent cure comment, par traités ou par accords, et par espécial les plus, prochains des bandes de la mer. Bien savoient que Chierbourch n’étoit mie à prendre légèrement. Et afin que par terre ceux de Chierbourch ne se pussent ravitailler, le roi de France envoya à Valogne grands gens d’armes des basses marches de Bretagne et de Normandie, desquels pour les Bretons messire Olivier de Cliçon étoit capitaine, et des Normands le sire d’Ivery et messire Percevaulx d’Aineval.