Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre XXIV

CHAPITRE XXIV.


Comment le siége fut mis de par le roi de France devant la ville d’Évreux ; et comment le roi de Navarre alla en Angleterre faire alliances aux Anglois.


Nous retournerons à l’armée de Normandie et conterons comment le sire de Coucy et le sire de la Rivière exploitèrent. Ils vinrent devant Évreux et y mirent le siége. Ceux des garnisons du roi de Navarre étoient tous clos contre les François, et n’étoit mie leur entente de eux sitôt rendre. Quand le roi de Navarre entendit que on avoit pris et saisi la ville de Montpellier et toute la terre, et que grands gens d’armes étoient en la comté d’Évreux qui lui prenoient et abattoient ses villes et ses châteaux, si vit bien que c’étoit acertes ; et ot plusieurs imaginations et consaulx avec ceux où il avoit plus grand’fiance. Finablement il fut regardé en son conseil, que il ne pouvoit nullement être conforté si ce n’étoit du côté des Anglois. Et eut conseil que il enverroit un sien espécial homme avecques lettres de créances, pour savoir si le jeune roi d’Angleterre et son conseil le voudroient point recueillir à alliance, et il leur jureroit de ce jour en avant et leur scelleroit à être bon et loyal envers les Anglois, et leur mettroit en main toutes les forteresses que il tenoit en Normandie. Et pour faire ce message et aller en Angleterre, il appela un sien clerc, sage homme et bien enlangagé, en qui il avoit grand’fiance, et lui dit : « Maître Pascal[1], vous irez en Angleterre, et exploitez si bien que vous rapportez bonnes nouvelles ; car pour toujours mais je me vueil tenir et allier avecques les Anglois. » Maître Pascal fit ce dont il étoit chargé, et appareilla ses besognes, et monta en mer en un port en Navarre, et singla tant qu’il prit terre en Cornouaille ; et puis chevaucha tant par ses journées que il vint à Chennes[2] de-lez Londres, où le roi se tenoit. Si se tray vers lui et recommanda le roi de Navarre son seigneur à lui. Le roi lui fit bonne chère ; et là étoient le comte de Sallebry et messire Symon Burlé qui s’ensoignèrent du parler et du répondre ; et dirent que le roi viendroit à Londres et là manderoit son conseil et seroit là répondu.

Maître Pascal se contenta de ces paroles et vint à Londres ; et le roi fit là venir son conseil au jour que nommé fut. Là remontra maître Pascal au roi et à son conseil ce dont il étoit chargé, et parla si bel et si sagement que il fut volontiers ouï. Et fut répondu par le conseil, pour le roi que les offres que le roi de Navarre mettoit en termes feroient bien à recueillir et non pas à renoncer ; mais bien appartenoit, à faire si grands alliances, que le roi de Navarre y vint en propre personne pour ouïr plus pleinement ce que il vouloit dire ; car le roi d’Angleterre étoit un jeune sire, si le verroit volontiers ; et en cas qu’il viendroit là, ses besognes en vaudroient trop grandement mieux. Sur cel état se départit maître Pascal et retourna arrière en Navarre, et recorda tout ce qu’il avoit trouvé, et comment le jeune roi d’Angleterre et son conseil le vouloient voir. Adonc répondit le roi de Navarre et dit que il iroit[3]. Si fit appareiller un vaissel que on appelle Lin, qui va par mer de tous vents et sans périls : si entra le roi de Navarre en ce vaissel à privée maisnie ; toutes fois il emmena messire Martin de la Kare et maître Pascal avecques lui ; et exploitèrent tant que ils arrivèrent en Angleterre.

  1. C’est sans doute celui qui est nommé Paschalis de Lardia, secretarius et procurator magnifici principis Karoli regis Navarræ, dans les lettres de Richard II, roi d’Angleterre, du 29 mars 1380.
  2. Sheen, aujourd’hui Richmond.
  3. Voy., dans Rymer, les lettres de sauf-conduit données par le roi Richard II, du 31 mai 1378, pour le roi de Navarre et cinq cents personnes de sa suite, tant armées que non armées.