Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre XVIII

CHAPITRE XVIII.


Comment messire Thomas Mousegrave et les Anglois furent déconfits par les Escots.


Messire Thomas Mousegrave et les chevaliers de Northombrelande, qui moult désiroient à jeu parti trouver les Escots, si se partirent de Mauros et prirent le chemin de la Morlane et laissèrent la rivière de Tuide à la senestre main et montèrent amont vers une montagne que on claime Saint-Gilles. Là étoient les deux coureurs d’Escosse, qui trop bien avisèrent les Anglois, et qui tantôt se partirent et retournèrent à leurs maîtres, et leur dirent le convenant et comment ils chevauchoient, et n’y avoient avisé que trois bannières et dix pennons. De ces nouvelles furent les Escots tous réjouis et dirent de grand’volonté : « Chevauchons vers eux, au nom de Dieu et de Saint George ; car ils sont nôtres. » Adonc prirent-ils un cry ; et me semble que tous devoient cryer : Douglas ! Saint Gilles ! pour la cause de la place et de la montagne. Ils n’eurent pas chevauché demi-lieue quand ils virent leurs ennemis ; et les Anglois eux. Donc connurent une partie et l’autre que combattre les convenoit : si fit le comte de Douglas son fils messire Jacques chevalier, et lui fit lever bannière ; et là fit deux chevaliers des fils du roi d’Escosse, messire Robert et messire David ; et tous deux levèrent bannière : et y fut fait sur la place environ trente chevaliers de la partie des Escots, et un chevalier de Suède qui s’appeloit messire George de Vesmede et porte un écu d’argent à un fer de moulin et une bordure endentelée de gueules, et crie : Mesonde ! D’autre part messire Thomas Mousegrave fit son fils messire Thomas chevalier et autres de son hôtel : aussi firent le sire de Staffort et le sire de Grascop. Si ordonnèrent leurs archers et mirent sur aile et fut ce jour le cry des Anglois : Notre Dame ! Arleton ! Là commença ce rencontre grand et fort, et archers à traire et à ensonnier gens d’armes, mais toutes fois les Escots étoient grand’foison : si ne purent les archers partout entendre. Là eut fait entre ces chevaliers et écuyers de l’une partie et de l’autre mainte joute et mainte belle appertise d’armes, et plusieurs hommes renversés jus de leurs chevaux, et faite mainte prise et mainte rescousse. Dès la première venue, messire Arcebault Douglas, qui étoit grand chevalier et durement à douter et ressoingnié de ses ennemis, quand il dut approcher il mit pied à terre et prit à son usage une longue épée qui avoit deux aunes. À peine la pût un autre homme lever sus de terre ; mais elle ne lui coûtoit néant à manier, et en donnoit les coups si grands que tout ce qu’il aconsuivoit il mettoit par terre ; et n’y avoit si osé ni si hardi de la partie des Anglois qui ne ressoignoit ses coups.

Là eut belle bataille et dure, et bien combattue de ce qu’elle dura ; mais ce ne fut pas plenté ; car les Escots étoient trois contre un, et tous gens de fait ; je ne dis mie que les Anglois ne se portassent bien et vaillamment, mais finablement ils furent déconfits, et obtinrent les Escots la place, et furent pris messire Thomas Mousegrave et son fils, et plusieurs chevaliers et écuyers, et eurent les Escots bien six vingt bons prisonniers ; et dura la chasse jusques à la rivière de Tuide, et là y en eut mort grand’plenté. Si se retrairent les Escots après cette déconfiture sur leur pays, et eurent conseil qu’ils s’en iroient tous devers Haindebourch ; car ils savoient par leurs prisonniers que le comte de Northombrelande et le comte de Northinghem étoient sur le pays par delà la Tuide sur le chemin de Rosebourch ; et étoient gens assez pour combattre les Escots et toute leur puissance : pourquoi leur chevauchée se pouvoit bien dérompre pour eux traire à sauveté et garder leurs prisonniers. De cette chose faire et du retraire sus ce jour furent-ils trop bien conseillés ; car si ce soir ils fussent revenus à leurs logis ils fussent en aventure d’être tous rués jus comme je vous dirai.