Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre LXXXIII

Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 129-130).

CHAPITRE LXXXIII.


Comment après le traité fait du roi de France et du duc de Bretagne, les Anglois partirent de Bretagne pour retourner en Angleterre.


Quand la connaissance vint au comte de Bouquinghen et aux Anglois que le duc de Bretagne s’étoit accordé au roi de France, si en furent moult courroucés ; et se contentèrent moult mal de lui, et dirent que il les avoit mandés et fait venir en Bretagne, ni oncques ainsi que il dût il ne s’étoit acquitté envers eux ; pourquoi ils en tenoient moins de bien et de loyauté. Assez tôt après le duc de Bretagne vint à Vennes devers le comte de Bouquinghen et les barons, et leur remontra couvertement comment ses gens avoient pourchassé à Paris devers le roi de France et ses oncles aucun traité, lequel il convenoit que il fît et tînt, si il ne vouloit perdre son pays. Adoncques eut grandes paroles entre le comte de Bouquinghen et les barons d’Angleterre d’une part, et le duc de Bretagne d’autre ; mais le duc se humilioit et excusoit ce qu’il pouvoit : car bien sentoit et véoit que il avoit en aucune manière tort : toutefois faire le convenoit, afin que les Anglois partissent de Bretagne. Adonc fit le comte de Bouquinghen à savoir parmi la cité de Vennes que, si ses gens avoient rien acru[1], on se traist avant et on seroit payé ; et rendit aux bourgeois de Vennes les clefs de la ville, et les remercia de ce qu’ils lui avoient fait. On délivra au comte et à ses gens, pour leurs deniers, navire à Vennes, à Hainbont et à Camperlé là où ils étoient logés. Et se partit de Vennes le comte de Bouquinghen le onzième jour du mois d’avril, et toutes ses gens, bannières déployées en ordonnance de bataille, et s’en vinrent ainsi sur le hâvre où leurs nefs étoient. Si entrèrent dedans ordonément ; et fut au hâvre là tout le jour à l’ancre ; et là vinrent le duc de Bretagne, messire Alain de la Houssoye, le sire de Montbourchier, messire Étienne Guion, messire Guillaume de Tanneguy, messire Geffroy de Caremiel, et plusieurs autres de son conseil ; et envoyèrent devers le comte qui étoit en sa nef, dire que le duc vouloit parler à lui. Le comte n’y vouloit mie venir, mais y envoya le seigneur de Latimer et messire Thomas de Percy. Ces deux vinrent parler au duc de Bretagne, et furent ensemble en parlement bien trois heures ; et fut ordonné des Anglois à leur département que ils feroient tant devers le comte que à l’autre jour il et le duc auroient un autre parlement ensemble ; et revinrent sur cel état à leur nef, et remontrèrent tout ce au comte, et quelle chose ils avoient trouvé au duc de Bretagne. Quand ce vint après mie-nuit et le flot revint, les mariniers eurent vent à volonté, si demandèrent au comte quelle chose il vouloit faire. Le comte qui ne vouloit plus avoir de parlement au duc, dit : « Tirez les ancres amont, avalez les câbles et nous partons. » Tantôt fut fait et désancré. Adonc se départirent les Anglois du hâvre de Vennes et singlèrent devers Angleterre : aussi firent ceux des autres hâvres et ports ; tous se remirent ensemble sur la mer. Or parlerons-nous d’aucuns chevaliers et écuyers qui retournèrent par terre à Chierbourch, et recorderons quelle chose leur avint sur leur chemin par terre.

  1. Obtenu à crédit.