Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CXVI

Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 163-164).

CHAPITRE CXVI.


Comment le duc de Lancastre retourna d’Escosse en Angleterre quand il y eut besogne, et comment le capitaine de Bervich lui refusa la cité et le passage.


Or vous parlerons du duc de Lancastre qui étoit sur les marches d’Escosse, en ces jours que ces aventures avinrent et cils rebellemens du peuple en Angleterre, et traitoit aux Escots, au comte de Douglas et aux barons d’Escosse. Bien savoient les Escots tout le convenant d’Angleterre, et aussi faisoit le duc ; mais nul semblant n’en faisoit aux Escots : aincois se tenoit aussi fort en ces traités, que si Angleterre fût toute en bonne paix. Tant fut parlementé et allé de l’un à l’autre, que une trêve fut prise à durer trois ans entre les Escots et les Anglois, et les royaumes de l’un et devant l’autre. Quand ces trêves furent accordées, les seigneurs vinrent l’un devant l’autre, en eux honorant, et là dit le comte de Douglas au duc de Lancastre : « Sire, nous savons bien le rebellement et rébellion du menu peuple d’Angleterre et le péril où le royaume d’Angleterre est par telle incidence et peut venir. Si, vous tenons à moult vaillant et à très sage, quand si franchement en vos traités vous vous êtes toujours tenu ; car nul semblant n’en avez fait ni montré. Si vous disons et vous offrons que, si il vous besogne de cinq ou de six cents lances de notre côté, vous les trouverez tantôt toutes prêtes en votre service. » — « Par ma foi ! répondit le duc, beaux seigneurs, grand merci, je n’y renonce pas ; mais je ne cuide point que monseigneur n’ait si bon conseil que les choses viendront à bien. Et toutefois je veuil avoir de vous un sûr sauf-conduit de moi et des miens pour moi retourner et tenir en votre pays, si il me besogne, tant que les choses soient apaisées. » Le comte de Douglas et le comte de Mouret qui avoient là la puissance du roi lui accordèrent légèrement. Adonc prirent-ils congé l’un de l’autre et se départirent : les Escots s’en retournèrent en Haindebourch, et le duc et les siens s’en r’allèrent vers Bervich. Et cuidoit le duc proprement en la cité entrer, car au passer il avoit là laissé ses pourvéances ; mais le capitaine de la cité, qui s’appeloit messire Mahieu Rademen, lui desvéa et cloy les portes au devant de lui et de ses gens, et lui dit que il lui étoit défendu du comte de Northonbrelande, regard et souverain pour le temps de toute la marche, la frontière et le pays de Northonbrelande. Quand le duc entendit ces paroles, si lui vinrent moult à contraire et à déplaisance : si répondit : « Comment, Mahieu Rademen ! y a-t-il autre souverain en Northonbrelande de moi, mis et établi depuis que je passai et que je vous laissai mes pourvéances ? Dont vient cette nouvelleté ? » — « Par ma foi ! répondit le chevalier, oil, et de par le roi. Et ce que je vous en fais, je le fais envis, mais faire le me convient. Si vous prie pour Dieu que, vous m’en tenez pour excusé ; car il m’est enjoint et commandé, sur mon honneur et sur ma vie, que point n’y entrez, ni les vôtres. » Vous devez savoir que le duc de Lancastre fut moult courroucé de ces paroles, et non pas sur le chevalier singulièrement, mais sur ceux dont l’ordonnance venoit, quand il avoit travaillé pour les besognes d’Angleterre, et on le soupçonnoit tel que on lui clooit et desvéoit la première ville d’Angleterre au lez devers Escosse ; et imaginoit que on lui faisoit grand blâme. Si ne découvroit mi tout son courage ni ce que il en pensoit : et ne pressa plus avant le chevalier, car bien véoit que il n’avoit nulle cause du faire ; et bien sentoit que le chevalier, sans trop destroit commandement, ne se fût jamais avancé de dire et faire ce que il disoit et faisoit. Si issit de ce propos et prit un autre, et lui demanda : « Messire Mahieu, des nouvelles d’Angleterre en savez-vous nulles ? — « Monseigneur, répondit le chevalier, je ne sais autres, fors que le pays est fort ému ; et a le roi notre sire escript aux bonnes villes et aux barons et chevaliers de ce pays, que ils soient tout prêts de venir vers lui quand il les mandera ; et aux gardiens et châtellains des cités, villes et châteaux de Northonbrelande mande destroitement et sur la tête que ils ne laissent nullui entrer en leurs lieux et soient bien sûrs de ce que ils ont en garde. Mais du menu peuple qui ainsi se rebelle vers Londres je ne sais nulles nouvelles certaines que je puisse recorder pour vérité, fors tant que les officiers de là jus, de l’évêché de Lincolle et de la comté de Cantebruge, de Stafford, de Betheford et de l’évêché de Nordvich me ont escript que les menues gens de dessous eux sont en grand désir que les choses voisent mal et qu’il y ait trouble en Angleterre, » — « Et de notre pays, dit le duc de Lancastre, de Derby et de Lincestre, y a-t-il nulle rébellion ? » — « Monseigneur, répondit le chevalier, je n’ai point ouï dire que ils aient passé Line, Lincolle ni Saint-Jean de Burvellés[1]. » Adonc surpensa le duc et prit congé au chevalier, et retourna le chemin de Rosebourch ; et là fut-il recueilli du châtellain, car lui-même au passer l’y avoit mis, ordonné et établi pour en être garde.

  1. Beverley.