Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CXI

Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 156-157).

CHAPITRE CXI.


Comment ce désolé peuple anglois s’en vint loger devant la tour de Londres, et de ce qu’il fut conseillé et avisé pour lors.


Quand ce vint sur le soir, ils s’en vinrent tous loger et assembler en la place que on dit Sainte-Catherine, devant la cour et le chastel de Londres ; et disoient que jamais de là ne partiroient si auroient eu le roi à leur volonté, et leur auroit accordé tout ce que ils demanderoient. Et disoient outre que ils vouloient compter au chancelier d’Angleterre et savoir que les grands avoirs que on avoit levés parmi le royaume d’Angleterre, puis cinq ans, étoient devenus ; et s’il n’en rendoit bon compte et suffisant à leur plaisance, mal pour lui. Sur cet état, quand ils eurent fait tout le jour assez de maux aux étrangers parmi Londres, ils se logèrent devant la tour. Si pouvez bien croire et savoir que c’étoit grand’hideur pour le roi et pour ceux qui dedans avecques lui étoient ; car à la fois cil méchant peuple huoit si haut que il sembloit que tous les diables d’enfer fussent entr’eux. Sur le soir avoit eu en conseil le roi d’Angleterre, ses frères et les barons qui en la tour étoient, parmi l’avis de sire Jean Walourde, maieur de Londres, et d’aucuns bourgeois de Londres notables, que sur la mie nuit on viendroit tous armés par quatre rues de Londres courir sur ces méchans gens, qui bien étoient soixante mille, entretant qu’ifs dormiroient, car ils seroient tous enivrés, et on en tueroit autant que de mouches ; car de vingt n’en y avoit un armé. Et vous dis que les bonnes gens et riches de Londres étoient bien aisés[1] de ce faire ; car ils avoient secrètement repus leurs amis en leurs maisons et leurs varlets qui étoient armés ; et aussi messire Robert Canolle étoit en son hôtel et gardoit son trésor à plus de six vingt compagnons tous apprêtés, qui tantôt fussent saillis avant, si ils eussent été avertis. Aussi fut messire Perducas de la Breth, qui pour ce temps étoit à Londres. Et se fussent bien trouvés entre sept et huit mille hommes tous armés. Mais il n’en fut rien fait ; car on douta trop le demeurant du commun étant en la dite ville de Londres. Et disoient les sages, comme le comte de Sallebery et les autres, au roi : « Sire, si vous les pouvez apaiser par belles paroles, c’est le meilleur et le plus profitable. Et leur accordez tout ce que ils demandent liement ; car si nous commençons chose que nous ne puissions achever, il n’y auroit jamais nul recouvrer, que nous et nos hoirs ne fussions détruits, et toute Angleterre déserte et en ruine. » Cil consaulx fut tenu, et le maire contremandé que il se tenist tout quoi, et ne fît nul semblant de émouvement. Il obéit ; ce fut raison. En la ville de Londres avecques le maieur a douze échevins[2] : les neuf étoient pour lui et pour le roi, si comme ils le montrèrent ; et les trois de la secte de ce méchant puepple, si comme il fut depuis sçu et connu ; dont ils le comparèrent moult chèrement.

  1. Avaient bien la facilité.
  2. Appelés Aldermen.