Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CLXXXI

CHAPITRE CLXXXI.


Comment ce lundi le connétable de France fit de trait escarmoucher aux Flamands ; et comment Piètre du Bois aperçut les François passés outre la rivière de la Lys et venant vers eux et ce qu’il conclut.


Nouvelles vinrent tout à fait au connétable de France et aux seigneurs qui à Comines étoient sur le pas, à l’entrée du pont, comment leurs gens passoient, Adonc dit le connétable au seigneur de Rieux, un grand baron de Bretagne : « Sire de Rieux, allez voir je vous prie, à ce passage que ce peut être, et si nos gens passent si uniment comme on nous dit. » Le sire de Rieux ne fut oncques si lie que quand il ot celle commission ; et férit cheval des éperons et s’en vint celle part, et toute sa route où bien avoit quarante hommes d’armes. Quand il fut venu au passage où les compagnons étoient, et jà y en avoit de passés plus de cent et cinquante, si mit tantôt pied à terre et dit qu’il passeroit. Le maréchal de France ne lui eût jamais véé.

Nouvelles vinrent au connétable de France que le sire de Rieux, son cousin, étoit passé : si commença le connétable un petit à muser, et dit : « Faites arbalétriers traire avant et escarmoucher ces Flamands qui sont outre ce pont, pour eux ensonnier, parquoi ils entendent à nous et non à nos gens ; car si ils s’en donnoient garde, ils leur courroient sus et romproient le passage, et occiroient ceux qui sont de là ; et je aroye plus cher à être mort que il en advint ainsi. » Adonc vinrent arbalétriers et gens de pied avant ; et si en y avoit aucuns qui jetoient de bombardes portatives, et qui traioient grands quarriaulx enpennés de fer, et les faisoient voler outre le pont jusques à la ville de Comines. Là se commença l’escarmouche forte et roide ; et montroient ceux de l’avant-garde que ils passeroient si ils pouvoient, Les Flamands qui étoient paveschiés au-lez devers eux montroient aussi visage et faisoient défense moult grande. Ainsi se continua celle journée, qui fut par un lundi, lançant, trayant et escarmouchant ; et fut tantôt tard, car les jours étoient moult courts ; et toujours à ces bacquets passoient gens d’armes à pouvoir, et se mettoient, à fait qu’ils étoient outre, en un aulnoy, et là se quatissoient à la couverte et attendoient l’un l’autre.

Or regardez, tout considéré, en quel péril ils se mettoient et en quelle aventure ; car si ceux qui étoient en Comines s’en fussent temprement aperçus, ils en eussent eu à volonté la greigneur partie, et eussent conquis cordes et bacquets, et tout mis à leur avantage. Mais Dieu y fut pour eux, qui vouloit consentir que l’orgueil des Flamands fût abattu, si comme il fut bientôt.