Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre II/Chapitre CLXVIII

Texte établi par J. A. C. Buchon (IIp. 221-222).

CHAPITRE CLXVIII.


Comment l’ambassade des Flamands fut ouïe des princes et du conseil d’Angleterre ; et comment ils se retirèrent à Londres, en attendant leur réponse.


Quand ces Gantois furent venus à Londres, leur venue fut tantôt signifiée au roi et à son conseil : on envoya devers eux pour savoir quelle chose ils vouloient dire. Ils vinrent tous en une compagnie au palais de Wesmoustier ; et là trouvèrent premièrement le duc de Lancastre, le comte de Bouquinghen, le comte de Sallebery, le comte de Kent, messire Jean de Montagu, maître d’hôtel du roi, messire Simon Burlé, messire Guillaume de Windesore et la greigneur partie du conseil du roi ; et n’étoit mie le roi présent en cette première venue.

Ces gens de Gand et de Flandre inclinèrent ces seigneurs d’Angleterre ; et puis commença le clerc élu de Gand à parler pour tous, et dit ainsi : « Messeigneurs, nous sommes ci venus et envoyés de par la bonne ville de Gand et tout le pays de Flandre, pour avoir conseil, confort et aide du roi d’Angleterre sur certains articles et bonnes raisons que il y a d’alliances anciennes entre Angleterre et Flandre : si les voulons renouveler, car il besogne au pays de Flandre à présent, car il est sans seigneur, et n’ont les bonnes villes et le pays que un regard ; c’est un homme qu’on appelle Philippe d’Artevelle, lequel principalement se recommande au roi et à vous tous qui êtes de son conseil ; et vous prie que vous recueilliez ce don en bien, car quand le roi d’Angleterre voudra arriver en Flandre, il trouvera le pays ouvert et appareillé pour reposer, rafreschir et demeurer tant comme il lui plaira lui et ses gens, et pour mener avecques lui du pays de Flandre cent mille hommes tous armés. Mais outre, tout le pays fait requête de deux cent mille viés écus que jadis Jacques d’Artevelle et les bonnes villes de Flandre prêtèrent au roi Édouard, de bonne mémoire, au siége de Tournay et ensuivant au siége de Calais. Ils les veulent ravoir ; et est l’intention des bonnes villes de Flandre, ainçois que les alliances passent outre, que la somme que dite est soit mise avant ; et là où elle sera le roi d’Angleterre et tous les siens peuvent bien dire que ils sont amis aux Flamands, et que ils ont entrée à leur volonté en Flandre. »

Quand les seigneurs orent ouï celle parole et requête, ils commencèrent à regarder l’un l’autre, et les aucuns à sourire. Adonc parla le duc de Lancastre et dit : « Beaux seigneurs de Flandre, votre parole demande bien à avoir conseil ; et vous vous retrairez à Londres, et le roi se conseillera sur vos requêtes et vous répondra tellement que vous vous en devrez tenir pour contens. » Ces Gantois répondirent : « Dieu y ait part ! »

Adonc issirent hors de la chambre ; et les seigneurs du conseil demeurèrent, qui commencèrent à rire entre eux, et à dire : « Et ne avez-vous pas vus ces Flamands, et ouïes les requêtes que ils ont faites ? Ils demandent à être confortés, et disent que il leur besogne ; et si demandent avec tout ce à avoir notre argent : ce n’est pas requête raisonnable que nous payons et aidons. » Lors se départit ce conseil sans rien plus avant conseiller, et assignèrent journée de être de rechef ensemble. Et les Gantois s’en retournèrent à Londres, et là se logèrent et tinrent un grand’temps ; car ils ne pouvoient avoir réponse du roi ni de son conseil ; car les consaulx d’Angleterre, sur leurs requêtes, étoient en grand différend ; et tenoient les Flamands à orgueilleux et présumpcieux, quand ils demandoient à ravoir deux cent mille viels écus de si ancienne dette que de quarante ans.

Oncques choses ne chey si bien à point pour le roi de France qui vouloit venir sur Flandre, que cette chose fit qui fut ainsi demenée ; car si les Flamands n’eussent point demandé la somme de florins que ils demandoient et n’eussent requis le roi d’Angleterre fors de confort et d’aide, le roi d’Angleterre fût venu en Flandre, ou eût envoyé si puissamment que pour attendre en bataille, avecques l’aide des Flamands qui adoncques étoient tous ensemble, la puissance du plus grand seigneur du monde : mais il alla tout autrement ; dont il mésavint aux Flamands, si comme vous orrez recorder avant en l’histoire.