Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie II/Chapitre CXXII

Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 427-428).

CHAPITRE CXXII.


Pour quelle cause le roi d’Angleterre ne courut point le pays de Bourgogne ; et comment il s’en vint loger au Bourg-la-Roine lez-Paris.


Nous parlerons du roi d’Angleterre qui se tenoit à Guillon sur Sellettes et vivoit, il et son ost, des pourvéances que Jean de Arleston avoit trouvées à Flavigny. Pendant que le roi séjournoit là, pensant et imaginant comment il se maintiendroit, le jeune duc de Bourgogne qui régnoit pour le temps et son conseil, par la requête et ordonnance de tout le pays de Bourgogne entièrement, envoyèrent devers le dit roi d’Angleterre suffisans hommes, chevaliers et barons, pour traiter à respiter et non ardoir ni courir le pays de Bourgogne. Si s’embesognèrent adonc de porter ces traités les seigneurs qui ci s’ensuivent. Premièrement, messire Anceaulx de Salins grand chancelier de Bourgogne, messire Jacques de Vienne, messire Jean de Rye, messire Hugues de Vienne, messire Guillaume de Toraise et messire Jean de Montmartin. Ces seigneurs exploitèrent si bien et trouvèrent le roi d’Angleterre si traitable, que une composition fut faite entre le dit roi et le pays de Bourgogne que, parmi deux cent mille francs[1] qu’il dut avoir tous appareillés, il déporta le dit pays de Bourgogne à non courir, et l’assura le dit roi de lui et des siens le terme de trois ans. Quand cette chose fut scellée et accordée, le roi se délogea et tout son ost, et prit son retour et le droit chemin de Paris, et s’en vint loger sur la rivière d’Yonne à Kou[2] dessous Vezelay. Si s’étendirent ses gens sur cette belle rivière que on dit Yonne, et comprenoient tout le pays jusques à Clamecy, à l’entrée de la comté de Nevers ; et entrèrent les Anglois en Gastinois ; et exploita tant le roi d’Angleterre par ses journées qu’il vint devant Paris et se logea à deux petites lieues près, au bourg la Royne[3].

  1. La charte de cette trêve porte deux cent mille deniers d’or ou moutons. Elle fut conclue à Guillon, le 10 mars de cette année.
  2. Ce mot est écrit ainsi dans les manuscrits sans aucun signe d’abréviation ; mais c’est vraisemblablement une omission des premiers copistes, répétée par les autres ; car tout porte à croire que Cou ou Kou est la première syllabe du mot Coulanges, où le roi d’Angleterre passa l’Yonne, suivant l’auteur des Chroniques de France.
  3. L’auteur des Chroniques de France dit que le roi d’Angleterre se logea d’abord à Chanteloup entre Chastres, maintenant Arpajon, et Montlhéry, et suppose qu’il y demeura depuis le mardi, dernier jour de mars, jusqu’au 7 avril que les troupes serrèrent Paris de plus près et se cantonnèrent à Châtillon, à Issy, à Vanvres, à Vaugirard et dans les autres villages des environs. Durant cet intervalle on entama une négociation pour la paix ; les plénipotentiaires respectifs s’assemblèrent le vendredi saint 3 avril et se séparèrent bientôt après sans pouvoir rien conclure. Ils s’assemblèrent de nouveau le 10 du même mois, et la conférence n’eut pas un succès plus heureux. Les Chroniques de France, dont nous empruntons ces détails, en fournissent encore quelques autres qui ont été omis par Froissart.