Les Bigarrures/Chapitre 8

Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 127-135).


DES
ANTISTROPHES
OU CONTREPETERIE.

CHAP. VIII.


ENcor estimé que ces Antistrophes soient Equivoques, si est ce qu’il y a grande différence, si l’on considère la définition de l’un et de l’autre. Car Antistrophes est proprement une alternative conversion de mots que les Latins ont appelé verborum inversiones, dont avec les Grecs ils ont prins l’étymologie de plusieurs noms, comme, selon Platon, Junon est dicte en grec Ἥρα, par transposition de lettres du mot ἀηρ, Justicea, quasi victoria, quod vim sistat ; forma du grec, μόρφή, nares, de ρἰνες & autres que tu pourras voir dans Varron, Festus, et parmy les anciens Grammairiens.

ADJONCTION
de l’Autheur.

Comme qui diroit en François Reunir, quasi Ruiner Ainsi que le sçavant Pasquier, sur la fin de son Monophile, la ingénieusement traicté en ses vers addressez au roy Charles IX. sur le subject de la paix par luy faite avec ses subjets :

Qui voudra reünir avec ruyner mettre
Il verra qu’il n’y a transport que d’une lettre,
Et qu’en reunissant vos ville ruiniez.
Et qu’en les ruinant vous les reünissiez :
Car dans un reünir un ruiner se treuve
Dont vos pauvres sujets ont fait derniere preuve.

Texte.

Et combien que telle inversion d’une lettre seulement puisse aussi bien estre au rang des Anagrammes, si l’ay-je icy rapporté pour un exemple semblable au latin ; d’autant mesmement que si l’on vouloit prendre toutes transpositions de lettres, pour Anagrammes, les Antistrophes & la pluspart des Equivoques y seroient réduits. J’en ay donc fait des chapitres séparez, & mesme de ces Antistrophes que les poètes lyriques grecs prenoient anciennement, pour signifier le retour de leurs dances, exprimé en leurs vers, entre Strophe & Epode, c’est à dire, Tour & Pause. À l’imitation desquels Ronsard le premier a basty des odes à la Françoise. Or, revenant à nostre propos, de ceste inversion de mots, nos pères ont trouvé une ingénieuse et subtile invention : que les Courtisans anciennement appelloient des Equivoques, ne voulans user du mot et jargon des bons compagnons, qui les appelloient des Contre-pèteries. Et n’entendans aussi ce mot Antistrophe, qu’ils estimoient estre le langage inventé de quelque Lifrelofre. C’a esté le gentil sçavant & gracieux Rablais, qui les a premier baptisé de ce propre nom Grec, encor que les Latins l’ayent ordinairement usurpé pour la transposition des noms : comme Petriliber, au lieu de Liber Petri, pource que ailleurs, sinon pour leurs étymologies, ils n’ont point usé de ces inversions, l’invention desquelles consiste à trouver deux mots, les premières lettres desquels échangées, leur donnent une diverse signification, puis tu jugeras facilement s’il s’y trouvera un bon sens. L’exemple t’instruira aisément : Comme de gaster ostez G, & mettez un T, il y aura taster : puis grace, changez G, en un autre T, il y aura trace : Ainsi que sont ces suivants, que tu ne prendras qu’à lechedoigts :

Taster la grace,
Gaster la trace.

Un sot pale.
Un pot sale.

Muer une touche,
Tuer une mouche.

Un chapeau de roses.
Un rapeau de choses.

Elle fit son pris.
Elle prit son fils.

La cotte du mont,
La motte du, &c.

Il tiendra une vache,
Il viendra une tache.

Mon cœur,
Con meur.

Il le dit à deux fames.
Il le fit à deux dames.

Baillez le flanc,
Paillez le blanc.

Et autres infinis, qu’on peut faire à discrétion : desquels j’ay pour plaisir recueilly ces contes suivans, entre lesquels, selon les vers Martialistes,

Sunt bona, sunt quadam mediocria, sunt mala plura :

Ces deux suivans sont extraicts de l’histoire véridique du grand Pantagruel :

Femme folle à la messe, est volontiers molle à la fesse,
À Beaumont le viconte. À beau con le vi monte.

Il ne se faut pas scandaliser s’ils sont un peu naturalistes : car je ne sçay comme il advient que ordinairement & plus volontiers on se ruë plus sur ceste matière que sur une autre, & y rencontre l’on plus plaisamment. Comme :

En faisant boutons,
En baisant, &c.

O que ces fagots coustent,
O que ces cag. fout.

Un lieur de chardons est mort à Falaize,
Un chieur de lardons est fort à malaize.
Onc peureux ne fit beau fait, disoit un preneur de barils.
Onc foireux ne fit beau pet, disoit un breneux de Paris.

On dit que quand les Dames de la Cour commencèrent à porter des hauts de chausses, elles firent une convocation générale, pour sçavoir comme elles les nommeroient, à la différence de celles des hommes. Enfin, du consentement de toutes, elles furent surnommées de ce nom caleson quasi sale con. Et depuis, quand elles furent bien usées et qu’on les donna aux laquais, on les appela lasse con.

C’est de long temps une table qui frotte, ou une fable qui trotte, qu’un Curé de bonne paste disoit un jour en son Sermon, que le monde estoit tout corrompu : Car les jeunes hommes s’attachaient aux bons Cordeliers & que quasi toutes les jeunes filles de sa paroisse doutoient de leur foy, f. de leur d.

Quelqu’un qui voyoit un grand desbauché, auquel le père vouloit faire voir du pays, à cause qu’il s’estoit amouraché, conseilloit à ce père de le marier, & non pas l’envoyer au loing faire de superfluës despences. Car il n’y avoit rien pour le mieux tenir en bride, qu’une femme ; et rencontra soudain cet Antistrophe :

En le variant on se mange.
En le mariant on se vange.

Celuy n’avoit pas mauvaise grâce, qui invitoit le samedi au soir son voisin à souper, avec promesse de luy donner de quatre portes de Soissons, de la tapisserie & d’un petit porceau de main ; c’estoità dire, de quatre sortes de poissons, de la pâtisserie, & d’un petit morceau de pain.

Il y avoit une certaine hostellerie des Faucons qui par mots couverts estoit la maquerelle de ses hostes qu’elle voyoit crians du fond, friands du c. Car, les allant visiter en leur chambre avec une jeune chambriere, pendant qu’elle envoyoit au loing le serviteur, ferir un cagot, querir un fagot, elle leur disoit, monstrant ceste fille : Monsieur goûtez cette farce, fou. cette garce. Quoy dit, elle les laissoit seuls. S’ils entendoient le jargon, & estoient en appétit, je m’en rapporte, mais garde le mouton qui est en la botte, le bouton qui est en la motte.

Capitan Spercula disoit, pour vanter ses actes généreux : J’ay veu que je soulois deffendre à la bresche tout moüillé : au lieu qu’il devoit dire, J’ay veu que je foulois des cendres à la mesche tout broüillé.

Un autre furieux soldat disoit, qu’il avoit veu un coq sur une rave bersee d’un poulet, au lieu de dire, Un roch sur une cave persé d’un boulet.

J’ay ouy dire autrefois de ces ministres ensouphrez, qui portoient des herbes encharboutes,

Un sinistre masle a un pigne salle.
Un Ministre sale a un signe pale.

Quelqu’un disoit un jour à un jeune desbauché, qui suivoit un escornifleur, lequel l’invitant à boire, luy disoit tousjours ; Monsieur tendez vostre verre : si vous continuëz vostre vie, celuy qui vous dit, Tendez vostre verre, vous dira enfin : Vendez vostre terre.

Un autre voyant passer un maquereau, pour le dépeindre, disoit ainsi,

Ce nez long a fendu une villette, & a pris le bon à la cour, Pour dire,

Ce Lenon a vendu une fillette, & a pris le con à la bourse.

En un banquet, auquel y avoit une Nonain qui beuvoit d’autant, & près d’elle un nain qui se despeschoit de mascher : un bon compagnon racontra ainsi, Voyez la bonne noire, & un pain de bonne nature, c’est à dire, Voyez la nonne boire, & un nain de bonne pasture.

Et l’autre, qui voyoit manger une brouette, respondit, pour dire, Je voy naistre une poire, pour dire : Je voy paistre une noire.

Le seigneur de Pinseval, faisant les loüanges de sa rude sa rude maistresse, laquelle avoit la courante pour avoir trop mangé de fruict, au lieu qu’il disoit seulement, Quand je prise les brunes, la noire me fuyt, pouvoit aussi dire : Quand je brise les prunes, la foire me nuit.

Une vieille redarguant un jeune muguet d’avoir vesné trop ardamment, au lieu de s’excuser du proverbe ordinaire, Qui premier la sent, du cul luy descent, il dit, Ma commere, c’est une vesse fenee, qui sort de fesse venee, comme la vostre.

Un colère qui se plaisoit & baignoit en ses inimitiez, disoit qu’il avoit masché plusieurs fois, d’estre fasché plusieurs mois.

Sa cousine Pisangrine disoit qu’on n’avoit garde de la trouver morte de faim, tant qu’elle seroit forte de main.

Les Espagnols disent ce proverbe commun : Hoy favores, otra dia va fores ; c’est à dire, Aujourd’huy faveur, demain dehors. Voilà une belle contrepeterie, digne d’estre engravée au cœur de nos Courtisans, qui deux jours après qu’ils sont defavorisez, par leurs sottises & peu de respect, ne parlent que de contemptu mundi, & de la beatitude de ceux qui prient Dieu à repos en leur maison : Sed premit alto corde dolore le paiilart :

En un banquet, où j’estois, & notez que l’autheur en tasta (plus agréablement que ne fit Philippes de Commines de la cage de fer), l’on dit à quelqu’un, qui servoit d’un lapin, & oublioit le plus gros & puissant seigneur de la compagnie, Donnez une branche de long sapin à Monsieur, qui est pressé par la dance : On estimoit que ce fust un jargon, mais il fut soudain ainsi réduit, Qu’il baille une tranche de son lapin à monsieur, qui est dressé par la pance.

L’on m’a dit que l’harangueur de la ville de Langres, portant un propos, qu’il recitoit ex scripto, devant Monsieur le Chancelier, au lieu de dire, C’est un moyen deu par les Langrois, il rencontra sans y penser, à la risée d’un chacun : C’est un Doyen meu par les grans loix.

J’ay ouy dire à maistre Jacques Plafond, qu’il avoit veu en plaine audience à Paris, l’an 1568 un Advocat, bien eschauffé en plaidant, qui dit tout haut : Monsieur le président, ma partie n’a pas bien frit le pet, pour dire, bien pris le faict. En quoy l’Antistrophe n’est pas bien propre, selon l’escriture ; mais suivant la prolation, elle passe. Comme ces suyvans, qui ne laissent pourtant d’estre bons.

Un qui voyoit une belle fille desgorgetée, disoit : Le bout de son colet est à bien dire estroit, pour dire. Le coup de son boulet est à bien tirer droit. Nota qu’on change à la fin un D, en T, sans contrepeter.

On dit aussi que pour trespassez, il faut des prestres assez, au lieu de prest assez, qui sonne bien à l’aureille.

Une femme voyant un gausseur, qui ne faisoit que plaisanter, & avoit bruit de ne pouvoir brodequiner, luy dit, Vous avez la mine d’estre entre mille follastre, & entre filles mollastre. Dont se voulant revancher, il luy dit, qu’elle estoit feinte en ses pleurs, & peintes en ses fleurs, qui la faisoit ainsi grigne. Mais cela n’auroit guères de grace.

Comme deux jeunes filles s’approchoient fort pres des fonds baptismaux, pour voir baptiser un enfant, certain bon compagnon leur dit, pour les faire retirer, Belles quilles frottées, vous frotez les cons, au lieu de dire, Belles filles crottees vous crottez les fons.

À l’entrée du Roy Charles 9, en certaine ville où l’on faisoit dresser des arcs triomphans : la charge en fut donnée à un Alchimiste, sçavant & ingénieux, qui, voyant un pauvre bon homme qui s’en mesloit, il luy dit par desdain : Ce passé de couilles ira tondre les festons, À quoy soudain il répliqua, Ce cassé de pouilles, c’est à dire, poux en Bourgogne, ira fondre les testons.

L’on dit des avaricieux goutteux qu’un goutteux est tout gueux.

À un malade en sa saison, il faut salade en sa maison, &c.

Je viendray aux jeux sans vilainie que jouent les damoiselles avec les jeunes hommes, esquels elles entremeslent des rencontres, pour faire de plaisans solecismes. Comme quand elles dient : Messire Jean prestez-moy vostre grivan, vostre vangri, quatre ou cinq fois de suite ; c’est enfin pour tomber sur vostre grand vit, vit grand. Ce que dient quelquesfois aucunes, sans y mal penser. Hélas ! les pauvrettes, qu’en feront elles ?

On dit aussi : Il y a trois Gentils hommes à la porte qui bonnes nouvelles apportent. L’un a nom Messire Guy, qui le petit foncouti ; l’autre, Messire Guyonnet, qui le petit coutifonnet : L’autre, Messire Guyon, qui le petit coutifon.

Je vous vends le prestre verd, qui dit sa messe verde, sur un autel verd, couvert de verd, qui dit en son joly chant verd : Paissez-moy de Messe verde, je vous paisse Messe verderay.

Item cesluy, Je vous vends le pon du coy, le coy du pon. Je vous laisse à penser si, quand on a bien des fois répété ces petits mots, il ne faut par à la fin venir aux gros.

Il y a autres infinis jeux damoiselets de ceste sorte ; si vous les voulez plus nayvement sçavoir, addressez-vous aux mieux goderonnées & attintées filles, de l’aage d’entre seize & vingt ans. Car on m’a asseuré que je n’y entens rien envers elles, et quelles le sçavent trop mieux faire que moi.