Les Bigarrures/Chapitre 14

Les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords (1572)
chez Loys Du Mesnil (p. 199-202).


DES VERS
LETTRISEZ OU
PARANŒMES.

CHAP. XIV.


REcherchant un nom propre, & d’un son agreable à l’aureille, je n’en ay point, selon mon advis, trouvé de plus propre, que celuy que j’ay mis en l’inscription des vers Lettrisez : pource que tous les mots de chacun vers commencent par la mesme lettre que le premier mot. Les Grecs & Grammairiens Latins les ont appellez Paranœmes, de παρὰ ω μοιος, id est, juxta similis, c’est à dire aupres & semblable. Si bien qu’il me semble que ceste domination est trop generalle : Pour exemple ils ont donné ces trois.

Maxima multa minax minitatur maxima muris.
At Tuba terribili tonitru taratantara trufit,

Encor qu’aucuns lisent,

At tuba terribili sonitu,

Item.

O Tite tute tate tibi tanta tyranne sulisti.

Un Allemant nommé Petrus Porcius Poëta, autrement Petrus Placentius, a faict vn petit poëme, laborieux le possible, auquel il descrit pugnam porcorum, en trois cens cinquante vers ou environ, qui commencent tous par P : Dont j’ay rapporté ces xv. suivans, pour exemple, & pour contenter ceux qui ne l’ont pas veu :

Precelsis proavis pulchrè prognate patrone
Pectore prudenti pietateque prædite prisca,
Præter progeniem, præter præclara parentum
Prælia, pro patria, pro præsulibusque peracta
Pleraque, pro populo proprio perfecta petenter,
Pellucens probitate potentéque prosperitate,
Proptereáque probas philomusis prosequerisque
Parnasso potes precio precibusque poetas
Postquam percepti puerile placere poema.
Præcipuè propter præscripta præmia pugna.
Porcorum, placuit parvam præfigere pugna
Pagellam, porci prodentem proprietates,
Plausibiles pinguem patronum promeruisse
Pectore pinguiculo pol promeruisse poetam
Pingui porcorum pingendo poemate pugnam.

Depuis peu de temps en çà, un Allemant, nommé Christianus Pierius, a faict un opuscule, d’environ mille douze cens vers, intitulé Christus Crucifixus, tous les mots duquel commencent par C. Dont j’ay seulement pris ces quatre vers suivans :

Currite Castalides Christo comitante Camœna
Concelebraturæ cunctorum carmine certum
Confugium collapsorum, concurrite, cantus
Concinnaturæ celebres celebresque cotlurnos.

Estant Escholier à Paris, demeurant au College de Bourgongne, je fis ce Quatrain letrisé, que je presenteray au sieur Viole, lors Evesque dudit lieu, assez aysé à cause de V : que j’ay fait a volonté, tantost voyelle, tantost consone :

Vim vernæ viola visu veneramur vtroque
Virtutes varias vulgus vti violi
Ventorum violat violas violentia, verum
Virtutem violi venius vbique vehet.

Ce suivant est vieil, mais il sera nouveau à ceux qui ne l’auront veu :

Fœmellas furtim facies formosa fefellit,
Fortuito faciens ferventi furta furore,
Fur foticas fertur futuens flagróque feritur.

Il s’en pourroit ainsi faire sur chasque lettre, mais avant que l’on en ait fait six de suitte, il est permis de boire un coup. Cet acrostiche paronoemie, qui fut faict par un jeune Escholier, l’an du sacre du Roy Charles ix, ne sera mal à propos :

Carolo, Cui Clarius Cui Cultæ Cuncte Comena,
Aspirant, Altis, Altior, Æthereis,
Religio Regni Recta Ratione Regatur,
Omnibus Obijcias Obsequiosus Opem.
Laurea Lex Laudes Lucenteo Lata Loquatur.
Vexillum vafrumvis violenta Vehat.
Suspice Sicelidum Solemnia Sacro Superflet,
Florescat Fælix Francia Fac Faveas,

La lettre F, superabondante, outre le nom Carolus, Signifie Franciscus.

Par faute d’en avoir veu en François, je mettray ce suyvant de ma façon, que je fis, aagé seulement de quatorze ans, pour ce que depuis je n’ay pas essaye d’en faire d’autres, & ne sçay, pour dire verité, si je le tentois à present, si j’en viendrois mieux à bout. C’est un Acrostiche Lettrisé de François.

François Faisant Florir la France,
Royalement Regnera,
Amour Amiable Aura.
Ny N’aura Nulle Nuysance.
Conseil Constant Conduira.
Ordonnant Obeysance.
Justice Il Illustrera,
Sur Ses Subjects Sans Souffrance.

Erasme en son livre de la vraye prononciation du Grec & du Latin, qu’aucuns attribuent à Clarean, dit qu’un certain a fait laudem Caluicij, par vers, qui commencent tous par C : & donne conseil aux begues, pour se façonner la langue, de lire & prononcer souvent ce traicté là. J’ay depuis veu ce livret là.