Société française d’imprimerie et de librairie (p. 195-206).

CHAPITRE XVIII

Les phares, les feux des anciens ; progrès modernes : borda, lemoyne, augustin fresnel ; nos phares au commencement de ce siècle et aujourd’hui ; la tour de cordouan, les phares de barfleur, des héhaux de bréhat, d’ar-men, d’eckmühl, etc. ; sur le littoral anglais ; le phare d’eddystone et ses constructeurs successifs : winstanley, rudyerd, john smeaton ; anecdote sur louis xiv ; les phares « privés » en angleterre ; leur rachat ; phares en fonte de fer dans diverses parties du monde ; classement des phares et fanaux, une carte de visite rimée ; les phares, selon michelet ; balises, amers, bouées et « sirènes ».

Tandis que l’esprit du mal guettait dans l’ombre sa proie, que les naufrageurs poursuivaient l’œuvre de l’antique barbarie, des fanaux s’allumaient un peu partout pour éclairer le marin et lui montrer le port.

« La première idée d’un phare, a dit Faraday, c’est la lampe du logis que le pêcheur ne perd pas de vue pour assurer son retour. » L’usage des feux destinés à guider les navigateurs remonte aux plus anciens temps ; on édifia alors les tours de Sestos et d’Abydos, sur le Bosphore, et celle de l’île de Pharos dans l’ancienne Égypte, près d’Alexandrie, dont le nom est resté à toutes les constructions du même genre. Les Romains élevèrent un grand nombre de phares ; ils en avaient construit sur le littoral de la Gaule, notamment un à Icius-Portus (Boulogne-sur-Mer) qui existait encore en 1643 : il se composait d’une tour octogonale à douze étages ; chaque étage allant se rétrécissant donnait à cette tour l’apparence d’une pyramide. Vis-à-vis de Calais, à Douvres, on voit encore les ruines d’un phare attribué à Jules César. Il y eut aussi un très beau phare à Capio, en Espagne, à l’embouchure du Guadalquivir.

Plus tard, les phares se généralisèrent ; mais ils ne remplissaient pas complètement leur objet. De regrettables confusions avec d’autres parties du rivage accidentellement illuminées causaient des désastres. Semblable erreur n’est plus possible aujourd’hui, grâce au moderne système de phares, qui consiste dans une combinaison bien entendue des anciens feux fixes avec les feux tournants et à éclipses, dont on attribue la première idée à Borda.

Le Dieppois Lemoyne proposa aussi de substituer au feu de charbon de terre une lampe d’Argant à double courant d’air ; Augustin Fresnel et quelques autres ont introduit de grandes améliorations dans la construction et le mode d’éclairage des phares ; aux feux réfléchis par des miroirs paraboliques, on a substitué des feux réfractés par d’énormes lentilles construites d’une façon très ingénieuse : devant l’impossibilité de fabriquer d’assez fortes lentilles d’une seule pièce, Fresnel imagina de faire tailler, dans du cristal, des lames ou portions de lentille formant des prismes à courbure calculée ; ces lames réunies et disposées en escalier autour d’un centre immobile constituent une seule et grande lentille qui porte la lumière jusqu’à cinquante et soixante kilomètres de distance. Pour obtenir un foyer lumineux en rapport avec la puissance des lentilles, il fit de la lampe Carcel un appareil à trois ou quatre mèches concentriques qui, dans les phares les plus importants, donnent un éclat équivalent à celui de 600, et jusqu’à 4 050 becs de lampes Carcel.

Les feux des phares qui s’allument exactement toutes les nuits sont nombreux sur nos côtes. Au commencement du siècle nous en possédions en tout seize. Nous en avons aujourd’hui plus de deux cent cinquante sur nos côtes de France, de Corse et d’Algérie.

Les phares du premier ordre sont situés à environ trente kilomètres les uns des autres. Ils sont distribués de manière que le marin puisse toujours en apercevoir un en approchant des côtes ; dès qu’il perd celui-là de vue, il entre dans le cercle de lumière du phare le plus proche. Ainsi les phares sont dressés sur les côtes de manière qu’on ne puisse les confondre. Si, par exemple, on peut apercevoir trois phares à la fois, l’un sera un feu fixe, le second aura des éclipses et le troisième des éclats à des intervalles de temps déterminés.

Outre les grands phares qui sont placés sur les principaux caps, visibles de très loin, — huit ou dix lieues, — et qui sont destinés surtout à déterminer la position des navires qui viennent du large, on en place d’une moindre portée à l’entrée des ports. Quand ces ports sont assujettis à la marée, on n’allume les phares qu’aux heures où il y a assez d’eau pour que les bâtiments puissent entrer.


Le phare d’Alexandrie servit de modèle à beaucoup d’autres.

Il y a des phares composés de deux tours, comme le double phare du cap de la Hève, au nord du Havre ; d’autres ont des feux intermittents : une moitié de la lanterne est aveuglée par une demi-cage de fer, qui après un mouvement de rotation continu, cache et découvre alternativement la vue du feu dans toutes les directions, ou encore, tout l’appareil, tournant sur lui-même, transporte la lumière à tous les points de l’horizon dans un temps déterminé ; certains feux varient de couleur : les diversités de formes et de lumières permettent de reconnaître en toute certitude la position des phares, et par suite celle des navires par rapport au littoral.

Déjà, aux siècles derniers, on construisit des phares importants. La tour de Cordouan à l’embouchure de la Gironde, qui s’élève sur un rocher couvert de trois mètres d’eau à haute mer, est encore citée parmi les plus beaux phares, grâce à ses proportions élégantes. Commencée en 1584, elle fut terminée en 1610. On cite aussi la tour de Gênes, à l’entrée du port de cette ville.

Mais les plus remarquables travaux de ce genre ont été exécutés de nos jours par les ingénieurs des ponts et chaussées. On leur doit le phare de Barfleur, sur la pointe de Gatteville dans la Manche. Bâti de 1829 à 1835, par l’ingénieur Delarue, il est tout en granit, et s’élève en forme de colonne au-dessus d’un soubassement rectangulaire et jusqu’à une hauteur de soixante-dix mètres. Le phare du cap la Hague, sur un îlot de rochers presque à fleur d’eau, au nord-est de Cherbourg, est une tour du même genre, construite aussi par Delarue, de 1835 à 1837.

Sur les côtes septentrionales de la Bretagne, plusieurs îles et roches éparses, Batz, le plateau de Triagoz, les Sept-Îles Bréhat, sont les témoins d’un littoral disparu. La partie de la côte qui a le mieux résisté au choc des vagues se termine à l’ouest de Bréhat par les redoutables « Épées de Tréguier », véritable jetée de cailloux que les vagues ont elles-mêmes construite et sur laquelle tant de navires sont venus se briser : elles guident aujourd’hui le navigateur, grâce au superbe phare des Héhaux de Bréhat, dressé sur l’un de leurs écueils.

Le rocher choisi par l’ingénieur pour sa construction se trouve à cinq kilomètres du cap le plus septentrional de la presqu’île bretonne. Il était submergé à mer haute, sauf quelques rares sommets que les flots ne couvrent pas, même dans les plus mauvais temps. L’ingénieur Reynaud ne mit pas moins de deux ans pour élever le phare (1836-1839), après une année d’études et de préparation. Sur l’un des écueils que la mer ne couvrait pas de ses eaux, on établit un abri pour cinquante ouvriers ; on y fixa, par des chaînes et des anneaux de fer scellés dans le roc, des appareils de construction ; à la marée basse, les ouvriers descendaient sur l’autre partie du rocher, et travaillaient aux fondations du phare, qui fut assis dans le roc même où avait été creusée une profonde rainure circulaire.

Lorsque la marée arrivait, les ouvriers regagnaient leur abri ; les pompes devaient vider l’eau de la mer restée dans la rainure pour qu’on pût reprendre le travail.

C’est à l’île de Bréhat que l’on réunissait les matériaux et qu’on taillait les pierres ; le granit très dur dont on se servait par blocs de mille à trois mille kilos, provenait de l’île Grande, située à quarante kilomètres de là ; la chaux était apportée du bassin de la Loire par le canal d’Île-et-Rance.

Ce phare n’a d’égal en aucun lieu du monde. Il se compose d’une tour en maçonnerie pleine, enchâssée dans la roche de porphyre sur laquelle il repose. La tour a près de quatorze mètres à sa base et huit mètres soixante centimètres à son sommet. Le pied est à un mètre au-dessus du niveau des plus hautes mers. Cette tour supporte une autre tour plus légère, dont l’intérieur est divisé en plusieurs étages ; et ainsi la lanterne se trouve à une hauteur de cinquante mètres.

Sur la côte de Bretagne, près de l’île de Sein, la mer bouillonne sur des récifs, véritable chaîne d’écueils que l’on nomme la Chaussée ou le Pont de Sein ; elle s’avance à peu près de deux lieues dans l’Océan. On a entrepris d’édifier un phare à son extrémité, sur la roche d’Ar-Men, qui mesure de sept à huit mètres de large sur quinze de long, au niveau des plus basses mers. Elle est tellement balayée par le ressac que, même par un beau temps, on ne peut l’accoster sans difficulté. Pour arriver à y asseoir la maçonnerie, il a fallu sceller dans la pierre une série de barres de fer s’élevant verticalement d’un mètre environ.

Les vaillants pêcheurs de l’île de Sein commencèrent ce travail. Les jours où il était possible de poursuivre cette singulière besogne, une vingtaine d’entre eux se mettaient à l’œuvre, les uns armés du pic ou de la pioche, les autres pour veiller à la sûreté des travailleurs, pour les repêcher lorsque les vagues les enlevaient et les traînaient sur les pointes des rochers. Ces ouvriers courageux étaient tous munis de ceintures de sauvetage, et malgré cela ils se trouvaient souvent en danger de périr. Une pareille œuvre accomplie dans de telles conditions devait demander bien du temps ; qu’on en juge par ce détail, qu’en 1867 on n’eut en tout que neuf heures de travail.

Le phare d’Ar-Men se compose de huit étages, ayant ensemble trente mètres de hauteur et portant un feu du premier ordre. La construction hardie de ce phare fut arrêtée dans ses dispositions générales par M. Léonce Reynaud, directeur du service des phares, et exécutée sous la direction de MM. Planchat et Fénoux, ingénieurs en chef.

On doit citer encore sur notre littoral quelques phares importants. Ce sont les phares du cap Gris-Nez près de Calais, de Saint-Valery-sur-Somme, de Dieppe, de Planier, près de Marseille ; il y en a au fond de la baie de Saint-Malo, sur tout le littoral de la Bretagne ; le phare de l’île de Bas est pour les navires un avertissement de se tenir à distance, ceux de Bréhat et du cap Frehel indiquent au contraire l’ouverture du golfe de Saint-Brieuc. Près de Brest, se trouve le phare de Saint-Matthieu. Il y a trois feux à l’embouchure de la Loire. Nous avons parlé de la tour de Cordouan ; il y a aussi des phares à Arcachon, à Bayonne, d’autres sur la Méditerranée.

Le dernier édifié sur notre littoral est le phare d’Eckmühl, qui a été inauguré le 16 octobre 1897. Il s’élève à l’extrémité sud de la pointe de Penmark. Son érection est due à la générosité de la comtesse de Blocqueville née d’Eckmühl, qui a légué une somme de trois cent mille francs à cette intention, en stipulant que le phare auquel elle donnait le nom de son père serait construit à l’un des endroits les plus dangereux des côtes de l’Océan. Les travaux ont duré quatre ans, ce qui est peu. Ce phare est illuminé par un appareil de feu-éclair électrique d’une puissance de trente millions de bougies. Durant la nuit, sa portée lumineuse dépasse cent kilomètres ; elle est ramenée à quarante kilomètres par les temps brumeux. — Avec le feu électrique, la tour porte à son sommet un signal sonore constitué par une sirène à air comprimé qui peut être mise instantanément en fonction.

L’Angleterre possède trois cent soixante phares et une cinquantaine de lanternes flottantes. Le plus célèbre de tous ces feux est le phare d’Eddystone, dans la Manche, vis-à-vis de Plymouth, sur des récifs à fleur d’eau, au milieu desquels les vagues de l’Atlantique viennent former des tourbillons.

Depuis des siècles, un grand nombre de bâtiments s’étaient brisés sur les arêtes meurtrières de ces écueils. Il semblait impossible d’établir un phare sur ces îlots, lorsqu’un mercier du comté d’Essex, nommé Henry Winstanley, tenta de résoudre la difficulté. C’était un homme ingénieux dont la maison était encombrée de pièces de mécanique amusante. Le phare dont il entreprit la construction en 1696 eut l’apparence bizarre d’une pagode. Inauguré en 1700, le phare de Winstanley résista trois ans aux rafales, et finit par être emporté dans un ouragan, avec les malheureux qui s’y trouvaient enfermés, y compris l’architecte.

Cinq ans plus tard, et après de nouveaux naufrages, un autre mercier, Rudyerd, de Londres, voulut rétablir ce phare d’Eddystone, si indispensable.



Phare de Planier, près de Marseille.
Il éleva une seconde tour en charpente, et cette fois ce fut l’incendie qui ruina l’œuvre, — en 1755. Le phare fut détruit, mais ses trois gardiens purent être sauvés par des pêcheurs avertis par les lueurs inaccoutumées que jetait sur la mer cette torche gigantesque. Toutefois l’un des gardiens mourut des suites de profondes brûlures.

Les choses en étaient là, et il s’agissait de dresser une troisième tour en bois, lorsque John Smeaton, ingénieur éminent, membre de la Société royale de Londres, déclara qu’il était possible d’employer la pierre pour une réédification durable de ce phare. Commencé le 12 juin 1757, le phare d’Eddystone alluma définitivement sa lanterne le 16 octobre 1759. On le cita longtemps comme une merveille : nos constructions modernes l’ont bien surpassé.

À l’époque où l’on construisit le second phare d’Eddystone, — celui de Rudyerd, — Louis XIV était en guerre avec la Grande-Bretagne ; un corsaire sorti de nos ports s’étant emparé des ouvriers, les emmena prisonniers en France. En apprenant cette capture, le roi blâma le zèle du corsaire, et ordonna qu’on mît en liberté les ouvriers, faisant observer avec sa grandeur habituelle, qu’il était « en guerre avec l’Angleterre, mais non avec le genre humain ».

Longtemps, sur le littoral britannique, un certain nombre de phares furent concédés par la Couronne, par Trinity-House, ou par actes du Parlement. Ils donnaient des bénéfices considérables par un droit de péage établi sur les bâtiments. Lorsque la corporation de Trinity-House[1] voulut racheter les phares « privés », on vit un rocher sur l’Océan se vendre 350 000 et 400 000 livres sterling (de huit à dix millions). Quelques propriétaires réclamèrent jusqu’à 550 000 livres, et longtemps encore après, de légères surtaxes étaient imposées à la marine marchande pour permettre à Trinity-House d’acquitter ses dettes.

Il faut que nous disions aussi que, dans les arts et les sciences qui ont fait des phares l’une des plus belles inventions modernes, nous avons devancé de beaucoup nos voisins les Anglais, bien que plus directement intéressés dans les progrès accomplis. Notre tour de Cordouan avait successivementremplacé sa flamme primitive par le gaz, par des lampes et des réflecteurs paraboliques en métal, et enfin par les lentilles de Fresnel, rayonnant à trente milles de distance, que sir David Brewster était forcé de s’adresser à la Chambre des communes pour dénoncer l’opiniâtre résistance d’un ingénieur routinier, soutenu par une commission locale, qui parvint à nier pendant dix ans la supériorité du système dioptrique. La réforme générale de l’administration des phares en Angleterre ne date que de 1884.

Aux États-Unis, sur le littoral de Long-Island et près de East-Hampton,



Le phare de Cordouan, muni de l’appareil du système Fresnel.
se trouve le cap de Montauk. C’est un lieu solitaire au pied duquel une grève sablonneuse s’étend au loin quand la mer se retire. On y a établi, depuis 1795, un phare d’une incontestable utilité : lorsque le vent souffle du nord-ouest, la tempête se déchaîne avec furie ; il semble que l’Atlantique se livre à l’assaut de cette pointe de rocher. C’est l’un des phares les plus importantsde l’Amérique du Nord.

De nos jours on construit des phares en fonte de fer, coûtant moins cher, et pouvant être édifiés même sur de mauvais terrains. Il y a des phares en fonte aux États-Unis, où l’on en compte plus de soixante dix ; il y en a aussi à Cuba, aux Bermudes, à Bahama, en Turquie, etc. Le phare des Bermudes, dressé à Gordon, et d’une élévation de trente-cinq mètres, a coûté quatre-vingt-douze mille francs ; celui de Bahama, haut de quarante et un mètres, et à sept étages, n’a pas coûté moins de deux cent mille francs.

Les phares et fanaux se divisent en six catégories :

1o À feu fixe, lumière éclatante ;

2o À éclats, lumière qui montre alternativement cinq éclats et cinq éclipses — ou davantage — dans l’espace d’une minute.

3o Fixe à éclats, lumière qui montre un éclat blanc ou rouge, précédé ou suivi de courtes éclipses, à des intervalles qui varient de deux, trois ou quatre minutes ;

4o Tournant, feu dont la lumière augmente d’une manière graduelle jusqu’à ce qu’elle jette sa plus grande clarté, et qui décroît ensuite graduellement jusqu’à s’éclipser à intervalles égaux d’une, de deux, trois minutes et quelquefois d’un tiers ou d’une demi-minute ;

5o Intermittent, c’est-à-dire dont la lumière, qui paraît tout à coup reste visible pendant un certain temps et s’éclipse comme elle est venue.

6o Alternatif, lumière qui paraît rouge et blanche alternativement, sans éclipse intermédiaire.

Les sources de lumière employées jadis ou encore en usage pour l’éclairage des phares, sont les suivantes : le bois ou le charbon, des torches et des chandelles de suif, l’huile, le pétrole, le gaz, l’électricité.

On l’a dit : les phares, ces étoiles de la terre, sont au voisinage des côtes ce que les étoiles, ces phares du ciel, sont en pleine mer : la providence du navigateur.

Le poète des Contemplations, un soir d’orage, put écrire avec raison sur le granit du phare de la jetée, au Havre, les vers suivants — carte de visité rimée :

C’est toi, c’est ton feu
Que le pécheur rêve,
Quand le flot s’élève,
Chandelier que Dieu
Posa sur la grève !

Michelet l’a observé en parlant des phares : « Que de visites ils reçoivent de la femme inquiète qui épie le retour ! Le soir, vous la trouveriez là assise, attendant et demandant que la secourable lumière qui brille là-haut ramène l’absent, le mette au port. Les anciens, fort justement, dans ces pierres sacrées, honoraient l’autel des dieux sauveurs de l’homme. Pour le cœur en pleine tempête, qui tremble et espère, la chose n’a pas changé, et dans l’obscurité des nuits, celle qui pleure et qui prie y voit l’autel et le Dieu même. »

« Qui peut dire, — ajoute Michelet avec cette chaleur d’accent qui lui est propre, — combien d’hommes et de vaisseaux sauvent les phares ? La lumière vue dans ces nuits horribles de confusion, où les plus vaillants se troublent, non seulement montre la route, mais elle soutient le courage, empêche l’esprit de s’égarer. C’est un grand appui moral de se dire dans le danger suprême : « Persiste ! encore un effort !… Si le vent, la mer, sont contre, tu n’es pas seul : l’Humanité est là qui veille sur toi.

« C’est la France, après ses grandes guerres, qui prit l’initiative des nouveaux arts de la lumière et de leur application au salut de la vie humaine…

« Pour le marin qui se dirige d’après les constellations, ce fut comme un ciel de plus qu’elle fit descendre. Elle créa à la fois les planètes, étoiles fixes et satellites, mit dans ses astres inventés les nuances et les caractères différents de ceux de là-haut. Elle varia la couleur, la durée, l’intensité de leur scintillation. Aux uns elle donna la lumière tranquille, qui suffit aux nuits sereines ; aux autres une lumière mobile et tournante, un regard de feu qui perce aux quatre coins de l’horizon. Ceux-ci, comme les mystérieux animaux qui illuminent la mer, ont la palpitation vivante d’une flamme qui flamboie et pâlit, qui jaillit et qui se meurt. Dans les sombres nuits de tempêtes, ils s’émeuvent, semblent prendre part aux convulsions de l’Océan, et, sans s’étonner, ils rendent feu pour feu aux éclairs du ciel. »

Les balises et les amers concourent, avec les phares, à la sûreté de la navigation en vue des côtes.

Sous le nom de balises, on place à l’entrée des ports et havres certaines marques indiquant aux bâtiments les passages les plus sûrs. La balise est quelquefois un mât mi-planté dans l’eau à l’entrée des canaux — ou étangs — bordant la mer. Son extrémité est terminée par un ballon. Le plus souvent, la balise se compose de tonneaux attachés ensemble à une chaîne de fer dont les extrémités sont retenues au fond de l’eau par de grosses pierres. Le balisage est aussi constitué par des tourelles maçonnées.

On donne le nom d’amer à tout objet situé bien en vue, soit sur une côte, soit au large, et de nature à guider les navigateurs, à localiser leur position, sans possibilité d’erreur.

Le pic de Ténériffe, qui s’aperçoit de plus de cent milles, le Vésuve, le Stromboli, le volcan de l’île Bourbon, que l’on voit à quinze lieues « fumer sa pipe » la nuit, le cirque du Diable, de l’Ascension, sont autant d’amers gigantesques disséminés sur la surface du globe. À défaut de ces indicateurs, le marin sait utiliser un gros arbre, une tour, une colonne, un moulin, etc. Ce sont pour lui autant de jalons qui lui tracent la route à suivre, en entrant dans une baie, un port, un chenal, une passe, afin d’éviter les écueils et les brisants. Les amers sont marqués sur les cartes.

Tous ces moyens ne suffisent pas. On emploie encore les bouées pour indiquer les passages difficiles ou dangereux. La bouée, construite en bois, en liège ou en tôle, est flottante. Elle est quelquefois pourvue d’une cloche que le mouvement de la mer met en branle. Cette disposition est fort utile. Mais bien autrement puissante par le temps de brouillard est la « sirène », dont la voix n’est pas couverte par le bruit du ressac. La sirène est un appareil dont le son est produit par la vapeur au moyen d’air comprimé. Le son est porté dans des directions diverses à une distance considérable. C’est donc un excellent instrument pour les signaux.


  1. Corporation ayant pour objet les intérêts de la marine britannique. Elle a été reconnue par une charte de Henri VIII datée de 1524.