F. ROY (p. 68-76).
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IX

M. DE L’OURSIÈRE

S’il avait été possible au comte de Barmont, à travers les épaisses planches de chêne doublées de fer qui fermaient la porte de sa prison, d’apercevoir le visage du gouverneur dès que celui-ci l’eut quitté, il n’eût pas chanté victoire aussi haut et ne se fût pas cru aussi près de sa délivrance.

En effet, dès que le major n’avait plus eu à redouter le regard clairvoyant de son prisonnier, ses traits avaient pris immédiatement une expression de cynique méchanceté impossible à rendre ; ses yeux voilés avaient brillé d’un feu sombre sous ses paupières grises, et un sourire ironique avait relevé les coins de ses lèvres pâles et minces.

C’était le soir, la nuit commençait à tomber et à confondre tous les objets, en les noyant dans une teinte d’un noir obscur, d’instant en instant plus épaisse.

Le major rentra dans ses appartements, couvrit ses épaules d’un épais manteau, enfonça son chapeau sur ses yeux et fit appeler son lieutenant.

Celui-ci se présenta aussitôt.

C’était un homme d’une quarantaine d’années, à la figure fine et intelligente, dont les traits étaient empreints de douceur et même de bonté.

— Monsieur, lui dit le gouverneur, je pars à l’instant pour Antibes, où m’appellent de graves intérêts ; mon absence se prolongera probablement quelques jours. Pendant que je demeurerai éloigné du château, je vous investis de son commandement, veillez à sa sûreté et surtout tenez la main à ce que le prisonnier ne puisse, au cas où il le voudrait, ce que je ne crois pas, tenter une évasion. Ces tentatives, bien que ne réussissant pas, déconsidèrent une forteresse et sont de mauvaises notes pour son gouverneur.

— Je veillerai avec le plus grand soin, monsieur le major.

— J’y compte, monsieur. Avons-nous quelque bateau pêcheur encore dans le havre ? J’aimerais autant ne pas me servir de l’embarcation de la forteresse, dont la garnison est assez faible.

— Le bateau pêcheur dont vous vous servez habituellement, monsieur le major, et qui est commandé par un certain Michel, je crois, était amarré bord à quai, il y a une heure à peu près, mais il est probable qu’il est parti pour aller, selon son habitude, jeter ses filets au large des récifs.

— Hum ! fit le major, quand même il serait là, je me ferais un scrupule d’occasionner une perte considérable de temps au pauvre diable pour me mettre à terre. Ces pêcheurs ne sont pas riches, chaque minute qu’on leur enlève leur fait manquer le bénéfice déjà si minime d’une longue et dure nuit de travail.

L’officier s’inclina, s’associant en apparence aux pensées philanthropiques de son chef, bien que son visage étonné témoignât de la surprise que lui causait l’expression de tels sentiments dans la bouche d’un homme comme le major.

— N’y a-t-il pas d’autres embarcations ici ? continua le major en affectant un air indifférent.

— Pardonnez-moi, monsieur, un lougre contrebandier se prépare en ce moment à prendre la mer.

— Fort bien, faites prévenir le patron que je désire qu’il me prenne à son bord. Allez, monsieur, et veuillez vous hâter, je suis pressé.

L’officier se retira pour accomplir l’ordre qui lui était donné, le major prit quelques papiers, importants sans doute, renfermés dans une cassette de fer, fermée avec soin, cacha ces papiers dans son habit, s’enveloppa de son manteau et sortit du château salué par les sentinelles qui lui présentaient les armes sur son passage.

— Eh bien ! demanda-t-il à l’officier qui venait au-devant de lui.

— J’ai parlé au patron, monsieur ; il vous attend, répondit celui-ci.

— Je vous remercie, monsieur ; maintenant, rentrez au château et veillez attentivement à sa sûreté, jusqu’à mon retour.

L’officier prit congé et le major se dirigea vers l’espèce de petit quai où l’attendait le canot du lougre.

Dès que le gouverneur fut à bord, le contrebandier largua les amarres et mit sous voiles.

Lorsque le léger navire eut pris son aire, le patron s’approcha respectueusement du major.

— Où mettons-nous le cap, monsieur le gouverneur ? demanda-t-il en ôtant son bonnet de laine.

— Ah ! ah ! c’est vous, patron Nicaud ? fit le gouverneur qui, habitué à traiter avec les contrebandiers, connaissait la plupart d’entre eux par leurs noms.

— Moi-même, pour vous servir si j’en étais capable, monsieur le gouverneur, répondit poliment le patron.

— Dites-moi, fit le major, vous plairait-il de gagner dix louis ?

Le marin éclata d’un gros rire.

— Vous vous gaussez de moi, sans doute, monsieur le gouverneur, dit-il.

— Nullement, reprit le major, et la preuve, c’est que les voilà, ajouta-t-il en tirant de sa poche une poignée d’or qu’il fit sauter dans sa main d’un air nonchalant ; donc j’attends votre réponse.

— Dame ! monsieur le gouverneur, vous n’êtes pas sans savoir que dix louis forment une fort belle somme pour un pauvre diable comme moi ; je ne demande pas mieux que de gagner les jaunets, que faut-il faire pour cela ?

— Oh ! mon Dieu, une chose bien simple ; me conduire à Saint-Honorat, où j’ai envie de me promener.

— À cette heure de nuit ? fit avec surprise le patron.

Le major se mordit les lèvres, en reconnaissant qu’il avait dit une sottise.

— Je suis fort ami du pittoresque, je veux jouir de l’effet des ruines du couvent au clair de lune.

— C’est une idée comme une autre, répondit le patron, et puisque vous me payez, monsieur le gouverneur, je n’ai rien à y voir.

— C’est juste. Vous me conduirez donc à Saint-Honorat, vous me débarquerez avec votre canot, et vous m’attendrez en tirant des bordées au large ; cela vous convient-il ainsi ?

— Parfaitement.

— Ah ! j’ai un goût prononcé pour la solitude, je tiens donc expressément à ce qu’aucun de vos hommes ne descende sur l’île tandis que j’y serai.

— Tout l’équipage demeurera à bord, soyez tranquille.

— C’est bien, j’y compte, voilà l’argent.

— Merci, répondit le patron en l’empochant, et, s’adressant au timonier : La barre dessous, dit-il, et il ajouta : Oh ! les gars, appuyez les écoutes à bâbord.

Le léger navire vint rapidement au vent, et s’élança en bondissant sur les vagues vers Saint-Honorat, dont les sombres contours se dessinaient en noir à l’horizon.

La traversée est courte pour passer de Sainte-Marguerite à Saint-Honorat, surtout à bord d’un fin voilier comme était le lougre contrebandier.

Bientôt le léger bâtiment se trouva en face de l’île.

Le patron mit en panne et ordonna d’affaler le canot à la mer.

— Monsieur le gouverneur, dit-il, en ôtant respectueusement son bonnet et en arrêtant le major qui se promenait de long en large sur l’arrière, nous sommes parés, le canot vous attend.

— Déjà ?… tant mieux ! répondit celui-ci.

Au moment où il allait descendre dans le canot, le patron l’arrêta.

— Avez-vous des pistolets ? lui demanda-t-il.

— Des pistolets, fit-il, en se retournant, à quoi bon ? est-ce que l’île n’est pas déserte ?

— Complètement.

— Je n’ai donc aucun danger à courir.

— Pas le moindre, aussi n’est-ce pas pour cela que je vous adressais cette question.

— Pour quelle raison alors ?

— Dame ! il fait noir comme dans la soute du diable ; il n’y a pas de lune ; à dix pas, il est impossible de rien distinguer, lorsque vous serez pour revenir à bord, comment le saurai-je, si vous ne m’avertissez pas par un signal ?

— C’est juste, comment faire alors ?

— Voici un pistolet, il n’est pas chargé, mais il y a de la poudre dans le bassinet, vous brûlerez une amorce.

— Merci, dit le major en prenant le pistolet et le passant à sa ceinture.

Il descendit dans le canot, qui dansait sur la lame à tribord du lougre, s’assit à l’arrière ; l’embarcation déborda, et quatre vigoureux matelots, se courbant sur les avirons, la firent voler sur l’eau.

— Bon voyage ! cria le patron.

Il sembla au major que ce souhait avait été articulé d’un ton d’ironie assez prononcé par maître Nicaud, mais il n’y attacha pas autrement d’importance et tourna ses regards vers la terre, qui grandissait de plus en plus.

Bientôt l’avant du canot grinça sur le sable de la plage ; on était arrivé.

Le major descendit à terre, et, après avoir recommandé aux marins de retourner à bord, il releva les plis de son manteau sur son visage, s’éloigna à grands pas et ne tarda pas à disparaître dans les ténèbres.

Cependant, au lieu d’obéir à l’injonction qui leur était faite, trois des matelots débarquèrent à leur tour, et suivirent à distance le major, en ayant soin de se tenir hors de sa vue, tandis que le quatrième demeuré à la garde de l’embarcation, la cachait derrière une pointe de terre, l’amarrait solidement à un fragment de rocher et, sautant à terre, un fusil à la main, il s’embusquait un genou en terre, les yeux dirigés vers l’intérieur de l’ile, dans la position d’un chasseur à l’affût.

Cependant le major continuait à s’avancer à grands pas dans la direction des ruines, dont l’imposante silhouette commençait déjà à se profiler à ses yeux, empruntant aux ténèbres qui les enveloppaient une apparence rendue plus majestueuse encore.

Le major, convaincu que son ordre avait été ponctuellement exécuté, car il n’avait aucun motif de se défier du patron Nicaud, que toujours et en toutes circonstances il avait trouvé empressé et fidèle, marchait sans retourner la tête, sans même prendre des précautions qu’il jugeait inutiles, étant bien loin de se douter que plusieurs hommes suivaient ses pas et épiaient ses démarches.

Il était facile de reconnaître, à la manière délibérée dont il marchait, et à la facilité avec laquelle il tournait les obstacles et trouvait son chemin dans les ténèbres, que ce n’était pas la première fois que le major venait en ce lieu si solitaire et si abandonné qu’il parût.

Après être entré dans les ruines, M. de l’Oursière traversa un cloître encombré de décombres informes et, se frayant un passage à travers les pierres et les ronces, il entra dans l’église du couvent, magnifique échantillon du style roman le plus pur, dont le dôme émietté sous l’effort incessant du temps s’était écroulé et dont le chœur et l’abside seuls demeuraient encore intacts au milieu des colonnes brisées et des autels devenus informes.

Le major traversa le chœur et atteignit l’abside, où il s’arrêta.

Après avoir pendant un instant examiné avec soin les objets environnants, comme s’il s’attendait à voir quelqu’un ou quelque chose qu’il n’apercevait pas, il se décida enfin à frapper trois coups dans ses mains.

Au même instant un homme surgit à deux pas de lui à peine.

Cette apparition fut si brusque, que, bien que préparé sans doute à la voir, le major tressaillit et fit un pas en arrière en portant vivement la main à son épée.

— Ah ! ah ! mon maître, fit l’inconnu d’une voix railleuse, me prenez-vous pour un spectre par hasard, que je vous cause si grande frayeur !

Cet homme était enveloppé d’un épais manteau dont les plis dissimulaient la taille, tandis qu’un chapeau empanaché à larges bords couvrait entièrement son visage et le rendait complètement méconnaissable ; seulement le bas de son manteau, relevé par le fourreau d’une longue rapière, témoignait que, quel que fût cet homme, il n’était pas venu désarmé à ce sombre rendez-vous.

— Je suis à vos ordres, monsieur, dit le major en portant la main à son chapeau, mais sans se découvrir.

— Et prêt à me servir sans doute, reprit l’inconnu.

— C’est selon, répondit brutalement le major, les temps ne sont plus les mêmes.

— Ah ! ah ! fit l’inconnu toujours railleur, qu’y a-t-il donc de nouveau, je serais charmé de l’apprendre de vous ?

— Vous le savez aussi bien que moi, monsieur.

— C’est égal, dites-moi toujours quelles sont ces grandes nouvelles qui apportent ainsi du premier coup des modifications à nos relations si amicales jusqu’à ce jour ?

— Il est inutile de railler ainsi, monsieur, je vous ai servi, vous m’avez payé, nous sommes quittes.

— Peut-être, mais continuez, c’est un nouveau marché que vous me voulez proposer, je présume ?

— Je ne veux rien vous proposer, je viens parce que vous avez témoigné le désir de me voir, voilà tout.

— Et votre prisonnier, en êtes-vous toujours satisfait ?

— Plus que jamais. C’est un charmant gentilhomme qui, certes, ne mérite pas le sort malheureux qui lui est fait ; je m’intéresse réellement à lui.

— Diable ! ce sera cher, alors, je n’avais pas mis cet intérêt en ligne de compte, j’ai eu tort, je le vois.

— Que voulez-vous dire, monsieur ? se récria le major d’un air offensé.

— Rien autre que ce que je dis, cher monsieur. Pardieu ! vous me la donnez bonne avec vos scrupules, vous qui, depuis dix-huit mois, recevez de toutes mains. Le cardinal est mort et le roi à l’agonie, voilà ce que vous vouliez m’annoncer, n’est-ce pas ? Un nouveau règne se prépare, et il est probable que, ne serait-ce que par esprit de contradiction, le nouveau gouvernement prendra le contre-pied de ce qu’a fait celui auquel il succède et que son premier soin sera d’ouvrir les prisons. Vous vouliez me dire encore que le comte de Barmont, qui possède à la cour de chauds amis, qui emploieront leur crédit pour lui, ne peut manquer d’être mis bientôt en liberté, pardieu ! je savais tout cela aussi bien et même mieux que vous, mais qu’importe ?


Ses agresseurs l’abandonnèrent ainsi et disparurent sans davantage s’occuper de lui.

— Comment, qu’importe ?

— Certes, si le comte de Barmont a des amis dévoués, il a des ennemis implacables ; retenez bien ceci.

— Ce qui fait que ?

— Ce qui fait que, dans quatre jours au plus tard, vous recevrez un ordre signé du roi Louis XIII lui-même.

— Ah ! et que dira cet ordre ?

— Oh ! mon Dieu ! pas grand’chose, sinon que le comte de Barmont sera immédiatement transféré de l’ile Sainte-Marguerite à la Bastille ; et une fois à la Bastille, ajouta-t-il d’une vois sombre qui, malgré lui, fit frissonner le major, on est à jamais rayé du nombre des vivants et on n’en sort que mort, ou fou ! Me comprenez-vous maintenant ?

— Oui, je vous comprends, monsieur ; mais qui vous assure que, avant les quatre jours dont vous parlez, le comte ne se sera pas échappé ?

— Oh ! avec un gouverneur comme vous, monsieur, cette éventualité me semble bien improbable.

— Eh ! eh ! fit le major, on raconte des choses très extraordinaires sur les évasions des prisonniers.

— C’est vrai ; mais une autre chose me rassure encore contre cette évasion.

— Laquelle donc, monsieur ?

— Mon Dieu ! tout simplement que le comte a déclaré lui-même qu’il ne consentirait jamais à fuir et qu’il se souciait fort peu d’être libre.

— Eh bien ! justement, monsieur, voilà ce qui vous trompe ; c’est qu’il paraît que maintenant il a changé d’avis, et qu’il sollicite vivement par ses amis pour obtenir sa liberté.

— Ah ! en sommes-nous là ! dit l’inconnu en fixant sur le major un regard qui lança un éclair dans l’ombre.

Le gouverneur s’inclina.

Il y eut un silence, pendant lequel on n’entendit d’autre bruit que celui produit par le vol lourd et saccadé des oiseaux de nuit dans les ruines.

— Trêve à plus longs bavardages ! reprit l’inconnu d’une voix ferme, combien voulez-vous pour que le prisonnier ne s’évade pas jusqu’à ce que l’ordre du roi vous arrive ?

— Deux cent mille livres, répondit brutalement le major.

— N’avais-je pas raison de vous dire que ce serait cher ? fit l’inconnu en ricanant.

— Cher ou non, c’est mon prix, et je n’en changerai pas. — Soit, vous les aurez.

— Quand ?

— Demain.

— C’est trop tard.

— Hein ? fit l’inconnu avec hauteur.

— J’ai dit que c’était trop tard, reprit imperturbablement le major.

— Alors, quand vous les faut-il ?

— Tout de suite.

— Croyez-vous donc que je porte deux cent mille livres sur moi ?

— Je ne dis pas cela, seulement je puis vous accompagner là où vous allez ; et, arrivé à Antibes, par exemple, vous me compterez la somme.

— Ce moyen est bon.

— N’est-ce pas ?

— Oui, seulement il y a un empêchement à ce qu’il réussisse.

— Je n’en vois pas.

— J’en vois un, moi.

— Lequel, monsieur ?

— C’est que, si je vous donne rendez-vous ici, si j’y viens déguisé et seul, j’ai un but probablement.

— Pardieu ! celui de demeurer inconnu.

— Vous êtes plein de pénétration, mon cher monsieur ; mais nous pouvons cependant nous entendre.

— Je ne vois guère comment, à moins que vous consentiez à ce que je vous demande.

— Vous vous connaissez en diamants, puisque jusqu’à présent nous n’avons pas autrement traité.

— C’est vrai, monsieur, je m’y connais un peu.

— En voici un qui vaut cent mille écus ; prenez-le.

Et il lui présenta une petite boîte en chagrin noir.

Le major s’en empara vivement.

— Mais, objecta-t-il, comment m’assurerai-je que vous ne me trompez pas ?

— Touchante confiance ! fit l’inconnu en riant.

— Les affaires sont les affaires, je risque mon âme pour vous servir.

— Quant à votre âme, mon cher monsieur, rassurez-vous : de ce côté-là vous n’avez rien à risquer ; mais je vais vous donner la satisfaction que vous désirez.

Et, sortant une lanterne sourde de dessous son manteau, il en dirigea la lumière sur le diamant.

Le major n’eut besoin que d’un seul coup d’œil pour s’assurer du prix de la riche récompense qui lui était donnée.

— Êtes-vous satisfait ? dit l’inconnu en faisant disparaître la lanterne sous son manteau.

— En voici la preuve, répondit le major en cachant la boîte et en lui présentant une liasse de papiers.

— Qu’est-ce cela ? demanda l’inconnu.

— Des papiers fort importants pour vous, en ce sens qu’ils vous apprendront quels sont les amis du comte et les moyens qu’ils peuvent employer pour le rendre à la liberté.

— Bravo ! s’écria l’inconnu en prenant vivement la liasse de papiers ; je ne regrette plus d’avoir payé votre concours un aussi haut prix. Maintenant, nous nous sommes bien tout dit, n’est-ce pas ?

— Je crois que oui.

— Alors, adieu ! lorsque j’aurai besoin de vous, je vous préviendrai.

— Vous partez déjà ?

— Que diable voulez-vous faire plus longtemps dans ce nid de hiboux ? il est temps que chacun de nous regagne ceux qui l’attendent.

Et, après avoir fait au major un léger salut de la main, il se détourna pour se retirer et disparut derrière les ruines du maître-autel.

Au même instant l’inconnu fut brusquement saisi à l’improviste par plusieurs individus, et cela si prestement que non seulement il ne put tenter une défense inutile, mais encore il se trouva garrotté et bâillonné avant que d’être revenu de la surprise que lui avait causée cette attaque.

Ses silencieux agresseurs l’abandonnèrent ainsi, se roulant sur le sol avec des soubresauts convulsifs de rage impuissante, et disparurent dans la nuit, sans davantage s’occuper de lui.

Le major, après une seconde d’hésitation, s’était, lui aussi, décidé à quitter la place, et il avait repris à pas lents la direction du rivage. Arrivé à une certaine distance, selon la recommandation du patron Nicaud, il arma son pistolet et brûla l’amorce ; puis il continua à s’avancer à pas lents.

Le canot avait fait sans doute diligence pour venir à sa rencontre, car au moment même où le major atteignait le rivage, le canot s’engravait sur le sable.

Le gouverneur monta silencieusement à bord ; vingt minutes plus tard, il se trouvait de nouveau sur le pont du lougre où maître Nicaud le recevait respectueusement, son bonnet à la main.

L’embarcation fut hissée sur les pistolets, le lougre orienta ses voiles et reprit la bordée du large, poussé par une bonne brise.