Anonyme
Traduction par Pierre Jannet.
À l’enseigne du pot cassécoll. Scripta Manent, n°44 (p. 114-116).

CHAPITRE XLV.


Comment un bottier de Brunswick larda les bottes
d’Ulespiègle, et comment sa fenêtre
fut enfoncée.



Il y avait à Brunswick, sur le marché au charbon, un bottier nommé Christophe. Ulespiègle alla chez lui pour faire graisser ses bottes, et lui dit : « Maître, voulez-vous m’accommoder ces bottes avec du lard, que je puisse les avoir lundi ? – Volontiers », répondit le bottier. Ulespiègle sortit sans songer à mal. Quand il fut parti, le garçon dit : « Maître, c’est Ulespiègle, qui fait tant de malices à tout le monde. Si vous lui commandiez ce qu’il vous a commandé, il ne manquerait pas de le faire. – Que m’a-t-il donc commandé ? dit le maître. – Il vous a dit, répondit le garçon, d’accommoder ses bottes avec du lard, et il voulait dire de les graisser. Eh bien, je ne les graisserais pas, je les larderais, comme on larde un rôti. — C’est bon, dit le maître ; nous ferons comme il nous a dit. » Il prit du lard, le coupa par petites lanières, et, avec une aiguille à larder, piqua les bottes comme un rôti. Le lundi Ulespiègle revint, et demanda si ses bottes étaient prêtes. Le bottier les avait accrochées contre la muraille ; il les lui montra en disant : « Tiens, les voilà accrochées. » Ulespiègle, voyant ses bottes ainsi lardées, se mit à rire et dit : « Quel bon ouvrier vous êtes ! Vous avez fait comme je vous avais dit. Combien vous dois-je pour cela ? » Le bottier demanda un vieux gros. Ulespiègle le donna, prit ses bottes lardées et sortit de la maison. Le maître et son garçon le regardaient aller en riant et disaient : « Comment se tirera-t-il de là ? Le voilà attrapé ! » Tout d’un coup voilà Ulespiègle qui court tête baissée contre la fenêtre, car la boutique était au rez-de-chaussée et donnait sur la rue, et qui dit au bottier : « Maître, quel est le lard avec lequel vous avez accommodé mes bottes ? Est-ce du lard de truie ou de verrat ? » Le bottier et son garçon furent tout étonnés ; bientôt le bottier, voyant qu’Ulespiègle lui parlait à travers la fenêtre, et qu’avec sa tête et ses épaules il avait bien cassé la moitié des vitres, qui étaient tombées en morceaux dans la boutique, se mit en colère et dit : « Traître, si tu ne laisses pas cela tranquille, je vais te taper sur la tête avec ce bâton. – Ne vous fâchez pas, cher maître, dit Ulespiègle ; je voudrais bien savoir quel est le lard avec lequel vous avez piqué mes bottes. Est-ce d’une truie, ou d’un verrat ? » Le maître lui répondit en colère de laisser sa fenêtre tranquille. « Si vous ne voulez pas me dire quel lard c’était, dit Ulespiègle, je serai obligé de m’en aller et de demander à un autre. » Puis il se retira de la fenêtre. Le bottier était fâché contre son garçon, et lui dit : « Tu m’as conseillé pour les bottes, conseille-moi maintenant pour faire raccommoder ma fenêtre. » Le garçon ne répondant pas, le maître continua avec aigreur : « Qui est-ce maintenant qui s’est moqué de l’autre ? J’ai toujours entendu dire que celui qui est chargé de gens malicieux doit couper la courroie et les laisser aller. Si j’avais fait ainsi mes vitres ne seraient pas cassées. » Le garçon fut obligé de s’en aller, parce que le maître voulait qu’il lui payât ses vitres, puisqu’il lui avait donné le conseil de larder les bottes.