Les Aventures de Nono/V. La gourmandise punie

P.-V. Stock (p. 73-84).

V

LA GOURMANDISE PUNIE


Le château vers lequel s’étaient dirigés les enfants s’élevait sur une large esplanade bien sablée, coupée de vastes pelouses, dont quelques-unes étaient plantées d’arbres.

Sous ces arbres, ceux des enfants qui n’avaient pas été employés à la récolte des fruits, ou à la traite des vaches, avaient dressé de grandes tables carrées, que, ce soir là, en l’honneur du nouveau venu, on avait ajoutées bout à bout, mais que, ordinairement, on dressait séparées les unes des autres, couvertes de belles nappes, supportant des plats et des assiettes enjolivés de dessins naïfs aux couleurs crues.

Des chaises indiquaient la place de chaque convive.

Les arrivants rangèrent leurs fruits sur des coupes de la même faïence que les assiettes. Il y avait un échantillon de presque tous les fruits, non seulement pommes, pêches, raisins, abricots, dattes, oranges, bananes, mais une foule d’autres que Nono n’avait jamais vus. Des pâtisseries de toutes formes, dues à l’ingéniosité de Labor, étagées dans de jolies coupes, alternaient avec les fruits. Des fleurs dans des vases aux formes graciles et variées ajoutaient l’éclat de leurs couleurs plus vives à la teinte plus effacée des fruits.

D’autres enfants transvasaient le lait crémeux en de jolis petits pots de grès aux formes élégantes, aux tons chauds et harmonieux. Cela flattait l’œil, en même temps qu’un parfum discret chatouillait les narines, amenant l’eau à la bouche des moins gourmands.

Quand tout le petit monde fut arrivé que la récolte fut rangée sur les tables, chacun prit place selon ses goûts et préférences, se plaçant à côté du camarade qui, provisoirement, l’attirait le plus.

Nono était entre ses nouveaux amis qui lui nommèrent ceux qui étaient le plus près. En face d’eux, il y avait Gretchen, Fritz, Lola, Wynnie, Beppo, Pat, Stella. Il semblait que tous les noms de la terre y étaient représentés.

Du reste, non loin de lui, Nono put voir de petites frimousses noires et jaunes, aux yeux bridés.

Tous riaient, babillaient, comme l’avait dit la petite Mab, sans s’occuper de quel coin de la terre ils étaient venus.

On fit circuler les coupes autour de la table, chacun choisissait à sa convenance ; les uns prenaient de tout, pendant que d’autres se bourraient de l’espèce qui, pour l’instant, était l’objet de leur préférence. Mais la distribution se fit très cordialement, l’appétit le plus vorace sachant qu’il aurait toujours de quoi se satisfaire amplement.

— Tiens ! c’est moi qui vais te servir, fit Mab en prenant une coupe, qu’est-ce que tu préfères : pêches, raisins ?

— Non, fit Hans, voici des bananes que j’ai cueillies à son intention. »

Et chacun mettait sur l’assiette de Nono ses fruits préférés.

— Je veux bien goûter de tout, fit Nono. Et il se mit à peler une banane, Hans lui ayant fait voir qu’il fallait enlever la pelure. »

Mais, dès la première bouchée, il dut s’arrêter.

— Tu n’aimes donc pas cela demanda Hans un peu déçu ; car il s’attendait à des exclamations de plaisir.

— Si, fit Nono, ce n’est pas mauvais ; pourtant il me semble que je préfère le raisin ; et il mordit à même la grappe que Mab avait mise sur son assiette. Mais après en avoir avalé quelques grains, il dut s’avouer vaincu. Reposant la grappe sur son assiette, il repoussa doucement celle-ci, regardant d’un œil navré les coupes aux fruits si divers et si appétissants dont il lui semblait, avant de se mettre à table, ne pas pouvoir se rassasier, et que, maintenant, son estomac bourré, se refusait à avaler.

— Eh bien ! qu’as-tu donc ? firent à la fois Mab et Hans, ses voisins de droite et de gauche, en le voyant s‘arrêter de manger et repousser son assiette.

— Je n'ai pas faim ! fit-il, d'un ton qui n’aurait pas été plus triste s‘il avait eu à annoncer la perte d’une moitié de sa famille.

— Comment, t’as pas faim ! fit Mab, de si beaux fruits ! »

Nono, secoua la tête.

— Tu es malade, alors? fit Hans.

— Tu as du chagrin ? » ajouta Mab.

Biquette, Sacha, s’étaient levées et maintenant, autour de Nono, s’enquéraient, elles aussi, de ce qu’il avait.

Honteux et confus, Nono finit par se laisser arracher que, déjà gavé du miel des abeilles, et des framboises et des fraises, dons des carabes, sa gourmandise l’avait poussé à se bourrer encore de cerises pendant qu’il les cueillait. Son estomac distendu se refusait à avaler quoi que ce soit.

— Bois un peu de lait, fit Sacha, cela les fera descendre, tu mangeras cette belle pêche ensuite. »

Nono essaya d’en avaler quelques gouttes, mais le lait ne voulait pas descendre lui non plus.

Et jetant un dernier regard de convoitise sur les fruits succulents qui attiraient ses regrets, le jeune gourmand dut se contenter de regarder manger ses camarades qui, rassurés, s’étaient remis à becqueter les fruits de leurs préférences, se promettant, lui, d’être plus sage à l’avenir, et de modérer sa gourmandise.

Il dut leur raconter ses aventures avec les abeilles et les carabes, la mention qu’il avait faite de son repas dans le bois ayant éveillé leur curiosité.

Quand tout le monde fut rassasié, l'on se mit à desservir les tables, rapportant les nappes à la lingerie, la vaisselle à la cuisine, où des machines inventées par Labor, lavaient et essuyaient plats et assiettes, que l'on n’avait plus ensuite qu’à ranger dans les buffets qui ornaient la cuisine, située en un bâtiment un peu éloigné du château, caché par un rideau d’arbres, d’arbustes et de fleurs ; les tables et les sièges furent rangés sous des hangars y attenant.

Lorsque tout fut en ordre, les enfants se répandirent dans le jardin, discutant des jeux auxquels ils allaient se divertir. La plupart des filles voulaient jouer à la maman ou à la maîtresse d'école, vagues réminiscences de leurs jeux avant l’arrivée à Autonomie, les garçons à saute-mouton, à chat perché ; et après avoir bien discuté, tous finirent par s’organiser en groupes d’après leurs préférences.

Mais, peu à peu, quelques-une se détachaient du groupe dont ils faisaient partie, attirés qu’ils étaient par d’autres à côté, qui semblaient mieux leur convenir ; quelques garçons se laissèrent attirer par les douceurs du jeu de la poupée ; quelques filles, parmi les plus « diables », avaient mis leurs jupons en culotte, et jouaient bravement à saute-mouton.

Insensiblement les groupes s’étaient mêlés, il en était sorti d’autres pour jouer à colin-maillard, à cache-cache, à pigeon-vole, et autres divers jeux.

Nono, qui avait débuté en jouant à chat perché avec Hans, Mab, Biquette et Sacha, se trouvait à la fin engagé dans une partie de colin-maillard, avec une vingtaine d’autres garçons ou filles, et y comptait déjà une demi-douzaine d’amis des deux sexes qui avaient nom Gretchen, May, Pat, Beppo, Coralie, jolie petite mulâtresse de la Guadeloupe, et Doudou, un solide noir Congolais.

Mab, Hans, faisaient partie d’un groupe très occupé à résoudre des devinettes que chacun


posait à son tour. Biquette et Sacha sautaient à la corde.

Ceux qui étaient fatigués de jouer, venaient s’asseoir sur le perron, où, étendus sur les marches, ils suivaient du regard les jeux de leurs camarades.

Le soleil était couché depuis un moment déjà, l'obscurité tombait lentement, mais la soirée était douce, les étoiles s'allumaient une à une dans le ciel, les éclats de voix des joueurs s’éteignaient eux aussi, peu à peu.

Solidaria parut sur le haut des marches du perron:

— Mes enfants, dit-elle, une surprise aujourd’hui. Une troupe de gymnasiarques est venue nous offrir de vous donner ce soir une représentation de leurs exercices. Il s’agit de tout préparer pour bien les recevoir. Où voulez-vous qu'ait lieu le spectacle ? dans la salle de théâtre ou dehors ?

— Dehors, dehors, firent les enfants qui étaient accourus, et qui se sentaient sous le charme de cette soirée.

— Eh bien, alors, à l’œuvre. Voici Labor qui vous aidera. »

Et les enfants, enthousiasmés, se mirent à battre des mains, sautant de joie.