Les Avadânas, contes et apologues indiens/7

Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 41-46).


VII

LE PERROQUET DEVENU ROI.

(Estimez la prudence.)


Au pied des montagnes neigeuses, dans le creux d’un ravin, il y avait un endroit exposé au soleil où les oiseaux se réunissaient en foule. Un jour, ils délibérèrent entre eux et dirent : « Il faut maintenant que nous choisissions l’un de nous pour être roi, afin qu’il inspire à la multitude des oiseaux une crainte salutaire et les empêche de faire le mal.

— À merveille ! dirent les oiseaux ; mais qui est-ce qui mérite d’être roi ?

— Il faut prendre la grue, s’écria un oiseau.

— Cela ne convient pas, dit un autre.

— Pourquoi cela ?

— Elle a de hautes jambes et un long cou ; pour la moindre peccadille, elle nous brisera le crâne à coups de bec. Choisissons le cygne pour roi ; son plumage est d’une parfaite blancheur ; il obtiendra les respects de tous les oiseaux.

— Cela ne convient pas, dirent les autres oiseaux. Quoiqu’il soit blanc de toute sa personne, il a un cou long et tortu. Celui dont le cou n’est pas droit, pourrait-il redresser les autres ? Voilà pourquoi cela ne convient pas.

— Il y a le paon, dirent d’autres oiseaux ; sa queue brille des plus riches couleurs, et sa vue seule réjouit les yeux. Il est digne d’être roi.

— Cela ne convient pas, répliquèrent les autres oiseaux.

— Quelle en est la cause ?

— Quoiqu’il ait des plumes charmantes, il est dépourvu de honte. Toutes les fois qu’il fait la roue, il étale impudemment la laideur de son corps. Voilà pourquoi cela ne convient pas. »

Un oiseau dit : « Prenons le hibou pour roi. En voici la raison : le jour il se tient en repos, et la nuit il veille et fait sentinelle. Il pourra nous garder. C’est lui qui mérite d’être roi. »

La multitude des oiseaux approuva cet avis. Il y avait un perroquet rempli de prudence et de perspicacité qui se tenait à l’écart. Après avoir réfléchi, il s’écria : « L’habitude des oiseaux est de dormir la nuit, et de sortir le jour pour chercher leur nourriture. Ce hibou est dans l’usage de veiller la nuit et de dormir le jour. Quand tous les oiseaux l’entoureront pour le servir, ils seront jour et nuit dans les alarmes et ne pourront dormir ; ce sera un sort misérable. Si nous lui adressons des observations, il se mettra en colère et nous plumera impitoyablement. Si nous prenons le parti de nous taire, la famille entière des oiseaux subira toute sorte de cruautés pendant la longueur des nuits. Aimez-vous mieux être dépouillés de vos plumes que d’enfreindre quelque peu les lois de la raison. ? »

En achevant ces mots, il se présenta devant la multitude des oiseaux, s’éleva au-dessus de l’assemblée en agitant ses ailes, et leur dit d’une voix respectueuse : « Je souhaite que vous écoutiez l’humble avis que je viens d’émettre. »

En ce moment, la multitude des oiseaux prononça ces vers : « Un être intelligent connaît la justice et n’a pas besoin d’être mûri par les ans. Quoique vous soyez jeune, vous avez une prudence qui répond aux exigences du temps. »

En ce moment le perroquet, flatté de l’opinion des oiseaux, prononça ces vers : « Si vous m’en croyez, vous ne prendrez pas le hibou pour roi. En effet, quand il sera joyeux, s’il montre sa figure, il terrifiera constamment les oiseaux. À plus forte raison, s’il se met en colère, nul d’entre nous n’osera le regarder en face.

— Ce que vous dites est la vérité même, s’écrièrent les oiseaux. » Ils prirent en conséquence la résolution suivante : « Le perroquet est doué de lumières et d’intelligence ; lui seul est digne d’être notre roi. »

Cela dit, ils le saluèrent tous du nom de roi.

(Extrait de l’Encyclopédie intitulée : Fa-youen-tchou-lin, livre LI.)