Les Affaires de Syrie d’après les papiers anglais/01

Les Affaires de Syrie d’après les papiers anglais
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 33 (p. 964-992).
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LES
AFFAIRES DE SYRIE
D'APRES LES PAPIERS ANGLAIS

I.
CONVENTION DU 5 SEPTEMBRE 1860. — L'EXPEDITION FRANCAISE.

Correspondence relating to the affairs of Syria, presented to both homes of parliament by command of Her Majesty, 1861.

Je veux faire l’histoire des affaires de Syrie telle qu’elle résulte du recueil des dépêches et documens anglais qui a été dernièrement distribué aux deux chambres du parlement anglais. Je demande pardon à ceux de mes compatriotes qui ont écrit récemment sur la Syrie si je ne prends pas dans leurs ouvrages les faits que je veux signaler au public ; je demande particulièrement pardon à M. Baptistin Poujoulat, mon confrère du comité de Syrie, si je ne me sers pas en ce moment de son excellent livre, la Vérité sur la Syrie. J’ai d’autant plus tort peut-être de ne pas me servir de son livre, que je puis lui dire, après avoir lu le blue book ou le recueil des documens anglais, que je n’ai pas trouvé un seul document anglais qui contredise ses allégations. Les papiers anglais confirment partout la Vérité sur la Syrie. Pourquoi donc ne pas me servir d’un livre dont les allégations sont, à mes yeux, hors de tout doute et de toute contestation ? C’est que je me défie de moi-même, c’est que je me sens disposé à croire trop aisément ce que dit M. Poujoulat. Il pense ce que je pense, il sent ce que je sens. J’ai applaudi comme lui au départ de nos soldats pour la Syrie, je me suis affligé comme lui de leur retour ; nous sommes chrétiens, nous sommes catholiques, nous tenons beaucoup à la grandeur morale de la France en Orient. Tout cela fait que je le tiens pour un peu suspect, lui comme moi ; mais les documens anglais, quelle raison aurais-je de m’en défier ? Ils viennent de Londres, du ministère anglais ; ils sont britanniques, ils sont protestans. Ils pourront me déplaire et me contredire ; mais, s’ils confirment mes idées, je ne les soupçonnerai point de complaisance, et je serai tenté de croire que nous avons vraiment raison, mes amis et moi, quand nous avons raison à l’aide des documens anglais. J’écarte donc sans hésiter tout témoignage qui ne viendra pas de nos adversaires. Je récuse les documens et les discours du gouvernement français ; je ne m’attache qu’aux documens qu’a publiés lord Palmerston.

Je partage l’examen que je veux faire de ces documens en trois parties : — 1° De la convention du 5 septembre 1860 et de l’expédition française. Quelles difficultés et quelle répugnance a rencontrées notre expédition ? Que faut-il penser de ces difficultés et de ceux qui nous les ont faites ? 2° Des délibérations de la commission internationale à Beyrouth, de ses travaux, des obstacles aussi qu’elle a eu à vaincre ; du gouvernement de Fuad-Pacha. 3° Du régime à venir de la Syrie ; idées et plan du commissaire anglais, idées et plans de la Porte-Ottomane.


I

Il y a dans toutes les affaires qui touchent à la question d’Orient une grande et insurmontable difficulté : l’Europe ne veut pas permettre qu’une puissance européenne traite et décide seule telle ou telle affaire d’Orient, et, quand l’Europe s’assemble pour traiter l’affaire en commun, elle ne peut pas se mettre d’accord. De là l’impuissance de chacun à cause de la jalousie de tous, et l’impuissance de tous à cause de la désunion de chacun. Cet état de choses, qui se manifeste dès le commencement de l’affaire de Syrie, ne pourra manquer de se manifester souvent dans les nouveaux rapports de la Turquie avec l’Europe. Pour y échapper, l’Europe prendra tantôt un genre d’action, tantôt un autre, c’est-à-dire que, fatiguée des gênes et des entraves de l’action commune, telle ou telle puissance essaiera de l’action particulière ; mais, bientôt convaincue des périls de l’action isolée, cette puissance reviendra au concert européen, je veux dire à l’impuissance collective. Comment, dira-t-on, sortir de ce cercle vicieux ? Il ne faut pour cela qu’une seule chose : c’est que quelqu’un en Europe veuille croire quelqu’un, c’est que quelqu’un veuille avoir confiance en quelqu’un. Le jour où ce miracle arrivera, tout sera facile, même la question d’Orient.

Si par exemple dans la question de Syrie l’Angleterre avait voulu dès le commencement s’en fier à la parole de la France, si elle avait voulu croire que nous n’allions en Syrie que pour venger l’humanité, pour empêcher le sang chrétien de couler à flots, la question de Syrie serait-elle arrivée à l’état critique où elle est aujourd’hui ? La corde serait-elle tendue comme elle l’est ? La défiance anglaise a tout gâté. En vain nous avons dit dans le protocole du 3 août 1860 que « nous n’entendions poursuivre aucun avantage territorial, aucune influence exclusive[1] ; » en vain les autres puissances européennes ont pris le même engagement et confirmé le nôtre par le leur. Nous sommes forcés de rappeler ici le mot tant reproché à M. Guizot, quand il expliquait comment, dans la question de Syrie ou d’Égypte en 1840, il n’avait pas pu persuader à l’Angleterre que nous ne cherchions dans l’agrandissement de Méhémet-Ali aucun avantage territorial, aucune influence exclusive ; on ne m’a pas cru, disait-il. Les badauds de ce temps-là se récrièrent. — Comment, on n’a pas cru à la parole de la France ! Et M. Guizot ne craint pas de le dire ! — L’événement le disait encore plus haut que M. Guizot ; l’événement dit encore de même aujourd’hui, dans la question de Syrie, que lorsqu’il s’agit de persuader à l’Angleterre que la France n’a pas d’ambition, l’Angleterre sur ce point n’est pas persuasible.

Je veux suivre dans les documens anglais la marche et les progrès de cette défiance anglaise depuis le commencement des affaires de Syrie. Loin de s’affaiblir, cette défiance n’a fait que s’augmenter. Le traité de commerce même ne l’a pas apaisée. Ne lisions-nous pas dans un des derniers numéros du Saturday Review « que ce n’était pas pour rien que Partant pour la Syrie était l’air national de la dynastie des Bonaparte, que la conquête de la Syrie ou de l’Égypte était l’idée favorite de l’esprit napoléonien,… que l’intrigue de Syrie (c’est le mot dont se sert le Saturday Review) est un reste du vieil esprit d’agression inhérent au despotisme militaire des Bonaparte ? » Étranges paroles que nous croyons réfuter en les citant seulement : comme si les chrétiens de Syrie s’étaient fait exprès massacrer pour donner à l’empereur une occasion d’intervenir en Orient, comme si les victimes avaient fait une intrigue dont le premier ressort était leur ruine et leur mort inévitable, comme si l’expédition française n’avait pas été autorisée par l’Europe, comme si enfin il était juste de prendre l’air Partant pour la Syrie pour une des fanfares de l’ambition napoléonienne au moment même où nous revenons de la Syrie ! Mais, tout inopportune qu’elle soit, l’invective du Saturday Review montre quelle est l’incurable défiance que l’Angleterre a contre.la France en tout ce qui touche à la Syrie.

Quand, au mois de juillet 1860, chaque paquebot arrivant du Levant annonçait les épouvantables massacres du Liban d’abord et bientôt de Damas, quand la conscience européenne s’indignait de si grands attentats, quand la France demandait que nos soldats allassent venger l’humanité si cruellement outragée, le gouvernement anglais s’associait à ce mouvement général d’indignation et de pitié : il acquiesçait au départ de nos troupes ; mais à ce moment même lord John Russell, dans ses dépêches à lord Cowley, avouait « que l’emploi de forces étrangères dans l’intérieur de la Syrie était une mesure que le gouvernement anglais n’adoptait qu’avec beaucoup de répugnance. Cette intervention peut exciter plus vivement encore le fanatisme musulman et retarder, au lieu de hâter, la pacification de la Syrie. C’est aussi une mesure qui peut amener des difficultés internationales d’une grave nature[2]. » Il faut même dire que la nouvelle des massacres de Damas fut ce qui décida les ministres anglais à consentir à l’expédition française ; les massacres du Liban n’avaient pas suffi. « Le gouvernement sait bien le mal que peut faire une occupation étrangère, écrit lord John Russell à M. Bulwer le 1er août 1860, et il n’y a que l’odieuse conduite (the extreme misconduct) des pachas turcs et des troupes turques en Syrie qui ait pu décider le gouvernement de la reine à consentir aux propositions de la France. La punition et la répression des massacres du Liban auraient été laissées à la justice et à la vigilance de Fuad-Pacha, si les désastreuses nouvelles arrivées de Damas n’avaient montré que, même dans une des principales villes de l’empire, les autorités turques étaient incapables de protéger la vie des chrétiens. Que ce soit manque de pouvoir ou manque de volonté, le manque de sécurité pour la vie et la propriété est égal dans les deux cas[3]. »

Ces derniers mots de lord John Russell expliquent l’état du gouvernement turc : à Constantinople, manque de pouvoir pour protéger les chrétiens des provinces ; dans les provinces, manque de volonté. Connaissant si bien ces deux défauts de la Turquie, qu’espère donc en faire lord John Russell ? Comment lui donnera-t-il de la force ? ou comment lui donnera-t-il de la volonté pour défendre les chrétiens ? Là où elle veut, elle ne peut pas ; là où elle peut, elle ne veut point.

Pendant qu’à Londres les ministres anglais avaient seulement de la répugnance contre notre expédition, à Constantinople c’était une sorte de dépit désespéré. En Turquie, la vanité a remplacé la puissance. L’empire turc n’est plus qu’une ombre ; mais cette ombre veut paraître et se glorifier. Elle a pris au sérieux l’indépendance et l’intégrité de l’empire ottoman proclamées par la politesse ou par la jalousie de l’Europe ; elle s’irrite quand on lui dit : Ou protégez la vie, les biens, l’honneur de vos sujets chrétiens, comme vous vous y êtes obligée par le traité de 1856, ou, si vous ne le pouvez pas, laissez-nous le faire à votre place. Elle parle alors des droits de sa souveraineté, quoiqu’elle en oublie les devoirs, ou bien elle déclare qu’elle peut aisément maintenir l’ordre et assurer la sécurité de ses sujets. Le croit-elle ? ou bien se contente-t-elle de le dire ? Mais le jour même où elle le dit, arrivent d’affreuses nouvelles, d’épouvantables récits de chrétiens égorgés par milliers qui démentent sa crédulité vaniteuse ou sa menterie inhumaine. Ainsi le 17 juillet 1860, à Constantinople, M. Bulwer écrit à lord John Russell qu’étant chez Aali-Pacha, il vient de voir une dépêche du gouverneur de Damas qui affirme que « la ville est plus tranquille qu’elle ne l’a jamais été, et qu’il n’y a rien de sérieux à craindre. » Pendant que M. Bulwer montre sans doute aussi à Aali-Pacha les dépêches du consul anglais de Damas, M. Brant, qui « a la conviction qu’il n’y aura pas de mouvement musulman dans la ville… » et qui croit « que les Druses du Hauran se retireront tranquillement chez eux[4] ; » pendant que le ministre turc et l’ambassadeur anglais s’entretiennent ainsi avec satisfaction de la sécurité et de l’ordre qui règnent à Damas, déjà les dépêches télégraphiques arrivées de Damas circulent dans Constantinople et parlent des massacres qui ensanglantent la ville[5] !

Après un si éclatant et si cruel désappointement, la Porte aurait dû perdre un peu de la confiance qu’elle avait dans le pouvoir et la volonté de ses fonctionnaires. Il n’en est rien. Elle déclare le 27 juillet que « le gouvernement impérial, ayant pris les mesures les plus propres à venger les horreurs commises et ayant envoyé le ministre des affaires étrangères (Fuad-Pacha) avec des pouvoirs illimités, est convaincu que, par l’aide de Dieu, il est en état de réprimer seul le désordre et de châtier les coupables[6]. »

La confiance que la Porte exprime en son propre pouvoir dans cette dépêche du 27 juillet 1860 est-elle un aveuglement incurable, une illusion incorrigible ? Non, c’est un système, et c’est là ce qui rend la Porte coupable. Nous verrons se développer ce système, mais nous ne voulons pas quitter cette dépêche du 27 juillet 1860 sans y signaler la résistance de la Porte à notre expédition de Syrie ; c’est là qu’est exposée toute la théorie que l’Angleterre adoptera peu à peu sur les dangers de l’occupation française en Syrie. Je ne sais même pas si cette théorie est tout à fait d’origine turque. Quoi qu’il en soit, citons-en quelques traits.

La décision était prise d’envoyer nos troupes en Syrie ; l’Europe y consentait, et la Porte-Ottomane avait déjà autorisé son ambassadeur à Paris à signer la convention, qui fut en effet signée le 3 août. Cependant la Porte, comme si elle espérait encore empêcher la signature de cette convention, transmettait le 27’juillet à M. Musurus, son ministre à Londres, la note suivante : « La Sublime-Porte déclare que si elle a adopté cette décision (l’envoi des troupes françaises en Syrie), c’est pour donner à ses alliés une preuve de sa confiance et de son loyal désir de réprimer les désordres qu’elle déplore plus que personne. Toutefois elle n’a pas laissé ignorer aux représentans de la France et de l’Angleterre à Constantinople tous les inconvéniens et tous les dangers que pourrait amener une intervention de cette nature. Elle leur a fait observer que l’arrivée de troupes étrangères sur un point du territoire ottoman pourrait, d’un bout à l’autre de l’empire, éveiller chez les différentes populations des sentimens différens, dont les résultats pourraient devenir on ne peut plus désastreux. En effet, la partie turbulente des populations chrétiennes, interprétant la résolution des puissances comme une assistance en leur faveur contre les musulmans, pourrait se laisser aller à des excès. D’un autre côté, ceux d’entre les musulmans qui ne sont pas en état d’apprécier les véritables intentions de l’Europe, désespérés et irrités de se voir traiter avec tant de méfiance, par cela seul que les Druses et une poignée de malfaiteurs qui n’ont de musulman que le nom qu’ils portent, se sont permis des actes qu’ils réprouvent eux-mêmes, pourraient répondre à ces excès par d’autres excès. Il est évident que les malheurs que serait capable d’amener un pareil état de choses rallumeraient des haines que le gouvernement fait tout son possible pour éteindre. De plus, une fois l’idée répandue parmi les populations musulmanes que le gouvernement impérial appelle des forces étrangères pour punir ses coreligionnaires, l’autorité souveraine perdrait en partie son prestige à leurs yeux… » La note continue en déclarant que la Porte est en état de réprimer les désordres, et elle conclut par ces paroles : « En conséquence, la Sublime-Porte ne voit aucune nécessité de recourir à une mesure qui serait capable de faire naître de si grands périls, et qui, en tout cas, constituerait une sorte d’atteinte au droit de souveraineté de sa majesté impériale le sultan[7]. »

Les trois principales idées de cette dépêche du 27 juillet sont : 1o que l’intervention étrangère va faire éclater deux insurrections dans l’empire turc, une insurrection chrétienne et une insurrection musulmane, par contre-coup l’une de l’autre ; 2o que la Porte est assez puissante pour réprimer les désordres, si on la laisse libre d’agir comme bon lui semble ; 3o que cette intervention est une atteinte à son autorité. L’expérience et les documens anglais prouvent que ces deux premières idées sont fausses ; la troisième est réfutée par la simple lecture du traité de 1856 et du protocole du 3 août 1860.


II

Je ne veux faire aucun rapprochement désagréable entre la dépêche du 23 juillet 1860 de lord John Russell et la note turque du 27 juillet : elles ont cependant cette ressemblance curieuse, que toutes deux consentent à l’expédition française de Syrie, tout en exprimant combien cette expédition leur déplaît. Elles disent oui en expliquant toutes les raisons qu’elles auraient de dire non. Pourquoi donc disent-elles oui toutes les deux ? Ici vient la différence essentielle : l’Angleterre dit oui, parce qu’elle est pressée par le cri de l’humanité, qui est tout-puissant sur la conscience anglaise, toujours tenue en éveil par la liberté de ses institutions ; la Turquie dit oui, parce qu’elle est pressée par l’Angleterre. À part cette différence, les deux notes expriment la même crainte sur les effets que doit produire l’occupation étrangère : elle enflammera le, fanatisme musulman, elle amènera de nouvelles catastrophes. Grâce à Dieu, il n’en a rien été. Le fanatisme musulman, si cruel contre les chrétiens désarmés, s’est trouvé résigné et patient devant les chrétiens protégés. Il a murmuré, mais il s’est soumis. La peur a calmé la colère, et dès que la vue de nos uniformes a proclamé la fin des impunités, ç’a été aussi la fin des massacres. Les fanatiques n’ont plus été des bourreaux, ils n’ont plus été que des sectaires tristes et dépités. Pendant qu’à Constantinople et à Londres on répète que si nos troupes s’avancent en Syrie, le zèle des mahométans va s’emporter à je ne sais quels excès horribles, la présence de nos soldats est partout au contraire une garantie de tranquillité et de justice. Sir H. Bulwer écrit de Constantinople, le 1er août 1860, que M. Moore, consul-général anglais à Beyrouth, paraît craindre que l’arrivée des troupes françaises ne cause de nouveaux troubles[8]. Nos troupes arrivent, et M. Moore écrit à lord John Russell, dès le 22 août 1860, « qu’un grand et général sentiment de délivrance et de sécurité parmi les chrétiens européens et indigènes a suivi l’arrivée des troupes françaises. Avant cet événement, il y avait à craindre toute sorte de désastres à tout moment, et il n’y avait qu’une occupation européenne garantissant réellement la sécurité publique, comme le font les troupes françaises, qui pût calmer les appréhensions. » M. Moore déclare en même temps que les mahométans voient l’occupation française avec la plus grande aversion ; il regrette que des troupes anglaises n’aient pas été envoyées, « ce qui eût calmé et rassuré les musulmans[9] ». Nous reviendrons sur ce désir d’avoir des troupes anglaises qu’exprime plusieurs fois aussi Fuad-Pacha ; nous reviendrons sur cette association visible de l’Angleterre et de la Turquie, qui fait à cette heure la grande confiance de la Turquie. Il nous suffit en ce moment de montrer, par le témoignage de M. Moore, le bon effet qu’a produit l’arrivée de nos troupes à Beyrouth. Elle a rassuré tous les chrétiens ; elle a, il est vrai, mécontenté les musulmans. Nous n’avions pas, après tout, la prétention de les satisfaire, et ce n’est pas pour cela que nous allions en Syrie. On ne peut pas plaire à la fois aux persécuteurs et aux persécutés. Il nous suffit aussi que l’expérience ait montré que ces musulmans mécontens n’ont pas été au-delà de la tristesse et du dépit. Il n’y a pas eu cette grande insurrection mahométane qu’annonçait la note turque du 27 juillet, il n’y a pas eu non plus nulle part d’insurrection chrétienne. Les chrétiens se sont sentis soutenus, et les musulmans se sont sentis contenus. De là le retour de la sécurité à Beyrouth et, partout où nos troupes ont paru. C’est là ce que voulaient la France et l’Europe, c’est là ce qu’il s’agit de continuer aujourd’hui sans nos troupes. Il faut achever l’œuvre sans l’ouvrier.

Faut-il un témoignage plus significatif encore que celui de l’expérience du bon effet qu’a produit la présence de nos troupes en Syrie, de la vanité ou de l’hypocrisie des craintes qu’exprimaient à l’envi la Porte et l’Angleterre sur les explosions du fanatisme musulman à la nouvelle du débarquement des Français en Syrie ? Écoutons M. Brant, consul d’Angleterre à Damas.

Je ne puis point parler de M. Brant sans faire sur lui une courte digression. La justice m’y oblige. Quand j’appris, il y a près d’un an, avec le récit des massacres de Damas, que le consul anglais, M. Brant, avait été le seul consul européen qui fût resté dans sa maison, qu’il avait été le seul épargné dans sa personne et dans ses biens, cette exception, qui avait de quoi désespérer un honnête homme, fit que je mis le nom de M. Brant dans le plus mauvais coin de ma mémoire. Lorsque j’eus entre les mains le blue book que j’analyse en ce moment, et que j’y lus les félicitations adressées par sir H. Bulwer à M. Brant, cela ne le rachetait pas encore de la fatale note qu’il avait dans mon esprit. Dans cette disposition, je me mis à lire ses rapports : il est extrêmement Anglais et par conséquent très Turc ; mais, s’il a les préjugés politiques de l’Angleterre, M. Brant a en même temps tous les bons sentimens des Anglais. Indigné de la sauvegarde calomnieuse que lui avaient accordée les égorgeurs de Damas, il a tout fait pour s’en racheter, secourant, défendant les chrétiens autant qu’il l’a pu, adjurant le gouverneur de Damas, Achmet-Pacha, d’arrêter ces odieux massacres, exposant sa vie, épuisant ses ressources, détruisant sa santé, de telle sorte qu’à mesure que je lisais ses dépêches, où il est à peine question de lui et de ce qu’il a fait, mais où il parle des horreurs qu’il a vu commettre, et qu’il voit punir à peine et à regret, où il dénonce à son gouvernement tant d’odieux attentats contre l’humanité ; à mesure que je voyais mieux sa généreuse douleur, sa noble indignation, je me prenais à aimer et à estimer entre tous cet homme que j’avais presque maudit comme un complice des meurtriers de Damas, mais qui a mis à se repentir de sa politique anglaise toute l’énergie et toute la grandeur d’une conscience chrétienne. Aussi maintenant, quand je songe aux misères de la Syrie, à la part que l’Angleterre a pu y avoir par sa politique trop musulmane, au devoir qu’elle a de réparer les malheurs de ce pays et d’en prévenir de nouveaux, la figure de M. Brant puni et repentant de sa connivence mahométane, de M. Brant défenseur généreux de tant de victimes, réparateur dévoué de tant de ruines, s’offre malgré moi à mes yeux pour personnifier l’Angleterre, et pour en représenter à la fois les préjugés dans le passé et les devoirs dans l’avenir.

Après cette préface sur M. Brant, je reviens à son témoignage.

Comme politique anglais, M. Brant ne peut pas souhaiter que les troupes françaises entrent à Damas. Damas est une des villes sacrées de l’islamisme, et ce serait un trop grand échec à la prépotence mahométane en Asie que de laisser entrer un corps de troupes chrétiennes dans cette ville. Il espère donc que la fermeté de Fuad-Pacha à punir les crimes des Damasquins rendra inutile l’occupation étrangère[10]. Croit-il cependant que le débarquement des troupes européennes soit inutile, ou qu’il puisse être dangereux, parce qu’il excitera le fanatisme des musulmans ? Cela se dit à Constantinople et à Londres ; cela ne peut ni se croire ni se dire à Damas, au centre même de ce fanatisme musulman dont on veut faire un épouvantail à l’Europe, mais qui n’est terrible que lorsqu’il se croit sûr de l’impunité. « Il règne ici une grande frayeur parmi les musulmans de tous rangs et de toutes classes, écrit de Damas, le 4 août 1860, M. Brant ; leur ton a entièrement changé de ce qu’il était il y a quelques jours, et personne n’ose plus menacer les chrétiens de mort dans le cas où des troupes européennes débarqueraient en Syrie. Aussi avons-nous fait un grand pas, je suis heureux de le dire, vers le rétablissement de la confiance, et les plus timides commencent à croire qu’ils sont sauvés[11] : » paroles décisives, et qui montrent quelle faute auraient faite la France et l’Europe, si, ajoutant foi aux explosions prétendues du fanatisme musulman, elles avaient ajourné l’envoi des troupes françaises. Les fanatiques de Damas leur auraient fait peur, tandis que c’est à eux qu’il fallait faire peur, puisque la peur les pousse à la paix et que l’impunité les pousse au meurtre.

Ce n’est pas seulement dans les jours qui suivent de près la nouvelle de l’expédition européenne en Syrie que M. Brant observe l’heureux effet de cette mesure à Damas. Près de deux mois plus tard, le 20 septembre 1860, il croit encore que l’occupation européenne est le seul moyen de contenir le fanatisme musulman et d’empêcher de nouveaux massacres. Que pense-t-il maintenant ? Qu’avise-t-il du départ de nos troupes ? Tel que je connais maintenant M. Brant, l’Anglais s’applaudit peut-être, l’homme s’inquiète et s’afflige. Voyez sa lettre du 20 septembre 1860 à lord John Russell. « L’explosion que l’on craint à Akka et à Latakia montre que le fanatisme est aussi violent que jamais, et qu’il n’y a qu’une occupation temporaire de la Syrie par les troupes européennes qui peut le détruire. Il serait à redouter que, si sur un point il relevait la tête, et que le gouvernement local fût trop faible pour l’abattre, une nouvelle explosion n’eût lieu dans toute la Syrie, et même au-delà, car je ne crois pas que la Porte ait assez de troupes à sa disposition et des officiers assez énergiques pour arrêter une éruption générale du fanatisme, la population musulmane y étant partout disposée comme elle l’est[12]. » Oui, selon le témoignage de M. Brant, il y a beaucoup de fanatisme dans les populations musulmanes. Comment l’empêcher d’éclater ? En le laissant libre et maître absolu, ou en le contenant par une occupation européenne ? M. Brant n’hésite pas : il faut une occupation européenne.

Cette ville de Damas, que Fuad-Pacha en Syrie et M. Bulwer à Constantinople s’applaudissent peut-être d’avoir préservée de la visite profane des troupes françaises et d’avoir laissée sous le pouvoir ottoman, sans aucun contre-poids militaire européen, qu’a-t-elle gagné à cette préservation ? Elle a gagné de se dépeupler chaque joui-davantage. Les chrétiens fuient de Damas. C’est en vain que Fuad-Pacha et lord Dufferin, le commissaire extraordinaire de la Grande-Bretagne, s’efforcent de les y retenir ou de les y faire retourner. L’instinct de conservation est plus fort que tous les ordres et tous les encouragemens. Tout le monde part ou veut partir. M. Robson, missionnaire irlandais, presbytérien, dans un mémoire excellent que lord Dufferin adresse à lord John Russell en le lui recommandant très vivement, M. Robson dit « qu’il est évident que le plan des massacreurs de Damas était d’exterminer dans la population chrétienne tous les mâles adultes, de prendre les femmes, de les forcer à l’apostasie, d’élever les enfans dans la religion mahométane et de détruire le quartier chrétien jusqu’en ses derniers débris et pour toujours. Le peuple croyait que tout cela était autorisé par les fonctionnaires du gouvernement, par les principaux habitans de la ville et par les chefs de la religion[13]. » Chose triste à dire, le plan des massacreurs a presque réussi : plus de huit mille chrétiens ont péri à Damas, et l’émigration venant après les massacres, il n’y a presque plus de chrétiens à Damas. « La panique devient chaque jour plus grande parmi les chrétiens, » dit M. Brant dans la dépêche du 8 octobre. Les soldats turcs font, il est vrai, des patrouilles toutes les nuits ; mais comme ces soldats et leurs officiers ont déjà pris part aux massacres du Liban, ces patrouilles effraient les chrétiens au lieu de les rassurer. « Un grand nombre de ces malheureux est venu ce matin au consulat, me priant de leur obtenir du gouvernement des bêtes de somme pour quitter Damas, disant qu’ils sont chaque jour à l’agonie ; ils ne peuvent ni dormir ni se reposer, étant toujours agités par la crainte d’un nouveau massacre. J’ai employé toute sorte d’argumens pour leur rendre un peu de courage : ç’a été en vain. Ils disent que les hommes et les femmes marcheront, mais que les enfans ne le peuvent pas ; ils ne demandent de bêtes de somme que pour les enfans. Ils ont fini par me déclarer que, s’ils ne pouvaient rien obtenir, les hommes partiraient et laisseraient derrière eux les femmes, les enfans, les vieillards, les malades[14]. » Vous voyez comment, avec une population ainsi démoralisée par la terreur, l’extermination des chrétiens résolue par le fanatisme musulman est en train de s’accomplir. Le major Fraser, autre agent anglais à Damas, écrit le 20 octobre à lord John Russell que « la présence de Fuad-Pacha à Damas a un peu calmé les alarmes des chrétiens, mais qu’ils continuent cependant à quitter Damas pour Beyrouth, vendant leurs effets de literie, leurs ustensiles de cuisine et tout ce qu’ils possèdent, afin de louer quelque bête de somme pour leur voyage[15]. » « Chaque jour, dit lord Dufferin le 26 octobre 1860, arrivent à Beyrouth de nouveaux détachemens de réfugiés, et M. Brant m’apprend que le matin même du jour qu’il quittait Damas, il sut qu’une personne qui n’avait aucune espèce de ressources avait payé plus cher que lui des mulets de transport, afin de fuir sans retard[16] . » M. Wrench, qui remplace M. Brant, écrit comme lui que l’émigration de Damas à Beyrouth continue[17]. « Faites tout ce que vous pourrez, écrit lord Dufferin à M. Wrench le 29 octobre 1860, pour mettre un terme à la panique absurde qui règne à Damas parmi les chrétiens et pour les décider à rester dans leur ville natale[18]. » Panique absurde, dit lord Dufferin ; il en parle bien à son aise ! Voilà des gens qui ont à grand’peine échappé au massacre de tous leurs compatriotes, qui sont tous les jours menacés et insultés, qui sont sans armes, qui n’ont pour défenseurs officiels que les complices de leurs assassins, et vous les blâmez d’avoir peur ! Vous leur demandez d’avoir du courage et de rester sous le sabre encore dégouttant du sang de leurs parens ! vous vous plaignez qu’ils quittent une ville pleine d’affreux souvenirs et d’affreuses alarmes ! Si vous voulez qu’ils y demeurent, assurez-leur la sécurité : sinon, permettez qu’ils aillent la chercher là où elle est, c’est-à-dire sur la côte, là où il y a un corps de troupes européennes. Ils abandonnent Damas parce qu’ils n’y ont d’autres garans de la paix que les Turcs ; ils vont à Beyrouth parce qu’ils y trouvent leurs seuls défenseurs naturels, les Européens.

Lord Dufferin, après tout, est plus contrarié de l’émigration des chrétiens de Damas qu’il n’en est étonné. Il en comprend les causes. « L’exode de Damas continue, écrit-il le 1er novembre à sir Henri Bulwer. Avant-hier, plus de mille réfugiés sont arrivés à Beyrouth. Si ce flux d’émigration n’est pas arrêté, il ne restera plus à Damas que la dernière lie de la population chrétienne. Une des principales causes de cette fuite universelle est la manière insuffisante dont l’autorité turque pourvoit à la subsistance de ces malheureux[19]. » N’avoir pas de quoi vivre et avoir à craindre chaque jour d’être tué, est-ce en effet là un état supportable ? À Beyrouth au contraire, ils trouvent la garantie des drapeaux européens et les secours charitables de la bienfaisance européenne ; ils ont la sécurité, le sommeil et le pain : comment ne viendraient-ils pas à Beyrouth. Comment la Syrie intérieure ne se dépeuplerait-elle pas comme tous les pays livrés à l’administration turque ?

Cette émigration, qui contrarie lord Dufferin, inquiète lord John Russell lui-même : elle caractérise trop clairement l’état du pays et son avenir, une fois que les troupes françaises auront quitté la Syrie, pour que le gouvernement anglais n’en soit pas sérieusement préoccupé. Il écrit donc le 10 novembre 1860 à sir H. Bulwer qu’il faut que la Porte et Fuad-Pacha prennent des mesures pour remédier à l’état alarmant des choses à Damas et pour pourvoir « à la sûreté des chrétiens en Syrie après le départ des troupes étrangères[20]. » Savez-vous ce que répond Fuad-Pacha aux représentations que lui font les agens anglais ? « Fuad-Pacha, écrit M. Brant le 11 octobre à sir H. Bulwer, avoue l’existence de la panique à Damas, mais il trouve qu’elle n’a pas de motifs. Il soupçonne que cette panique est l’effet d’intrigues qui entretiennent les alarmes de la population… Il pense que les croix tracées sur la porte des chrétiens[21] sont l’œuvre des chrétiens eux-mêmes, qui veulent empêcher le retour des réfugiés à Beyrouth en propageant la peur dans Damas[22]. » Abro-Effendi, le délégué de Fuad-Pacha auprès de la commission internationale de Beyrouth, déclare, dans la troisième séance de cette commission, que, « d’après les nouvelles les plus récentes, la situation de Damas est aussi satisfaisante que possible[23]. » Comment Abro-Effendi pourrait-il douter du bon état des choses à Damas ? Fuad-Pacha lui écrit le 10 octobre, le jour même où M. Brant lui faisait des représentations sur la situation de Damas : « Mon cher Abro, les rumeurs et les bruits que l’on a fait courir sur une soi-disant fermentation de la population ne sont que le résultat des intrigues. Un bon nombre de chrétiens que j’ai questionnés m’ont avoué que les signes de croix que l’on avait faits sur les maisons des chrétiens, au lieu de provenir des musulmans, sont bien plutôt l’œuvre de quelques-uns des leurs qui désirent partir pour Beyrouth ou qui voudraient y retenir leurs proches et leurs amis, et qui font des machinations pour répandre la terreur parmi leurs coreligionnaires et les entraîner à l’émigration. Veuillez donner tous ces détails à MM. les commissaires et aux personnes qui vous entourent, et ajoutez, s’il vous plaît, que j’ai été réellement si satisfait du calme qui règne dans la ville, que j’ai reconnu l’inutilité et la superfluité de certaines mesures militaires un peu sévères qui ont été adoptées[24]. » Si ces mesures militaires étaient ces patrouilles de nuit qui effrayaient tant ceux qu’elles devaient rassurer, Fuad-Pacha a fort bien fait de les suspendre.

Cette lettre de Fuad-Pacha à Abro-Effendi montre quel est l’optimisme des agens de la Porte-Ottomane. Est-ce illusion et aveuglement ? Non, c’est la résolution arrêtée de s’affranchir à tout prix de cette surveillance fatigante de l’Europe sur la conduite des fonctionnaires ottomans. Ne pouvant s’en délivrer par la force et par la hauteur comme autrefois, les Turcs essaient de s’en débarrasser par la ruse, disant toujours que tout va bien, qu’ils sont en état de pourvoir à tout, que si les chrétiens ont peur, cette peur est une intrigue. Soyez sûrs après tout que la Porte ne se fait aucune illusion sur le danger des chrétiens en Syrie ; mais si les chrétiens périssent, ils l’ont bien mérité, pour avoir pris au sérieux le hatt-humayoun de 1856 et s’être autorisés « des privilèges et des libertés qui leur ont été concédés depuis ces trente dernières années, » ce qui, aux yeux de tout bon musulman, les met en état de forfaiture et fait qu’il est permis par la loi « de les tuer, de les piller, de prendre leurs femmes et leurs enfans[25]. » Il n’y a qu’une seule chose importante pour le gouvernement turc, c’est d’éviter les plaintes et la colère de l’Europe. Il s’inquiète peu des chrétiens qui sont tués ; il s’inquiète du bruit que fait leur mort. Depuis tantôt un an, il a cherché en Syrie à tromper la surveillance des Français, il s’est efforcé de faire croire que notre intervention était inutile, et l’Angleterre l’a aidé dans cette politique ; mais ne nous y trompons pas : la surveillance et le contrôle des agens anglais vont remplacer en Syrie l’action de nos troupes et ne donneront pas à la Porte le relâche qu’elle espère. Elle aura changé de surveillans ; voilà tout. Il fallait mentir contre la France ; il faudra mentir contre l’Angleterre. Celle-ci se laissera-t-elle attraper, quand ce ne sera plus à notre compte, mais au sien ? Nous verrons ce qu’elle fera. Quant à nous, nous ne demandons qu’une chose, c’est que la surveillance anglaise soit en Syrie aussi efficace pour la sécurité des chrétiens qu’elle sera pénible pour la paresse et l’insouciance des Turcs.

J’ai montré, d’après les témoignages anglais, combien était fausse la prévision de la note turque du 27 juillet 1860, que l’expédition de Syrie allait exciter le fanatisme musulman et créer de nouveaux troubles. Lord John Russell à Londres, sir Henri Bulwer à Constantinople le croyaient et le disaient. L’expérience a montré et les dépêches des agens anglais ont confirmé que notre expédition avait étouffé le fanatisme au lieu de l’enflammer, et nous avons entendu M. Brant déclarer avec sa parole consciencieuse qu’une occupation temporaire de la Syrie par des troupes européennes était la seule manière de contenir le fanatisme musulman.


III

Voyons maintenant ce qu’il faut croire, toujours d’après les documens anglais, de l’assurance qu’exprime la Porte, dans cette note du 27 juillet 1860, en disant qu’elle est assez puissante pour réprimer les désordres. Cette note du 27 juillet est importante parce qu’elle est le point de départ de l’évacuation. La note turque voulait empêcher l’expédition, et elle l’eût empêchée au mois de juillet 1860, si l’Angleterre l’eût contre-signée à cette époque. La différence entre 1860 et 1861, c’est que l’Angleterre a contre-signe en 1861 la note turque de 1860. De là l’évacuation actuelle.

L’Angleterre a-t-elle cru et croit-elle que la Porte est assez puissante pour réprimer les désordres ? Je ne reprends pas ici la dépêche de lord John Russell du 1er août 1860, quand il disait si bien à sir H. Bulwer que la Porte « avait manqué de pouvoir ou de volonté, et que dans les deux cas le manque de sécurité pour la vie et la propriété des chrétiens était égal. » Cependant ce terrible dilemme revient sans cesse à l’esprit pendant la lecture des documens anglais. Les autorités turques en Syrie veulent-elles et peuvent-elles réprimer les désordres, s’il en éclate de nouveaux ? Peuvent-elles et veulent-elles même punir tous les coupables ? Les agens anglais doutent tantôt du pouvoir et tantôt de la volonté. Fuad-Pacha fait fusiller à Damas Achmet-Pacha, qui a laissé faire les massacres ; mais à Beyrouth il ne suspend même pas de ses fonctions Khourshid-Pacha, gouverneur de Beyrouth, qui a laissé faire sous ses yeux les massacres de Deïr-el-Kamar. Il faut que le vice-amiral anglais Martin arrive à Beyrouth sur le Marlborough, et qu’appuyant les représentations du consul-général d’Angleterre, M. Moore, il parle à Fuad-Pacha avec cette décision péremptoire qui appartient aux marins pour obtenir l’éloignement de Khourshid-Pacha. Pendant les troubles et les massacres, est-ce que les gouverneurs turcs n’avaient pas assez de troupes régulières à leur disposition ? M. le consul-général Moore déclare dans sa lettre du 6 août 1860 « que dans toutes les places de la montagne où des massacres ont été commis, il y avait des garnisons de troupes régulières s’élevant de deux cents à six cents hommes avec des pièces de campagne[26]. » Ici ce n’est donc pas le pouvoir qui a manqué aux autorités turques, c’est la volonté. « Il y a un fait remarquable, écrit le 8 août 1860 le major Fraser à lord John Russell, c’est que les seuls points où il y a eu de graves massacrés sont précisément et exclusivement ceux où il y avait des garnisons turques, témoin les horribles tragédies d’Hasbeya, de Rasheya, de Deïr-el-Kamar, de Sidon, de Zahlé, de Damas… Près de Beyrouth même, les villages de Babdab et de Hadad ont été brûlés à trois cents yards (moins de 300 mètres) du camp du pacha (Khourshid) et devant ses yeux, sans qu’il ait essayé de les sauver ; le seul mouvement que firent les troupes turques fut celui des bachi-bozouks, qui coururent piller les chrétiens[27]. » Fuad-Pacha cependant, dira-t-on, a montré de la fermeté à Damas : il a fait exécuter un pacha et plusieurs officiers turcs, pendre cinquante-sept personnes, et le peuple de Damas lui a donné le surnom de père de la corde. Nous examinerons plus tard ce qu’a été la justice turque ; voyons en attendant comment M. Fraser explique cette sévérité de Fuad-Pacha. Au moment où M. Fraser écrit, 16 août 1860, le procès d’Achmet-Pacha est commencé ; mais M. Fraser craint que Fuad-Pacha n’ait pas la fermeté nécessaire pour « suffire aux nécessités de la situation. Tout pas en arrière, dit-il, toute irrésolution de sa part, surtout si cela se rencontrait avec la non-arrivée de l’expédition européenne (nouveau témoignage en faveur de la nécessité de notre expédition), aurait les plus désastreuses conséquences dans le pays[28]. » M. Thouvenel avait donc bien raison de dire à lord Cowley (c’est lord Cowley qui rapporte cette conversation dans sa dépêche du 1er septembre 1860) : « Si les troupes françaises n’avaient pas été envoyées, Fuad-Pacha aurait été sans pouvoir, et c’est seulement leur arrivée qui a fait qu’il a osé donner l’ordre de faire les exécutions de justice qui ont eu lieu[29]. » Le major Fraser est un de ces agens anglais qui sont à la fois très Anglais, mais très humains, qui par conséquent ne laissent point les Turcs respirer, qui les forcent de vouloir, de décider, d’agir. Il presse sans cesse Fuad-Pacha d’être sévère, actif, vigilant ; il lui donne du courage, de la volonté. Avec un de ces agens anglais auprès de chaque pacha, comme il y avait dans les Indes un résident anglais auprès des sultans conservés du pays, j’avoue que la Turquie pourrait être gouvernée, et même sans que les Turcs y missent beaucoup du leur. Ainsi, quand Fuad-Pacha annonce au major Fraser qu’il a déjà fait condamner cent soixante-sept personnes, dont cinquante-sept ont été condamnées à mort comme coupables de meurtre et qu’il les a fait pendre, le major Fraser lui répond très nettement que « s’il n’y a que cinquante-sept personnes qui aient été condamnées comme coupables de meurtres, on peut en conclure que le plus grand nombre de ceux qui ont pris part aux massacres est encore libre, car il serait difficile de croire que plus de cinq mille personnes[30] aient pu être massacrées, sans parler des femmes déshonorées et enlevées, par cinquante-sept individus seulement[31]. »

Si Fuad-Pacha lui-même a besoin d’être ainsi sans cesse encouragé et pressé par les agens anglais, qu’est-ce des autres fonctionnaires, turcs, et que deviendrait le pays si Fuad-Pacha seulement était rappelé ? Voyez le tableau de Damas tel que le fait M. Brant pendant une absence de Fuad-Pacha : un gouverneur de Damas, Vali-Pacha, n’ayant ni courage ni autorité, craignant tout, ne prévoyant rien, ne pourvoyant à rien ; des soldats dont les sentimens sont contraires à leurs devoirs ; une population fanatique ne songeant qu’à punir les chrétiens des châtimens infligés aux musulmans ; les instigateurs du massacre en prison, il est vrai, mais non condamnés et passant pour des persécutés. « Dans cette situation, si Fuad-Pacha était rappelé de Syrie, il faudrait s’attendre à des calamités plus grandes encore que celles dont nous avons été témoins[32]. » Qui donc parmi les agens anglais présens sur les lieux, qui donc croit la Porte-Ottomane assez puissante pour réprimer les désordres ? Qui donc pense qu’elle pourra pourvoir à l’état du pays, tel qu’il va être après le départ de l’expédition européenne ? Pourra-t-elle seulement réparer quelques-uns des malheurs qu’elle a laissé faire ? « Fuad-Pacha, dit lord Dufferin le 26 octobre 1860, n’a ni argent, ni agens ; il ne peut payer ni matériaux ni ouvriers ; il ne peut pas trouver un seul individu à qui il ose confier avec sécurité six pence pour les distribuer[33]. »

Que résulte-t-il des citations que je viens de faire ? Deux faits qu’il est bon, je pense, de mettre en lumière, le premier sur les Turcs, le second sur les Anglais.

D’abord il est évident, d’après les rapports anglais, que la force de la Turquie en Syrie est tout entière, à l’heure qu’il est, dans Fuad-Pacha, mais que la force de Fuad-Pacha est tout entière dans la crainte qu’inspire l’occupation européenne. Or l’occupation européenne n’existe plus. Fuad-Pacha va donc être seul en Syrie sans l’Europe ; la Turquie va être seule pour maintenir l’ordre. L’épreuve commence : cela nous fait trembler, non pour la Turquie, qui, dans cette expérience, risque seulement sa réputation de force et d’autorité, mais pour les chrétiens, dont la vie est l’enjeu de l’affreuse gageure que soutient la Turquie.

Le second fait que je veux signaler est la sincérité consciencieuse des agens anglais. N’allons pas confondre ce que disent les agens anglais dans leurs dépêches avec ce que disent les ministres anglais dans leurs discours au parlement ; il n’y a rien de si différent. Les consuls et les agens anglais, M. Moore, M. Brant, M. Fraser et M. Wrench, disent la vérité aux ministres ; les ministres disent leur politique. M. Brant dit qu’il faut une occupation temporaire européenne pour assurer la sécurité de la Syrie ; M. Moore, que l’arrivée des troupes françaises a délivré les chrétiens de Beyrouth, les Européens comme les indigènes, d’une inexprimable anxiété, et qu’il fallait un débarquement de troupes européennes pour garantir la sécurité publique ; M. Fraser, que si Fuad-Pacha fait un pas en arrière, et surtout si les troupes européennes n’arrivent pas, tout sera perdu à Damas. Tel est le langage véridique des agens anglais. Lord Palmerston et lord John Russell, loin de tenir compte de ces témoignages venant de leurs propres agens, disent au contraire que l’expédition française, c’est-à-dire l’occupation européenne, était inutile, que la Porte était assez puissante pour maintenir l’ordre, qu’elle le sera, oubliant la terrible sentence de la dépêche de lord John Russell du 1er août 1860 : la Porte a manqué de volonté ou de force. Voilà comment parlent les ministres anglais, et le 5 juin dernier, pour célébrer sans doute le départ de nos troupes de Syrie, le Morning Post disait : « Pour nous, nous avons constamment cru que l’intervention française, qui n’a eu lieu qu’après le rétablissement de la paix, n’a produit que du mal, quoiqu’on se soit efforcé d’organiser le pays. » Étrange contradiction, et que le blue book ne craint pas d’étaler à tous les yeux : les consuls anglais réclament une occupation européenne ; leur gouvernement croit que cette occupation n’a produit que du mal. Les consuls anglais, il est vrai, souhaitaient que l’occupation ne fût pas seulement française, mais qu’il y eût aussi des troupes anglaises mêlées à nos soldats. À Dieu ne plaise que je m’étonne de ce désir ! Il est le plus naturel et le plus national du monde. Loin que la France ait refusé ou éludé une pareille coopération, elle l’a toujours demandée. Nous voyons même, dans une dépêche de lord Cowley du 21 novembre 1860, qu’ayant annoncé que le gouvernement anglais était disposé à envoyer « quelques troupes pour renforcer l’expédition française, M. Thouvenel avait exprimé une grande satisfaction en apprenant cette disposition, » qui du reste dura peu, car dès le lendemain 22 septembre. lord John Russell écrit à lord Cowley que le gouvernement anglais « ne croit pas à propos d’envoyer des troupes en Syrie[34]. »

D’où vient cette contradiction entre les consuls et les ministres anglais ? Les uns sont hommes, les autres sont des politiques. J’avoue que si j’étais ministre, sans croire que la politique sentimentale est toujours la meilleure à suivre, je voudrais être cependant un peu plus homme et un peu moins politique. Je craindrais à mettre trop souvent la politique de mon pays en lutte avec les intérêts de l’humanité, d’amasser trop de vœux et trop d’imprécations contre lui, de lui créer des périls qui ne seraient pas plaints et des malheurs qui ne paraîtraient que des châtimens. Ne croyez pas que je veuille dire que lord John Russell et lord Palmerston sont des démons parce qu’ils sont ministres, et les agens anglais des anges parce qu’ils ne sont que consuls ! Non, si lord John Russell était consul à Damas, il parlerait comme M. Brant, et si M. Brant était ministre des affaires étrangères, peut-être parlerait-il comme lord John Russell. À quoi donc tient cette contradiction entre ce que j’appelle l’humanité et la politique en Angleterre ? Je lisais, il y a quelques jours, dans le beau livre du père Gratry, de l’Oratoire, intitule la Paix, le chapitre qui traite de l’Angleterre : quelle sincère et vive admiration d’une part ! quelle colère et quelle juste indignation d’autre part ! Et quand le père Gratry cherche pourquoi il ressent à la fois des sentimens si divers pour l’Angleterre, il ne peut s’expliquer cela que d’une seule manière, c’est qu’il y a deux peuplés en Angleterre, deux hommes dans l’Anglais : il y a l’Anglais et il y a l’homme. L’homme y est excellent : il aime la justice, l’honnêteté, la religion, la liberté, il est charitable, il est généreux, il est libéral ; l’Anglais n’aime que la grandeur de son pays ; il la veut partout et à tout prix. Je n’ai jamais mieux compris la vérité de cette distinction qu’en lisant les dépêches et les documens anglais.

Les deux peuples qu’il y a en Angleterre, les deux hommes qu’il y a dans l’Anglais sont visibles dans cette correspondance. Ils s’y montrent tour à tour. Ils y prennent l’un après l’autre la parole sans s’inquiéter de leurs contradictions. S’agit-il d’assurer la prépondérance de l’Angleterre en Syrie et dans le Liban, s’agit-il de combattre et de détruire l’influence française : l’Anglais est dur, aveugle, impitoyable. S’agit-il, quand les catastrophes, arrivent, quand les chrétiens sont massacrés à Damas, à Deïr-el-Kamar, à Zahlé, à Hasbeya, à Rasheya, à Saïda, partout ; s’agit-il de venir en aide aux survivans, de nourrir, d’habiller, de loger les femmes qui ont perdu leurs maris, les enfans qui ont perdu leurs pères, les vieillards qui n’ont plus de fils ; s’agit-il de recouvrer, de rendre à leurs familles de pauvres filles enlevées et détenues dans les harems des musulmans : quel zèle, quelle ardeur, quelle vigilance, quelle charité ! Dans une circonstance urgente, lord Dufferin n’hésite pas à engager son crédit personnel pour 5,000 livres sterling, sans autre garantie que la parole de Fuad-Pacha, et la lettre dans laquelle il explique à sir Henri Bulwer ce qu’il vient de faire est d’une noblesse et d’une délicatesse qui m’ont charmé[35]. Avec quelle joie d’honnête homme il annonce à sir Henri Bulwer que tous les enfans et toutes les femmes enlevés par les musulmans à Damas ont été restitués à leurs familles ! Il ne manque qu’une petite fille nommée Vardeh[36].

J’aime à citer ces traits, afin qu’il soit bien entendu dès le commencement que je ne veux attaquer que la politique de l’Angleterre en Syrie, politique qui a le double défaut d’être impitoyable et inefficace : impitoyable, parce qu’elle est uniquement anglaise au lieu d’être humaine ; inefficace, parce qu’elle est forcée de prendre la Turquie pour instrument, et que la Turquie étant incapable d’arriver à une action, l’Angleterre, derrière elle, est inefficace et impuissante. Le malheur des ministres anglais est d’avoir à exprimer devant le parlement et à défendre devant l’Europe cette politique, qui n’a ni charité ni utilité. Le bonheur des consuls anglais, c’est qu’étant en Syrie en face du mal et en face de l’impossibilité des remèdes turcs, ils ne songent qu’à la vérité et à l’humanité. Précieuse condition pour eux : ils n’auront pas à se reprocher d’avoir encouragé la politique de leur gouvernement par aucun déguisement, par aucune complaisance, par aucun ménagement. Ils auront dit ce qu’ils voyaient et ce qu’ils pensaient ; ils auront rempli leur devoir. Si maintenant il a plu au gouvernement anglais de prendre sa politique dans des calculs de jalousie mesquine ou dans des traditions surannées, au lieu de la prendre dans l’étude des choses et des événemens actuels, les consuls et les agens anglais en Orient auront le droit de se laver les mains des conséquences de cette politique. Ils n’auront pas trompé sir Henri Bulwer, quand celui-ci les a interrogés sur la condition des chrétiens en Orient[37]. Ils n’auront pas trompé davantage lord John Russell sur l’état de la Syrie et sur la possibilité de croire que la Turquie soit capable d’y maintenir l’ordre et la paix.


IV

Et d’abord le veut-elle ? Il ne faut pas oublier que la Turquie a une politique en Syrie et dans le Liban. Je ne veux pas caractériser cette politique, comme le faisait M. Guizot en 1845 à la chambre des pairs. « Le cabinet anglais, disait-il, ne serait pas capable d’abaisser sa politique au niveau de cette vieille politique turque dont je parlais tout à l’heure, qui travaille à détruire les Druses par les Maronites, et les Maronites par les Druses. Non, le gouvernement anglais ne veut pas cela : il veut sincèrement, comme nous, que l’ordre et la justice soient rétablis dans le Liban ; mais il est vrai que nous n’avons pas été et que nous ne sommes pas encore complètement du même avis sur les faits, les causes et les remèdes[38]. » Il est triste de voir combien peu l’état des choses a changé depuis 1845, et comment nous continuons à différer d’avis avec le gouvernement anglais sur « les faits, les causes et les remèdes. »

Mais, encore un coup, je ne veux point caractériser la politique turque avec des documens français ; je ne veux prendre sur ce point, comme sur les autres, que des témoignages anglais. M. Brant, dans un rapport général adressé le 30 août 1860 à M. Bulwer, nous rapporte d’Achmet-Pacha, le gouverneur de Damas pendant les massacres, un mot qui révèle et qui résume toute la politique turque en Syrie : « Il y a deux grands fléaux en Syrie, les chrétiens et les Druses, et quand un parti massacre l’autre, c’est tout profit pour la Porte[39]. » Avec cette maxime, il est impossible que la Porte se soucie beaucoup de maintenir l’ordre et la paix, quand même elle serait assez forte pour le faire. Dans le plan de gouvernement du Liban que lord Dufferin soumet à sir H. Bulwer, il semble avoir voulu commenter et expliquer le mot d’Achmet-Pacha : « Il n’y a pas le plus petit doute, dit lord Dufferin le 3 novembre 1860, que les derniers massacres et toutes les guerres, troubles et querelles qui ont agité le Liban depuis les quinze dernières années ne doivent être attribués au mécontentement qu’a causé au gouvernement turc l’autonomie partielle accordée à la montagne. Sa politique a été de prouver que le système adopté par les grandes puissances en-1845 était impraticable. À ce point de vue, les Turcs excitaient, quand l’occasion s’y prêtait, l’animosité chronique qui existe entre les Druses et les Maronites. À mesure que les influences étrangères vinrent encourager l’arrogance et le fanatisme des chrétiens, leur indépendance devint plus insupportable aux Turcs, et ils en arrivèrent à la résolution d’infliger aux chrétiens, en prenant les Druses pour instrumens, une répression supérieure à toutes celles qu’ils avaient subies jusque-là. Ce qui s’est passé à Hasbeya, à Basheya, à Deïr-el-Kamar, fut l’exagération de ce plan. Khourshid-Pacha et ses complices étaient incapables d’exécuter une politique aussi subtile. Le jeu a été forcé, et a fait scandale. Disons-le bien, tant que l’Europe admettra que la Turquie doit gouverner la Syrie, exclure les Turcs du gouvernement de la montagne, c’est rendre la tranquillité impossible. Il faut faire que l’intérêt du gouvernement soit de procurer la paix dans le Liban, au lieu d’y exciter la guerre. C’est le seul moyen de garantir la bonne intelligence entre les tribus hostiles[40]. »

Je ne cache pas que ce passage du mémoire de lord Dufferin m’a beaucoup étonné. Il est impossible, d’une part, de caractériser plus durement la politique turque, de l’accuser de plus de machiavélisme et de cruauté, de mettre plus hautement à sa charge les massacres et les guerres du Liban, de confirmer avec plus de force le jugement que M. Guizot en portait en 1845, et d’autre part il est impossible de conclure plus vivement pour cette politique et pour ses résultats. Les Turcs ont fait tout le mal dans le Liban ; le remède est de les faire maîtres absolus du Liban. Ils ont permis et commis les plus horribles attentats pour arriver à la souveraineté absolue : eh bien ! consacrons cette souveraineté absolue, et comme nous ne pouvons pas supprimer chez les Turcs le penchant qu’ils ont à tuer les chrétiens, qui ne sont pas tout à fait leurs esclaves, faisons des chrétiens d’Orient les esclaves des Turcs. Il y a des gens qui prétendent que la meilleure manière de se délivrer des tentations dans ce monde, c’est de les satisfaire. Lord Dufferin applique cette maxime à la politique turque : les Turcs seront tentés de faire le mal dans le Liban tant qu’ils n’y auront qu’un pouvoir restreint ; donnez-leur un pouvoir absolu. Le congrès de Paris ne s’était point avisé de ces doctrines aisées, quand il stipulait pour les chrétiens d’Orient des droits particuliers, quand il confirmait l’autonomie des principautés danubiennes. Ajoutez qu’en satisfaisant la tentation des Turcs, l’Europe n’y gagnera rien pour les chrétiens. Est-ce que les Turcs n’étaient pas maîtres absolus à Damas ? Est-ce qu’à Damas les chrétiens, avaient une autonomie partielle comme celle des Maronites, et qu’il s’agît de détruire ? Non. Les chrétiens de Damas n’étaient que de purs raïas, comme on voudrait que le fussent les Maronites : cela les a-t-il sauvés ? Non. Lorsque, selon la vieille fable, le loup veut devenir le chef du troupeau, ce n’est pas pour l’épargner et le défendre, c’est pour le croquer plus à son aise.

Comment, avec les sentimens de justice et de générosité qu’il montre partout dans sa correspondance avec sir H. Bulwer et avec lord John Russell, lord Dufferin se laisse-t-il aller à une turcomanie si étrange, et d’autant plus étrange qu’il ne se fait pas d’illusions sur la politique turque, et qu’il ne se gêne pas pour la caractériser rudement ? Les Anglais, quand ils soutiennent la Turquie, ne le font point par turcomanie ; c’est plutôt anglomanie de leur part, si on pouvait jamais appeler de ce nom dans un Anglais l’excès du patriotisme anglais. L’Angleterre, en défendant les Turcs, a deux idées, l’une mauvaise, mais ardente ; l’autre bonne, mais peu praticable : la première, c’est de combattre en Orient les progrès de la prépondérance chrétienne, c’est-à-dire française, en maintenant la prépondérance musulmane ; la seconde, c’est de gouverner elle-même la Turquie pour la sauver.

Cette seconde idée est ce que j’appelle le système de lord Stratford Redcliffe, système excellent, fondé sur une pensée très juste, à savoir que l’empire ottoman ne peut être maintenu que s’il est conduit par des Européens, et fondé aussi sur cette pensée fort agréable à l’Angleterre, que de tous les Européens les Anglais sont les plus propres à conduire et à conserver la Turquie. La difficulté de ce système est qu’il n’est praticable qu’à l’aide d’hommes de beaucoup de talent et de beaucoup d’hommes de talent, cela à tous les degrés, à l’ambassade de Constantinople, dans tous les consulats et même dans les missions d’exploration. Ce qui dans le système de lord Stratford oblige l’Angleterre à avoir en Turquie un personnel si distingué et si nombreux, c’est qu’il y faut partout suppléer à l’incapacité et à la mauvaise volonté de l’administration turque. « J’ai vu des maisons où les maîtres, voulant garder d’anciens domestiques, mauvais, mais habituels, avaient pris le parti de les faire partout aider et suppléer par de nouveaux domestiques, plus actifs et plus intelligens ; mais les anciens trouvaient encore le secret d’entraver le service qui se faisait à leur place. Voilà l’histoire de l’Angleterre avec la Turquie.

Quant à la première idée, c’est-à-dire au maintien absolu de la prépondérance musulmane, ou plutôt à la destruction de la prépondérance chrétienne et de l’influence française en Syrie, les témoignages abondent dans le blue book, personne ne cache sa pensée à ce sujet. Avant tout, il faut maintenir la suprématie ottomane. Tout est subordonné à ce grand intérêt. « Considérez, dit sir Henri Bulwer au consul-général d’Angleterre à Beyrouth le 6 août 1860, que l’objet immédiat du gouvernement de sa majesté et des autres puissances agissant de concert avec lui est de rétablir l’ordre et de maintenir l’autorité du sultan. » Sir H. Bulwer prie aussi le consul-général de lui communiquer ses réflexions sur les réformes administratives et financières qu’il y a lieu de faire dans la province, comme s’il y avait en ce moment une autre réforme à faire, et plus urgente, que d’empêcher les musulmans de tuer les chrétiens[41]. Enfin, dans la dépêche que lord John Russell adresse à lord Cowley le 7 novembre 1860, pour s’opposer à la prolongation de l’occupation européenne en Syrie, l’idée d’assurer la suprématie ottomane est l’idée dominante. « Augmenter les forces européennes et les maintenir en Syrie dans la vue de prévenir de nouveaux attentats, ce serait changer tout à fait le but du concert qui s’est établi entre le sultan et les cinq puissances. Dans quelles limites de nombre ou de temps renfermer une pareille occupation ? On aboutirait bien vite à transférer le gouvernement local de la Syrie aux cinq puissances européennes, et ainsi, au lieu de donner un utile exemple capable d’intimider le fanatisme musulman, l’occupation européenne de la Syrie deviendrait, un précédent pour d’autres occupations, en Bulgarie, en Bosnie, dans d’autres provinces ; on s’acheminerait au partage de l’empire ottoman. — Le gouvernement de sa majesté, n’ayant qu’à choisir entre les maux, préfère voir rendre le gouvernement de la Syrie aux autorités qui seront nommées par la Porte ou reconnues par elle, selon le plan que la commission mixte regardera comme le plus favorable au maintien de l’ordre en Syrie. La responsabilité sera laissée à la Porte… Il est vrai que de cette manière il n’y aura pas de garantie contre le renouvellement des luttes entre les Druses et les chrétiens ; mais aussi longtemps qu’il y aura deux races dans le pays, on ne peut pas songer à avoir une sécurité permanente[42]. »

Cette note est claire : l’Angleterre se résigne à tout, même au renouvellement des troubles, plutôt qu’à l’occupation européenne, c’est-à-dire française. Sa politique l’emporte sur l’humanité. Il faut avant tout empêcher que le gouvernement turc perde sa suprématie en Syrie ; c’est là le point principal, le reste est secondaire. Le Morning Post reprochait dernièrement à la France d’avoir eu une politique trop chrétienne en Syrie ; nous pouvons à notre tour reprocher à l’Angleterre d’avoir eu en Syrie une politique trop mahométane. Comme l’intérêt anglais était de soutenir en Syrie l’islamisme, partout l’Angleterre a habitué les musulmans à compter sur elle, à s’appuyer sur elle, à la croire leur alliée, j’allais presque dire leur complice. De même qu’à Damas, selon le témoignage de M. Robson, la populace musulmane croyait que les autorités turques voulaient l’extermination de la population chrétienne, de même dans le Liban les Druses se croyaient les associés et les coopérateurs de l’Angleterre. Un missionnaire anglais plein de courage et de charité, M. Cyrille Graham, était allé à Rasheya et à Hasbeya distribuer des secours aux chrétiens qui avaient survécu aux épouvantables massacres que les Druses avaient accomplis dans ces deux villes, sous les yeux d’une garnison turque. Il loge à Rasheya chez un des chefs druses ; mais les Druses, voyant M. Graham secouru, les chrétiens, s’irritent, et un autre de leurs chefs, Mohammed-en-Nazar, « dont le nom, dit M. Graham, n’est prononcé qu’avec horreur par tous les chrétiens, qui l’accusent d’avoir été le premier instigateur et le premier acteur des massacres, vint me trouver pour se plaindre, et il me parut dans la conversation qu’il était persuadé, comme la plupart des Druses, que le gouvernement anglais devait être extrêmement satisfait de ce qu’ils avaient fait, car ils croient que toute diminution du nombre des chrétiens doit nous être agréable comme affaiblissant l’influence française dans le pays. Je le détrompai bien vite, et je lui dis hautement que le monde civilisé était épouvanté de leurs attentats, qu’il n’y avait pas de peuple qui eût plus d’horreur que le peuple anglais pour leur conduite atroce[43]. »

En parlant ainsi, M. Cyrille Graham parlait assurément au nom de cette Angleterre humaine et chrétienne que nous honorons et que nous admirons de toutes nos forces ; mais parlait-il, pouvait-il parler au nom de l’Angleterre politique ? Celle-là, au lieu « de briser l’orgueil et le fanatisme musulmans, » ce qui est le conseil que donne M. Bran t. pour prévenir le retour des massacres[44], celle-là les a soutenus et encouragés depuis plusieurs années. Assurément elle ne croyait pas que ses encouragemens amèneraient d’aussi affreuses catastrophes. Mais quoi ! il est arrivé à la politique anglaise ce qui, selon lord Dufferin, est arrivé à la politique turque. Celle-ci, voyant les chrétiens grandir et prévaloir, a voulu les contenir et les réprimer à l’aide des Druses. Le jeu a été forcé.

Je conçois fort bien toutes les rivalités nationales ; mais il faut prendre garde aux instrumens que l’on prend. Quand sir H. Bulwer prescrit aux agens anglais de soutenir la prépondérance musulmane, il est fort à son aise : il parle à des hommes éclairés et humains ; mais quand ces instructions sont traduites dans les langues et dans les passions du pays, Dieu sait comment elles sont entendues, Dieu sait quel effet elles produisent ! Nous pouvons en Europe nous laisser aller sans trop d’inconvénient à nos jalousies nationales, nous pouvons de prince à prince et de peuple à peuple nous faire des noirceurs qui ne dépassent pas la limite des méchancetés civilisées ; mais prenons garde de transporter nos noirceurs diplomatiques d’Europe en Asie. Elles s’aigrissent et s’enveniment sous ce nouveau ciel. Combattez l’influence française, dit sir M. Bulwer aux consuls anglais ; quoi de plus simple et de plus permis ? A Rasheya, Mohammed-en-Nazar croit que la meilleure manière « de diminuer l’influence française est de diminuer le nombre des chrétiens : » aussi il en tue et en massacre le plus qu’il peut ; puis il irait volontiers,

Leurs têtes à la main, demandant son salaire,


et il s’étonne que « le gouvernement anglais ne soit pas extrêmement content de ce qu’il a fait. » Mohammed-en-Nazar se plaint aujourd’hui, j’en suis sûr, de la déloyauté de l’Angleterre.


V

Il ne me reste plus, pour en finir avec la première partie de l’analyse que je fais du recueil des documens anglais, qu’à dire un mot de la prétention qu’a la Porte-Ottomane, dans sa note du 27 juillet 1860, de considérer l’expédition de Syrie comme « une sorte d’atteinte aux droits de souveraineté du sultan. »

La Porte-Ottomane a toujours l’air de croire que lorsqu’elle est entrée dans le droit public européen par le traité de Paris de 1856, elle y est entrée sans conditions, avec sa vieille souveraineté, telle que l’avaient faite les conquêtes de la barbarie sur la civilisation, de l’Asie sur l’Europe. C’est une grave erreur. Entre 1453 et 1861, entre Mahomet II et le sultan actuel Abdul-Medjid, il y a une grande différence. Mahomet II est un conquérant barbare ; Abdul-Medjid est depuis 1856 un souverain européen. Cependant il ne faut pas s’imaginer que l’Europe ait accordé un pareil titre et une pareille garantie au sultan sans lui imposer en même temps des obligations. On ne peut pas en douter un instant dès qu’on lit les protocoles du congrès de Paris en 1856. Ainsi, lorsque dans la séance du 28 février 1856 M. le comte Walewski déclare qu’il y a lieu « de constater l’entrée de la Turquie dans le droit public européen, les plénipotentiaires reconnaissent qu’il importe de constater ce fait nouveau par une stipulation particulière insérée au traité général[45]. » Or la stipulation particulière, qui est la condition et la reconnaissance du fait nouveau, c’est, ne l’oublions pas, la quatrième des propositions adoptées à Vienne comme bases et comme préliminaires essentiels de la paix. Cette quatrième proposition est ainsi conçue : « Les immunités des sujets raïas de la Porte seront consacrées, sans atteinte à l’indépendance et à la dignité de la couronne du sultan. Des délibérations ayant lieu entre l’Autriche, la France, la Grande-Bretagne et la Sublime-Porte, afin d’assurer aux sujets chrétiens du sultan leurs droits religieux et politiques, la Russie sera invitée, à la paix, à s’y associer[46] . » Cette proposition de Vienne est devenue l’article 9 du traité de Paris, c’est-à-dire de l’article qui, d’une part, donne acte au sultan « de la communication qu’il a faite aux puissances européennes du firman » qui consacre et établit les droits religieux et politiques des sujets chrétiens de la Turquie, et qui, d’autre part, « constate la haute valeur de cette communication. » Et remarquons bien que ce n’est pas du hatt-humayoun que les puissances contractantes constatent la haute valeur ; c’est de la communication, parce que c’est par cette communication internationale que les droits religieux et politiques des sujets chrétiens de la Turquie sont garantis dans le traité de Paris.

Cette garantie européenne des droits religieux et politiques des sujets chrétiens de la Turquie est la condition sine quâ non de l’entrée de la Porte-Ottomane dans le droit public européen. Si la Porte-Ottomane avait encore le droit de laisser égorger où opprimer ses sujets chrétiens, comme autrefois, sans que l’Europe eût rien à dire, la Porte-Ottomane ne serait point une puissance européenne ; elle serait encore une puissance asiatique ; elle serait en 1453, au lieu d’être en 1856. L’exécution loyale et ferme du hatt-humayoun est une question internationale : l’Europe a le droit de réclamer cette exécution loyale et sincère, car sans cela où serait la haute valeur de la communication qui lui a été faite ? Le hatt-humayoun communiqué ne doit-il valoir que ce qu’il vaudrait s’il n’avait pas été communiqué ?

L’Europe au surplus, dans la convention même qui a autorisé l’expédition de Syrie, l’Europe a montré de quelle manière elle entendait la communication du hatt-humayoun de 1856. Elle a reconnu dans le protocole des conférences de 1860 (séance du 3 août 1860) que les événemens de Syrie étaient une des questions qui touchaient à l’exécution loyale et sincère du hatt-humayoun, c’est-à-dire au droit le plus essentiel des chrétiens, à celui de n’être pas tués parce qu’ils sont chrétiens. C’est dans cet esprit que les plénipotentiaires, dans cette séance du 3 août 1860, « ne peuvent s’empêcher, en rappelant ici les actes émanés du sultan, dont l’article 9 du traité du 30 mai 1856 a constaté la haute valeur, d’exprimer le prix que leurs cours respectives attachent à ce que, conformément aux promesses solennelles de la Sublime-Porte, il soit pris des mesures administratives sérieuses pour l’amélioration du sort des populations chrétiennes de tout rite de l’empire ottoman[47]. »

En quoi donc l’intervention de l’Europe en Syrie peut-elle être considérée « comme une sorte d’atteinte aux droits de souveraineté du sultan, » ainsi que le dit la note turque du 27 juillet 1860 ? L’Europe a agi dans les limites et selon l’esprit du traité de 1856 ; elle a pratiqué l’article 9 de ce traité comme on doit le pratiquer. C’est dans cette vue qu’elle a autorisé l’expédition française ; c’est dans la même vue qu’elle pourrait autoriser une seconde expédition, si les droits religieux et politiques des chrétiens étaient de nouveau outrageusement violés et détruits, en dépit de l’article 9 du traité de 1856. Nous reconnaissons que ces interventions européennes ne peuvent pas se faire sans le consentement de la Porte-Ottomane. Il s’agit seulement de l’obtenir. Il est vrai que c’est à Londres qu’il faut le demander.

Pourrait-on s’en passer ? Non, selon moi, dans les cas qui résultent de l’article 9 du traité de 1856, car là l’Europe, je le crois, doit agir collectivement ; oui, dans les cas qui résultent de l’article 8 du même traité, c’est-à-dire « s’il survenait entre la Sublime-Porte et l’une ou plusieurs des autres puissances un dissentiment qui menaçât le maintien de leurs relations. » Dans ce cas, « la Sublime-Porte et chacune de ces puissances, avant de recourir à l’emploi de la force, mettront les autres parties contractantes en mesure de prévenir cette extrémité par leur action médiatrice. » Ainsi les griefs particuliers des puissances européennes contre la Turquie sont réservés ; seulement, avant l’emploi de la force pour obtenir la réparation des griefs, il doit y avoir un préliminaire de conciliation.

La question que je viens de soulever par ces derniers mots ne pourrait avoir d’importance que si la Porte-Ottomane, refusait à la France et à la Russie la réparation des griefs qu’ont ces deux puissances à propos des massacres de Damas. On n’a point oublié en effet que le consulat français à Damas a été pillé et que des missionnaires français ont été massacrés sous notre drapeau, qui a été insulté. Le vice-consulat russe à Damas a été aussi détruit, et le drogman a été tué. Nous voyons que ces griefs particuliers ont été réservés par les commissaires français et russes dans la première séance de la commission internationale à Beyrouth[48]. Tant que la France a été chargée par l’Europe d’exercer une action commune en Syrie, elle a dû mettre de côté ses réclamations particulières ; mais aujourd’hui que l’action commune a cessé, aujourd’hui que la Turquie a voulu être indépendante de tout appui français, il est juste qu’en reprenant toute la liberté de sa souveraineté, elle en reprenne aussi les obligations. Il est juste que la France et la Russie poursuivent la réparation de leurs griefs particuliers, que notre drapeau n’ait point été insulté et nos missionnaires massacrés impunément. Nous avons d’abord été sincèrement et gratuitement secourables. La Turquie ne veut plus que nous le soyons. Eh bien ! maintenant soyons justes, même envers nous. Dans le cas impossible à prévoir où la Turquie refuserait d’accorder à la France et à la Russie la réparation qu’elles ont droit de demander, ce serait le cas prévu par l’article 8 du traité de 1856 et de l’emploi de la force après essai de conciliation.

Nous avons vu tout ce qui, dans les papiers anglais, a rapport à l’expédition française en Syrie. J’examinerai dans un second article ce qui a rapport à la commission internationale, à ses délibérations à Beyrouth, à Constantinople, et enfin au régime futur du Liban.


SAINT-MARC GIRARDIN.

  1. Documens diplomatiques français, publiés en janvier 1861, p. 214.
  2. Recueil anglais, p. d5, n° 22, 23 juillet 1860.
  3. Ibid., p. 31, n° 49.
  4. Recueil anglais, p. 23, n° 35.
  5. Ibid., p. 23, n° 35.
  6. Ibid., p. 27, n° 45.
  7. Recueil anglais, p. 27, no 45.
  8. Recueil anglais, p. 54, n° 72.
  9. Ibid., p. 82, n° 99.
  10. Recueil anglais, p. 83, n° 101.
  11. Recueil anglais, p. 84, n° 101.
  12. Ibid., p. 141, n° 145.
  13. Recueil anglais, p. 147, no 146.
  14. Ibid., p. 184, no 169.
  15. Recueil anglais, p. 187, n° 173.
  16. Ibid., p. 195, n° 75.
  17. Ibid., p. 199, n° 176.
  18. Ibid., p. 203, n° 182.
  19. Ibid., p. 204, n° 182.
  20. Recueil anglais, p. 199, n° 177.
  21. Avant le massacre, les maisons des chrétiens avaient été désignées par des croix aux égorgeurs et aux incendiaires.
  22. Recueil anglais, p. 185, n° 170.
  23. Ibid., p. 198, n° 175.
  24. Recueil anglais, p. 198, n° 175.
  25. Mémoire de M. Robson, p. 147, n° 146.
  26. Recueil anglais, p. 75, n° 88.
  27. Ibid., p. 77, n° 91.
  28. Ibid., p. 93, n° 106.
  29. Ibid., p. 83, n° 100.
  30. Les rapports sur le nombre des victimes varient de cinq à huit mille.
  31. Recueil anglais, p. 95, n° 109.
  32. Ibid., p. 165, n° 159.
  33. Ibid., p. 194, n° 175.
  34. Recueil anglais, p. 130, n°, 134 et 135.
  35. Lettre du 29 septembre 1860, n° 150, p. 154 du recueil anglais.
  36. Lettre du 1er octobre, n° 150, p. 165, ibid.
  37. Voyez, sur l’enquête faite par sir Henri Bulwer, la Revue du 15 février et du 1er avril 1861.
  38. Séance du 15 juillet 1845.
  39. Recueil anglais, p. 132, n° 138.
  40. Recueil anglais, p. 211, n° 182.
  41. Recueil anglais, p. 63, no 83.
  42. Ibid., p. 186, no 172.
  43. Recueil anglais, p. 86, n° 102.
  44. Ibid., p. 133, n° 138.
  45. Congrès de Paris, protocole de la première séance.
  46. Ibid.
  47. Protocole de la conférence de Paris, 3 août 1860. — L’explication que nous donnons du protocole du 3 août 1860 est confirmée par les paroles de M. Thouvenel, qui l’a proposé aux représentans des puissances signataires du traité de 1856 : « J’ai proposé à l’ambassadeur d’Angleterre de signer avec tous les représentans un protocole qui, déterminant le véritable caractère, témoignerait de leur vœu de voir la Porte se conformer aux promesses dont le congrès de Paris avait déjà constaté la haute valeur. Cette déclaration, qui se rattacherait en réalité aux arrangemens pris en 1856, deviendrait en quelque sorte une garantie pour la Turquie et serait en même temps un gage de la sollicitude de tous les gouvernemens indistinctement pour le maintien de la paix comme pour la situation des sujets chrétiens du sultan. » — Dommens diplomatiques français, p. 213. Lettre du ministre des affaires étrangères à M. le comte de Persigny, 1er août 1860.
  48. Recueil des papiers anglais, p. 170, n° 163.