Les Œuvres de Mesdames Des Roches/Catherine des Roches/Au Roy

Au Roy


Apres auoir receu (ô lumiere des Princes)
Les honneurs meritez aux eſtranges Prouinces.
Ieune vous retournez dans le pays aymé :
Vous changez maintenant d’vn agreable eſchange,
Pour le ſceptre Gaulois, vne couronne eſtrange,
Et vn peuple ſans ame, à vn peuple animé.

A voſtre heureux retour, tout le monde ſ’apreſte
Epoint d’vne allegreſſe à vous faire grand feſte :
Mais quelques uns auſſi vous offrent de leur bien
Esperant d’en auoir plus grande recompenſe

Cent & cent mille fois que ne vaut leur depenſe,
Et vous donnant de meſme, ils ne vous donnent rien.

Ceux qui vous font preſent par une tromperie,
D’argent, de perles, d’or, de riches pierreries,
Au lieu de les donner, vous les vendent bien cher
Et ſi vous ne payez leur belle marchandiſe
D’vn autre plus grand don, l’auare conuoitiſe
Ne leur permettra plus de vous venir chercher.

Sire, ſi mon preſent vous peut eſtre agreable,
A moy qui le vous donne il ſera honorable,
A voſtre peuple meſme il pourra profiter
Car voſtre Royauté eſt le ſouuerain temple
Où voz ſubiects prendront vn ſingulier exemple,
De vouloir pour iamais voz vertus imiter.

Pour chaſtier l’Anglois & le ſubiect rebelle :
Vn de noz Roys prit bien l’aduis d’vne Pucelle,
Donques ie vous ſupply de vouloir eſcouter
Ce que voſtre vertu diuinement inſpire
Dans mes foibles eſprits, afin de le vous dire,
Et vous pourrez ainſi voz haineux ſurmonter.

Monſtrãt que vous avez une ame tres-Chreſtienne,
Honorez touſiours Dieu à la mode ancienne,
Touſiours obeiſſez à ſes diuines loix :
Preſentez vous à luy franc & pur de tout vice,

Offrez luy voz penſers pour humble ſacrifice,
Car Dieu dedans ſa main tient le pouuoir des Rois.

Donnez a voz parens les charges les plus belles,
Et celles d’importance aux ſeruiteurs fidelles
De voſtre majeſté, à voſtre entendement
Le ſoing de votre vie, à voſtre vigilance
L’eſpoir de voz ſuiects, & l’honneur de la France,
Donnez le à voſtre ſage & prudent iugement.

L’ornement d’vn grãd Roy, ſon hõneur, ſa nobleſſe,
Vient d’aymer la vertu, trop plus que la richeſſe
Aymer un bon conſeil, trop plus qu’vn grand preſent,
Plus qu’vn plaiſir volage, aymer la Temperance,
Auoir deuant les yeux, les yeux de la Prudence
Qui voit le temps paſſé, le futur, & preſent.

La rigueur de la Loy, & la douceur du liure,
Induiſent quelque fois les priuez à bien viure,
Auec le chaſtiment de leurs proches parens :
Le ſoing de leurs amys, qui les veulent aprendre,
L’iniure des hayneux, qui les vienent reprendre,
Montrant de toutes pars leurs defaux apparans.

Mais vous (Prince excellẽt) vous auez en vo’meſme
Des diſcours de raiſon, le pouuoir ſupreme,
Que vous donnez aux loix : puis vous auez auſſi
Le vertueux amour de voſtre ſage mere,

L’humble fidelité que vous doit voſtre frere,
Et de voz bons ſuiets le gracieux ſouci.

Voſtre grandeur ſçait bien que le plus vray office
D’vn Roy ſage & parfaict c’eſt d’aimer la iuſtice,
Deliurer fes ſuiets de leur calamité,
Fauoriſer les bons, faire aux meſchans la guerre,
Maintenir ſon pouuoir, accroiſtre ſa terre :
Voila qui tient vn Roy en ſon autorité.

Si vous ne deſdaignez les eſcris d’vne fille,
I’espère bien qu’vn tour de mode plus gentille,
D’une plus forte voix i’entonneray les ſons
De voz rares valeurs, de voz graces diuines,
Si bien qu’à l’auenir des Nimphes Poëteuines
En diront ſur le Clain mill & mille chanſons.