P.-G. Delisle (p. 158-163).



ÉCHOS DOMESTIQUES


SOUVENIRS ET PRIÈRE


1er janvier 1868


I


Vous souvient-il, lecteurs, de l’âge d’innocence,
Où, déroulant vos jours sur un tapis de fleurs,
Le ciel vous prodiguait plaisir et jouissance
Et voilait à vos yeux le sentier des douleurs ?
Votre cœur était pur, votre âme était joyeuse,
Et l’amour maternel baisait vos cheveux blonds ;
Le bonheur souriait aux roses de vos fronts,
Comme aux fleurs du printemps l’aurore radieuse.
Mais pourquoi rappeler ces souvenirs si doux ?
Jamais ces temps heureux ne reviendront pour nous.


Votre mère était là, ravie et souriante ;
Elle vous étreignait dans ses bras maternels,
Et semblait, en pressant votre tête charmante,
Reprendre à votre front les baisers paternels.
Vos frères et vos sœurs, ravissante couronne,
Vous entouraient aussi de leur cercle joyeux,
Et, pour votre avenir échangeant mille vœux,
Réclamaient pour vos jours ce bonheur que Dieu donne.
Mais pourquoi rappeler ces souvenirs si doux ?
Jamais ces temps heureux ne reviendront pour nous.

Sous les riches lambris et sous le toit de chaume,
Ce jour là, l’abondance étalait ses bienfaits ;
Le père semblait roi dans son petit royaume,
Et comblait de présents ses bien-aimés sujets.
Les étrennes pleuvaient devant vos yeux avides :
Les chiffons, la poupée et le cheval de bois,
Les joujoux, les bonbons arrivaient à la fois,
Et la joie éclatait dans vos regards limpides !
Mais pourquoi rappeler ses souvenirs si doux ?
Jamais ces temps heureux ne reviendront pour nous.

Vous souvient-il encor ?… Mais quel est ce nuage
Qui comme un voile sombre a passé sur vos yeux ?
Chaque jour de l’année a-t-il donc son orage,
Ses pleurs, ses souvenirs plus ou moins douloureux ?

Vous vous en souvenez ?… Votre père était sombre,
Immobile et muet, assis dans son fauteuil,
Et votre pauvre mère, en longs habits de deuil,
Pour vous cacher ses pleurs s’agenouillait dans l’ombre.
Mais pourquoi rappeler ce triste souvenir ?
Le bonheur n’a qu’un jour ; la mort a l’avenir !

Votre frère adoré, votre sœur si gentille,
Laissaient leur place vide au banquet matinal :
La mort avait brisé la chaîne de famille,
Et frayé son chemin au seuil du toit natal !
Et vous vous disiez tous : hélas ! une autre année,
Ce sera moi peut-être, et peut-être ma sœur,
Et mon père ?… et ma mère ?… Et votre pauvre cœur
Pleurait en mesurant l’humaine destinée !
Mais pourquoi rappeler ce triste souvenir ?
Le bonheur n’a qu’un jour, la mort a l’avenir !


II


Merci, mon Dieu, merci pour les belles années
Que dans votre bonté vous nous avez données,
Et qui furent pour nous un éden enchanteur
Dont les roses, trop vite hélas ! se sont fanées
Sous le souffle de la douleur !


C’est le tour maintenant de ces têtes si chères,
Dont les charmantes voix nous appellent leur pères.
Bénissez les, mon Dieu, par nos indignes mains ;
Faites pour leurs plaisirs des jours longs et prospères,
Semez des fleurs sur leurs chemins.

Qu’ils soient purs vos enfants comme sont vos Archanges ;
Sur leurs pas incertains envoyez vos bons anges,
Et qu’à leurs blancs chevets ils veillent tour à tour !
Que pour vous les accents de ces voix de mésanges
Soient une prière d’amour !

Donnez à leur voix pure un timbre qui nous charme,
Dans leurs regards versez quelquefois une larme
Pour que tous leurs désirs soient toujours exaucés ;
Que toujours à propos un mot naïf désarme
Nos regards contre eux courroucés !

À leurs membres frileux donnez une mantille,
Et dans l’âtre, l’hiver, un bon feu qui pétille,
Sur leur table du lait et du pain de froment.
Et dans leurs yeux d’azur que le bonheur scintille
Comme une étoile au firmament !


Pour nous qui cheminons, courbés par la souffrance
Gardant toujours au cœur quelque vaine espérance
Et toujours cramponnés au rêve du bonheur,
Le bonheur de nos fils sera l’eau de Jouvence
Qui rajeunira notre cœur.



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