Les Éblouissements/Stances à Victor Hugo

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 179-180).

STANCES À VICTOR HUGO


On ne peut que se taire, Hugo ; la voix se meurt
Chez celui qui t’écoute ;
On ne peut que rester baigné de ta rumeur,
Sur le bord de ta route.

Dans les chemins du monde où tes pieds ont marche,
La cigale est sonore
C’est toi le masque noir des nuits, c’est toi l’archer
Qui décoches l’aurore

Qu’un autre ose élever vers ton autel si haut
Une ode triomphante,
Je ne veux qu’effeuiller sur ton divin tombeau
La rose de l’Infante.

Je suis la sœur de Ruth, la sœur de l’Enfant grec
Et du Roi de Galice ;
Je viens ivre d’azur et de rosée, avec
L’aube dans ma pelisse ;


Je viens comme une enfant qui voudrait caresser
Ta face auguste et sainte,
Et qui, ne pouvant rien pour ta gloire, a tressé
Le lierre et la jacinthe

Comme une enfant qui tremble et qui tombe à genou
Joignant des mains glacées,
Et qui baise en pleurant les pieds joyeux et doux
De tes grandes pensées

Je crois que c’est toi Pan, que c’est toi Jéhova,
Toi le chantant Homère,
Que l’immense océan, brisant ses bords, s’en va
Dans ta poitrine amère.

Quand je vois l’infini, je pense « C’est Hugo,
C’est sa bouche profonde ! »
Et je crois que c’est vous les deux pôles égaux
Qui contiennent le monde !

Je vous lis en pleurant, en chantant tour à tour,
Vous seul m’avez fait croire
Qu’on peut mettre au-dessus de l’ineffable amour
L’héroïsme et la gloire.

Ah ! près d’Eviradnus, près du divin Roland
Qui gardent votre tombe,
Laissez que, déchirant son gosier tiède et blanc,
J’immole ma colombe…