Les Éblouissements/Les consolations de l’été

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 53-55).

LA CONSOLATION DE L’ETE


Je ne crains que la pâle ivresse de l’automne,
Son extase assoupie, ardente, monotone ;
Mais tant que c’est l’immense et fabuleux été,
Le cœur bondit d’espoir, d’impétuosité !
En vain l’âpre douleur s’approche et nous pénètre,
On monte dans l’azur avec l’orme et le hêtre,
Avec les marronniers qui, si joyeux, si hauts,
Semblent des près luisants portés sur des rameaux.
On s’embarque sur chaque odeur et sur chaque aile,
Une abeille, en glissant, nous entraîne avec elle,
Et l’on se joint à vous, fût-on las et brisé,
Danseur des clairs jardins, jet d’eau vaporisé !
Car se peut-il qu’on soit sans espoir, que l’on meure,
Quand tout est si divin et doux dans la demeure ?
Quand le comble jardin, comme un vase éclaté,
Gît en mille morceaux de feu, d’ombre, d’été ;
Quand les stores de mince et claire vannerie,
Luttant avec l’azur et portant sa furie,
Conservent la maison et l’escalier plus frais
Que les bassins d’argent et les cruches de grès.

Que de maisons d’été sur les routes rangées !
Les unes, débordant de roses orangées,
Semblent fendre leurs murs et jeter de leur cœur
Ce poids délicieux de lumière et d’odeur.
Épanchement suave, émouvante abondance !
Le monde des frelons, des taons, des guêpes danse
Et blesse, dans sa brusque et rude passion,
L’azur, dont on perçoit la respiration…
Les oiseaux sont légers, une hirondelle incline
Son deuil lisse et furtif sur des œillets de Chine.
— Charmilles, ifs taillés, sentiers de buis ornés !
L’ombrage et le soleil, pétales alternés,
S’aiguisent l’un à l’autre, et tremblent sur le sable
Un jardin est secret, profond, inépuisable ;
Tout y est ténébreux, confortable et divers,
Toutes les plantes ont d’autres teintes de vert.
La clématite, éparse et molle, se comporte
Autrement que les lis qui veillent à la porte
Chaque fleur a ses jeux, sa foi, son passe-temps
Semblable au nénuphar sur un tranquille étang,
La capucine, au bord de son large feuillage
Liquide, transparent, frais et détendu, nage ;
L’héliotrope est un subtil grésillement,
Un charbon violet, délicat et charmant,
Dont le crépitement, incessant, tord et ride
L’azur qui se suspend à sa grâce torride.
Et, de tous ces petits calices consumés,
De ces gosiers de miel, ouverts, demi-fermés,
De ces grappes d’odeur, languides, expansives.

Écumant sur le jour comme l’eau sur les rives,
Montent cette buée et ces soupirs pareils
À la vapeur royale et blanche des soleils…
– Ô jardins ! ô maisons que je ne puis décrire !
Où la paix, le bonheur, la musique et le rire
Sont enfouis, cachés, trésor mystérieux,
Vous êtes le délire et l’amour de mes yeux !
Vous êtes ma constante et vaporeuse aurore,
Je sens vivre chez vous tous les dieux que j’adore,
Mes dieux de l’Ionie et tous les dieux humains,
Petits faunes gaulois, celtiques et germains,
Dieux des rayons joyeux que le gravier émiette,
Dieux des bois, des bassins, des fleurs, de la brouette,
De la bêche d’argent, du puits, de l’arrosoir,
Petits dieux du matin et petits dieux du soir !
Ainsi, quand tout est tendre et clair, quand tout se pâme,
Quand les blancs papillons sont brodés sur notre âme,
Quand on sent palpiter l’arome et la couleur,
Vous ne pouvez nous vaincre, oppressante Douleur !
Je sens bien que sur moi votre main glisse et passe,
Qu’importe, je bondis, je m’enfuis dans l’espace
Vos perfides conseils de soupir et d’amour
Attirent moins la cœur que la beauté du jour
Dont chaque grain du sang se recouvre et s’étonne…
– Et l’on se sent alors libre comme Antigone
Qui, voyant approcher son suprême moment,
repoussant le bras triste et fort de son amant
Et détachant de lui son ardeur coutumière,
Ne se mariait plus qu’à la douce lumière…