Les Éblouissements/Le jeune matin

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 277-278).

LE JEUNE MATIN


Le soleil coule dans le ciel
Et disperse ses jaunes franges,
Le matin de perle et de miel
Semble porté par des mésanges !

Il fait beau de tous les côtés,
L’azur s’étale dans l’espace,
L’air luit, mille petits étés
Au seuil du paradis s’entassent.

Le cerisier porte le poids
De ses futiles roses blanches,
Qui brillent, gonflent, trois par trois,
Sur le bord incliné des branches.

Les jacinthes dans les massifs
Sont des flammes vénitiennes,
Lampions d’un bleu, d’un rouge vifs
Où toutes les abeilles viennent,


Et les arbres semblent plus frais
Qu’une fontaine jeune et verte
Dont le jet joyeux monterait
Jusqu’au fond de l’azur inerte !

Mon cœur, mes doigts, mes yeux profonds
S’entr’ouvrent comme des pétales,
Je suis la tulipe qui fond
Sous la lumière orientale.

Je suis le lilas abrité
Dans le bosquet que l’aube humecte,
Je suis le bourgeon, duveté
Comme les ailes d’un insecte,

Et lorsque je parle aux rameaux,
A l’oiseau glissant dans l’espace,
Nous nous disons les mêmes mots
Et nous sourions face à face…