Les Éblouissements/La première aubépine

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 286-287).

LA PREMIÈRE AUBÉPINE



Il faisait frais encor, je ne m’attendais pas,
Aubépine adorable,
A voir se balancer à l’entour de mes pas
Ton ombre sur le sable.

Mais j’ai levé la tête, et ta sublime odeur
Sur mon front s’abandonne.
Juliette n’a pas plus d’amour dans le cœur
Au verger de Vérone.

Je tremble, je m’arrête et je te tends les bras,
Vanille sur la branche !
Est-ce donc cette fois que ta langueur fera
Mourir mon corps qui penche ?

Hélas on n’est jamais averti contre vous,
On ne peut se défendre,
Quelles armes prend-on contre un parfum si doux
Dont le cœur va se fendre ?


Et vous avez l’air bon, simple, calme, ingénu,
Attirant les abeilles ;
On ne peut soupçonner qu’un calice ténu
Ait des forces pareilles.

Se peut-il, chère fleur, que vous vous complaisiez
À ce jeu qui transperce ?
Que n’ai-je sur mon cœur un bouclier d’osier ;
Comme un soldat de Perse !

Inépuisable odeur, qui nous lie et nous tient
Jusqu’à ce qu’on se pâme,
Il n’est pas de plus doux et de pire entretien
Que d’écouter votre âme.

Ah les dieux soient loués ! Vous allez défleurir,
Car les jours se dépêchent…
Mais l’Amour a déjà, de vos mortels soupirs,
Enduit ses dures flèches !