Les Éblouissements/La nostalgie

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 150-152).

LA NOSTALGIE


Vous êtes maintenant le meilleur de ma vie,
Ô mes jours qui passez ;
Vous êtes ma jeunesse et ma chère folie,
Vous êtes si pressés !

Lorsque je vais, jouant entre toutes les choses,
Chaque moment me dit :
« Voici que je te laisse un peu moins de ta rose
Et de ton paradis. »

Ah que déjà s’effeuille entre mes deux mains ivres
Le rosier rose et blanc !
Que déjà midi soit proche ! – Pouvoir revivre
Ses premiers jours si lents.

– Avoir quinze ans, rêver dans l’herbe haute et chaude
Où le soleil s’ébat,
Sans se lever pour voir si le bel Amour rôde,
Si l’on entend ses pas.


Savoir que l’on aura, pour posséder le monde,
Tous les autres étés,
Et goûter cette joie insensible et profonde
D’être sans volupté.

Savoir que c’est demain et non pas ce soir même
Que tout sera si beau ;
Ne pouvoir distinguer, tant l’azur est suprême,
Les pierres du tombeau.

Croire qu’on ne peut pas épuiser sa jeunesse,
Rire sur les chemins,
S’arrêter pour peser l’infini et l’ivresse,
Baiser ses propres mains…

Mais maintenant nos cœurs ne peuvent plus attendre,
Leur force pâlira ;
Le moment le plus beau, le plus vif, le plus tendre,
Il est entre nos bras.

Je regarde le soir qui gagne le platane ;
Ô bel été du soir,
Combien de fois avant que le bonheur se fane
Viendrai-je ici m’asseoir ?

Je pense à vous, passé, loisirs, douces années,
Main faible qui jouait,
Imagination qui fût tant étonnée,
Et pleine de souhaits.


– Ah ! par ces nuits d’été, dans l’Orient immense,
Être un cœur qui s’éveille, une âme qui commence !
Etre encore une enfant, qui rêve, espère, attend
Dans un petit jardin de l’antique Ispahan…