Les Éblouissements/La douceur du matin

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 78-80).

LA DOUCEUR DU MATIN


Ni l’eau ni les regards n’ont ta pâleur divine,
Beau ciel d’avant midi,
Où l’oiseau délicat élève, étend, incline
Son doux corps attiédi.

Tu sembles un jardin de pervenches voilées
A leur premier matin,
Comblant l’aérienne et luisante vallée
De leur rêve enfantin.

Les arbres, aujourd’hui, sous le soleil d’onze heures
Brillent comme des prés.
On voit luire au vitrail des heureuses demeures
Leurs songes azurés.

Tout un vif mouvement mène la Terre ronde,
Les lumineux coteaux
Sont des vagues d’argent qui veulent sur le monde
Jeter leurs belles eaux.

 
Toute la Terre court, étourdie, amoureuse,
Vers un charmant bonheur,
Et les abeilles sont des cloches vaporeuses
Où sonne un tendre cœur ;

Tout s’élance, tout rit, tout chancelle, tout bouge,
C’est un vertige épars ;
Comme vous oscillez, petite rose rouge,
Sur votre vert rempart !

– Ah ! puisqu’un clair élan joyeux vous précipita
Dans l’espace argenté,
Laissez, tendre univers, que mon amour abrite
Votre écumeux été !

Enroulez-vous à moi, belle petite allée
Avec du sable doux,
Nouez-vous à mes bras, verdure crêpelée,
Montez sur mes genoux,

Suspendez à mes mains, à mon cœur, à ma bouche,
Le beau persil léger,
Le neuf myosotis d’un bleu rude et farouche,
L’odeur de l’oranger.

Guirlandes des rosiers, des vignes et du lierre
Vrilles, festons, Eté !
Soyez un vert ruban qui m’attache et me serre,
Pressante volupté,


Et que d’un tel baiser qui s’appuie et s’allonge
Il naisse tout à coup
Ce bonheur ébloui que l’on éprouve en songe,
Si candide et si doux…