Les Éblouissements/L’aurore

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 140-142).

L’AURORE


Je vous ai regardé ce matin, soleil jaune,
Si longtemps que mon cœur en fut tout aveuglé.
Vous étiez un enfant debout sur mille trônes,
Petit soleil, avec vos couronnes de blé !

Sur un pin d’Italie, entre deux branches vertes,
Votre visage d’or luisait, ivre et divin,
Et moi je vous disais, tenant mes mains ouvertes
Est-ce vous, mon amour, qui venez sur ce pin ?

Vous, prince de l’espace, essence, de tout être,
Vous venez dans cet arbre, auprès de ma maison,
Vous buvez le cristal étroit de ma fenêtre,
Bouche de la Nature, haleine des Saisons !

Et je puis regarder ta douce forme en face,
Je puis dire Voici tes lèvres et tes yeux,
Voici le front charmant qu’un laurier rose enlace,
Amant de Danaé ! Visage de mes dieux !


– Comment es-tu venu si près de ma demeure,
Ô petit Jupiter jouant dans l’air d’azur ?
Ne pâlis pas ainsi, j’ai peur que tu ne meures
D’écraser tes luisants rayons blancs sur le mur !

Tu vois, tout le jardin est une chaude arène,
Soleil, petit taureau, augmente tes transports,
Ne crains pas d’effrayer et de blesser ta reine,
Et dans mon pourpre cœur entre tes cornes d’or !

Soleil moelleux et dru qui brille, brille, brille,
Soleil vert et d’argent, soleil bleu, soleil brun,
Pâmoison enfermée en l’ardente résille,
Ô rose, défaillant de son propre parfum,

C’est ma prière unique et ma foi naturelle
De plier mes genoux orgueilleux sur tes pas,
De n’avoir jamais vu ta face qui ruisselle
Sans qu’un sourire immense en mon cœur s’allumât.

Ah qu’on nous laisse seuls, que ma ferveur t’attire,
Que je puisse mêler mes doigts à ton éclat,
Que je presse sur moi, objet de mon délire,
Les parfums enflammés de tes jardins lilas !

Je te dirai Voici, c’est vous, c’est moi, je t’aime,
Je ne souhaite rien que de rester ainsi,
Je te vois, je te sais, notre ardeur est la même,
Je n’habite que l’air splendide, et vous aussi.


C’est pour vous que j’écris, c’est pour vous que je rêve,
Rien ne m’est suffisant qui n’est pas votre égal,
Je ne veux rien que toi ; que ma course s’achève
Enchaînée à ton char, Apollon matinal !

Que j’abandonne tout, que je quitte la terre,
Que je ne sache plus où je vais, d’où je vins,
Et que mon cœur qui fut royal et solitaire
Soit un des sabots d’or de tes chevaux divins…