Les Éblouissements/C’est vrai, je me suis beaucoup plainte

Comtesse Mathieu de Noailles ()
Calmann-Lévy, éditeurs (p. 380-383).

C’EST VRAI,
JE ME SUIS BEAUCOUP PLAINTE…


C’est vrai, je me suis beaucoup plainte
De l’amer bonheur de mes jours,
Des étés avec la jacinthe
Qui me brisaient le cœur d’amour.

Je me suis plainte, âpre et pâlie,
De l’univers étincelant,
Et de cette mélancolie
Qui tombe, au soir, d’un rosier blanc.

Je me suis plainte et désolée
De n’avoir aimé qu’en pleurant
La chaude torpeur de l’allée
Où des groseillers sont en rangs.

De ne m’être assise qu’émue
Aux chaises de fer des jardins,
À l’heure où la feuille remue
Son ombre sur les cailloux fins,


De n’avoir, quand le verger brille,
Contemplé, qu’en souffrant de tout,
La paix des doubles camomilles
Dans le massif luisant et doux.

Je me suis plainte, ô Juillet tendre,
Chaque fois que vous reveniez
Vous rafraîchir et vous étendre
À l’ombre du faux-ébénier.

Mais maintenant bien autre chose
Tourmente ce cœur éploré,
Je ramène sur moi les roses
Pour que mon bras soit déchiré,

Je courbe au-dessus de ma bouche
Tous les vents avec leur parfum,
Afin que mon âme se couche
Dans un arome de miel brun.

Et je ne veux pas d’autre force
Que ma fatigue et son ardeur :
Qu’aucune ombre, qu’aucune écorce
Ne protège un si faible cœur,

Qu’aucune flèche, aucune flamme,
Qu’aucune aride pâmoison
Ne soit épargnée à cette âme
Qui veut défaillir de frisson.


Et qu’aucun clocher dans le monde
Ne soit si haut, ne soit si fort,
Ni si fêlé de lourdes ondes
Que ce cœur meurtri d’échos d’or…

— Ah ! goûter tout ce qui tourmente !
L’été gonflé de lis ouverts,
Et la fraîche odeur astringente
Qui monte, au matin, des prés verts !

Aimer les trompettes, les flûtes,
Être prêt à s’évanouir
Quand le son qui se répercute
Bosselle l’âme de plaisir.

— Ma vie, ô vie ample et facile,
Me pardonnerez-vous cela :
Je ne veux pas être tranquille,
Je vous mènerai, mon cœur las,

Dans toutes les grottes de larmes,
Dans des jardins chauds et glacés,
Et sur des routes de vacarme
Où vos deux pieds seront percés.

Je vous mènerai, chère vie,
Dans de si torrides étés
Que vous crierez, inassouvie,
Et les regards épouvantés.


Ma belle vie échevelée
Si sensible et fine de peau,
Vous serez roulée et foulée,
Vous serez en sang, en lambeaux,

Mais je vous dirai « Ô mon être,
Portez mieux ce destin fatal ;
Peut-être il nous reste à connaître
Quelque amour qui fera plus mal…