Le vol sans battement/Mécanique de l’oiseau

Édition Aérienne (p. 418-423).

MÉCANIQUE DE L’OISEAU


La machinerie de l’oiseau est aussi merveilleuse que son imitation produite par l’homme est grossière et imparfaite. Regardons de près un de ces énormes voiliers, un vautour, un pélican, un aigle, et délectons-nous devant cette collection de tours de force de mécanique vivante qui composent cet aéroplane animé.

Tout vit dans le volateur, tout pousse, tout croît, s’use et se répare. La plume importante, la rémige, renaît, garantie par ses voisines qui la préservent d’un effort trop grand et lui impriment la bonne direction. Elle fait son travail de plume pendant deux ou trois ans et meurt, c’est-à-dire tombe à son tour, et, dans cette rotation établie dans la chute de ces organes indispensables à l’oiseau, jamais deux voisines ne tombent ensemble ; le vol en serait atteint et la reconstitution prêterait à des accidents.

La croissance de ces longues rémiges qui supportent tant d’efforts, qui braveront les terribles courants aériens, est intéressante au possible. Avec quel soin l’oiseau les soigne ! Le bec, plusieurs fois par jour, vient couper la pellicule qui l’enveloppe. Ces coups de bec attaquent légèrement les barbes, et marquent la plume de crans réguliers espacés entre eux d’un demi-centimètre.

Tous ces soins et la vie font la plume, chose inimitable. Les os, les jointures, ces longs tendons, ces cordes élastiques, tout cela ne peut se reproduire, c’est la substance vivante ; il n’y faut toucher. Puis, si on étudie l’ensemble de l’aéroplane, ce qu’il lui est permis de faire, les mouvements compliqués que l’oiseau peut se permettre dans le vol, on reste atterré ; c’est à renoncer à essayer de produire même une grossière contrefaçon.

Qu’avons-nous pour imiter ces splendeurs ? Rien ou presque rien : les bambous, les hampes d’agave, les caisses légères, les tubes d’aluminium et les étoffes. Avec ces faibles ressources, il sera difficile de faire quelque chose de suffisant. Ce serait à abandonner si le cerveau humain ne venait en aide à la mécanique et à ses faibles moyens d’imitation. La pensée, heureusement, vient éliminer une forte partie des difficultés présentées par le vol ; elle finit par le réduire à sa plus simple expression qui est le vol sans battement. Elle refait au reste, dans ce cas, le même travail d’élimination de difficultés que celui qui a été fait par la nature.

Le vol réduit à ces proportions (qui sont cependant tout ce qu’on désire) est difficile, mais pas impossible à reproduire.

Le chapitre « Aéroplane » traite de ce sujet, mais il n’est que la grossière et difficile ombre de cette merveille. Cependant, tout imparfait qu’il est présenté, il peut suffire pour aller bien haut et bien loin.

Plus tard on fera mieux, on fractionnera l’étude du modèle, on essaiera de transformer ces plans rigides en surfaces variables. La pointe de l’aile, la main, est à créer du haut en bas. Dans les machines perfectionnées, elle devra être fermable et développable comme celle de l’oiseau. Toutes les surfaces, au reste, doivent être éminemment variables si on veut pouvoir perfectionner le vol.

Chez l’oiseau, non seulement la pointe de l’aile peut s’étendre, décupler de surface, mais même les plumes axillaires sont susceptibles de produire ces variations ...et en produisant cette variation de surface nous ne ferons qu’imiter la Nature qui se sert de ce moyen.

Vous devez avoir remarqué que les plumes portantes du manteau, celles qui sont implantées sur les os du bras et de l’avant-bras de l’oiseau, les axillaires en un mot, sont tordues d’une façon très accusée chez certains volateurs, précisément chez ceux qui ont à supporter de grands vents ou à produire des vols très rapides. Ces plumes, au repos, ont une courbure très accusée qui raccourcit leur longueur, chez le canard par exemple de près de deux centimètres, chez le goéland d’une quantité proportionnelle encore plus grande. Joignez à cela qu’elles sont toutes implantées absolument en biais. Ces dispositions produisent les effets suivants : Toutes les fois que le volateur a à lutter contre un courant aérien puissant, il ne le fait que les pointes en arrière ; les pointe sen avant seraient un contre-sens de vol qui empêcherait la translation et la transformerait en ascension. L’aile est donc très peu étendue, les plumes que nous examinons gardent simplement leur courbure et leur inclinaison, et la surface est alors la plus petite possible ; non seulement la surface est minime, mais l’aile est diminuée dans sa largeur, disposition spécialement utile pour la pénétration. Mais, si l’oiseau rencontre peu de courant, ou s’il a à aller lentement, ou encore à s’élever, il a alors besoin d’une plus grande surface et d’une plus grande largeur de l’aile ; il obtient ces deux excédents de support en étendant l’aile complètement. Par cette extension il se produit l’effet suivant ; sous l’action de retenue des barbes entre elles toutes ces plumes peuvent être considérées comme collées ensemble ; cet entraînement en avant ne peut se produire qu’en détruisant cette disposition inclinée de l’ensemble de tous ces supports, les ramenant à la perpendiculaire, par conséquent en élargissant l’aile, puis en redressant toutes ces courbures et les ramenant à la droite, et même en élargissant toutes les plumes, car le même effet qui se produit sur les canons se reproduit sur les barbes ; de là, changement de largeur et augmentation de surface dans cette partie de l’aile : effets bien moins étudiés que celui des variations produites dans le même cas par la pointe de l’aile.

Pour voir facilement cette disposition particulière, regardez le pélican chez qui les ailes fermées n’ont pour ainsi dire aucune largeur ; toutes les plumes semblent roulées ensemble comme un parapluie roulé dans son fourreau. Chez l’albatros, la frégate, le fou, cet effet est encore plus accusé, et, comme antithèse, voyez l’énorme surface présentée par les axillaires chez les aigles et les vautours qui ont cette partie de l’aile immuable. − Pour voir cet effet de variation de surface bien accusé, adressez-vous au martinet ; vous trouverez chez ce volateur la plume tellement adhésive qu’elle semble vivante : elle mord sa voisine avec une énergie qui étonne, on est surpris de sa faculté de reconstitution ; en ouvrant et fermant l’aile, on voit se redresser ou se recourber les plumes que nous observons.


Ce sera une disposition à copier, dès qu’on sera sorti des aéroplanes élémentaires. Il n’y a qu’à copier et à adapter l’effet, aux substances que nous utiliserons.

Chercher à copier de trop près la nature semble bien osé ; il convient de se borner à l’interpréter, car ce mécanisme de mouvements divers de plumes ne se borne pas à l’action adhésive des barbes. Quand on dissèque une aile de grand volateur à ailes étroites et variables, on voit, rien qu’en enlevant les plumes de couverture qui gènent la vision du mécanisme des portantes, combien est compliquée dans l’être la production de ces mouvements. Il y a des muscles peaussiers, des tendons, des ligaments larges qui concourent à fixer, à mouvoir, à redresser et à retourner légèrement sur elles-mêmes toutes ces plumes qui, chez les oiseaux à ailes très allongées, sont excessivement nombreuses. Cela à tout-à-fait la tournure, comme complication, d’un clavier de piano qui serait vivant. Pour bien saisir le fonctionnement de ces mouvements, point n’est besoin d’avoir recours au scalpel ; ces tendons et ces muscles que la graisse n’encombre pas sont d’une netteté de vision bien suffisante, la peau qui les recouvre est pour ainsi dire transparente ; en allongeant ou racourcissant l’aile, on saisit de suite le jeu de tous ces organes. Mais autre est de comprendre, autre est de reproduire.

On pourrait se borner à imiter ainsi dans les appareils perfectionnés ce chef-d’œuvre qu’on ne fait qu’apercevoir. S’adresser pour ce genre d’aéroplane à l’aile en deux morceaux. Nous admettons pour un instant que le mécanisme qui produit la variabilité de la main a été trouvé. Les surfaces variables que nous cherchons à reproduire doivent être fixées sur la partie qui remplace le bras et l’avant-bras ; elles seraient formées d’une série d’âmes, joncs ou bambous, qui rempliraient le rôle de canons de plumes et sur lesquels serait tendue une étoffe élastique telle qu’un tricot. La main de l’aéroplane commanderait ce mouvement de sorte que, quand on le porterait en avant, toutes les âmes élastiques seraient tirées et redressées ; elles entraîneraient et élargiraient les étoffes de tricot et l’augmentation de surface serait produite.

On pourrait encore adapter à chaque canon élastique une surface particulière indépendante ; ce serait alors l’imitation beaucoup plus rigoureuse de la plume ; ou encore une série de plans rigides s’imbriquant les uns sur les autres qui seraient mis en mouvement, redressés et développés par le mouvement en avant de la main.