Le vol sans battement/Aspect de l’aéroplane

Édition Aérienne (p. 456-458).

ASPECT DE L’AÉROPLANE


Quant à la tournure qu’aura l’aéroplane humain, on en a pu juger par ceux qui ont été construits, malgré qu’on ait à peine osé les essayer. Ce sont et ce seront assurément d’énormes chauves-souris, généralement grises, nullement gracieuses, glissant très lentement dans les airs, ayant toujours peur d’approcher du sol ; d’une lourdeur surprenante, mais possédant cependant une majesté d’allure singulière.

Quand on regarde fonctionner un grand aéroplane de 5 mètres d’envergure, comme celui que j’ai fait évoluer il y a quelque vingt ans, quand, lancé du haut d’une carrière de 75 mètres de hauteur, il se retourne lentement, et se met à courir gravement sur l’air, on se trouve en face d’une allure qu’on n’a jamais vue. Ce mouvement inconnu vous poursuit et devient inoubliable.

J’espère pouvoir m’offrir bientôt ce spectacle en plus grand. Le sommet de cette carrière va devenir, dit-on, un sanatorium auquel on parviendra au moyen d’un chemin de fer. Je pourrai donc m’offrir cette petite course, et je ferai précipiter un aéroplane de neuf mètres d’envergure et de quinze mètres de surface, chargé de poids progressifs. C’est l’appareil dessiné page 251 de l’Empire de l’air. Il est fini depuis dix ans et n’a jamais été essayé ; ce sera un moyen de le faire servir à quelque chose. Il nous fera voir la tournure qu’aura en marche l’aéroplane capable de porter un homme.

On a beaucoup parlé de l’indispensabilité de la plume pour la reproduction du vol ; et, pour beaucoup de personnes, elle est une condition de la station dans l’air. Malgré que je me sois incliné bien bas devant cette merveille, je suis persuadé qu’elle n’est pas indispensable. La membrane a fait mieux et plus grand dans le vol, que la rémige ; les grandes surfaces des ptérodactyles du Jurassique n’ont pas encore été atteintes par la plume et, comme perfection d’effets produits, nul être emplumé ne peut lutter, comme difficultés fournies et exécutées, avec les chauves-souris de petite taille.

Oh pourrait mettre en parallèle les soui-mauga et les colibris, mais on aurait tort ; ces deux oiseaux reproduisent le vol de l’abeille, l’immobilité par le battement. Les chauves-souris, même de forte taille, font souvent cet exercice. Toutes les fois que les roussettes ont à choisir des fruits, elles font leur choix de cette manière. Mais qu’est cette manœuvre, que le premier tiercelet venu fait vingt fois par jour, à côté des mille crochets de la pipistrelle ? — Le plus terrible ennemi de l’insecte, celui auquel il ne peut absolument pas échapper, est la chauve-souris.

Le vol peut donc se passer de la plume. Nous nous servirons forcément de la membrane ; nos appareils seront disgracieux, mais ils voleront.

Beaucoup de personnes ne peuvent admettre que l’appareil qui véhiculera l’homme dans les airs soit aussi lourd que cela. Pour elles, leur rêve est autre. Elles comprennent le vol. dans le genre de celui du rameur, pas même du gros rameur qui est lourd, qui se pose pesamment, mais quelque chose comme la manière de se mouvoir des petits passereaux qui se transportent où ils veulent et tourbillonnent au gré de leurs désirs.

Des dames m’ont avoué avoir pensé aux ailes des anges ; certaines d’entre elles, des jeunes filles, désiraient se mouvoir comme ces phalènes qui pompent le suc des fleurs sans se poser sur elles.

C’est trop demander à une lourde machine qui sera toujours lourdement chargée. Il faut en rabattre et énormément. Regardez la Nature, voyez si elle est toujours élégante. Voyez la grâce du départ d’un argala, d’un vautour où d’un pélican. Il y a de la trivialité dans ces efforts faits pour enlever leur pesante masse.

Hélas ! mesdemoiselles, quand l’homme aura à enlever son énorme individu, soyez sûres qu’il n’aura rien de l’ange, à moins cependant que vous ne vous mettiez de la partie…