Le sorcier de l’île d’Anticosti/À la recherche de l’or/Chapitre I

À LA RECHERCHE DE L’OR


I

LE YUKON

L’impérieux besoin de s’entourer de bien-être et de luxe est le cachet spécial de notre époque. Seuls, ceux qui possèdent la fortune sont enviés, et les autres regardés généralement comme une quantité négligeable.

Il semble que le summum du bonheur soit d’atteindre la fortune.

Ce n’est pas seulement une nation qui est possédée de ce désir ardent, le monde entier est en proie à la fièvre de l’or.

Aussi, lorsque dans le courant de l’année 1897, on apprit que des gisements aurifères considérables avaient été découverts dans l’extrême nord de l’Amérique, sur les bords d’un fleuve, le Yukon, et l’un de ses affluents, le Klondyke, ce ne fut plus une fièvre, mais un délire, une folie qui s’empara des esprits.

Elle s’accrut encore à la nouvelle que les 68 premiers mineurs, qui avaient eu le courage de pénétrer au sein de ces solitudes glacées, sous la longue nuit du pôle, risquant mille fois leur vie dans des dangers de toute nature, venaient d’arriver à San-Francisco, où on leur avait versé à la Monnaie, en espèces sonnantes la somme fabuleuse d’une tonne et demie d’or contre les pépites qu’ils rapportaient comme preuve irrécusable du succès de leur entreprise.

Pendant longtemps, on avait ri des récits des Indiens de la côte ; maintenant la foi la plus entière remplaçait l’incrédulité ancienne.

Les imaginations se montèrent, on ne pensa plus aux dangers, aux privations, à la mort qui guette le mineur à chaque détour de sa longue étape ; on ne vit que le résultat probable, ou possible, de cette expédition lointaine, hérissée de mille difficultés. La récompense apparaissait flamboyante comme le métal brillant à la poursuite duquel chacun allait se ruer.

De l’or, il y en avait, et beaucoup.

De tous côtés, les miséreux accoururent.

Il s’agissait dorénavant de ne plus se laisser devancer ; il fallait garder la place, afin d’arriver les premiers dans cette contrée merveilleuse, Eldorado étincelant, où, semblait-il, il n’y avait qu’à se baisser pour ramasser les précieuses pépites.

Des caravanes s’organisèrent par la voie d’eau et par celle de la terre.

Les steamers amenaient plusieurs fois par semaine, non seulement des habitants des différentes parties de l’Amérique, mais de la vieille Europe, dont grand nombre d’enfants n’ayant pu réussir sur le sol de la mère-patrie, voulaient voir si la fortune, cette capricieuse déesse, leur serait plus favorable en ces lieux où elle paraissait distribuer ses faveurs avec tant de libéralité.

C’est à la suite d’une de ces caravanes que nous allons nous engager. Le lecteur fera comme nous cette route, vrai Calvaire, où presque chaque pas pourrait être marqué d’une croix. Il verra, si avec le courage, la force, la persévérance qu’il faut déployer à chaque instant, ces explorateurs audacieux n’auraient pas pu, en restant dans leur pays, se procurer la fortune au prix de bien moindres efforts, car, il est certain que l’énergie dépensée sur cette terre inhospitalière suffirait à donner cette aisance, cherchée si loin du foyer paternel.