Le siège de Québec/Papa Regaudin et papa Pertuluis !

Éditions Édouard Garand (p. 19-22).

VI

PAPA REGAUDIN ET PAPA PERTULUIS !


Nous ne rapporterons pas la conversation qu’eut, ce soir-là, Jean Vaucourt avec M. de Vaudreuil. Il nous suffira de dire que le gouverneur avait mandé le capitaine pour le dépêcher à M. de Montcalm, qui le voulait mettre à la tête d’une compagnie de miliciens de son armée. Flambard profita de l’occasion pour obtenir du gouverneur la permission de quitter les grenadiers et de se battre là où il lui plairait ; car notre héros venait de décider de se mêler à tous les régiments dans l’espoir de retrouver Pertuluis et Regaudin. Consulté à ce sujet, M. de Vaudreuil n’avait pu spécifier à quel détachement les deux grenadiers avaient été envoyés.

— C’est bon, avait grommelé Flambard désappointé. Je finirai bien par les dénicher un jour ou l’autre, et alors… gare !

Mais dès le lendemain de ce jour allaient commencer les premières hostilités entre Français et Anglais et les premières escarmouches.

Aussi, avant de transporter notre lecteur sur les champs de bataille, nous lui présenterons un tableau d’un tout autre genre et d’une composition assez bizarre, mais réelle, tableau en lequel deux personnages bien connus se dessinent en évidence : nous voulons parler du « Chevalier de Pertuluis et de son écuyer le sieur de Regaudin. »


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Le détachement de grenadiers envoyé à M. de Lévis à Montmorency avait reçu contre-ordre du général Montcalm, et avait été attaché à l’armée du centre. On lui avait assigné comme poste un endroit assez élevé au-dessus de la rivière Saint-Charles, où il avait été occupé à faire des ouvrages défensifs. Une dizaine de tentes y avaient été dressées, et leur blancheur se dessinait doucement sous le soleil et sur la verdure claire des jeunes frondaisons qui, au delà, habillaient un tertre sur lequel une équipe de grenadiers bâtissait une sorte de fortin.

C’était le 27 juin, le lendemain de ce jour où la flotte anglaise était venue jeter l’ancre devant l’Île d’Orléans.

En deçà du tertre, et un peu à l’écart des tentes, l’on pouvait découvrir une baraque ou hutte faite de troncs d’arbres équarris et avec un toit à chaume en pente douce. Par la cheminée qui perçait le toit une forte colonne de fumée s’échappait, et de l’intérieur de cette habitation rudimentaire partaient des bruits d’ustensiles quelconques. À ces bruits se joignait parfois une voix furieuse qui hurlait :

— Biche-de-bois ! tu ne veux donc pas faire ton dodo, p’tit bougre !

Un enfant pleurait.

La voix, plus furieuse, reprenait :

— Oh ! le p’tit pendard… il braille si fort qu’il ne peut manquer d’attirer l’attention des English ! Il va nous faire bombarder pour sûr, le p’tit gueux ! Fais dodo, te dis-je, fais dodo ! C’est papa Regaudin qui parle !

Aux pleurs d’enfant qui devenaient des sanglots se mêla un rire sonore et narquois. Puis une voix basse et profonde retentit :

— Hé là ! papa Regaudin, tu n’as pas le tour de ça d’élever des marmots, ventre-de-grenouille !

— Cette voix, on l’aurait pu reconnaître pour celle de ce digne grenadier du roi, « le Chevalier de Pertuluis ».

— Biche-de-bois ! rétorquait la voix aigre de Regaudin, est-ce ma faute, Pertuluis ? M’a-t-on appris à faire ce métier de nourrice ? Hé ! puisque tu penses t’entendre mieux que moi à la marmaille, que ne lui fais-tu manger sa bouillie et que ne l’endors-tu, tandis que je tripote cette sacrée pâte ?

— Je vois bien que tu tripotes cette sacrée pâte, se mit à rire plus fort Pertuluis, puisque je t’aperçois tout encuirassé de farine à faire croire que tu es un bonhomme de neige. Ventre-de-roi ! a-t-on jamais vu s’enfariner de la sorte rien que pour cuire quelques mauvais galetons qui vous mettront le ventre à l’envers ?

— Hé ! biche-de-bois ! si ma pétrissure ne fait pas ton affaire, que ne la fais-tu toi-même ?

— Allons, va, Regaudin, continue de fariner et de farfouiller, reprit Pertuluis sur un ton de raccommodement ; faut pas que tu te gendarmes pour si peu. Tu sais bien que j’aime à rire un peu, que diable !

Regaudin avait, en effet, un air tout à fait colère. Il enfonçait à tour de force ses poings dans la pâte qui pétait et claquait, et chaque fois un nuage de farine montait à sa face ruisselante de sueur.

Apaisé par les paroles de son compère, il reprit :

— Puisque ce métier de farinage ne te plaît guère, vois donc au marmot !

— Ce n’est pourtant pas moi qui l’ai adopté, se rebella encore Pertuluis.

— Non… ricana Regaudin, mais tu partageras bien volontiers dans les bénéfices !

— Et pourquoi pas, sieur Regaudin ? fit hautement et dignement Pertuluis. N’ai-je pas fait ma part de la besogne ?

— Certes, certes… Mais avoue que tu deviens flemmard. Tu me regardes m’esquinter, et tu ne bouges pas ! Tu entends le p’tit geindre et piailler comme coq qu’on déplume tout vif, et tu restes tranquille comme un saint de pierre ! Biche-de-bois ! le feu prendrait à la caserne, que tu ne démancherais pas de là ! Vrai-de-vrai ! voilà que tu t’esquiches maintenant en toutes choses… c’est écœurant !

— Ah ! tu trouves ça écœurant, Regaudin ? Eh ben ! on va le dorloter ton gosse, et je vais te montrer, tout grenadier qu’on est, qu’on peut encore avoir la main à manœuvrer un bébé comme une grenade, ventre-de-diable !…

Pénétrons dans l’intérieur de cette cabane. Elle avait été transformée, ou mieux arrangée en cuisine, et Pertuluis et Regaudin avaient été désignés, vu qu’ils s’entendaient tous deux à la manipulation des pâtes et des pommes de terre, pour préparer la nourriture du détachement.

On y avait dressé deux foyers de pierres. L’un chauffait à belles et hautes flammes au-dessus desquelles était suspendu un immense chaudron de fer en lequel cuisaient un morceau de bœuf, du lard et des pommes de terre. L’autre ne flambait pas ; il n’y avait que des braises qui servaient à cuire les pains que Regaudin jetait dans des casseroles, après les avoir rudement tripotés et roulés.

Aux poutres qui soutenaient la toiture et qui traversaient de part en part la baraque pendaient des quartiers de bœuf, des flancs de lard fumé, des oiseaux de basse-cour et de forêt déplumés et séchés, des gigots de moutons et de chevreuils. Dans un angle de la bicoque on avait entassé quelques barils de farine et de lard salé, des caisses de poisson séché, des sacs de pommes de terre et de légumes. Dans un autre angle était une table sur laquelle s’accumulait, dans un désordre presque épique, tout un assortiment de gamelles, de gobelets, de plats, d’ustensiles variés et bizarres mêlés de poignards, de pistolets, de baguettes de fusil… bref, un bazar inouï ! Le long du mur qui faisait vis-à-vis aux deux foyers avaient été collés deux grabats mis bout à bout : c’étaient les couches des deux cuisiniers. Enfin, et c’était bien l’objet le plus étrange de cet étrange intérieur, on découvrait, pendu à l’une des poutres, une sorte de panier fait de rameaux de saules entre-croisés, et de ce panier tombait un gémissement d’enfant. Une nuée de mouches voletaient et bourdonnaient autour des quartiers de bœuf, des oiseaux séchés, des gigots et du panier accroché là pour servir de berceau. Les sanglots de l’enfant, le bourdonnement des mouches, le ronronnement de la marmite de fer, le pétillement des flammes et les flic flac de la pâte sous les coups de poing de Regaudin produisaient une musique vraiment abracadabrante.

L’enfant qui pleurait dans le panier était, comme on s’en doute bien, celui de Jean Vaucourt et d’Héloïse de Maubertin ; et au moment où nous entrons dans la bicoque, notre ancienne connaissance Pertuluis venait de se mettre à faire balancer le panier. Mais l’enfant continuait de gémir.

— Fais donc dodo, mon p’tit fifiot, reprenait Regaudin qui, bras nus et tout blanc de farine, flétrissait des pains. Écoute… écoute ton papa Regaudin ! achevait-il en jetant un pain dans une casserole.

— Voyons, dit enfin Pertuluis en se levant du grabat où il était assis, il faut voir ce qu’il a !

— S’il ne veut pas faire son dodo, dit Regaudin, c’est qu’il a encore faim, le p’tit crapaud !

— Nous allons bien voir, répondit Pertuluis, qui enleva l’enfant de son panier et le prit dans ses bras.

L’enfant cessa de suite ses gémissements pour sourire au masque balafré du grenadier.

— Ah ! ah ! mon p’tit diable, se mit à ricaner Pertuluis, tu reconnais donc le papa Pertu ? C’est bon, tu vas voir que lui s’y connaît en poupons… viens !

Il alla s’asseoir près de la table, mit l’enfant sur ses genoux et attira un pot de pierre où trempait une sorte de bouillie au lait et à la mie de pain.

— Voilà ! ajouta-t-il avec satisfaction.

Il se mit à faire manger l’enfant.

Tout en ce faisant, il disait :

— Hein ! c’est bonne, fifiot ? Çà, vois-tu, c’est de la bouillie de ton papa Pertuluis… il s’y connaît, lui ! Ce n’est pas comme ce propre-à-rien de papa Regaudin qui n’est bon qu’à gueulasser… Tiens ! tiens ! avale encore de la bonne bouillie de papa Pertuluis !

L’enfant mangeait et riait à cette face affreuse qui se penchait vers lui. Blond comme sa mère, tout blanc et tout rose, joli à croquer, l’enfant, avec ses grands yeux bleus et doux qui considérait avec une sorte d’étonnement les deux grenadiers et les choses disparates qui encombraient la baraque, pouvait ressembler à un ange captif dans les bras d’un démon. Et il n’avait pas peur de cet homme qui lui parlait avec une voix de bête fauve, encore que le grenadier essayât d’adoucir le ton de sa voix. Le petit mangeait… il mangeait même avec délices la fade bouillie que lui présentait au bout d’une cuiller de bois Pertuluis. Et il riait volontiers aux paroles et aux jurons de l’un ou de l’autre de ses gardiens. Parfois, il bégayait le mot « papa »…

Pertuluis, sans le vouloir, rougissait, puis sa voix tremblait étrangement, quand il disait :

— Oui, oui, papa… Mais dis donc « papa Pertuluis » !

L’enfant souriait, regardait plus attentivement les balafres du grenadier et essayait :

— Papa… ’luis !…

Pertuluis partait de rire aux éclats.

— Ah ! p’tit chien ! grommelait Regaudin en glissant une casserole sous les braises, tu oublies déjà ton papa Regaudin !

— Papa… ’din ! chantait la voix du petit.

— Mais non… mais non, se récriait Pertuluis. Laisse donc, petit, ce croquant de fouille-au-pot, ce brasseur de marmites, ce frotteur d’ustensiles, ce… Dis encore : c’est « papa Pertuluis » !

Mais l’enfant paraissait tout à coup distrait par quelque nouvel objet qui frappait ses regards et les attirait, et il levait ses yeux vers les viandes accrochées aux poutres de la baraque.

— Ah ! ah ! le p’tit bougre ! s’écria Regaudin. À le voir regarder de ses grands yeux ce quartier de bœuf, on parierait qu’il veut le manger !

À ce moment, Pertuluis fit un brusque mouvement, et sa main renversa par inadvertance le bol de pierre qui roula de la table jusqu’à terre où il se cassa.

— Ventre-de-ventre ! petite canaille ! jura le grenadier en poussant l’enfant au bout de ses bras.

— Eh ! quoi donc ? fit Regaudin en se tournant.

— Ce p’tit morpion ! grogna Pertuluis, il a fait pipi sur ma culotte neuve !

Regaudin partit de rire.

— Eh ben ! quoi ? On ne se fait point papa pour rien !

Et comme le petit, effrayé par le juron du grenadier et par le bruit du bol cassé, s’était mis à pleurer, Regaudin reprit :

— Voyons ! Pertuluis, si tu as tant la main que ça, recolle-lui une autre couche et refourre-le dans son panier. Du reste, il a mangé comme un p’tit cochon, ce p’tit gueux-là.

Sans mot dire Pertuluis fit comme le lui recommandait son compère.

L’enfant, cette toilette faite, s’était remis à rire.

Pertuluis l’éleva au bout de ses bras, grommelant avec un air moitié fâché et moitié riant :

— Et dire qu’on aime ça quand même, ce p’tit saligaud-là !

L’enfant riait plus fort.

— Et tu ris encore, p’tite vermine.

Pendant un bon moment le grenadier se mit à dorloter et à caresser l’enfant. Puis, sur la recommandation de Regaudin, qui venait de terminer son pétrissage et de mettre aux braises le dernier pain dans la dernière casserole, Pertuluis reposa l’enfant dans le panier où il ne tarda pas à s’endormir.

Alors, les deux grenadiers, assis côte à côte sur un des grabats, se mirent à causer sérieusement.

— Pertuluis, commença Regaudin, je n’ai pas idée de garder cet enfant tout le temps que durera la campagne. On ne sera pas toujours à faire le cordon-bleu. Il va falloir reprendre flingot et flamberge, frapper et d’estoc et de taille… enfin, bref, qui prendra soin du p’tit ?

— Où veux-tu en venir, Regaudin ?

— À ceci, qu’il faut s’en défaire !

— Ah ! tu n’as pas envie de le tuer, j’imagine ?

— Non, tu sais bien.

— Alors ?

— C’est tout simple comme pierre sur pierre… écoute. Si je m’appelais Pertuluis, j’irais chez le capitaine Vaucourt et je lui bâclerais l’affaire moyennant mille louis. Je te garantis, à moins qu’il n’ait plus le cœur à la bonne place, qu’il les donnera comme un simple maravédis pour ravoir son petit, pas vrai ?

— Mais lui, le capitaine, où le trouver ?

Pardieu ! à la ville.

— Fait-il donc partie de la garnison ?

— Est-ce que je sais seulement ? Mais en t’informant, on te dira peut-être quelle compagnie il commande, et ce ne sera plus qu’une affaire de discussion entre toi et lui.

— Oui, mais n’entre pas en la ville qui veut, répliqua Pertuluis songeur. Et puis, si, en supposant que j’entrerais, on ne pouvait me dire où trouver le capitaine ?

— En ce cas, moi j’aurais un conseil à émettre.

— Voyons !

— En attendant que les Anglais soient repartis avec leurs navires, je confierais le petit à la mère Rodioux.

— Perds-tu la tête, Regaudin ? La mère Rodioux ? Cette vieille harpie ? Mais elle nous le volerait, la friponne, et par le fait même elle nous volerait nos mille louis ! Non, non, Regaudin, pas de tels conseils, ventre-de-biche !

— Ou bien, reprit Regaudin, on pourrait le donner en soins à quelque bonne femme du voisinage, comme certaine paysanne, pas loin d’ici, que je connais bien, et dont le mari est dans les milices. Elle a un enfant à elle, de sorte qu’elle s’y connaît. Elle n’est pas seule à la cambuse, un vieux bonhomme, le père du milicien, demeure avec elle. Je la pense bien honnête et je suis sûr qu’elle veillerait avec tendresse sur notre petit.

— Est-ce la femme du milicien Aubray ?

— Juste.

— Eh bien ! nous verrons. Ce soir j’irai à la ville et je m’informerai du capitaine. D’ici là, rien à décider. Et en attendant, Regaudin, si on se mouillait la luette un peu.

— Oui, une goutte me remonterait le gigolo, admit Regaudin en pourléchant ses lèvres. Vraiment, il me semble que j’ai tout le sang figé dans les talons !

Pertuluis avait tiré de sous le grabat une cruche à même laquelle il but à longs traits. Il la passa ensuite à son compère qui la soupesa et dit :

— Par ma foi ! elle baisse, la gueuse. Il faudra voir à la faire remplir convenablement, si l’on ne veut pas qu’elle sèche !

— Pas chez la mère Rodioux, ventre-de-grenouille, elle me reparlerait de l’enfant, et elle serait capable, la vieille ribaude, de me larder les flancs.

— Au fait, se mit à ricaner Regaudin, elle doit bien nous en vouloir un peu, nous qui devions partager avec elle dans les profits que rapporterait le marmot.

— Parce qu’elle nous avait fourni le tuyau ?

— Tout juste. Et tu te rappelles comment elle nous reçut avant hier, nous offrant carafons sur carafons, nous faisant des façons à faire rougir notre modestie, à ce point qu’elle fit taire la rancune de la Pluchette qui ne nous pardonne pas, la maraude, de l’avoir introduite à cet excellent sieur Deschenaux que satan étripe, mange et vomisse !

Pertuluis se mit à rire. Puis il dit :

— Allons bois… et continue ensuite !

Regaudin but avidement et longuement à même la cruche d’eau-de-vie, et la repassa à son camarade qui, de nouveau, en tira quatre ou cinq fortes lampées avant de la reposer sous le grabat.

— Tu comprends, poursuivit Regaudin que la boisson rendait gai et cocasse et dont le « gigolo » semblait remonter à merveille, que la vieille guenon ne savait trop comment nous proposer ce marché…

Regaudin s’interrompit pour hoqueter.

— D’aller chercher le petit pour en tirer rançon ? compléta Pertuluis, que cette histoire paraissait amuser.

— Oui, tout juste. Et ce que ça lui a pris de temps pour nous mettre l’affaire dans l’ouïe ! N’a-t-il pas fallu, pour qu’elle se décidât à dégoiser, que nous fussions presque ivres et que nous lui jurassions sur le Christ, sa croix et ses clous…

— Et sa couronne d’épines ! ajouta sentencieusement Pertuluis.

— Tout juste, Pertuluis, et sa couronne d’ép…

Un bruit terrible fit sauter en l’air les deux bravi… Ce fut d’abord un craquement sinistre comme si la baraque s’écrasait, puis un long sifflement emplit l’air, et une fumée âcre aux senteurs de graisse brûlée se répandit par la bicoque, tant et si bien que Regaudin se mit à éternuer avec fracas.

— Par la mort du diable ! cria Pertuluis, regarde, Regaudin, la marmite est au feu !

— Au feu… fit Regaudin avec étonnement. Atchou… atch…

Il éternuait de plus belle.

— Vite ! hurla Pertuluis en se précipitant vers le foyer, la soupe bout !

— Ah ! la soupe bout… atch…

Incapable de mettre fin à son éternuement, Regaudin s’élança à son tour vers le foyer.

Réveillé en sursaut par le fracas formidable qui venait d’ébranler la cabane, l’enfant jetait des cris perçants. Puis, étouffé par la fumée épaisse qui envahissait la hutte, ses cris se changèrent en hoquets effrayants.

— Bon ! grogna Pertuluis, v’là le marmot qui étouffe à présent !

— Vite ! le marmot ! cria Regaudin.

— Vite ! le chaudron ! clama Pertuluis.

La marmite de fer gisait avec tout son contenu dans les cendres du foyer presque éteint, et par-dessus s’était écroulée la cheminée.

Pertuluis et Regaudin levèrent un œil consterné vers la toiture où apparaissait un trou énorme, béant, par lequel pénétraient des rayons de soleil.

Dans le lointain de sourds grondements continuaient de faire trembler l’espace.

— Bon ! marmonna Pertuluis, je comprends… c’est un boulet anglais qui est venu nous faire ces dégâts !

— Un boulet anglais… fit Regaudin en se remettant à éternuer… Mais où est-il ?

— Dans la marmite, faut croire !

Tandis que les deux amis demeuraient tout désemparés devant cette avarie, le détachement de grenadiers arrivait pour le repas du midi.

Les deux cuisiniers firent un saut.

— Biche-de-bois ! exclama Regaudin avec désespoir, v’là les soupards !

— Hein, les soupards !

— Par tous les marmitons de l’enfer ! jura Pertuluis, ils arrivent bien à point… la soupe est trempée !…