Le pays, le parti et le grand homme/Plus forts qu’avaleurs de sabres !

Castor
Gilbert Martin, éditeur (p. 61-78).


PLUS FORTS QU’AVALEURS DE SABRES !


au nom de la discipline, on escamote le chemin de fer du nord


I


Mais encore, faut-il toujours en revenir à la question de discipline.

La discipline ! nous l’avons dit, elle a des droits qu’il ne faut pas méconnaître.

Et qui sait si, après tout, les expulsés ne sont pas que des anges déchus ?

De Boucherville, Ross, Beaubien, Archambault : la Minerve n’a t-elle pas assez dit qu’un orgueil insensé, une jalousie sans bornes les avait aveuglés, dévoyés, perdus ?…

Et s’il est permis de rappeler, à propos des infimes choses de notre politique, le céleste drame chanté par Milton, ne vous a-t-il pas semblé qu’après avoir lancé l’anathème à la tête des rebelles, Dansereau déposant sa plume, avait toute la majesté d’un saint Michel et disait du geste, si non de la voix :

« Quis ut Chapleau ! »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Or, c’est, là le nœud du débat :

Si Chapleau avait le droit d’imposer sa politique quelle qu’elle fût, sans réserve ; si les conservateurs étaient obligés absolument de l’approuver sans formuler d’objections ; s’ils étaient tenus de l’avaler sans qu’il leur fût laissé même assez de latitude pour faire la grimace, à la bonne heure !

C’est Dansereau qui a eu raison…

Mais si c’était tout le contraire ?…

Nous avons stigmatisé sans miséricorde et avec raison le servilisme des rouges rampant aux pieds de M. McKenzie, et lui sacrifiant les droits de notre Province. Or, qu’en serait-il de nous si définitivement nous devenions ainsi les esclaves déshonorés des volontés de Messieurs Senécal, Chapleau, Dansereau & Cie ?


II


C’est un fait de notoriété publique que la vente de la Section-Est à Senécal était, à l’origine, répudiée par la majorité des députés et des conseillers législatifs. On sait les manœuvres employées par Senécal ; on connaît les menaces de M. Chapleau et l’abus qu’il a fait de sa position de chef, pour imposer cette mesure au nom de la discipline.

On sait même quelle division existait dans le Cabinet à ce sujet. MM. Ross et Robertson préférèrent abandonner leurs portefeuilles plutôt que de tremper dans cette affaire. M. Loranger, pris d’une vertueuse indignation, allait les suivre, lorsque M. Chapleau lui dit amicalement, mais sur un ton qui n’impliquait pas badinage : « Tu sais, le fauteuil de septième Juge : eh bien ! il est facile que ce soit à toi. Mais… il nous faut le chemin de fer à nous ! »

Loranger se calma, reprit sa place dans les rangs et emboîta le pas derrière son chef. Messieurs Flynn et Paquet, eux, n’eurent pas de scrupules… tant la transaction leur parut honnête ! tant ils étaient convaincus que c’était même un grand acte de patriotisme que Senécal, Dansereau & Cie allaient, accomplir, en nous débarrassant de cet éléphant de chemin de fer et en assumant, avec un désintéressement admirable, une partie de la dette provinciale…


III


Voilà qui est très bien ; mais cela ne décide pas la question de savoir qui avait raison, de la clique ou de tous les conservateurs qui s’opposèrent à la vente avec une incroyable énergie.

Dansereau, lui, crut trouver une solution à la question, en disant que tous ces gens-là n’agissaient que par un sordide motif d’intérêt personnel !

Voyez, plutôt :

1° Ross voulait être premier ministre.

2° De Boucherville, jalousant M. Chapleau, voulait être, lui aussi, premier ministre.

Forte accusation ! mais était-elle bien fondée ? D’abord, M. de Boucherville, alors qu’il n’était pas au Sénat, alors qu’il était encore chef conservateur de la Province, s’effaça sans bruit, dès que l’intrigue du Windsor fut consommée. Dans un temps où il avait tous les droits et où des milliers de conservateurs le reconnaissaient pour chef, il resta paisiblement dans sa retraite. Il y a plus : de Boucherville est l’ami de cœur de Ross. Il ne fit que seconder ce dernier qui, toujours suivant Dansereau, ne travaillait lui aussi contre la vente que pour être premier ministre.

Enfin, de Boucherville ne fit guère de cabale. Il ne s’assura pas même, ainsi qu’il lui fut reproché ensuite, le concours des nombreuses et puissantes influences existant dans la capitale fédérale et qui l’eussent secondé dans sa résistance.

Tout cela, il faut bien le reconnaître, est une forte présomption que M. de Boucherville n’a pas suivi une arrière-pensée d’hostilité à M. Chapleau, mais n’a été mu que par son désir de servir l’intérêt public. De plus, le passé de M. de Boucherville est là, passé sans tache, étranger à toutes ces intrigues, toutes ces menées plus ou moins ténébreuses, toutes ces spéculations véreuses auxquelles a été associé le nom de M. Chapleau. Il a pu être accusé de manquer d’habileté, d’initiative, de perspicacité, de tact politique. Personne avant Mtre Dansereau n’a jamais songé à mettre en doute son honorabilité.

Quant à M. Ross, il eût pu, en dix autres circonstances cent fois plus favorables, déclarer la guerre à M. Chapleau avec certitude de succès.

Quand M. Chapleau était faible, il l’a servi avec une fidélité et un dévouement sans bornes. Est-il vraisemblable qu’il eût choisi, pour le combattre, le moment où l’ex-Premier ministre était appuyé d’une majorité de quarante voix dans l’Assemblée Législative ? Et dans quel but ? Pour lui arracher le commandement, lorsque M. Ross savait mieux que tout autre que le but des aspirations de M. Chapleau était le cabinet fédéral, qu’il abandonnerait Québec au premier moment et que la succession lui écherrait tout, naturellement !

Est-il vraisemblable que M. Ross eût cédé à une aussi absurde tentation ?


IV


Si MM. de Boucherville et Ross eussent été animés de tels motifs, ils eussent agi comme M. Chapleau. Ils eussent saisi une occasion favorable de faire alliance avec l’ennemi, dans un temps où les spéculations louches et la conduite équivoque du Premier avaient soulevé contre lui, à la fois le mépris des libéraux et les préventions des conservateurs.

De Boucherville, nous dit Dansereau, est un égoïste qui spécule sur le coffre public…, témoin… devinez ! Témoin : le fait qu’il garde son double mandat, touche sa double indemnité et comme sénateur et comme conseiller législatif, et retire ce que la loi lui accorde pour ses frais de voyage ! ! !

Et la conscience méticuleuse qui reproche à M. de Boucherville de toucher, comme tous les autres, l’indemnité que la loi lui accorde, et que bien peu gagnent par une assistance plus assidue et plus consciencieuse, c’est M. Dansereau qui, depuis vingt ans, spécule d’une manière plus que suspecte sur le public ! Dansereau qui, dans l’affaire des Tanneries, est obligé de confesser lui-même, après des résistances qui lui valurent d’être emprisonné, sous la garde du sergent d’armes, qu’il avait induit le gouvernement à livrer à Midlemiss le terrain des Tanneries pour se gagner les faveurs de ce Midlemiss qu’il croyait grand capitaliste et en obtenir des capitaux ; que dans la même affaire, il avait obtenu $50, 000.00 de ce même Midlemiss, sur son simple billet, avouant ainsi avoir employé son influence à faire vendre le domaine public pour se procurer des avantages monétaires ! C’est ce même M. Dansereau qui, sur une somme de $112, 000.00 d’escompte obtenue de la Banque Jacques-Cartier, n’en paie que $8, 000.00, faisant ainsi perdre cent quatre mille piastres ($104, 000.00) au public, ce qui ne l’empêche pas de continuer à faire bombance et de mener la vie à grandes guides. C’est ce même Dansereau qui, durant plusieurs années qu’il a occupé la charge de Greffier conjoint de la Paix, a touché un salaire annuel de $2, 400.00, sans avoir même travaillé la valeur d’une journée par année, et qui n’allait au bureau que pour retirer son salaire !

C’est ce scrupuleux de Dansereau, dont la conscience timorée se révolte à la pensée que, comme les autres membres de la chambre, M. de Boucherville retire du gouvernement ses frais de voyage tels qu’alloués par la loi !

Et lui, M. Dansereau, conspirateur en permanence contre le trésor public, combien a-t-il payé à la Province pour les voyages presque journaliers qu’il a faits, soit en chars officiels, soit en chars palais, sur tout le long du chemin de fer entre Québec et Ottawa !


V


M. Beaubien, suivant Messieurs Chapleau et Dansereau, n’était qu’un ambitieux qui voulait, ou être ministre, ou faire une spéculation en achetant le chemin de fer en société avec Messieurs Allan, Rivard & Cie.

Arrêtons-nous ici pour admirer l’aplomb de ce monsieur Chapleau, qui anathématise M. Beaubien, parce qu’étant très riche, très instruit, le plus remarquable agriculteur de notre Province, membre des communes fédérales durant deux parlements, vainqueur à Hochelaga du grand chef libéral Sir A. A. Dorion, député à Quebec depuis au delà de quinze ans, ci-devant orateur de l’Assemblée législative, position à laquelle il fut élu à l’unanimité, il aurait l’ambition d’être ministre ! Indiquez-nous donc quels sont, parmi les grands hommes de la clique, les gens de capacité et de position supérieures à celles de M. Beaubien ! ! Et lui, ce brave M. Chapleau, qu’a-t-il donc fait depuis quinze ans, si ce n’est sacrifier vingt-cinq fois les intérêts publics pour préparer son avancement personnel, pour être non seulement ministre et premier ministre à Québec, mais même ministre à Ottawa, avant d’avoir jamais mis le pied dans la Chambre des Communes !

M. Beaubien aurait voulu spéculer en achetant le chemin de fer !

Mais d’où viennent à M. Chapleau les milliers de piastres qu’il a payées sur propriétés foncières, depuis la vente du chemin de fer du Nord ?

D’où est tout à coup venu à M. Dansereau, l’humble compositeur à sept centins dans le dollar en 1880, cette fortune soudaine qui lui permet d’abandonner sa sinécure du Greffe de la Couronne et de vivre en grand seigneur, sans aucune occupation régulière, sans moyen d’existence connu ?

M. Beaubien aurait voulu spéculer !

Messieurs Ross, de Boucherville, Beaubien et Archambault auraient cédé aux calculs de l’ambition et voulu monter au pouvoir ! ! !

Mais, encore une fois, qu’avez-vous fait autre chose, braves gens ! depuis que vous exercez votre pernicieuse influence ?

Prendre le pouvoir et le garder ! vous gorger, vous et vos amis, de faveurs, de places, de jobs, de patronage : avez-vous jamais su faire autre chose ?


VI


Où sont vos preuves que ces messieurs aient voulu se procurer un avantage indu quelconque ? Ils ont condamné la vente de la section Est ; ils l’ont stigmatisée comme une transaction illicite, malhonnête même ! Où sont les hommes sérieux qui entreprendront de démontrer solidement le contraire ?

Ouvrez d’abord le Code civil, vous y lirez :

« Article 1484 : Ne peuvent se rendre acquéreurs ni par elle-mêmes ni par parties interposées, les personnes suivantes, savoir :

« Les tuteurs et curateurs, etc…

« Les mandataires, etc …

« Les administrateurs ou syndics des biens qui leur sont confiés soit que ces biens appartiennent à des corps publics ou à des particuliers, etc. »

Eh bien ! monsieur Senécal n’était-il pas « l’administrateur » de biens à lui confiés, savoir : le chemin de fer et son matériel roulant ? Ces biens n’appartenaient-ils pas à « un corps public », la Province ? Donc, la loi défendait de vendre à M. Senécal !

« Mais », direz-vous, « M. Senécal avait donné sa démission. » — Oui, mais M. Chapleau ne l’avait pas acceptée et M. Senécal était resté l’administrateur du chemin ; par conséquent, l’incapacité établie par le Code continuait à peser sur lui. Et d’ailleurs, peut-on croire que le Législateur ait eu la naïveté et la maladresse de faire une loi complètement illusoire ? Si pour se relever de son incapacité, il suffit à un administrateur, à un tuteur, etc., de dire avant d’acheter : « Je donne ma démission ! » il vaudrait bien mieux rappeler une telle loi, puisqu’elle n’opérerait que comme une embûche destinée à prendre les simples et à faire croire au public que les mineurs et le domaine de l’État, etc., sont protégés. Car l’administrateur ou le tuteur frauduleux auraient toujours le soin de dire : « Je résigne ! » avant de faire leurs coups.

Vous répliquez et me dites : « Senécal n’a pas acheté seul, mais comme membre d’un syndicat dont MM. McGreevy, Ouimet, Desjardins, etc., étaient, membres avec lui. » — Je réponds : ça ne change rien à l’affaire ; la loi dit formellement : « Ne pourront acheter ni par eux-mêmes, ni par parties interposées. ” Si le tuteur ou l’administrateur pleuvent acheter avec des associés, ils pourront tout aussi bien éluder la loi, vu la facilité qu’il y a de trouver un associé ou un prête-nom. Encore une fois, autant vaudrait faire disparaître cette loi de notre Code et laisser le champ libre à la spéculation de MM. les tuteurs et administrateurs. Mieux vaut n’avoir pas de loi que d’en avoir une que tout le monde peut éluder aussi facilement. Une telle loi ne gênerait que les honnêtes gens.

D’ailleurs, qui ne sait que la transaction était celle de Senécal seul ? Lui seul a fait la soumission, débattu les conditions, conclu le marché, etc., etc. S’il a pris des associés, c’est parce que cela faisait mieux son affaire. Il est resté maître de la transaction, comme l’ont prouvé les événements qui ont suivi.

Vous insistez : « Senécal, dites-vous, n’achetait que pour une compagnie devant être incorporée plus tard. En effet, moins de deux mois après, la Législature Provinciale donnait l’existence à une Compagnie à laquelle les titres de propriétés du chemin ont été consentis. »

Il est à peine besoin de répondre à un tel argument : vous dites vous-même que Senécal achetait pour une compagnie qui n’existait pas ; qui n’a acquis l’existence que un ou deux mois plus tard. Cette compagnie ne pouvait donc acheter puisqu’elle n’existait pas : Senécal restait donc jusque-là l’acheteur, avec ses co-acheteurs. La vente était donc faite à une partie frappée par la loi d’une incapacité absolue ! La vente était donc illégale, illicite ! par conséquent, nulle !


VII


Voilà pour le côté strictement légal de la question.

Et quant à celui de l’équité ? Est-il possible de violer d’une manière plus révoltante les lois de la justice ?

Comment tant de personnes ont-elles refusé de voir ce qui, pourtant, apparaît avec tant d’évidence, ce qui crève les yeux ?

La propriété publique a toujours été assimilée, dans tous les systèmes de législation, à des biens de mineurs. La loi les protège à l’égal des incapables : et c’est avec justice. Plus encore que le mineur ou l’interdit, le public est sujet à se faire duper.

Or, il s’agissait de vendre un bien public d’une immense valeur : la plus importante de nos propriétés provinciales…

Et comment y procède-t-on ?

Le moins qu’eût pu faire le gouvernement de Québec, on l’aurait cru, du moins, c’eût été de s’entourer des mesures de la sagesse la plus ordinaire. C’était de faire ce que tout homme d’affaires eût nécessairement fait pour éviter le sacrifice de ses intérêts. Or, demander à un gouvernement d’adopter les mesures dictées par l’usage et le sens commun, pour éviter le sacrifice à vil prix d’une propriété qui, à elle seule, était la fortune de la Province, ce n’était certes pas d’une exigence exorbitante. Or, qu’eût fait un particulier sous de telles circonstances ? Eût-il vendu sans se rendre d’abord lui-même soigneusement compte de la valeur de sa propriété ? N’eût-il pas pris ensuite tous les moyens nécessaires pour la faire apprécier à sa juste valeur ?

Si, par exemple, un négociant offrait en vente un fonds de magasin, ne ferait-il pas dresser de ses marchandises, créances, etc., un inventaire minutieux ? N’exigerait-il pas de ses employés qu’ils donnassent, de son établissement, tous les renseignements nécessaires pour en faire apprécier les relations commerciales, la clientèle, etc. ? Ne ferait-il pas en sorte d’établir, par des états complets, par des rapports détaillés, le montant total des profits nets que pourrait donner l’établissement ? S’il arrivait que, dans le chapitre des dépenses, apparussent à son détriment les salaires de cinquante commis, lorsqu’il serait avéré que la maison de commerce pourrait être également bien exploitée avec seulement vingt-cinq commis, ce négociant n’aurait-il pas le soin de le dire, et d’établir le fait au delà de tout doute, faisant connaître les circonstances, expliquant le fait de la présence de vingt-cinq commis inutiles, par le fait qu’ils seraient ses parents par exemple, qu’il les aurait engagés sans en avoir réellement besoin durant une année de disette ou de crise commerciale et pour leur fournir des moyens de subsistance que, à tout événement, il n’eût pu se dispenser de leur fournir ?

Or, que dirait ce négociant si, la vente faite, il découvrait que son premier employé eut omis de donner tous ces renseignements au public ou de lui fournir les statistiques nécessaires pour établir ces faits, sous le prétexte que lui, premier commis, voulait se porter acheteur de l’établissement ? Que répondrait-il à cet employé infidèle qui lui dirait :

« Les relations commerciales, c’est moi qui, étant à votre service, les ai établies ; la clientèle, c’est moi qui l’ai attirée. Or, je veux seul bénéficier de tout cela. J’ai fait toutes les statistiques, tous les calculs nécessaires à constater tous les profits nets que peut donner votre établissement ; mais tout, cela, je me suis donné bien de garde de le faire connaître aux acheteurs, je le leur ai même caché. Ceux qui sont venus demander des informations, je les ai rudoyés, insultés ! A-t-on jamais vu aussi une telle audace ! venir essayer de m’escamoter mes statistiques ! mais c’est une trahison ! Je les ai dépistés ! autrement, ils seraient venus me faire compétition et je n’aurais pu acheter votre établissement à vil prix.

« Je les ai donc gardés pour mon usage personnel, tous ces calculs, toutes ces statistiques, afin d’en faire la base des offres que je vous ai faites et que vous avez dû accepter, vu que j’avais réussi à empêcher toute autre soumission supérieure à la mienne !… »

Encore une fois, que répondrait le vendeur ? que répondriez-vous lecteur, étant donné qu’une telle position vous fût faite ?… Eh bien ! dans la vente du chemin de fer, la position de la Province était absolument celle de ce négociant. Un seul homme était en position de donner des chiffres exacts, certains détails essentiels, une vue d’ensemble nécessaire à l’appréciation exacte de la valeur du chemin. Cet homme, c’était l’un des serviteurs de la province, spécialement employé et payé pour remplir ce devoir ; c’était M. Senécal, l’administration du chemin. Lui seul était capable de montrer exactement, par des faits et des statistiques irrécusables, quelles économies il était possible de réaliser et dans quelle mesure il était facile d’augmenter les revenus nets du chemin. Seul, il était capable d’en faire connaître toutes les qualités, toutes les ressources, toutes les perspectives certaines d’augmentation. Seul il était à même de se renseigner parfaitement sur toutes les circonstances de l’entreprise ; par conséquent, seul il pouvait présenter la vente sous le jour le plus favorable, faire ressortir, aux yeux des acheteurs, toutes les raisons qu’ils avaient d’acheter.

M. Senécal n’était pas salarié par la province pour spéculer au détriment de la province en dehors de son emploi ; encore moins pour spéculer contre la province, pour conspirer contre l’intérêt de la province, au moyen même de son emploi.

On se fût donc attendu trouver M. Senécal travaillant ardument à préparer, au bénéfice de la province, cette grande et solennelle transaction. On se le serait représenté faisant des combinaisons propres à faciliter la vente, exhibant des plans, employant des calculs et des statistiques, faisant connaître les mille ressources de la ligne, ses relations naturelles vis-à-vis les autres chemins, le cours naturel suivi par les affaires, comment elle peut être le grand débouché du Nord-Ouest ; on eut dû le trouver à l’œuvre, proposant aux capitalistes, les moyens d’acheter, leur facilitant leurs soumissions, les encourageant par tous les moyens possibles.

Disant aux acheteurs : « Voici quels raccordements nous avons déjà avec les lignes de l’Ouest ; voici ceux que l’on peut encore acquérir. Voici pourquoi et comment la ligne est indépendante de toutes combinaisons propres à la gêner, l’amoindrir, lui faire compétition.

L’a-t-il fait ?

Non !

Le gouvernement, du moins, lui a-t-il enjoint de le faire ?

Non ! !

Bien loin de là ! M. Senécal et le gouvernement ont précisément fait systématiquement tout le contraire, ainsi que nous allons l’établir. Et pourtant, M. Senécal était alors employé spécialement par la province pour sauvegarder de si grands intérêts !… Et il recevait, pour ses services, une rémunération supérieure à celle du Juge en Chef de la province !

Tout son temps, toute son habilité, tout son travail appartenaient donc à la province !

Il est vrai que certains rapports des recettes et des dépenses se trouvaient aux livres bleus ; mais tout cela n’était connu que d’un très-petit nombre. D’ailleurs, ces statistiques des livres bleus, faisaient-elles connaître la position du chemin telle qu’elle était réellement à l’époque de la vente ?

Non !

Les livres bleus donnaient-ils à l’acheteur tous les renseignements qu’il avait besoin d’avoir ? Tous ceux qu’il était de l’intérêt de la Province de donner ?

Non !

Par exemple, il y avait alors, au service de cette ligne, un nombre excessif d’employés, puisque, à peine en possession, les nouveaux acquéreurs, savoir : Senécal & Cie, en ont congédié de suite au-delà de cent vingt d’un seul coup !

Or, en supposant à ces employés, seulement un salaire moyen de $1.50 par jour, cela représente de suite une diminution de dépenses de $180.00 par jour, soit $67, 000.00 par année, c’est-à-dire, à-peu-près l’intérêt, calculé à six pour cent, d’un capital de $1, 100, 000.00 ! ! Ce fait, officiellement constaté par l’administration, eut donc induit l’acheteur à payer au moins un million de dollars de plus.

Et cependant, ces renseignements, M. Senécal les garde pour lui seul ! Les avantages obtenus, les raccordements avec les voies de l’Ouest, c’est à son profit personnel que tout cela est acquis ! Les données exactes, les calculs, les renseignements complets, nécessaires pour faire une soumission dans les meilleures conditions, ce sont des secrets gardés à son bénéfice personnel ! ! !

En réalité, il n’y a aucun spécialiste, personne de parfaitement compétent pour préparer cette vente au bénéfice de la Province ! personne pour représenter l’intérêt public ! personne pour défendre ces intérêts contre Senécal lui-même ! contre Senécal armé de toutes pièces, au moyen des documente de l’État ! personne pour débattre avec lui contradictoirement les conditions de cette vente que la Province va lui faire ! Personne ! si ce n’est des incompétente, des employés bâillonnés, ou des complices !

Lui ! chargé spécialement de l’impérieux devoir de représenter l’intérêt public dans cette affaire et de le défendre, on le trouve travaillant dans le mystère, aux dépens de l’État, aidé par les employés de l’État, à ourdir, au moyen des documents de la Province, cette conspiration audacieuse qui a pour objet de s’emparer des biens de la Province ! qui a réussi à dépouiller la Province, du principal élément de sa prospérité !  !  !

Et que voit-on ! le gouvernement ! la majorité du conseil et de l’assemblée législative ! les représentants de la nation, applaudissant à ce coup de main perpétré contre les biens de la nation !

Avec cette absence de renseignements, les hommes d’affaire les plus expérimentés pouvaient, il est vrai, faire de vagues calculs ; ils pouvaient, par exemple, se dire : « il doit y avoir un trop grand nombre d’employés » mais combien de trop ?…

Le nombre et le salaire des employés doivent dépendre d’une multitude de différences spéciales de climat, de coutumes, d’exigences commerciales, de conditions géologiques et climatériques, etc.

Quelle économie précise était-il possible de réaliser sur les employés ? On ne pouvait le constater exactement sans le témoignage de l’administrateur. Or, on avait crié bien haut que l’administration de M. Senécal était parfaite. Les chambres, le gouvernement, l’électorat tout entier paraissaient avoir confirmé ces affirmations. Par conséquent, il était difficile pour les acheteurs d’assumer, avec certitude, que le nombre des employés inutiles était très-grand, encore moins qu’il pouvait s’élever à des centaines.

Il était encore plus difficile de risquer des millions sur des suppositions et des calculs purement spéculatifs, que des faits si importants contredisaient formellement.

Ce n’est pas tout : on a précipité la vente avec une étrange hâte. On eut dit que cela était calculé de manière à priver la Province, non-seulement du bénéfice d’offres plus élevées qui pourraient se produire, mais encore de l’augmentation considérable de valeur qui devait résulter de la construction de l’embranchement de St.-Charles. En effet, lors de la vente, c’est à-peine s’il circulait dans le public une rumeur vague que le gouvernement fédéral allait donner une somme d’argent, pour relier le chemin de fer du Nord à l’Intercolonial. Y avait-il eu un ordre en conseil de passé à cet effet ? Les intimes, tels que MM. McGreevy, Chapleau, Senécal, Dansereau & Cie, pouvaient le savoir ; le public, lui, ne le savait pas, ou du moins n’en avait pas une certitude suffisante pour l’induire à risquer des millions. Il est de fait que cette détermination du gouvernement fédéral d’accorder les deux tiers d’un million pour relier ces deux chemins, et surtout le vote par la chambre du subside nécessaire à payer cette somme, n’ont eu lieu que plusieurs semaines après la vente du chemin. Les acheteurs prudents, non initiés aux secrets des rings, ne pouvaient donc prudemment offrir un prix calculé sur l’augmentation énorme de revenu que devait apporter ce raccordement.

Quels bénéfices annuels donnera au chemin du Nord sa jonction avec l’Intercolonial ? Des hommes politiques considérables, ayant une grande expérience dans ces matières, n’hésitent pas à porter ces profits à $60, 000.00 par an, dans un avenir assez rapproché. Vendre le chemin de fer avant que ce fait important fut officiellement connu, et sans donner aux capitalistes le temps de baser de nouvelles offres sur ce fait capital, a donc pu priver la Province d’un autre million d’augmentation dans le prix de la vente.


VIII


Troisième catégorie de faits importants qu’il était d’une importance majeure de faire connaître :

M. Senécal, agissant comme surintendant du chemin, par conséquent, comme représentant de la Province de Québec, avait stipulé des arrangements nous donnant, avec les chemins fer de l’Ouest, y compris le Pacifique, des raccordements nous permettant de recevoir de l’Ouest tant américain que canadien, pour le moins autant de traffic que pourrait en transporter notre ligne Provinciale, ce qui donnait à cette voie ferrée la plus grande valeur qu’elle pût acquérir pour le présent, et nous plaçait dans une position tout-à-fait indépendante du Pacifique.

Or, ces contrats, c’était évidemment la propriété de notre province. M. Senécal, employé public au service de la province, payé pour faire tous les actes d’administration favorables au chemin qu’il administrait, avait stipulé ces raccordements pour le chemin de fer du Nord ; il ne pouvait les avoir faits que pour le bénéfice de la province, vu qu’en les faisant, il avait agi en sa qualité officielle.

Pouvait-il avoir fait ces contrats à son bénéfice personnel ?

Evidemment non !

Ces raccordemonts, qui valaient des millions, étaient donc la propriété de la province ! Et cependant, ni le gouvernement, ni M. Senécal, ne font connaître ce fait important au public, lorsque, de la connaissance de ce fait, pouvait résulter pour la province un gain de plusieurs millions, par l’augmentation du prix qui en eut infailliblement résulté. N’est-il pas évident que l’existence de ces contrats de raccordements eussent dû être connus des acheteurs et du public ? N’eut-on pas dû, au moins, faire connaître qu’il existait des communications de notre chemin avec l’Ouest, indépendantes du monopole du Pacifique ? »

L’on s’en souvient : Le grand argument en faveur de la vente était celui-ci : « La province se trouve avec son chemin à la merci du Syndicat du Pacifique. Nous dépendons absolument, pour le succès de notre voie ferrée, du commerce de l’Ouest ! Sans un raccordement avec le Pacifique, nous sommes tout à fait privés de ce commerce. Le Pacifique, au lieu de déverser sur notre ligne tout le traffic qu’il appellera, pourra se construire une ligne indépendante jusqu’à I’Atlantique. Et alors, non-seulement le chemin du Nord, mais même toute la province, se trouveront totalement, exclus de tous les bénéfices devant résulter du transit du commerce de l’Ouest ! Donc ! vendons la section Ouest pour trois millions six cent mille piastres, bien qu’elle vaille huit millions. »

Eh bien ! tout ce beau raisonnement avait une base fausse. Le gouvernement tenait lui-même les contrats assurant au chemin provincial le commerce de l’Ouest !… Et l’on ne le dit pas !

L’on tait ce fait ! Pourquoi ? Il faut bien le dire : parce que l’acheteur offrait de donner un prix exorbitant pour les quelques milles de chemin, propriété privée de certains associés parents ou amis !

M. Chapleau a repoussé avec indignation l’accusation que cette vente allait lui bénéficier personnellement. Il a proclamé bien haut sa pauvreté. Le seul capital qu’ίl possède, en avril 1882, c’est, suivant sa propre expression, celui de ses dettes !… Et cependant, à peine quelques jours après la vente, il paie comptant une dette de $10,000.00 échue depuis plus d’une année et sur laquelle, un mois auparavant, il ne pouvait donner un accompte de $100.00. Et quelques mois après, il achète, argent comptant, une résidence princière pour la somme de $14,000.00, qu’il paie comptant, résidence dont il n’avait nul besoin, puisqu’il allait en Europe avec sa femme, pour, à son retour, s’en aller à Ottawa.

Voilà un capital de dette qui rapporte joliment : $24,000.00 en quelques semaines, sans compter les achats d’objets d’art dispendieux, les tableaux à l’huile, la vie à grandes guides, le voyage en Europe et milles autres dépenses.


IX


Il faut vendre de suite, s’écriait M. Chapleau, afin d’assurer le Terminus du Pacifique à la Province de Québec et spécialement à Montréal !

Il faut vendre, parce que le trésor est à sec et que la Province ne peut ni ne doit contracter de nouveaux emprunts.

Or, à peine quelques semaines se sont-elles écoulées, que les faits viennent donner un éclatant démenti à ces retentissantes affirmations :

Le chemin vendu, M. Chapleau annonce qu’il va de suite falloir contracter un nouvel emprunt d’au moins trois millions.

Senécal en possession du chemin, La Minerve vient révéler le fait des raccordements stipulés avec les compagnies de l’Ouest ! Stipulations, qui, comme l’embranchement de St-Charles, ont été faites sous le prétexte de servir l’intérêt de la Province, mais qui, en réalité, n’ont servi qu’à augmenter la fortune de Senécal et Compagnie au bénéfice exclusif de qui elles ont été faites.

On a donc allégué de faux prétextes pour escamoter de la Législature la sanction de la vente !

Et surtout, après la vente de la Section-Ouest, que valait l’argument basé sur la pénurie du trésor, sur l’impossibilité de faire de nouveaux emprunts et sur la nécessité de les éviter ?

La vente de la Section-Ouest ne donnait-elle pas assez pour faire cesser la pénurie du trésor et faire disparaître, pour quelques mois du moins, la nécessité de vendre immédiatement la Section-Est ?

Quelle excuse solide y avait-il pour justifier cette vente si hâtive lorsque, surtout, il y avait perspective de gagner des millions par l’augmentation résultant de l’embranchement de St-Charles ?


X


Ainsi, l’on a systématiquement déprécié la propriété publique, pour donner occasion à Senécal & Cie de l’avoir à vil prix.

Un million d’augmentation résultant du fait qu’il y avait des centaines d’employés de trop ! Un million résultant, de l’embranchement de St-Charles ! Un million au moins résultant des facilités de communication et de raccordement avec les voies ferrées de l’Ouest !…

On cache tout cela à la Province !

On tait toutes ces informations au public des acheteurs : Et malgré les protestations anxieuses et énergiques d’anciens chefs, de collègues dans le ministère ; malgré l’opposition désespérée de la moitié du Conseil et les remontrances de la majorité des amis dans l’Assemblée législative ; malgré l’agitation profonde qui se manifeste dans le public, ; malgré l’indignation de milliers de citoyens, on procède avec une précipitation scandaleuse à l’aliénation irrévocable, sans une heure de délai, de ce que M. Chapleau lui-même appelait notre principale ! notre plus belle propriété nationale ! ! !

Combien donc le gouvernement et l’administrateur du chemin ne sont-ils pas coupables, d’en avoir agi ainsi ! Combien ne sont-ils pas injustifiables surtout de n’avoir pas donné aux membres et au public tous les renseignements requis !

Il y a plus : ces renseignements, non seulement ils ne les ont pas donnés, ils les ont cachés !

Des citoyens honorables, parfaitement dignes de foi, mentionnent avec indignation les tracasseries, le mauvais vouloir, etc., dont ont été victimes ceux qui ont voulu se renseigner et enchérir au détriment de M. Senécal.


XI


C'est à peine croyable !…

Et cependant, ce n’est pas encore là ce qu’il y a de plus étrange dans cette vente de chemin de fer.

Ces renseignements, auxquels non-seulement le public avait droit, mais qu’il était du devoir du gouvernement de mettre devant le public ou du moins de faire connaitre aux acheteurs. M. Beaubien réussit à en obtenir de Senécal une partie pour les fournir au Syndicat Allan-Rivard. Là-dessus, M. Chapleau et son organe entrent dans une grande fureur. On crie à la trahison, au voleur !…

Au voleur ! lorsque l’on agissait de façon à faire obtenir à la province un prix raisonnable pour sa propriété ? On eut cru que le chef du gouvernement eût remercié M. Beaubien d’avoir travaillé à fournir des acheteurs, & à augmenter le prix de vente, et par là même à diminuer la dette publique. Or, c’est tout le contraire ! M. Beaubien a servi l’intérêt public, c’est vrai ; mais il a nui à M. Senécal : c’est une trahison ! c’est un crime ! Voyez comme toute cette colère se fait issue dans La Minerve : avoir obtenu les renseignements de Senécal, c’est « trahir son comté ! »

« Que de bassesses n’a-t-on pas faites, ajoute-t-elle pour se mettre en état de taire une soumission ! »

« Politicien malhonnête dont il fallait se débarrasser… caractère égoïste… est trop mesquin, a le caractère trop plat, etc…

« Il décide M. Chapleau à le mettre en rapport avec M. Senécal qui ne voulait plus travailler avec les mesquins. M. Chapleau triompha du Surintendant qui le mit on possession de tous les plans. »…

« Il venait assidûment à son bureau (de Senécal) à Montréal, et sous prétexte de discuter les chiffres, il tâchait d’arracher le plus d’informations possibles… Quand il se crut maître de son sujet, il prit le large, et sans avertir M. Senêcal, il monta un autre Syndicat, » etc.

“ Comme trahison, c’est un chef d’œuvre ! Mais, le malheureux il avait oublié de saisir un point : les relations de son syndicat avec l’Ouest : M. Senécal ne lui avait pas dit qu’il avait des arrangements complets même signés, croyons-nous, avec le Pacifique et les chemins de fer américains ! »

(La Minerve, du 26 avril au 3 mai 1882.)

M. Beaubien n’est pas le seul conspirateur ; voyez : « Ross conspirait depuis douze mois contre, son chef et ses collègues… il adore l’intrigue, etc.

La preuve ? demandez-vous. Oh ! la preuve, La Minerve l’a sous la main.

Ross, mu par une ambition effrénée, télégraphiait le six février (à Beaubien, pour envoi de la soumission Allan) : « Il n’y a pas de temps a perdre, envoyez vos documents ce soir. » (id)

C’est clair ! M. Chapleau veut donner le chemin à vil prix à son ami Senécal ! Et Ross qui pousse la trahison jusqu’à dire à d’autres acheteurs : Envoyez votre soumission : Ca presse ! Trahison contre M. Chapleau ! Evidemment !… Et n’allez pas penser pour cela que Chapleau et Dansereau avaient un intérêt personnel dans l’affaire…

De Boucherville, lui aussi, est un traître : « M. de Boucherville est, avant tout méchant. Maintenant qu’il fait le chrétien… il devient fourbe, factieux, mal engueulé, injuste, calomniateur, haineux, vindicatif, » etc…

Mais oui, puisque lui aussi combat les plans de Senécal ! Et s’il n’a pas voulu que le chemin du Nord passât par St-Lin, c’était pour « favoriser le beau-frère Lussier. » (id)

Archambault, mu par « un amour propre qui tient du vertige » se mêle à la conspiration. Pourtant : « Il n’a aucun partisan. C’est le plus dévoyé des trois. »

D’autres sont moins coupables parce qu’ils sont plus faibles.

« M. Laviolette, la créature de M. de Boucherville, n’a pas le droit de penser par lui-même » !

M. Dostaler : « type de l’insouciance, ignorant comme pas un et sans grandes ressources d’esprit. Il se laisse aller au premier courant qui passe, le jugeant tout aussi bon que le suivant. Tant pis pour ceux qui le conduisent, il s’en lave les mains ! Il n’a jamais pu savoir ce qu’est la solidarité de parti et ce que comporte l’idée du gouvernement. »

Messieurs Panot et Gingras : « Deux pauvres vieillards bien tiraillés que les meneurs tenaient en serre-chaude ». Le premier surtout « affiche les infirmités de notre pauvre humanité… Il regardait autour de lui sans se rendre compte »… (id).

Gaudet : malade, n’avait plus sa tête à lui.

Tout cela est clair puisqu’ils votaient pour l’intérêt public et surtout contre M. Senécal !…

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Voilà où l’habitude de l’impunité a conduit ces gens-là !

Ils se croient tellement maîtres du bien public qu’ils crient « au voleur ! » lorsqu’un député arrive à obtenir, à leur détriment, mais au bénéfice du public, des renseignements sur des faits du domaine public ! faits que tout le monde a le droit de connaître ! Lorsque, des hommes publics les empêchent de prendre sans façon le bien public qu’ils convoitent !

Vous croyez peut-être que M. Senécal recevait six à huit mille piastres de salaire pour servir la province ? Détrompez-vous ; il était là pour son bénéfice personnel !

Vous vous imaginez que son temps, ses travaux, ses calculs, ses statistiques qu’il faisait et faisait faire par les employés de la Province, appartenaient à la Province ?

Mais c’est une grave erreur ! lui et ses employés étaient payés pour combiner ses spéculations personnelles au dépens du domaine public !

Et malheur à ceux qui viennent les déranger dans leurs opérations !

Il est venu s’installer dans un bureau public pour se procurer tous les renseignements nécessaires à la réalisation de ses projets. Au nom de la Province et revêtu du prestige de l’autorité et du crédit que lui donne sa charge, il fait toutes les transactions nécessaires à la réalisation de ses plans, tel que « Les arrangements complets avec le Pacifique et les chemins de fer américains, » par exemple. C’est pour cela que la Province paie les dépenses de son bureau, les salaires de son personnel et lui donne, à lui, des honoraires de $6,000.00 à $8,000.00 par an !

Au moins, direz-vous, le bureau, les plans, les livres, les statistiques, tout cela était la propriété du public !

Mais non, encore une fois ! mais c’était pour l’usage personnel exclusif de M. Senécal ! puisque M. Beaubien en « allant souvent à ce bureau » en tirant de M. Senécal tous les renseignement possibles, en se faisant montrer les plans et les statistiques, a accompli « un chef d’œuvre de trahison ! ! ! »

La propriété publique, les contrats de la Province, sont si bien à M. Senécal, que lui seul a le droit de les connaître et de s’en servir pour bâtir ses soumissions. Celles de Allan, Rivard & Cie ont échoué, parce que ces messieurs ne connaissaient, pas : « les arrangements complets avec les chemins de fer de l’Ouest, y compris le Pacifique. »

M. Senécal a caché l’existence de ces contrats à M. Beaubien. Il a bien fait ! même M. Beaubien a eu tort de chercher à se renseigner.

M. Chapleau a caché l’existence de ces contrats aux Chambres et au public : Il a très-bien fait, puisqu’en le faisant il a protégé son ami Senécal et lui a assuré à prix modique notre chemin du Nord !…


XII


Eh bien ! voilà de l’audace, ou nous n’y entendons rien !

Voilà un employé public, s’appropriant, sans façon, les documents publics, refusant de les faire connaître aux députés, s’en servant seul pour s’emparer effrontément de la plus importante propriété de la Province… Il vient ensuite effrontément accuser de dol, de fraude, de trahison un député qui veut se renseigner ; se vante de lui avoir caché l’existence des documents publics et, par là, d’avoir réussi à s’emparer d’une partie du domaine public constituant le principal élément de notre fortune nationale ! ! !

Et en face de tels exploits, la presse de la Province, à la presqu’unanimité, applaudit et admire !…

Et une majorité de nos députés et conseillers approuve, et sanctionne tout !

Et le premier ministre et tout le gouvernement intriguent, menacent, plaident, crient, pérorent pour faire trouver cela beau et bon !

Et c’est par la force du parti conservateur ! c’est au moyen de la discipline du parti, que l’on réussit à faire triompher de telles infamies !…

Et ceux qui ont eu le courage de s’y opposer ont été insultés, conspués, vilipendés, calomniés, chassés des rangs du parti conservateur !…

Et tous les spéculateurs éhontés qui ont fait ce coup triomphent, se réjouissent, font bombance, jouissent paisiblement de leur butin !…

Et nous tous, conservateurs, citoyens intègres et indépendants des coteries politiques, nous allons sanctionner tout cela par notre silence ?…

Eh ! bien non !

Résumons, en deux mots, les vices dont est entachée cette vente :

1° Elle est faite en violation de la promesse du premier ministre et en contradiction avec les conditions qu’il devait imposer.

2° Elle est faite avec une précipitation scandaleuse et d’une manière tout-à-fait suspecte ; lorsque tout enchérissait et que la Province avait tout à gagner par une sage lenteur.

3° Elle rapporte un million de moins que le prix auquel seul le premier se disait autorisé à vendre.

4° Elle est suspecte de favoritisme, vu qu’elle est faite à un homme connu pour ses corruptions, ses fraudes en faveur du premier, et ses liaisons louches avec lui.

5° Elle a été conçue et exécutée dans la corruption et les intrigues, l’organe de Senécal admettant implicitement que son maître a dépensé $75, 000.00 pour y arriver, on cherchant à justifier la commission d’une égale somme qu’il exigeait de ceux qui voulaient être ses associés.

6° On l’impose à la Province, lorsque d’autres acheteurs étaient prêts à payer un prix beaucoup supérieur.

7° Elle est faite sans les formalités d’usage pour obtenir le plus haut prix ; au contraire, les enchérisseurs sont maltraités, découragés, etc.

8° On a caché aux acheteurs des faits essentiels et dont la connaissance exacte eut pu les induire à payer plusieurs millions de plus, ou, du moins, eut induit la Province à ne pas vendre.

9° Aucune raison d’État ou d’intérêt de la Province n’exigeait de presser cette vente ; au contraire, il y avait des raisons péremptoires de retarder surtout la vente de la Section-Est.

10° La vente était illégale parce que, pour chacune des deux ventes, les acheteurs étaient incapables de se lier envers la province : le syndicat du Pacifique, parce que sa compagnie n’avait pas autorisé l’achat ; Senécal, parce qu’il était l’administrateur du chemin, dans le sens de l’article 1484 du code civil.