Gervais Clouzier, 1680 (1 / 2, pp. 50-55).


COmme la Morve est une maladie froide, elle a quelque affinité avec la vraye & la fausse gourme, & avec le morfondement, je l’ay mise en suitte.

La Morve est un écoulement par les nazeaux d’une grande quantité d’humeurs flegmatiques, visqueuses, blanches, ou rousses, jaunastres ou verdastres, qui par fois ont leur origine de la rapte, presque toujours des poulmons, peu souvent du foye ou des roignons, lesquelles parties envoyent par la veine celiaque, ou par les conduits de la respiration les humeurs les plus subtiles, & par le gosier aussi les plus époisses de ces humeurs qui s’arrestent dans le petit reservoir entre les deux os de la ganache, & de là poussant & s’élargissant du lieu où elles sont contenuës, forment & nourrissent les glandes que nous voyons paroistre, la matiere qui reste s’écoule par les nazeaux, qui nous fait connoistre la maladie.

Souvent la cause prochaine de la Morve est quelque ulcere dans les poulmons, & rarement dans les roignons, lequel envoyant des vapeurs subtiles & malignes au cerveau, en altere la substance par leur acrimonie, cette humeur subtile venant à Chap.
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s’époissir par la froideur naturelle du cerveau, en empesche les fonctions, & fournit une humeur comme de l’eau-forte, qui par son acrimonie irrite les parties & augmente l’ulcere, qui ensuitte produit cet écoulement importun d’humeurs qui paroissent aux nazeaux. Et comme les deux veines jugulaires fournissent & communiquent une tres-grande quantité de sang au cerveau deja alteré par les vapeurs malignes qu’il reçoit continuellement de la veine celiaque comme un chapiteau d’alambic, ce sang au lieu de se perfectionner suivant l’ordre étably par la nature, se corrompt, & de là descendant dans les poulmons les échauffe & bien loin de les nourrir & de les rafraîchir il y augmente les ulceres qui y sont desja.

Les causes éloignées ou extérieures sont presque les mesmes que de la morfondure.

Les signes pour la connoistre, sont quand le Cheval hors d’âge de pousser la gourme, sans tousser, jette grande abondance de matiere par les nazeaux, & lors qu’entre les deux os de la ganache, on trouve une ou plusieurs glandes attachées à l’os qui sont douloureuses ; & à peine le Cheval veut souffrir qu’on y touche ; & quand elles ne seroient pas attachées, si elles sont fort dures ou fort douloureuses, c’est presque toujours un signe de morve.

Si le Cheval qui jette, & qui a une glande attachée, ne tousse point, ce n’est pas un morfondement, puis qu’il est ordinairement accompagné de toux, & la morve est souvent sans toux, outre que les Chevaux morveux ne jettent ordinairement que d’un costé, & les morfondus presque toujours des deux.

Il y en a qui jettent dans l’eau de la matiere qui sort par les nazeaux ; si elle surnage, ils croyent que ce n’est pas morve, & si elle va au fonds, que c’est une marque de morve.

Cette épreuve fait distinguer le pus, qui est proprement matiere d’ulcere & d’aposthume, d’avec le flegme qui sort des vaisseaux, & qui n’est pas si pernicieux, puisque le pus va au fond de l’eau, & le flegme surnage ; cette épreuve n’est pas si certaine qu’on y puisse faire fonds : Si la matiere qui sort par les nazeaux, s’y attache & s’y colle fortement, comme seroit de la glu, c’est une mauvaise marque ; & c’est toujours matiere de morve quoy qu’elle surnage.

Si l’haleine ou la matiere qui sort du nez de celuy qui a la morve est puante, la cure en est presque toujours incurable ; cette mauvaise odeur procedant ou de quelque ulcere, ou d’une Chap.
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humeur corrompuë : cette corruption dénotte tout au moins que la cure sera tres-longue : Si dans le progrez de la morve, ce qu’il jette par les nazeaux, est changé en matiere comme de l’écume, & que cela continuë, ordinairement la maladie est incurable & le cheval meurt bien-tost.

J’ay veu des Chevaux morveux n’estre pas glandez, ou s’ils l’estoient, la glande estoit mouvante & petite, & ils en sont morts, quoy qu’on aye sceu faire : La seule connoissance qu’on avoit que c’estoit morve, estoit la matiere fort gluante, s’attachant fortement aux narines, & se congelant facilement dans les conduits, & : qui ne coulant pas d’elle-mesme, faisoit peine au Cheval à respirer ; quand on l’avoit siringué & débouché, il respiroit plus facilement, mesme il y avoit des fibres sanguinolentes, qui dénotoient que la matiere procedoit de quelque ulcere, qui rendoit la morve incurable.

Quelques-uns ont voulu dire que le siege de la morve estoit dans le cerveau, mais asseurement il est dans le poulmon, rarement dans les roignons, dans le foye, ou à côté de la ratte, & jamais dans le cerveau ; je parle de cela comme l’ayant bien reconnu, & le raisonnement que j’ay fait cy-devant est fondé sur un principe duquel je ne me départiray point, qu’on ne m’aye fait voir le contraire.

Cette maladie se communique plus qu’aucune autre, parce que non seulement les chevaux qui sont pres de celuy qui en est attaqué la prennent ; mais l’air se corrompt & s’infecte, en sorte qu’il est capable de la communiquer à tous ceux qui sont sous le mesme toist : C’est pourquoy il faut d’abord les separer, & ne les point laisser boire dans un mesme sceau, particulierement certaines sortes de morves malignes ; mais toutes ne sont pas de mesme, & ne se communiquent point si facilement, mais il y a toujours du danger.

Que la Morve vienne de cause froide, je n’en doute pas : je ne doute pas non plus qu’elle ne soit de tres-difficile guerison, toute la difference se peut prendre du plus ou du moins de malignité : & tous ceux qui disent avoir guery des morves se trouveront avoir guery ou des fausses gourmes, ou des morfondures ou des morves qui n’avoient gueres de malignité ; car asseurement on n’en guerit gueres, quand je dirois point du tout, peut estre que je dirois vray.

Toute Morve a son siege par un ulcere qui est dans le poulmon, peu souvent ailleurs, laquelle s’augmente & consomme peu à peu Chap.
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tous les lobes du poulmon & finalement le Cheval meurt, & comme à privatione ad habitum non datur regressus : Si l’on ne prend ce mal dans le temps qu’on peut fortifier la nature pour l’obliger à consolider le poulmon & guerir cet ulcere malin, jamais on ne guerira de Cheval morveux : Que si elle est située dans la ratte, elle ne guerira jamais, puisque c’est une partie qui resiste fort aux remedes. Pour commencer la cure, on peut par une maniere de precaution barrer les deux veines du col, deux doigts au dessous de l’endroit où l’on seigne, & y proceder en cette maniere ; coupez le cuir, découvrez la veine, détachez-la avec la corne de chamois, puis la liez avec de la soye double cirée, sans couper la veine, pour le peril qu’il y a qu’elle n’échape de la ligature, quand le Cheval mange & remue la mâchoire, avec laquelle une des branches de cette veine a communication ; emplissez-la playe de sel, & en faites autant de l’autre côté de l’encolure. Cette barrure de veine est encore tres-profitable pour les yeux foibles ou attaquez de fluxion ; ces veines estant barrées, arresteront le sang qui seroit porté avec impetuosité au cerveau, il y en aura moins ; ainsi l’abondance de l’humeur acre qui tombe sur le poulmon diminuera, & l’ulcere pourra plûtost estre guery, tout au moins, on est seur que ce barrement de veine ne peut nuire s’il ne profite : Je n’ay pas ordonné de couper la veine entre les deux ligatures, à cause que j’ay veu mourir des Chevaux parce qu’on n’a pû ratrapper la veine qui estoit échappée, la ligature ayant coulé quand le Cheval a mangé, & la veine sera aussi bien arrestée que si on l’avoit coupée.

Il ne faut donner au Cheval morveux que du son mouillé, luy faire faire un exercice moderé sans le jaisser croupir au coin d’une écurie : & pour sa boisson il faut fondre deux livres de soulfre dans une cueillere de fer, & tout boüillant le jetter dans un sceau d’eau, retirer le soulfre, le faire fondre une seconde fois, & le jetter encore dans la mesme eau qui sera destinée pour la boisson du Cheval morveux ; le sel doux & balsamique du soulfre qui est le baume des poumons, demeurera dans l’eau, & contribuera beaucoup à les guerir. La morve quoy qu’incurable ne va pas promptement, mais insensiblement ; l’acrimonie de la matiere s’augmente à mesure que l’ulcere s’agrandit, & la partie dans laquelle elle a son siege, se consomme ; les plus proches en fouffrent, la maigreur saisic le corps, & quelque nourriture qu’il puisse prendre, il ne profitte plus. Et comme il y a des Chevaux qui repugnent à boire de cette eau, où le soulfre a esté jetté, on peut prendre la pâte d’un pain Chap.
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blanc d’un sol, preste à mettre au four, c’est à dire comme elle est lors qu’il n’y a qu’à la faire cuire, & délayer cette paste dans l’eau où l’on aura jetté du soulfre fondu, l’aigreur de la pâte corrigera le mauvais goust du soulfre, & empeschera le Cheval de s’en dégoûter, outre qu’elle rejoüit l’interieur du Cheval, & le nourrit d’autant.

Si l’ulcere est au poulmon, en s’agrandissant & le voisinage du cœur sera cause d’une fievre étique qui desséchera tout le corps, & les morves finissent ordinairement par là ; & au bout de six mois ou d’un an le Cheval meurt. Comme il est incertain si un Cheval a veritablement cette morve, de laquelle ils meurent presque tous, je croy qu’il faut tenter quelques remedes pour s’en rendre certain dans l’operation qu’ils feront, vous découvrirez s’il y a esperance de guerison ou non ; en tout cas, la boisson que nous avons ordonnée, ne peut que luy profiter, quelque morve qu’il aye, particulierement à celle qui s’attache au poulmon, qui est tres-méchante, estant envieillie : Et pour marque qu’il n’en faut pas d’abord desesperer, il s’en void qui se sont gueris d’eux-mesmes dans l’écurie ; mais à ceux-là, il n’y avoit point d’ulcere, la matiere n’ayant pas esté assez acre pour ronger & consommer la partie ; mais on n’en estoit pas certain.

Souvent par les bons remedes qu’on pratique aux Chevaux morveux, on les met en chemin de guerison, & si le poulmon n’estoit pas consommé, on en viendroit à son honneur ; mais il n’y a que Dieu qui puisse restablir une partie consommée : J’ay traité un Cheval morveux un mois entier, luy faisant avaller tous les matins trois chopines de vin emétique, dans lesquelles je mettois deux onces de poudre cordiale, & les soirs je luy siringuois les nazeaux avec un demy verre de vin emétique, cela fit fondre la glande qu’il avoit entre les deux os de la ganasse, & le faisoit bien manger ; il avoit l’œil bon, jettoit moins, & toutes les apparences du monde estoient qu’il devoit guerir ; je le purgeay, & laissay ensuitte agir la nature toute seule ; le Cheval peu à peu devint de plus maigre en glus maigre, & mourut : Je le fis ouvrir, & luy trouvay le poulmon tout pourry, & je fis tres-mal, comme je l’ay connu depuis, de l’avoir purgé pendant qu’il jettoit ; car s’il jette, la purgation est capable de le faire devenir morveux s’il ne l’estoit pas, comme je l’ay experimenté plus d’une fois depuis.

J’en ay traitté un autre que j’ay fait jetter abondamment avec le remede cy-apres, le luy donnant par deux fois ; je le purgeay, ensuitte je luy donnay trois prises de plottes cordiales dans du Chap.
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vin trois jours de suitte, huit jours apres trois autres prises de mesme que les premieres, il ne jetta plus du tout. Je le fis promener, & pour mieux procurer l’entiere guerison comme je le croyois pour lors, je reïteray cette purgation dix jours apres, & finallement je le fis églander & luy ôter une grosse glande fixe, la playe bien consolidée, je luy tiray du sang, & le renvoyay à un amy à qui il estoit, le croyant guery : au bout de six mois il recommença à jetter, & a jetté plus de six ans ; il servoit à marcher le pas, & travailloit fort bien : enfin il devint fort maigre & mourut.

J’ay voulu vous rapporter ces deux exemples entre cent que j’ay traitté, pour vous instruire & vous faire connoistre que lors qu’on croit un Cheval morveux guery, souvent il est plus mal que jamais. Ainsi quand un Mareschal ou une autre se vante de guerir vostre Cheval morveux, ou il ne l’est pas veritablement, ou il ne le guerira pas facilement.

Une maxime incontestable est qu’il ne faut jamais purger les Chevaux qui jettent & s’ils n’estoient pas morveux, la purgation pourroit les faire devenir : il faut suivre la nature dans les maux, & ne luy pas faire prendre un chemin tout opposé, comme est celuy de la purgation. La plus part des Mareschaux suivent cette methode, mais elle est tres-pernicieuse & j’en suis pleinement convaincu.

Le vin emétique ne purge pas les Chevaux quand on en donnneroit deux ou trois pintes, il agit par insensible transpiration, & c’est un tres-bon remede: La description en sera au Chapitre ⅩⅩⅢ.