Le jardin de l’instituteur
Revue pédagogique, premier semestre 18793 (p. 426-431).

X.
FLORICULTURE.

Les fleurs sont l’ornement obligé de nos jardins ; elles font la joie de nos femmes, de nos filles, des hommes, des enfants, de tout le monde. Il convient, par conséquent, d’en encourager la culture. Elle ne prend guère de temps et n’entraîne pas à de grands frais. L’instituteur y songera. Il mettra des fleurs dans les plates-bandes de son jardin, soit en touffes, soit en petits massifs, soit en bordure ou contre-bordure.

Nous lui recommandons d’abord les plantes vivaces de facile culture. Nous en avons de classiques dans la plupart de nos villages, ce sont : l’iris germanique, la violette, la pervenche, les primevères, les pâquerettes, les œillets mignardise, les roses, les lychnis croix de Jérusalem, l’aconit, les juliennes, les asters, les chrysanthèmes, Nous ne voudrions pas qu’on les abandonnât, mais nous voudrions bien qu’on ajoutât d’autres plantes moins connues et souvent plus jolies.

Or, nous avons pris là-dessus conseil d’un grand connaisseur qui s’est empressé de nous indiquer vingt-cinq belles fleurs vivaces qui produiraient d’autant plus d’effet dans nos jardins de village, qu’elles ne s’y montrent pas communément, Je vous transcris sa liste sans y rien changer : 1° Achillée d’Égypte à fleurs jaunes ; 2° Anémone Honorine Jobert ; 3° Asclépiade de Douglas ; 4° Calystégie pubescente à fleurs roses pleines ; 5° Campanule de Vanhoutte ; 6° Corydalis jaune ; 7° Érianthe de Ravenne ; 8° Funkia blanc ; 9° Gentiane acaule ; 10° Gesse à grandes fleurs ; 11° Lin de Sibérie ; 12° Lupin pourpre foncé ; 43° Lychnis blanc et double ; 14° Monarde didyme ; 15° Œnothère acaule ; 16° Orobe noir ; 17° Rheum Emodi ; 18° Saponaire double du Caucase ; 19° Spirée palmée ; 20° Violette le Czar ; 21° Yucca gloriosa ; 22° Yucca Stenophylla ; 23° Pied-d’alouette de Barlow ; 24° Mantisia saltatoria ; 25° Sedum telephium rouge.

Lorsque ce sedum est en boutons ou en fleurs, on peut couper ses tiges florales et les planter dans un pot, elles ne se flétrissent point.

Les plantes annuelles les plus recommandables à notre avis, sont les amarantes crête-de-coq, les balsamines, les capucines, les chrysanthèmes variés, les dauphinelles ou pieds-d’alouette, les gesses odorantes ou pois de senteur, les giroflées quarantaine, la nigelle, les pavots coquelicot variés, le seneçon élégant, les silènes, les œillets d’Inde, le réséda, les pensées, lés zinnias, les némophiles, les reines-marguerite.

Parmi les plantes qui durent deux et trois ans, nous citerons lés alcées ou rosés-trémières, dés giroflées et les scabieuses.

Parmi les plantes à oignons, les crocus, la fritillaire, les glaïeuls, la jacinthe, la jonquille, le lis, les narcisses, les tulipes ne doivent pas être oubliés.

La multiplication des plantes vivaces peut se faire par les graines ; mais le plus habituellement on se contente de diviser les pieds à la sortie de l’hiver, et de transplanter les éclats. Une bonne opération à exécuter tous lés trois ou quatre ans, c’est de changer de place les vieilles souches. Nous allions oublier de vous dire que notre superbe julienne blanche à fleurs pleines, qu’on appelle Damas dans le Nord et Girarde sur divers points de la Bourgogne, n’est pas toujours facile à reproduire d’éclats. C’est une plante usée, faute de graines qu’elle ne produit pas. Le seul moyen de la soutenir, tant bien que mal, consiste à bouturer les tiges florales, après avoir supprimé la partie boutonnée ou fleurie. Ces tiges s’enracinent aisément.

Si nous avons indiqué l’aconit dans l’énumération des plantes vivaces, ce n’est point dans le but d’en conseiller la culture, c’est uniquement afin que l’instituteur puisse appeler l’attention de ses écoliers sar cette espèce vénéneuse, et leur dire : c’est un dangereux poison ; méfiez-vous. — Nous aurions peut-être dû, pour la même raison, ranger la stramoine parmi les plantes annuelles. C’est un autre poison également fort dangereux.

Les plantes annuelles, bisannuelles et trisannuelles se multiplient au moyen de leurs graines. En général, les graines qui arrivent les premières à maturité passent pour les meilleures. Cependant on ne saurait se contenter de ce renseignement dans tous les cas et l’on nous saura gré d’entrer dans quelques détails sur les graines de giroflées, de balsamines, de reines-marguerite et de pieds-d’alouette.

Les graines de giroflées se prennent sur des plantes à fleurs simples, dont on a bien soin d’enlever les rameaux tardifs et chétifs. Pour ce qui est des rameaux que l’on conserve, on pince leur extrémité et on ne laisse porter à chacun que 10 ou 12 siliques. C’est le moyen de les avoir fortes et de nourrir convenablement les semences. — Lorsque les siliques sont bonnes à récolter, on prend une paire de ciseaux et on coupe le quart supérieur à peu près de toutes ces siliques. On a ainsi des quarts de siliques et des trois-quarts de siliques, qu’on a soin de ne pas mêler. Voici pourquoi, selon M. Émile Chaté qui s’y connaît, les graines du haut, c’est-à-dire des quarts supérieurs des siliques, sont celles qu’affectionnent les semeurs. Elles passent pour donner des variétés. Les graines du dessous, c’est-à-dire des trois quarts inférieurs des siliques, sont recherchées, d’un autre côté, parce qu’elles fournissent des giroflées doubles dans la proportion de 80 %.

Mais comment distingue-t-on les doubles des simples avant qu’elles fleurissent ? Nous allons vous l’apprendre. Quarante jours après le semis, on repique les jeunes plantes et 40 ou 50 jours après le repiquage, on passe l’examen, afin de séparer les simples des doubles. Les simples sont trapues, ramassées et ont le cœur ouvert ; les doubles sont élancées, ont une couleur pâle et le cœur fermé.

L’instituteur prendra sa graine de balsamine sur des variétés bien doubles et dès que les capsules commenceront à jaunir. Les balsamines très-doubles fournissent bien peu de semence, mais cette semence a le mérite de reproduire fidèlement la variété. On est porté à croire, d’après MM. Decaisne et Naudin, que les graines de balsamine, petites ou moyennes et bien rondes, donnent des plantes à fleurs très-doubles et pleines, et qu’au contraire celles qui sont grosses et allongées ne produisent jamais que des sujets à fleurs simples ou tout au plus semi-doubles.

L’instituteur prendra ses graines de reine-marguerite sur les fleurs les plus doubles et qui se seront ouvertes les premières. Quand Îles capitules seront parfaitement mûrs, par un temps sec, il les coupera avec un bout de tige, les réunira par paquets de chaque variété et les rentrera dans une pièce bien aérée où la dessiccation s’achèvera. Lorsqu’elle sera achevée, il prendra les graines du milieu des capitules et rebutera celles de la circonférence. Les fleuristes qui récoltent pour vendre n’y regardent pas de si près.

L’instituteur qui voudra de l’excellente graine de pieds-d’alouette attendra que les quinze ou vingt premières fleurs de chaque pied soient passées ; puis il supprimera la pyramide de boutons pour empêcher la floraison de continuer. De cette façon la partie conservée profitera de toute la sève. Dès qu’il verra les capsules de la base éclater et disperser les graines mûres, il arrachera de suite les porte-graines et les placera sur un drap. Les capsules y achèveront leur maturation, et éclateront à leur tour. Mais au moins les graines ne seront pas perdues.

Nous voudrions prendre une à une les fleurs du jardin et montrer par quels procédés on obtient de chacune d’elles des semences de bonne qualité. Mais cela nous mènerait fort loin et dépasserait de beaucoup les limites que nous nous sommes imposées. Cependant nous pouvons bien encore donner un conseil en ce qui regarde les œillets.. Lorsque vous aurez de beaux pieds d’œillets doubles, vous aurez la précaution facile de les arroser tous les soirs en temps de sécheresse. Vous obtiendrez ainsi de bonnes graines. Si vous les semiez de suite, vous n’auriez que des œillets simples. Attendez le printemps et vous aurez des doubles et des simples ; attendez la seconde année et vous serez plus satisfaits.

Les fleurs à oignons et à griffes peuvent se reproduire de graines ; mais c’est là un moyen d’amateurs à la recherche de variétés, moyen qui demande beaucoup de temps. Aussi presque toujours nous nous en rapportons aux oignons et aux griffes pour la reproduction. Nous ne touchons ni aux lis, ni aux narcisses, mais nous sortons de terre les oignons de jacinthe, de tulipe, de crocus, de glaïeul, et nous les replantons quand le moment est venu. Autour de ces oignons, il s’en forme de petits destinés à les remplacer et qu’on nomme caïeux. On les plante à part, en pépinière, afin qu’ils prennent tout leur développement. Ils ne fleurissent que l’année d’après. Les griffes ou pattes d’anémones et de renoncules sont également relevées tous les ans et replantées.

Les Anglais encouragent la culture des fleurs et ouvrent chaque année des expositions où les enfants apportent de charmants bouquets. Pourquoi ne les imiterions-nous pas et ne distribuerions-nous pas des récompenses aux plus méritants ?


Le Gérant responsable : Ch. Delagrave.