Traduction par Wikisource.
George Redway (p. 162-181).

CHAPITRE VIII

CONCERNANT DIANA


La philosophie d’Horace est réputée représenter incomplètement le contenu du ciel et de la terre, mais ni la terre ni le ciel, tels qu’ils constitués à présent, ne pourraient englober tout le contenu des mémoires du Dr Bataille. Mlle Diana Vaughan, dont nous allons maintenant examiner l’histoire, se présente sous un autre aspect. Je n’ai pas réussi à déterminer dans quelles circonstances elle s’est fait connaître en France. Elle est peut-être apparue dans Le Diable au xixe siècle ; Léo Taxil ne la connaissait certainement pas quand il a publié les rituels palladiques, sans quoi il l’aurait mentionnée dans le récit qu’il donne sur Mlle Sophia Walder. Quoi qu’il en soit, nous avons fait sa connaissance au cours du chapitre précédent, mais je suis contraint de préciser qu’elle a, jusqu’à présent, fait preuve de beaucoup de circonspection pour justifier l’existence de sa devancière.

Le monde entier sait bien, et je n’ai pas besoin de le répéter, que Mlle Diana Vaughan s’est convertie au catholicisme quelque temps après que le Dr Bataille eut fini son récit étonnant. Elle est une palladiste parfaitement initiée, comprenant les mystères du nombre 77 et révérant le mystère supérieur du nombre 666, Grande Maîtresse du Temple, Grande Inspectrice du Palladium, et selon le docteur, qui lui a préparé le chemin et aplani ses sentiers, elle est une sorcière et thaumaturge dont les prodiges quotidiens font pâlir le noir sabbat des sorcières. Mlle Vaughan eut maille à partir, comme nous l’avons vu, avec une sœur initiée, Sophia Walder, et conçut pour le Grand Maître italien, Adriano Lemmi, la charité des démons, qui est la haine. Lorsque le Suprême Directoire Dogmatique de la Franc-Maçonnerie Universelle fut déplacé de Charleston à Rome et que le pontificat fut confié à Lemmi, comme le prétendent les révélations, Mlle Vaughan coupa les ponts avec les Triangles, hissant ses couleurs sur son propre navire, et fonda une nouvelle société sous le titre de Palladium Régénéré et Libre, incorporant les groupes anti-lemmistes, et commença peu après une propagande publique par la publication d’une revue mensuelle consacrée à diffuser les doctrines du culte de Lucifer et à dénoncer le Grand Maître italien. Lever le drapeau noir du diabolisme, comme l’appellerait maintenant Mlle Vaughan, a donc naturellement suscité une vive protestation de la part de la Fédération Palladiste, de sorte qu’elle était en conflit non seulement avec Lemmi, mais aussi avec la source de l’initiation qu’elle semblait encore estimer. En même temps, elle ne semblait pas devoir passer à la cause des adonaïtes. Connue des cercles anti-maçonniques de l’Église catholique uniquement par son hostilité envers Lemmi, elle a toujours été une persona grata dont la conversion était ardemment désirée, mais elle les informa à plusieurs reprises que leur cause et la sienne étaient radicalement opposées, et qu’en fait, elle n’en ferait rien, n’ayant nul besoin de leur soutien, sympathie ou intérêt. Elle était résolue à rester fidèle au Dieu-Bon Lucifer et aspirait à devenir l’épouse d’Asmodée. Enfin, le rédacteur en chef de la Revue Mensuelle, lassé de sa protégée réfractaire, ne voulait plus avoir affaire avec elle, bien qu’il la confiât avec regret aux prières des fidèles. Un mois après, M. Léo Taxil, dans le même périodique, annonça la conversion de Mlle Vaughan et, moins d’un mois plus tard, à savoir en juillet 1895, elle commença la publication de ses Mémoires d’une ex-palladiste, qui continuent de paraître, de sorte que, mis à part la place manquant dans ce livre, mon rapport concernant cette dame sera inévitablement incomplet.

Ses mémoires ne sont malheureusement pas une performance littéraire ; et leur plan, si on peut l’appeler ainsi, n’est pas chronologique. Commençant par un récit de sa première rencontre avec Lucifer, le 8 avril 1889, au « Sanctum Regnum » de Charleston, elles font un bond de quelques années, au deuxième chapitre, pour passer à une analyse détaillée des sentiments qui l’ont conduit à sa conversion et aux béatitudes qui suivirent, surtout à l’occasion de sa première communion. Ce n’est pas qu’au troisième chapitre que nous avons un récit de son éducation luciférienne ou, plus exactement, une introduction à celle-ci, car l’essentiel des cinq numéros consacrés à ce sujet ne nous a pas tant révélé sa personnalité que l’histoire d’un ancêtre du xviie siècle. Comme l’éditeur sollicite toujours des abonnements annuels en offrant une variété de primes selon des méthodes bien connues en Angleterre dans la littérature périodique, la conclusion de cet ouvrage viendra probablement satisfaire un jour les lecteurs intéressés.

Eu égard au récit du Dr Bataille et aux faits exposés dans le deuxième chapitre, il est évident que Mlle Vaughan est un témoin de première importance pour savoir s’il existe une franc-maçonnerie derrière la franc-maçonnerie, qui, plus ou moins, dirige ou tente de diriger toute la fraternité, inconnue du gros de la troupe des initiés, même parmi les hauts grades ; quant à savoir si son siège est à Charleston, si son fondateur est bien Albert Pike, et pour savoir si sa doctrine est anti-chrétienne et son culte celui de Lucifer, étayé par des prestiges magiques, soucieux d’observances sacrilèges, pratiquant un satanisme déguisé ou bien évoluant dans cette direction. Comme nous l’avons déjà indiqué, concernant l’élément mythique et miraculeux — en un mot, la partie du récit du docteur Bataille qui outrage la raison et le bon sens — Mlle Vaughan ne s’est pas risquée pour le moment à l’étayer, mais au regard des thèses énumérées plus haut, elle est tout simplement sortie du palladisme pour nous dire que tout cela est vrai et pour renforcer ce qui avait été dit auparavant en dévoilant sa vie privée.

C’est pourquoi j’ai le devoir et le désir de lui rendre pleinement justice, et dans ce but, je propose de résumer brièvement les points principaux de ses mémoires, dans la mesure de ce qui a été publié à ce jour. Je dois cependant préciser pour commencer qu’elle ne se présente pas devant nous avec l’accent d’incertitude qu’on attendrait de quelqu’un qui vient d’acquérir le langage de la foi chrétienne, et d’autant plus dans son dialecte romain. Elle le parle sans hésitation, comme si c’était sa langue maternelle. Si quelque chose a pu se réduire comme peau de chagrin à la manière de certaines confessions évangéliques en Angleterre, c’est bien le catholicisme ultramontain en France ; mais Mlle Vaughan a acquis toute la terminologie de ce dernier, toute son amertume intellectuelle, toutes ses fatuités, pourrait-on dire, en l’espace de cinq minutes. Quand elle a épuisé ses mémoires à ce moment-là, ou a atteint, à la manière d’un romancier, un point crucial de son récit, elle interrompt brusquement, écrit « à suivre » entre parenthèses, et rend compte de la dernière image miraculeuse du moment, ou sert une diatribe contre les manifestations surnaturelles à la manière de la presse cléricale française. Pour faire court, Mlle Vaughan a adopté corps et âme ces travers mêmes que les catholiques sensés désirent ardemment voir disparaître de leur respectable religion. Elle n’a probablement jamais entendu parler des fausses décrétales, mais si elle les connaissait elle défendrait leur authenticité ; elle n’a probablement jamais entendu parler des lettres authentiques ou falsifiées de saint Ignace, mais elle accepterait les falsifications de tout son être au moindre soupçon que cela plaît mieux à la hiérarchie, et elle ferait tout cela apparemment de bonne foi, sous l’autorité d’une fraction aveugle de l’Église, qui n’existe que pour garder ouvertes les blessures de cette dernière. Or, je soutiens qu’un volte-face est possible, en particulier concernant des opinions religieuses, mais une habitude prononcée de pensée religieuse ne peut s’acquérir en un jour, de sorte que, dans l’histoire de la conversion de Mlle Vaughan, il y a plus que ce que l’on peut discerner à la surface. Quant à expliquer ce qui nous échappe, je le laisse à l’appréciation de mes lecteurs, mais, personnellement, je garde mon opinion pour moi, par souci d’être juste avec une déposition inachevée.

Il existe une différence essentielle entre le docteur Bataille et Mlle Vaughan. Le premier est un être humain ordinaire, et si nous pouvons nous fier aux nombreuses images qui le représentent dans son récit, il l’admet sans prétention. Nous avons également des portraits de Mlle Vaughan, qui est énergique et agréable à regarder ; mais ce n’est pas la distinction essentielle. Le docteur Bataille, pauvre humain, est le descendant d’une lignée ordinaire dans les limites étroites de la chair et du sang. Mlle Vaughan, au contraire — j’espère que mes lecteurs le supporteront avec moi — a appris dès l’enfance qu’elle était du « céleste sang » de la hiérarchie infernale, et à ses vagues propos, je ne parviens pas à déterminer si elle a vraiment rejeté la légende de son ascendance, ce qui est par ailleurs assez surprenant.

La position d’autorité et d’influence occupée par Mlle Vaughan dans ce qu’elle appelle la haute maçonnerie s’explique, comme elle nous informe modestement, non pas par ses qualités personnelles, mais par un secret traditionnel concernant sa famille, qui n’est connu que par les Mages Élus. Mlle Vaughan et son oncle paternel sont les derniers descendants de l’alchimiste Thomas Vaughan, qu’elle qualifie de Rose-Croix, et identifie à Eirenæus Philalethes, auteur de l’Introitus apertus ad occlusum regis palatium. Le 25 mars 1645, selon son histoire familiale, Thomas Vaughan, qui avait obtenu de Cromwell le privilège de décapitant le « noble martyr » Laud, archevêque de Cantorbéry — le qualificatif de noble, à son avis, semble reposer sur sa possible relation secrète avec Rome — trempa une étoffe de lin dans son sang, brûla ladite étoffe en sacrifice à Satan, qui apparut en réponse à l’invocation, et il conclut un pacte avec lui, recevant la pierre philosophale et la garantie de vivre trente-trois ans de plus à partir de cette date, à la suite de quoi il serait transporté vivant dans l’éternel royaume de Lucifer, pour vivre dans un corps glorifié au milieu des pures flammes du ciel de feu.

Après ce pacte, il écrivit l’Introitus apertus, dont le manuscrit original, avec son interprétation autographe luciférienne dans les marges, est un précieux héritage de famille. Quelque deux ans plus tard, au cours de ses voyages, il atteignit la Nouvelle-Angleterre, où il séjourna pendant un mois parmi les Lenni-Lennaps, et là dans le désert, par une claire nuit d’été, alors que la lune brillait dans toute sa splendeur, il errait seul en méditant lorsque ledit luminaire, qui était dans sa phase croissante, descendit du ciel ; elle était en fait un divan arqué, très lumineux et merveilleux, portant une belle femme endormie. C’était le lit nuptial de Thomas Vaughan et son occupante était Vénus-Astarté, entourée d’une foule d’esprits enfantins portant des fleurs, qui montèrent commodément une tente et servirent également de délicieux repas pendant onze jours. Plusieurs particularités curieuses distinguaient ces noces hermétiques, dont Christian Rosencreutz n’aurait pas rêvé, de celles qu’on voit ordinairement chez les Lenni-Lennaps. D’abord, en tant que déesse succube, Astarté apportait avec elle une bague en or rouge sertie d’un diamant, qu’elle mit au doigt de son amant ; deuxièmement, la grossesse surnaturelle, qu’elle soit céleste ou autre, accomplit le mystère la procréation à une vitesse extraordinaire, car Astarté donna naissance à un enfant le onzième jour, sans assistance médicale, après quoi elle demanda le retour de l’anneau nuptial, puis elle disparut avec tente et farfadets, à cheval sur son divan en forme de croissant. Le fruit de leur union fut laissé dans les bras de Thomas, à qui on commanda de piétiner tous les sentiments d’affection paternelle et de confier l’enfant à la charge d’une tribu d’Indiens adorateurs du feu. Il ne semble pas avoir fait de procès pour le rétablissement des droits conjugaux, et a joyeusement cédé l’hybride à une famille de Lenni-Lennaps, avec son portrait en médaillon dessiné par un artiste du royaume du diable, afin que, selon la méthode courante chez les romanciers, la fille puisse reconnaître son père. Thomas Vaughan repartit en Europe, mettant le large océan entre lui et le lieu de son mariage, il n’a jamais rendu visite à sa fille qui, malgré son origine miraculeuse, ne semble pas s’être distinguée d’aucune manière, à ce stade de l’histoire du moins.

Mlle Vaughan dit que tous les Mages Élus n’acceptent pas cette légende du sang royal, et elle admet ses propres doutes après sa conversion. Pour être tout à fait honnête, je préfère le récit de la naissance de Gargantua, mais cette histoire convenait à Mlle Vaughan jusqu’à l’âge de trente ans, tout comme à son père et son grand-père avant elle, même si l’on suppose qu’elle a été « fabriquée par mon bisaïeul James, de Boston », comme l’avancent certains Mages Élus retenus par un reste de raison.

Les Mémoires d’une ex-palladiste n’ont pas pour l’instant poursuivi plus loin que l’ascension de Thomas Vaughan vers le paradis de Lucifer, mais en s’aidant du Palladium régénéré et libre et d’autres sources, on peut résumer les principaux événements de la jeunesse de Mlle Vaughan. Nous apprenons qu’elle est la fille d’un protestant américain du Kentucky et d’une dame française, de la même confession. Elle est née à Paris et semble avoir suivi une partie de son éducation dans cette ville. Sa mère est morte dans le Kentucky alors que Diana avait quatorze ans, et j’en déduis qu’à la suite de cet événement, elle a dû vivre avec son père, qui possédait de grandes propriétés dans les environs de Louisville. Lors de la création du rite souverain du Palladisme par Albert Pike, Vaughan en devint membre et fut l’un des fondateurs du Triangle de Louisville Les Onze-Sept ; il présida à l’initiation de sa fille en tant qu’apprentie, selon le rite d’adoption, en 1883. Elle fut été élevée au grade de Compagnonne, puis à celui de Maîtresse. À l’âge de 20 ans, dit le Dr Bataille, elle franchit le seuil des Triangles, comme on appelle les loges palladiques.

Trois numéros du Palladium régénéré et libre ont été publiés, mais depuis la conversion de Mlle Vaughan, ils ont été retirés de la circulation, sauf parmi les ecclésiastiques de l’Église romaine, et je n’ai pas pu en obtenir aucun exemplaire jusqu’à présent. Pour obtenir des extraits autobiographiques de cette revue, j’ai pu puiser dans des articles de la Revue mensuelle. Ils contiennent un récit de deux apparitions du démon Asmodée, accompagné de phénomènes de lévitation et d’une argumentation contre la théorie de l’hallucination. Ces premières expériences ont toutefois une importance mineure, et je n’ai pas besoin de rappeler à nouveau les incidents sensationnels qui ont accompagné son initiation en tant que Maîtresse Templière au Triangle Saint-Jacques à Paris ; mais il ressort de ses mémoires qu’Albert Pike n’est pas intervenu en vertu sa suprême autorité personnelle, et que l’épreuve sacrilège lui a été épargnée par la clémence de Lucifer lui-même, qu’on dit apparaître en personne au Sanctum Regnum de Charleston, pour instruire les chefs, de sa volonté divine ou autres sujets, tous les vendredis. Le chef dogmatique suprême, qui s’était installé à Washington, usait du don du « transport instantané », quand il jugeait utile d’assister à la « tenue divine ».

Le 5 avril 1889, le Dieu-Bon réunit ses anciens et ses émérites pour une conversation amicale sur le « cas » de Diana Vaughan et finit par demander qu’on la lui présente trois jours plus tard. Selon la meilleure méthode décrite dans les grimoires, Mlle Vaughan commença ses préparatifs par un triduum, prenant un repas quotidien de pain noir, de beignets de sang épicé, d’une salade d’herbes laiteuses, accompagnés de la boisson du vieux Rabelais. Les détails de la préparation ont peu d’intérêt dans la mesure où ils ne différent guère des instructions des livres de magie populaire qui abondent dans la folle France. À l’heure indiquée, elle franchit les portes de fer du Sanctum Regnum. « N’ayez aucune crainte ! », dit Albert Pike. Elle s’avança « remplie d’une ardente allégresse » et fut accueillie par les onze grands chefs, qui se retirèrent, probablement pour prier ou prendre un rafraîchissement, peut-être pour tirer les ficelles. Diana Vaughan resta seule, en présence du Palladium, à savoir notre pauvre vieil ami Baphomet, que ses admirateurs persistent à représenter avec une tête de bouc, alors qu’il est l’archétype de l’âne.

Le Sanctum Regnum est décrit comme une salle triangulaire ; il n’y avait aucune torche, aucune lampe, aucun feu ; le sol et le plafond étaient logiquement sombres, mais un voile inexplicable de lumière phosphorescente étrange se diffusa sur les trois murs ; à l’examen, elle réalisa que cela venait d’innombrables particules de flammes verdâtres pas plus grosses qu’une tête d’épingle. Assise devant le Baphomet, Mlle Vaughan apostropha Lucifer d’un ton compatissant au sujet de la forme déplaisante dont ses fidèles le représentaient. Ce faisant, les petites flammes s’accrurent, tandis que le sol et le plafond s’enflammaient de la même incandescente fantomatique ; une grande chaleur sèche remplissait la vaste salle, et toujours grandissantes, les flammes couvraient son siège, ses vêtements, tout son corps. À ce stade, le tonnerre se mit inévitablement à gronder ; on entendit trois, puis un, puis deux coups de tonnerre, après quoi elle sentit qu’on soufflait sur son visage à cinq reprises, puis cinq esprits radieux apparurent, le premier acte se terminant de manière impressionnante par une salve d’artillerie finale.

Le malheureux Baphomet, consterné par tout ce dérangement, disparut complètement et, comme on ne lésine pas sur les moyens pour l’ensemble de ces tableaux coûteux, Lucifer se montra sur un trône de diamants. Mais que ces joyaux aient été puisés dans le trésor d’Averne ou bien soutirés aux francs-maçons du monde entier, les renseignements ne nous le disent pas. Ai-je besoin de dire que le premier réflexe de Mlle Vaughan fut de tomber à ses pieds pour l’adorer ? Mais la sordide apparition, au lieu d’accepter l’hommage avec la grâce d’un auguste personnage, la retint d’un geste, comme dans les romans. Malgré les années qui ont passé, et sa conversion survenue entre temps, la description par Mlle Vaughan de son ancien dieu inciterait les jeunes femmes sentimentales à pardonner sa nature maléfique à un être aussi « superbe » et d’une « mâle beauté ». Je m’abstiendrai de gâcher le tableau avec les détails minutieux qu’elle livre, ou par ses exclamations de fureur contre le magnifique gentleman qui la trompa. J’aimerais éviter de faire référence à la conversation qui suivit, mais je suis contraint, par amour de l’art véritable, d’affirmer que Lucifer s’est abaissé à la banalité. M. Renan nous dit que depuis qu’il a quitté le séminaire de Saint-Sulpice, il n’a fait que décliner. La conclusion est évidente : il aurait dû retourner à Saint-Sulpice, malgré les splendeurs littéraires de la Vie de Jésus. Depuis son dernier affrontement avec l’archange Michel, le diable a perdu une part de son intellect et la teneur de sa causerie avec Diana rappelle du Robert Montgomery Bird, et même de plus médiocres. Dans les régions inexplorées des feuilletons bon marché, j’ai vu beaucoup de dialogues surnaturels de meilleure facture. Quant à la somme de ses observations, il va sans dire que Diana était une élue choisie parmi des milliers d’autres, et c’est ce qui me conforte à dire que les actions du diable en cette occasion furent plus insensées que toutes les autres, depuis sa décision d’affronter Dieu.

Au cours de cet entretien, les onze grands chefs étaient revenus en silence comme des conspirateurs, bien entendu au moment même où Lucifer nommait Mlle Vaughan comme sa grande-prêtresse, à ce moment on vit un éclat de flamme et la demoiselle fut transportée par son dieu pour prendre part à un grand spectacle, divisé en deux actes. — I. Apparition d’Asmodée avec quatorze légions. Échange de regards affectueux entre ce personnage et Diana. Manifestation du signe de Baal-Zéboub, généralissime des armées de Lucifer, dessiné en traits de feu au milieu de l’espace. Spiritualisation de la bien-aimée d’Asmodée. Diana brûle du désir se jeter dans la mêlée. Grande bataille acharnée entre les génies de Lucifer et les génies d’Adonaï, appelés maléakhs, devant les portes de l’Éden. Le paradis terrestre pris d’assaut après de violents combats. Grand panorama du paradis. Dialogue explicatif entre Diana et son futur mari. Apparition d’un aigle géant et blanc comme neige sur lequel Diana doit être transportée en Oolis, « planète d’un monde solaire ignoré des profanes, sur laquelle Lucifer[1] règne et seul est adoré. » II. Mlle Vaughan ayant été transportée une autre fois sur cette planète mystique dans les bras de Lucifer lui-même, le récit du deuxième acte est reporté à une date ultérieure. Cependant, elle est finalement revenue saine et sauve au Sanctum Regnum de Charleston, sur le dos de l’aigle blanc.

Telle est la déclaration de Mlle Vaughan et, une fois de plus, elle donne les raisons pour lesquelles elle n’aurait pas pu être hypnotisée ou hallucinée. Comme dans le cas du docteur Bataille, je propose de reporter l’examen critique jusqu’à ce que les autres témoins aient apporté leurs dépositions. Pour le moment, il suffit de reconnaître que, mis à part l’élément surnaturel qui admet une explication simple, si Mlle Vaughan est un témoin crédible, alors l’existence du Palladium Nouveau Réformé doit être admise avec tout ce qu’elle implique.

  1. NdT : L’ouvrage original mentionne que c’est Adonaï et non Lucifer (Mémoires d’une ex-palladiste, page 42).