Traduction par Léon Pamphile LeMay.
Imprimerie de l’Étendard (Tome Ip. v-ix).

POURQUOI
LE CHIEN D’OR

TRADUIT EN FRANÇAIS.

Un triple motif nous a induit à entreprendre la tâche onéreuse de faire traduire et publier en français l’ouvrage de Mr. Kirby.

1o Le Chien d’Or est un superbe hommage rendu aux ancêtres des Canadiens-Français, hommage d’autant plus précieux qu’il vient d’un homme appartenant par le sang et les croyances à une nation qui fut l’ennemie séculaire de notre race.

Le fils de ceux qui durant tant d’années ont combattu avec acharnement contre les héros de la Nouvelle-France, ne peut donc pas être suspect de partialité en leur faveur.

Mais il y a plus : nous avons trouvé dans ce livre une si riche collection de nos traditions nationales et religieuses, une peinture si vraie de nos mœurs et de nos coutumes canadiennes, un tableau si frappant et si complet de ce que présente notre histoire à cette époque mémorable, que nous le croyons tout à fait propre à inspirer du goût pour l’étude de l’histoire du Canada et même à faire connaître une foule de traits qui échappent à l’attention, sur simple lecture de l’histoire.

Nos historiens ont donné le récit des événements de l’époque que rappelle Mr. Kirby, mais lui en a, suivant nous, donné la physionomie. Combien de gracieux et touchants souvenirs qui sont disséminés dans les ouvrages de tous ceux qui ont écrit sur le Canada, et que l’auteur a groupés tous ensemble, en les rattachant ingénieusement aux grands faits de notre épopée nationale !

2o Nous avons voulu faire apprécier par nos littérateurs l’admirable parti qu’un homme, qui pourtant n’a ni notre foi, ni nos sentiments nationaux, et dont la langue maternelle est la langue anglaise, a su tirer d’une courte période de notre histoire.

Quelles sources d’inspirations poétiques, quelle mine précieuse de faits et d’aventures chevaleresques, l’histoire du Canada ne met-elle pas à leur disposition ! Quelle richesse inépuisable de matériaux il y a là, pour bâtir une littérature canadienne égale, sinon supérieure, à celle de tout autre peuple !

3o Le livre de Mr. Kirby, bien qu’il soit loin d’être parfait au point de vue de l’idée religieuse, nous paraît offrir aux littérateurs catholiques du Canada et même de la France et autres pays, un enseignement remarquable et un exemple précieux : lorsque lui, protestant, sait trouver tant d’inspiration poétique dans le trésor inestimable de notre foi, dans le sentiment catholique et les actes qu’il produit, tant de tableaux gracieux, tant de récits touchants, tant de sublime et de grandiose dans la pratique journalière de nos coutumes religieuses et les solennités de notre culte ; lorsque la douce piété, le dévouement inaltérable à leur religion de certains personnages du livre ; lorsque les psalmodies, la prière, le bénédicité, le son des cloches, les stances sublimes de l’angelus, les élévations du cœur à Dieu, y reviennent en quelque sorte à chaque page comme un mélodieux refrain, certains écrivains catholiques du Canada ne devraient-ils pas voir combien ils ont tort de singer quelquefois le scepticisme de la plupart des littérateurs français de nos jours ?

Hélas ! le persiflage irréligieux de Voltaire et de son école a fait prévaloir dans la littérature de notre mère-patrie un respect humain aussi sot que ridicule. On n’ose plus guère y laisser voir le sentiment religieux, ce sentiment qui pourtant doit être de tous les instants, ce sentiment vital qui appartient à la nature de l’homme tout comme les pulsations du cœur ; qui est essentiel à la vie de l’âme, comme la respiration l’est à la vie du corps. Oui, ce sentiment essentiel, on le cache, on le dissimule, de peur de passer pour hypocrites. Et ce lâche et inepte respect humain a, il faut bien le reconnaître, désastreusement envahi le Canada français.

La France catholique est encore, Dieu merci, au premier rang des nations civilisées, par la science, l’inspiration et le génie littéraire de ses auteurs catholiques. Mais combien n’est pas grande, numériquement, la majorité des auteurs français qui non seulement ne sont plus catholiques, mais qui semblent bannir l’idée chrétienne de leurs livres !

Et ce qui est vrai des ouvrages sérieux, l’est à plus forte raison de la littérature légère surtout du roman-feuilleton.

À part le groupe des écrivains remarquables dont Féval converti est, croyons-nous, la personnification la plus glorieuse, et dont De Lamothe, Buet, de Navery, de Chandeneux, Fleuriot, et à peine une douzaine d’autres forment la valeureuse cohorte ; il fauf compter par centaines les auteurs dont les livres offrent à peine quelques lueurs de vérité chrétienne. Et malheureusement, ceux qui vont jusqu’à bannir de leurs ouvrages toute idée de Dieu, tout principe de morale chrétienne sont peut-être encore plus nombreux.

Les romans de doctrine saine et qui sont chrétiens par l’esprit qui les animent sont encore très appréciés au Canada ; mais il n’y a pas à se le dissimuler : l’expérience de chaque jour est là pour constater que parmi les lecteurs de feuilletons, neuf sur dix préfèrent Richebourg à Féval, de Navary, ou de Lamothe. C’est la littérature malsaine qui fait la fortune de certaines feuilles dont rien autre chose ne saurait soutenir la popularité.

Dans notre presse, on en est arrivé à ne pouvoir plus guère exprimer un sentiment religieux, même à ne plus pouvoir rendre hommage à la vérité, à l’honneur, à l’honnêteté, sans provoquer en certains lieux, ces niaises facéties : « saint homme ! » « saint journal ! » « hypocrites ! » « cagots ! » etc. Et ces hideuses guénilles littéraires déjà usées il y a un siècle, sont ramassées de la boue séculaire où elles ont traîné, par des écrivains soi-disant catholiques, qui ont le courage d’en faire une parure grotesque à leurs écrits. Beaucoup de ces hommes ne sont pas notablement anti-chrétiens ; mais pour eux, toute expression du sentiment religieux ne doit pas dépasser la mesure étroite où ils ont jugé à propos de l’emprisonner. Leur conduite à eux est le criterium qu’ils entendent imposer au monde catholique.

Celles-là seulement des vérités qu’ils jugent à propos de proclamer sont opportunes, et il n’y a de pratiques religieuses justifiables que celles auxquelles ils daignent se livrer, Tout homme qui veut professer la vérité ou pratiquer la piété catholique dans une plus grande mesure qu’eux, sont nécessairement des hypocrites. Et c’est ainsi que leur caprice et leur tyrannie n’admettent pas les pratiques si consolantes et si fécondes pour le bien, des congrégations de la Très-Sainte Vierge, du Tiers-Ordre, de la Saint-Vincent de Paul, des dévotions au Sacré-Cœur, à la Sainte Face, etc., etc. : tout cela pour eux est cagotisme et hypocrisie.

Et, bien que ces petits tyrans de l’erreur soient excessivement peu nombreux, ils font loi. Leurs sifflets et leurs sarcasmes paralysent bien des œuvres religieuses. C’est surtout dans la littérature qu’ils s’imposent. Et le respect humain a acquis, sous ce rapport, un tel empire au milieu de nous, que l’auteur d’un roman, fut-il excellent catholique, n’osera pas, bien souvent, montrer la conduite de ses personnages telle quelle est dans leur vie de tous les jours, c’est-à-dire saturée en quelque sorte de l’idée chrétienne. L’on fera agir sous nos yeux, des années durant, un héros catholique, tout en ayant bien soin de ne jamais le montrer une fois par année, accomplissant envers son Dieu l’un de ces devoirs qui sont de tous les jours, qui devraient être de tous les instants.

Et c’est ainsi que presqu’infailliblement la lecture de ces ouvrages, outre quelle présente les inconvénients inhérents à la lecture de tout roman, conduit à l’indifférence et même à l’impiété. On s’habitue tellement à voir ces héros, même les meilleurs, ne remplir durant toute leur carrière aucun devoir de chrétien, que sans s’en apercevoir on finit par se persuader qu’il doit en être ainsi.

Les ouvrages de certains romanciers anglais, dus même à des auteurs protestants, sont sous ce rapport beaucoup meilleurs que nombre de romans français que l’on s’accoutume à considérer comme n’étant pas mauvais. Parceque sans cesse la foi chrétienne y est affirmée et les personnages y adorent et servent Dieu. L’enseignement chrétien s’en dégage et exerce son influence sur le lecteur.

L’ouvrage de Mr. Kirby nous a paru être tout à fait remarquable sous ce rapport, et offre aux romanciers catholiques un grand enseignement. Car il démontre d’une façon frappante combien est puérile leur crainte de passer pour des dévots ou des hypocrites, en donnant dans leurs œuvres, au sentiment catholique, la place qu’il devrait y occuper tout naturellement.

L’auteur a bien voulu permettre d’apporter, dans la traduction, quelques modifications d’expressions qui n’étaient pas en harmonie avec l’enseignement catholique.

Nous n’oserions pas recommander ce livre comme une œuvre de doctrine parfaitement irréprochable. On ne doit pas oublier que c’est un protestant qui écrit. Mais encore une fois, il nous semble remarquable par le bon esprit qui y règne et le sentiment chrétien dont il est imprégné.

Pour ce qui est du mérite littéraire du livre et surtout de la traduction, il ne nous appartient pas d’en faire ici l’appréciation. À ces deux points de vue, l’ouvrage est actuellement devant le public et soumis à son jugement.

Les Éditeurs.