Le Trésor de la caverne d’Arcueil
La Revue de ParisTome Seizième (p. 240-243).
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IX.


Il y avait plusieurs années que maître Jean d’Anspach vivait ainsi de cette vie d’anachorète, quand tout à coup il disparut de sa retraite et du monde sans éclat, sans bruit, ténébreusement, vaguement, comme autrefois il était de bon goût qu’après leurs lois promulguées disparussent les grands législateurs.

Ce fut encore le bon et vigilant curé qui donna le premier l’éveil de cette absence.

Ayant cogné plusieurs fois au guichet du luthérien sans obtenir de réponse, le soupçon lui vint naturellement que le vieillard pouvait bien être mort ou agonisant dans quelque coin de sa demeure, et avoir grand besoin des secours de l’art, sinon de la sépulture.

Aussitôt, sur son avis, les portes avaient été enfoncées, et la foule, toujours avide d’émotion, s’était précipitée de tous côtés dans le repaire exécré et jusqu’alors impénétrable de l’avare.

L’un croyait ouïr pleurer au fond du puits le vieil hérétique, l’autre l’entendre jeter des plaintes dans les buissons ou dans les caves. Mais je vous laisse à penser quel dut être l’étonnement des hauts bonnets de l’endroit et de la multitude accourue pour assister à cette ouverture, quand, après une battue générale et la perquisition la plus exacte, on n’eut trouvé ni trace ni vestige de maître Jean, rien qui pût donner quelque indice sur son sort

Ce qui ne causa pas une moindre surprise, ce fut l’état d’abandon qui régnait au dedans comme au dehors de la maison. Partout la nudité la plus absolue ; ni meubles, ni objets de corps, ni ustensiles, ni instruments, rien qui rappelât qu’un être fait à l’image de Dieu et des hommes, appartenant à une race anciennement civilisée, avait passé là plusieurs années de sa vie.

Comme on ne lui savait ni rentes ni biens domaniaux, l’idée commune voulait que la richesse de maître Jean fût toute métallique. On s’était donc attendu en conséquence à marcher sur les joyaux et l’orfèvrerie, à trouver les planchers jonchés de bijoux de toutes sortes, à rencontrer des monceaux d’or dans chaque chambre, de toutes parts des coffres pleins d’argent monnayé jusqu’à la gorge. Mais, sauf quelques liards tournois tout moisis qui furent trouvés dans le fond d’une bougette, on ne découvrit pas un écu posthume chez notre richard, pas seulement de quoi faire un honnête paroli au pharaon ou à la bassette.

Alors on se rappela le séjour des ouvriers allemands au château, la quantité considérable de matériaux qu’on avait vu apporter à cette époque, et que ces étrangers avaient dû employer nécessairement à quelques constructions cachées, et l’on se mit à la recherche de cette construction.

Il y avait à l’entrée du parc une assez vaste caverne, naturelle on de la main des hommes, je ne sais, dans le genre de celles qu’on se plaît quelquefois à faire bâtir dans les jardins somptueux. Ce fut là surtout que se dirigèrent les plus minutieuses perquisitions.

Persuadé que c’était par cette grotte qu’on devait pénétrer dans un appartement souterrain, on en fouilla le sol à plusieurs pieds, en tous sens ; on en sonda la voûte, on en dégrada les parois, on en déplaça plusieurs pierres énormes, mais sans être plus heureux dans ces nouvelles tentatives. Nul orifice ne s’entr’ouvrit, — nul quartier de rocher ne tourna subitement sur des gonds magiques, — nulle cavité ne résonna sous les pics des travailleurs.

Sur ces entrefaites, M. le prévôt du canton avait mis ses exempts en campagne, et fait demander à Paris le neveu de maître Jean d’Anspach, espérant obtenir par son intermédiaire quelques lumières sur la disparition de son oncle, ou du moins quelques indications. un peu plus certaines qui viendraient le diriger à coup sûr.

Or, à l’auberge de la Croix de Lorraine, où avait toujours logé ce jeune homme depuis qu’il résidait à Paris, on était dans la plus grande inquiétude à son égard ; on ne l’avait pas vu depuis environ trois semaines.

Ceci n’était guère fait pour éclairer la question.

Après un mandat d’amener lancé contre le jeune étranger, et quelques poursuites qui n’eurent également aman résultat, la justice remporta son flambeau, qu’elle se serait obstinée vainement à faire pénétrer dans ces ténèbres. — Force fut donc à chacun de s’en tenir là de même, c’est-à-dire de se résigner à ne rien savoir.

La coïncidence de la disparition du neveu et de l’onde, toutefois » ne vint pas tarir les déductions et les conjectures ; cela ne fit au contraire qu’ajouter un affluent de plus à la source des suppositions. D fut décidé généralement que le jeune homme s’était enfui en Allemagne, après avoir fait main-basse sur les richesses de son onde, que dans une de ses dernières visites il avait expédié et enterré sais doute dans quelque coin du jardin.

Quant à nous, bonnes gens que nous sommes, ne nous hâtons pas de rien supposer, et continuons.

À la suite de ces évènements, le château de maître Jean d’Anspach tomba en déshérence, et fut vendu au profit de l’état, au bout de la prescription voulue par la coutume.

Des mains du premier acquéreur, il passa successivement dans celles de plusieurs autres, pendant le cours du siècle dernier, et le vieux thésauriseur allemand et l’enfouissement de son magot ne tardèrent pas à être oubliés par les nouveaux propriétaires et seigneurs.

Mais sous le chaume on a meilleure mémoire, et les richesses hyperboliques et la vie extraordinaire de maître Jean l’avare avaient frappé trop vivement l’esprit des villageois d’Arcueil pour qu’elles n’y laissassent pas des traces plus profondes. Et par tradition, les manants du lieu et le peuple de Paris, chez qui cette histoire s’était répandue, continuèrent à désigner la caverne du parc comme devant receler un trésor immense, caché là autrefois par une espèce de juif d’Allemagne, orfèvre et usurier du roi, qui était si riche, si riche, disait-on, qu’il aurait pu combler un puits avec son or.

Puis dans ces dernières années, lorsque les opérations occultes, les chercheurs d’esprits et les chercheurs de richesses souterraines devinrent pour ainsi dire à la mode, ce fut sur le territoire d’Arcueil plus particulièrement que, poussés par la renommée publique, se dirigèrent tous les regards, toutes les espérances, toutes les explorations.